(Deuxième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 5 janvier 1996 au greffe de la Cour, présentée pour M. et Mme Y..., demeurant ... (Bas-Rhin), par maître X..., avocat au barreau de Strasbourg ;
M. et Mme Y... demandent à la Cour :
1 / d'annuler le jugement, en date du 10 novembre 1995, par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, a rejeté le surplus de leur demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis, au titre des années 1982, 1983 et 1984 ;
2 / de prononcer la décharge de ces impositions ;
Vu l'ordonnance en date du 20 juin 2000 du président de la deuxième chambre portant clôture de l'instruction le 7 juillet 2000 ;
Vu l'ordonnance en date du 21 novembre 2000 du président de la deuxième chambre rouvrant l'instruction ;
Vu l'ordonnance en date du 21 novembre 2000 du président de la deuxième chambre portant clôture de l'instruction le 21 décembre 2000 ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n 87-502 du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières ;
Vu le décret n 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu code de justice administrative ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2001 :
- le rapport de M. COMMENVILLE, Président,
- et les conclusions de M. STAMM, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que si, par mémoire enregistré le 2 mai 1989 au greffe du tribunal administratif de Strasbourg, le directeur des services fiscaux du Bas-Rhin a déclaré admettre l'un des moyens du demandeur de nature à entraîner un dégrèvement en droits de 59 830 F et de 14 957 F pour les pénalités, sans d'ailleurs préciser l'année concernée, il n'a cependant pas prononcé un tel dégrèvement ; que c'est, par suite, irrégulièrement que le tribunal a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer, à concurrence de ce dégrèvement, sur les conclusions relatives à l'année 1982 ; que l'article 1er de son jugement doit, dès lors être annulé ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que par décision en date du 22 mai 1996, le directeur des services fiscaux du Bas-Rhin a fait droit au moyen tiré du don manuel de 120 000 francs consenti à M. Y... par son père et prononcé un dégrèvement de 84 654 francs des cotisations d'impôt sur le revenu établies au titre de l'année 1983 ; qu'à concurrence de cette somme, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'au cours d'une vérification approfondie de situation fiscale d'ensemble, le service a adressé à M. et Mme Y... des demandes de justifications du solde de balances de trésorerie faisant apparaître, pour les années 1982, 1983 et 1984, un excédent des emplois sur les ressources connues du foyer ; que les réponses données ayant été jugées insuffisantes par le vérificateur, M. et Mme Y... ont fait l'objet d'une taxation d'office à concurrence des sommes de 35 745 francs pour 1982, 301 189 francs pour 1983 et 162 317 francs pour 1984 ;
Considérant, en premier lieu, que les demandes de justifications comportaient le détail des postes composant les balances de trésorerie, ainsi que le solde à justifier ; que M. et Mme Y... soutiennent, dès lors, à tort que ces demandes auraient été imprécises ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'article L. 16 du livre des procédures fiscales autorise l'administration à demander des justifications "lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés" ; que, pour apprécier si l'administration a réuni des éléments suffisants pour présumer l'existence de dissimulations, il n'y a pas lieu de se référer aux sommes dont l'origine reste inexpliquée après les échanges auxquels procèdent le contribuable et le service, mais de comparer les revenus déclarés aux éléments constatés par le vérificateur dès l'origine ; qu'en l'espèce, la circonstance qu'en cours de vérification le service ait renoncé à retenir dans les emplois à justifier, des achats d'or effectués au cours de la période et que, de ce fait, le solde inexpliqué de la balance de trésorerie de l'année 1982 corresponde exclusivement à l'estimation du train de vie du foyer, n'est pas de nature à être opposé à l'administration, dans la mesure où la demande de justifications portait, à l'origine, sur un solde très supérieur à l'évaluation de ce train de vie ;
Considérant, en troisième lieu, que M. et Mme Y... ont invoqué, pour justifier les emplois excédentaires des balances de trésorerie, plusieurs prêts qui leur auraient été consentis par des tiers, en fournissant des attestations sans date certaine ne mentionnant pas l'identité des prêteurs ; qu'une telle réponse doit, en raison de son caractère invérifiable, être assimilée à un défaut de réponse ; qu'ainsi l'administration était fondée à mettre en oeuvre la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 69 du livre des procédures fiscales ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'à la date du 3 avril 1987 à laquelle le vérificateur a adressé à M. et Mme Y... une "réponse aux observations du contribuable", les dispositions de l'article 9-V de la loi du 8 juillet 1987, prévoyant la faculté de saisir la commission départementale des impôts en cas de taxation d'office effectuée sur le fondement de l'article L. 69 susmentionné, n'étaient pas entrées en vigueur et, conformément aux dispositions de l'article L. 284 du même livre, ne s'appliquaient pas à la formalité accomplie par le vérificateur ; que celui-ci n'a, par suite, commis aucune irrégularité en rayant sur l'imprimé de notification du 3 avril 1987, la mention relative à la faculté de saisir la commission départementale des impôts ; que M. et Mme Y... ne pourraient se prévaloir d'une éventuelle méconnaissance des garanties offertes par le législateur que s'ils en avaient demandé le bénéfice, avant la mise en recouvrement des impositions, à une date à laquelle ces garanties étaient applicables ; qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme Y... ont demandé la saisine de la commission le 4 mai 1987, avant l'entrée en vigueur de l'article 9-V susmentionné et n'ont pas réitéré leur demande ultérieurement ; qu'ainsi le moyen tiré de l'atteinte à la garantie instaurée par la loi du 8 juillet 1987 ne peut être accueilli ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'avant l'entrée en vigueur de l'article 8 de la loi n 87-502 du 8 juillet 1987, les contribuables ne pouvaient utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80-A du livre des procédures fiscales, des recommandations contenues dans la "charte du contribuable vérifié" ; que l'administration n'était alors tenue par aucune disposition législative ou réglementaire d'engager un dialogue oral et contradictoire avec les contribuables préalablement à l'envoi des demandes d'éclaircissements ou de justifications ;
Considérant enfin que si, aux termes de l'article 1er du décret du 28 novembre 1983, alors en vigueur, concernant les relations entre l'administration et les usagers : "Tout intéressé est fondé à se prévaloir, à l'encontre de l'administration, des instructions, directives et circulaires publiées dans les conditions prévues par l'article 9 de la loi susvisée du 17 juillet 1978, lorsqu'elles ne sont pas contraires aux lois et règlements", il ressort de l'ensemble des dispositions du livre des procédures fiscales que, jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 8 de la loi du 8 juillet 1987, ultérieurement reprises à l'article L. 10 de ce livre et qui ont rendu opposables à l'administration les dispositions contenues dans la "charte des droits et obligations du contribuable vérifié", l'établissement d'impositions supplémentaires à la suite d'une vérification n'était pas soumis à d'autres règles de procédure que celles qui étaient déterminées par les lois et règlements alors en vigueur ; qu'aucune de ces règles n'imposait au service d'avoir avec le contribuable un débat oral et contradictoire préalablement à l'envoi des demandes d'éclaircissements ou de justifications, ni, comme l'a ultérieurement envisagé une réponse ministérielle à un parlementaire, d'étendre la possibilité de saisir la commission départementale aux taxations d'office notifiées avant le 11 juillet 1987, mais pour lesquelles la mise en recouvrement n'était pas encore intervenue à cette date ; que, par suite, dès lors que tant la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, en ce qui concerne l'obligation de dialogue préalable à l'envoi des demandes de justifications, que la réponse ministérielle susmentionnée en ce qui concerne la saisine de la commission, en tant qu'elles instituaient des règles de procédure qui, à la date de mise en recouvrement des impositions litigieuses, n'étaient pas prévues par le livre des procédures fiscales, étaient "contraire aux lois et règlements" au sens et pour l'application de l'article 1er du décret du 28 novembre 1983, de sorte que M. et Mme Y... ne sont pas fondés à s'en prévaloir ;
Sur le bien fondé des impositions :
Considérant qu'il appartient à M. et Mme Y..., régulièrement taxés d'office, d'apporter la preuve de l'exagération des impositions qu'ils contestent ;
Considérant, d'une part, qu'en se bornant à faire état de la mauvaise santé de Mme Y... qui suivait un régime alimentaire, et à invoquer l'usage d'un jardin potager, M. et Mme Y... n'établissent pas l'exagération de l'évaluation du train de vie du foyer à 35 000 francs pour les années 1982 et 1983, et à 40 000 francs pour l'année 1984 ;
Considérant, d'autre part, que pour justifier des ressources supérieures aux revenus déclarés, M. et Mme Y... se prévalent de prêts qui leur auraient été consentis par des tiers ; que si, en cours de procédure, ils ont indiqué l'identité des prêteurs, ils n'établissent pas la réalité de ces prêts par la production de reconnaissances de dettes sans date certaine, nonobstant le fait qu'elles ont été rédigées sur du papier timbré et que l'une d'elles comporte le tampon, non daté, d'une recette des impôts, une telle circonstance ne pouvant être assimilée à l'enregistrement de ces actes ; que le relevé des retraits opérés sur leur compte d'épargne par les personnes désignées comme prêteurs, au cours des années 1981 à 1984, produit en première instance, dont les montants et les dates ne concordent pas avec les prêts invoqués, ne constituent pas la preuve de ces opérations ; qu'ainsi, la justification des ressources alléguées n'est pas apportée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme Y... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le surplus de leur demande ;
Considérant que les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à M. et Mme Y... la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. et Mme Y..., relatives à l'impôt sur le revenu de l'année 1983, à concurrence d'une somme de 84 654 francs.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Strasbourg, en date du 10 novembre 1995, est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme Y... est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Y... et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.