La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/06/2005 | FRANCE | N°01NC00831

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ere chambre - formation a 3, 02 juin 2005, 01NC00831


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 26 juillet 2001 sous le

n° 01NC00831, présentée pour Mme Delphine X, élisant domicile ..., par Me El-Garnaoui, avocat ;

Mme X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°003938 du 27 avril 2001 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 11 août 2000 par laquelle le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un passeport, une carte nationale d'identité et un permis de conduire ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;>
3°) de condamner l'Etat à lui verser 10 000 francs au titre de l'article L. 761-1 du code d...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 26 juillet 2001 sous le

n° 01NC00831, présentée pour Mme Delphine X, élisant domicile ..., par Me El-Garnaoui, avocat ;

Mme X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°003938 du 27 avril 2001 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 11 août 2000 par laquelle le préfet du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un passeport, une carte nationale d'identité et un permis de conduire ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cette décision ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser 10 000 francs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le décret n° 87-179 du 19 mars 1987, qui complète le décret du 22 octobre 1955 et impose la production, à l'appui de la demande de carte nationale d'identité, de photographies tête nue, est illégal, dans la mesure où, la carte nationale d'identité n'étant pas obligatoire, il ne peut être imposé au demandeur de faire apparaître des éléments de son apparence qui font partie de son identité ; cette restriction, qui ne peut être regardée comme prévue par la loi, au sens de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est incompatible avec les stipulations de cette convention ;

- en ce qui concerne le refus de délivrer un passeport, l'exigence de fournir des photographies tête nue ne repose sur aucune base légale ;

- seul le ministre de l'équipement, et non le ministre de l'intérieur, était compétent pour fixer les règles relatives à la délivrance du permis de conduire ; l'exigence de fournir des photographies tête nue ne repose sur aucune base légale ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 octobre 2001, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête, comme non fondée ;

Vu l'ordonnance du président de la 1ère chambre de la Cour du 10 août 2004, fixant au 10 septembre 2004 la date de clôture de l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la route ;

Vu le décret de la convention nationale du 7 décembre 1792 ;

Vu le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 modifié, instituant la carte nationale d'identité ;

Vu l'arrêté du 8 février 1999 relatif aux conditions d'établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire ;

Vu l'arrêté du 7 mai 1999 relatif à l'apposition de photographies d'identité sur les documents d'identité, les titres de voyage, les titres de séjour et les permis de conduire ;

Vu l'ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs, ensemble le décret n°2001-373 du 27 avril 2001 ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 mai 2005 :

- le rapport de M. Clot, président,

- et les conclusions de M. Adrien, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X, faisant valoir qu'étant de confession musulmane, elle devait porter en public un foulard couvrant la totalité des cheveux et des oreilles, a sollicité du préfet du Bas-Rhin, le 2 août 2000, la délivrance d'un passeport, d'une carte nationale d'identité et d'un permis de conduire sur lesquels auraient été apposées des photographies d'identité sur lesquelles elle n'apparaissait pas tête nue ; que par la décision en litige, du 11 août 2000, ledit préfet a refusé de lui délivrer une carte nationale d'identité et un permis de conduire ; qu'il a implicitement rejeté sa demande en ce qu'elle tendait à la délivrance d'un passeport ; que cette dernière décision est également contestée par l'intéressée, qui fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande d'annulation de ces refus ;

En ce qui concerne le refus de délivrer un passeport :

Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne permet légalement à l'administration de subordonner la délivrance d'un passeport à la fourniture par son demandeur d'une photographie d'identité le représentant tête nue ; que, dès lors, le refus du préfet du Bas-Rhin de délivrer un passeport à Mme X faute pour elle d'avoir fourni des photographies d'identité la représentant tête nue est dépourvu de base légale ;

En ce qui concerne le refus de délivrer une carte nationale d'identité :

Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (...) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ;

Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955 susvisé, ajouté par l'article 5 du décret du 25 novembre 1999 : Sont (...) produites à l'appui de la demande de carte nationale d'identité deux photographies de face, tête nue, de format 3,5 x 4,5 cm, récentes et parfaitement ressemblantes ; que ce texte a le caractère d'une loi au sens du 2 de l'article 9 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que le port du voile ou du foulard, par lequel les femmes de confession musulmane peuvent entendre manifester leurs convictions religieuses, peut faire l'objet de restrictions notamment dans l'intérêt de l'ordre public ; que les restrictions que prévoient les dispositions précitées du quatrième alinéa de l'article 4 du décret du 22 octobre 1955, qui visent à limiter les risques de falsification et d'usurpation d'identité, ne sont pas disproportionnées au regard de cet objectif et, par suite, ne méconnaissent pas les stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que la circonstance, invoquée par la requérante, que la détention de la carte nationale d'identité est facultative ne fait pas obstacle à ce que, comme il l'a fait par le décret précité du 25 novembre 1999, le pouvoir réglementaire décide de subordonner la délivrance de cette carte au respect de prescriptions particulières ;

En ce qui concerne le refus de délivrer un permis de conduire :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 129 du code de la route alors applicable, aujourd'hui repris à l'article R. 221-19 : Le ministre chargé des transports détermine les conditions dans lesquelles doit être demandé, établi et délivré le permis de conduire et sont prononcées les extensions, prorogations et restrictions de validité des catégories de ce permis. (...) ; que selon le 2° du paragraphe 1.2 de l'article 1er de l'arrêté du 8 février 1999 susvisé, le dossier qui doit être joint à la demande de permis de conduire comprend, notamment, deux exemplaires de la photographie du candidat, répondant à la norme NFZ 12010 ou à des normes techniques officielles en vigueur dans l'un des Etats membres de l'Union européenne ou dans un Etat appartenant à l'Espace économique européen ;

Considérant que l'arrêté du 8 février 1999 ayant été pris par le ministre de l'équipement, des transports et du logement, le moyen tiré de l'incompétence du ministre de l'intérieur manque en fait ;

Considérant que la norme NFZ 12-010 prescrit notamment que la tête soit nue ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient Mme X, la décision lui refusant un permis de conduire faute pour elle d'avoir fourni des photographies d'identité la représentant tête nue n'est pas dépourvue de base légale ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre le refus du préfet du Bas-Rhin de lui délivrer un passeport ;

Sur les conclusions de Mme X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à payer à Mme X une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par elle en appel et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg du 27 avril 2001 en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande de Mme Delphine X dirigées contre la décision du préfet du Bas-Rhin refusant de délivrer un passeport, ensemble cette décision, sont annulés.

Article 2 : L'État (ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales) versera à Mme Delphine X la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme Delphine X est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Delphine X et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

2

01NC00831


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ere chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 01NC00831
Date de la décision : 02/06/2005
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MAZZEGA
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre CLOT
Rapporteur public ?: M. ADRIEN
Avocat(s) : EL GUERNAOUI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2005-06-02;01nc00831 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award