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08/06/2006 | FRANCE | N°05NC00664

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2eme chambre - formation a 3, 08 juin 2006, 05NC00664


Vu la requête, enregistrée le 31 mai 2005, présentée pour M. Sergheï X et Mme Elena Y, élisant domicile ..., par Me Rudloff ; M. X et Mme Y demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0501767 - 0501768, en date du 25 avril 2005, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 23 mars 2005 du préfet du Bas-Rhin décidant leur reconduite à la frontière et des décisions du même jour fixant la Russie comme pays de destination des reconduites ;

2°) d'annul

er pour excès de pouvoir lesdits arrêtés du 23 mars 2005 ;

3°) subsidiairement, d'...

Vu la requête, enregistrée le 31 mai 2005, présentée pour M. Sergheï X et Mme Elena Y, élisant domicile ..., par Me Rudloff ; M. X et Mme Y demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0501767 - 0501768, en date du 25 avril 2005, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à l'annulation des arrêtés du 23 mars 2005 du préfet du Bas-Rhin décidant leur reconduite à la frontière et des décisions du même jour fixant la Russie comme pays de destination des reconduites ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir lesdits arrêtés du 23 mars 2005 ;

3°) subsidiairement, d'annuler les décisions du préfet du Bas-Rhin fixant la Russie comme pays de destination de leur reconduite ;

4°) d'enjoindre le préfet du Bas-Rhin de leur délivrer un récépissé de demande de titre de séjour en qualité de demandeur d'asile ou, subsidiairement, une autorisation provisoire de séjour ;

Ils soutiennent que :

- le jugement est entaché d'irrégularité en ce que le tribunal a omis de statuer sur leur moyen relatif à l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'auraient les décisions attaquées sur leur situation personnelle et familiale, eu égard à leur effort d'intégration, à la promesse d'embauche faite à M. X et à la scolarisation de leurs deux enfants ;

- les arrêtés doivent être annulés en ce qu'ils sont fondés sur une décision implicite illégale du préfet refusant de les admettre à séjourner en France, suite à leur demande de réexamen de leur demande d'asile, présentée le 10 décembre 2004 et qui ne présentait pas un caractère dilatoire ;

- les arrêtés sont contraires à l'article 3-1 de la convention de New-York sur les droits de l'enfant, en date du 26 janvier 1990, eu égard à l'intégration de leurs deux enfants dans le système scolaire français ;

- les arrêtés sont entachés d'une erreur manifeste d'appréciation quant à leurs conséquences sur leur situation personnelle ;

- les décisions du préfet fixant la Russie comme pays de destination sont de nature à les exposer à des traitements inhumains et dégradants prohibés par les stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2006, présenté par le préfet du Bas-Rhin, tendant au rejet de la requête par le motif qu'aucun des moyens invoqués par M. X et Mme Y n'est fondé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention internationale des droits de l'enfant ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi du 25 juillet 1952 modifiée relative au droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 mai 2006 :

- le rapport de M. Montsec, rapporteur ;

- les observations de Me Erdogan substituant Me Mengus, avocat de M. Sergheï X et Mme Elena Y ;

- et les conclusions de Mme Rousselle, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. Sergheï X et son épouse, Mme Elena Y, tous deux ressortissants russes, font régulièrement appel du jugement en date du 25 avril 2005 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à titre principal à l'annulation des deux arrêtés du 23 mars 2005 du préfet du Bas-Rhin décidant leur reconduite à la frontière et, subsidiairement, des décisions de la même autorité et du même jour fixant la Russie comme pays de destination de ces reconduites ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, si le jugement attaqué a considéré que les arrêtés litigieux ne portaient pas, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales comme à l'intérêt supérieur de leurs enfants garanti par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, il ne s'est en revanche pas prononcé sur le moyen, invoqué par les requérants, relatif à l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences qu'auraient les décisions attaquées sur leur situation personnelle et familiale, eu égard à leur effort d'intégration, à une promesse d'embauche faite à M. X et à la scolarisation de leurs deux enfants ; que, dès lors, ledit jugement est entaché d'irrégularité et M. X et Mme Y sont fondés à en demander l'annulation ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. X et Mme Y devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation des arrêtés de reconduite à la frontière du 23 mars 2005 :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait » ;

Considérant que M. X et son épouse Mme Y sont entrés en France en mars 2002 avec leurs deux enfants nés le 18 mai 1992 et le 28 juillet 1999 ; qu'ils ont déposé auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) une première demande tendant à l'obtention du statut de réfugié, qui a fait l'objet d'une décision de rejet le 30 septembre 2002, confirmée par la Commission des recours des réfugiés le 6 avril 2004 ; que ces décisions ont été suivies d'une première invitation à quitter le territoire dans le délai d'un mois, qui leur a été notifiée par le préfet du Bas-Rhin le 7 mai 2004 ; qu'après que ledit préfet ait rejeté le 18 août 2004 leur nouvelle demande de délivrance d'un titre de séjour à titre dérogatoire, et, le 20 décembre 2004, un recours gracieux présenté par leur conseil, M. X et Mme Y ont saisi l'OFPRA d'une demande de réexamen de leur situation, qui a été rejetée le 14 janvier 2005 ; qu'à la suite de cette décision et sans attendre la décision de la Commission des recours saisie par M. X et Mme Y, le préfet du Bas-Rhin, par décision du 1er février 2005, les a informés qu'ils ne pouvaient plus être autorisés à séjourner en France en qualité de demandeurs d'asile et les a, pour la seconde fois, invités à quitter le territoire dans le délai d'un mois ;

Considérant que M. X et Mme Y se sont maintenus sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 8 février 2005, de la décision du préfet du Bas-Rhin en date du 1er février 2005 leur refusant la délivrance d'un titre de séjour et les invitant à quitter le territoire ; qu'ils entraient ainsi dans le champ d'application des dispositions précitées ;

Considérant qu'à l'appui de leur demande d'annulation des arrêtés de reconduite à la frontière pris à leur encontre par le préfet du Bas-Rhin le 23 mars 2005, M. X et Mme Y ne peuvent utilement invoquer l'exception d'illégalité d'une décision implicite de rejet de leur demande d'admission au séjour qui aurait été prise par le préfet du Bas-Rhin en décembre 2004, avant de transmettre leur demande de réexamen de leur situation à l'OFPRA, dès lors que les décisions de reconduite à la frontière en litige ne se fondent pas sur une telle décision mais sur la décision susmentionnée du 1er février 2005 les informant qu'ils ne pouvaient plus être autorisés à séjourner en France et les invitant en dernier lieu à quitter le territoire dans le délai d'un mois, suite au rejet par l'OFPRA de leur demande de réexamen de leur situation ;

Considérant que, même si M. X et Mme Y justifient de leurs efforts d'intégration depuis leur entrée en France, si M. X a obtenu une promesse d'embauche en cas de régularisation de sa situation et si leurs enfants sont normalement scolarisés depuis leur arrivée en France, ces circonstances ne suffisent pas à établir que les décisions de reconduite à la frontière prises à leur encontre sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ou méconnaissent les stipulations de la convention internationale des droits de l'enfant, eu égard par ailleurs au fait que l'intégrité de la cellule familiale qu'ils composent avec leurs enfants n'est pas remise en cause par ces décisions et surtout à la relative brièveté de leur séjour en France, correspondant au temps nécessaire pour l'examen par l'OFPRA et la Commission des recours de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié ;

Considérant que, par suite, M. X et Mme Y ne sont pas fondés à demander l'annulation des arrêtés du 23 mars 2005 par lesquels le préfet du Bas-Rhin a ordonné leur reconduite à la frontière ;

Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions distinctes fixant le pays de destination :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;

Considérant que si M. X et Mme Y n'ont quitté la Russie qu'en 2002, avec leurs enfants, ils établissent la persistance des menaces et agressions dont ils ont été la cible, malgré plusieurs changements de résidence, postérieurement à une première agression subie en 1996 par M. X et jusqu'à leur départ du pays, sans que les autorités publiques aient été en mesure d'assurer leur protection, malgré leurs démarches réitérées auprès de celles-ci et dont ils apportent la preuve par les pièces versées au dossier ; qu'alors qu'ils ont produit, au cours de la procédure, plusieurs lettres d'un ami, lequel avait été également agressé dans les mêmes circonstances, les mettant en garde sur les risques qu'ils encourraient en cas de retour dans leur pays, ils produisent en dernier lieu un courrier de la mère de M. X, leur annonçant le décès de celui-ci de mort violente, et le procès-verbal d'identification du corps, décrivant des « blessures par arme à feu au torse et à la tête » ; que dans ces circonstances particulières, M. X et Mme Y doivent être regardés comme établissant la réalité des risques qu'ils encourraient en cas de retour en Russie ; que, par suite, ils sont fondés à soutenir que le préfet du Bas-Rhin a, en fixant la Russie comme pays de destination, commis une erreur manifeste d'appréciation et méconnu les stipulations susmentionnées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. X et Mme Y sont seulement fondés à demander l'annulation des décisions du 23 mars 2005 fixant la Russie comme pays de destination de leur reconduite à la frontière ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que le présent arrêt, qui se borne à annuler les décisions fixant la Russie comme pays de destination de la reconduite à la frontière de M. X et Mme Y n'implique pas que leur soit délivré, ainsi qu'ils le demandent, des récépissés de demande de titre de séjour en qualité de demandeurs d'asile ou même des autorisations provisoires de séjour ;

DECIDE

Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 25 avril 2005 est annulé.

Article 2 : Les décisions en date du 23 mars 2005 du préfet du Bas-Rhin fixant la Russie comme pays de destination des mesures de reconduites à la frontière prises à l'encontre de M. X et Mme Y sont annulées.

Article 3 : Le surplus des demandes présentées par M. X et Mme Y devant le Tribunal administratif de Strasbourg et des conclusions de leur requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Sergheï X, à Mme Elena Y, au préfet du Bas-Rhin et au ministre de l'intérieur.

3

N°05NC00664


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 05NC00664
Date de la décision : 08/06/2006
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme FELMY
Rapporteur ?: M. Pierre MONTSEC
Rapporteur public ?: Mme ROUSSELLE
Avocat(s) : MENGUS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2006-06-08;05nc00664 ?
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