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31/05/2001 | FRANCE | N°96NC03071

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3e chambre, 31 mai 2001, 96NC03071


(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 18 décembre 1996 au greffe de la Cour, présentée pour la société R.T.P., société à responsabilité limitée dont le siège est à Confranchette-le-Haut (Ain), par Me X..., avocat au barreau de Lyon ;
La société R.T.P. demande à la Cour :
1 - de réformer le jugement du 24 octobre 1996 par lequel le tribunal administratif de Besançon, en se bornant à annuler la décision de la commission d'appel d'offres du département de la Haute-Saône en date du 17 août 1995 ainsi que la décision de signer le contrat pour la con

struction de l'ouvrage d'art n 3 de la déviation de Grandvelle avec l'entreprise C...

(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 18 décembre 1996 au greffe de la Cour, présentée pour la société R.T.P., société à responsabilité limitée dont le siège est à Confranchette-le-Haut (Ain), par Me X..., avocat au barreau de Lyon ;
La société R.T.P. demande à la Cour :
1 - de réformer le jugement du 24 octobre 1996 par lequel le tribunal administratif de Besançon, en se bornant à annuler la décision de la commission d'appel d'offres du département de la Haute-Saône en date du 17 août 1995 ainsi que la décision de signer le contrat pour la construction de l'ouvrage d'art n 3 de la déviation de Grandvelle avec l'entreprise Carsana, n'a que partiellement fait droit à ses conclusions, tendant, en outre, à condamner le département de la Haute-Saône à lui verser une somme de 514 000 F en réparation du préjudicesubi du fait du rejet de son offre pour la construction de cet ouvrage, à annuler la décision de la commission d'appel d'offres rejetant son offre et retenant celle de l'entreprise Locatelli pour la construction de l'ouvrage d'art n 2 de la déviation de Grandvelle ainsi que l'attribution du marché à ladite entreprise et à condamner le département de la Haute-Saône à lui verser une somme de 688 000 F en réparation du préjudice subi du fait du rejet de son offre pour la construction de cet ouvrage, ainsi qu'une somme de 1 500 000 F en réparation du préjudice subi du fait de la décision de l'évincer de tous les marchés de travaux du département ;
2 - d'annuler la décision de la commission d'appel d'offres rejetant sa candidature pour l'attribution du marché de l'ouvrage n 2 ;
3 - de condamner le département de la Haute-Saône à lui payer les sommes de 514 000 F, 688 000 F et 1 500 000 F augmentées des intérêts de retard à compter de l'introduction de la requête de première instance ;
4 - de condamner le département de la Haute-Saône à lui verser la somme de 50 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance du président de la troisième chambre de la Cour, portant clôture de l'instruction à compter du 10 mars 2000 à 16 heures ;
Vu la correspondance du 7 mars 2001 par laquelle le président de la troisième chambre de la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R.611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel incident du département de la Haute-Saône ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 mai 2001 :
- le rapport de M. VINCENT, Président,
- les observations de M. Y..., président-directeur général de la société R.T.P. ;
- et les conclusions de M. ADRIEN, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant que la société R.T.P. a présenté sa candidature consécutivement aux avis d'appel public à la concurrence lancés respectivement le 24 mai 1995 et le 29 août 1995 par le département de la Haute-Saône pour la construction des ouvrages d'art n 3 et 2 de la déviation de Grandvelle ; que la commission d'appel d'offres a, d'une part, rejeté l'offre de la société R.T.P. concernant l'ouvrage n 3 après avoir ouvert les premières enveloppes et retenu celle de l'entreprise Carsana, d'autre part, écarté la candidature de la société R.T.P. concernant l'ouvrage n 2 et, après avoir ouvert les enveloppes des candidats déclarés admis, retenu l'offre de la société Locatelli ; que, par jugement du 24 octobre 1996 faisant l'objet d'un appel principal de la société R.T.P. et d'un appel incident du département de la Haute-Saône en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leurs conclusions, le tribunal administratif de Besançon a annulé les décisions de la commission d'appel d'offres d'évincer la société R.T.P. du marché de construction de l'ouvrage d'art n 3 et d'attribuer le marché à l'entreprise Carsana et rejeté le surplus des conclusions des demandes de la société R.T.P. tendant à l'annulation de la décision de l'écarter du marché de construction de l'ouvrage d'art n 2 et à la condamnation du département de la Haute-Saône à l'indemniser du préjudice subi du fait du rejet de son offre pour l'ouvrage d'art n 3, du rejet de sa candidature pour l'ouvrage n 2 et de la décision qu'aurait prise le département de l'écarter dorénavant de tous les marchés de travaux ;
Sur l'appel incident du département de la Haute-Saône :
Considérant que le département de la Haute-Saône conclut, par voie d'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a annulé les décisions de la commission d'appel d'offres rejetant l'offre de la société R.T.P. et retenant celle de l'entreprise Carsana pour les travaux de construction de l'ouvrage d'art n 3 ; que ces conclusions soulèvent un litige distinct de l'appel principal de la société R.T.P. qui tend, comme il vient d'être dit, à l'annulation pour excès de pouvoir d'une autre décision de la commission et à l'indemnisation du préjudice subi du fait de son éviction des deux marchés ; que, par suite, l'appel incident du département de Saône, formé après expiration du délai d'appel, n'est pas recevable ;
Sur l'appel principal de la société R.T.P. :
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires relatives à l'éviction du marché afférent à l'ouvrage n 3 :

Considérant qu'aux termes de l'article 297 du code des marchés publics alors en vigueur, applicable en cas d'appel d'offres ouvert : "I La commission ouvre la première enveloppe intérieure : Elle en enregistre le contenu dans toutes les parties essentielles, y compris les pièces jointes. Elle élimine par décision prise avant l'ouverture de l'enveloppe contenant l'offre, les candidats qui n'ont pas qualité pour présenter une offre ou dont les capacités paraissent insuffisantes. Les enveloppes contenant les offres des candidats éliminés sont rendues sans avoir été ouvertes. II. La commission procède ensuite à l'ouverture de la seconde enveloppe contenant les offres des candidats admis. Elle en enregistre le contenu dans toutes les parties essentielles, y compris les pièces jointes. Elle élimine les offres non conformes à l'objet du marché et choisit librement l'offre qu'elle juge la plus intéressante en tenant compte notamment du prix des prestations, de leur coût d'utilisation, de leur valeur technique et du délai d'exécution" ; que, par le jugement attaqué, passé sur ce point en force de chose jugée, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision de rejet précitée de la commission d'appel d'offres au motif que, les dispositions précitées introduisant une procédure d'élimination des candidats selon le critère de leur capacité avant tout examen de leur offre, ladite commission ne pouvait légalement, après avoir ouvert la seconde enveloppe contenant l'offre de la société R.T.P., rejeter celle-ci au motif de l'insuffisance des références fournies pour des ouvrages comparables ;
Considérant toutefois qu'eu égard aux dispositions précitées, la société R.T.P. n'est fondée à demander réparation du préjudice subi du fait de son éviction illégale que dans la mesure où elle établit que ses capacités devaient être reconnues suffisantes et, dans l'affirmative, qu'elle avait une chance sérieuse de voir retenir son offre ;

Considérant que, tant spontanément que sur demande de la commission d'appel d'offres, qui, après avoir ouvert les premières enveloppes le 18 juillet 1995, avait différé sa décision afin de mieux apprécier les mérites respectifs des offres des candidats, la société R.T.P., créée en juin 1994 par M. Y..., a présenté diverses références de construction d'ouvrages de génie civil comparables à celui faisant l'objet de l'appel d'offres, en distinguant clairement ceux réalisés par M. Y... en sa qualité antérieure d'ingénieur salarié et ceux accomplis par la société R.T.P. ; que la société R.T.P., dont le premier exercice comptable n'était alors pas clos, a en outre précisé le personnel et le matériel dont elle disposait et les parties de l'ouvrage qu'elle entendait sous-traiter ; que si certaines des références ainsi présentées correspondent à des chantiers assumés en sous-traitance, il résulte de l'instruction qu'eu égard à l'expérience préalable de son gérant de l'exécution d'ouvrages plus importants et techniquement plus complexes, au nombre et à la qualification de son personnel et à la nature des ouvrages qu'elle avait exécutés auparavant directement ou en sous-traitance, la société R.T.P. devait être regardée comme présentant d'ores et déjà des capacités suffisantes pour exécuter l'ouvrage en cause, décrit par le département de la Haute-Saône comme de type d'exécution courante et, par suite, pour ne pas voir écarter sa candidature à l'attribution du marché ;
Considérant par ailleurs que la société R.T.P. était la moins disante, tant en ce qui concerne la solution de base que la variante qu'elle a présentée, comme le règlement de consultation en prévoyait la possibilité ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que les quantités et prix unitaires indiqués dans l'offre de la société R.T.P. manquaient de précision ou de sincérité ; que le département de la Haute-Saône, qui n'a pas motivé le rejet de l'offre par de telles considérations, ne saurait utilement soutenir, ce qu'il n'établit d'ailleurs pas, que la valeur technique de l'offre de la société R.T.P. serait inférieure à celle de l'entreprise retenue, qui était plus onéreuse de 5 % pour la solution de base et de 14 % pour la variante ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société R.T.P. est fondée à soutenir que la décision illégale prise à son encontre par le département de la Haute-Saône lui a fait perdre une chance sérieuse d'être déclarée attributaire du marché de construction de l'ouvrage d'art n 3 et à demander dans cette mesure la réformation du jugement attaqué ;

Considérant toutefois que la société R.T.P., dont la seconde enveloppe a été ouverte et devait d'ailleurs l'être, eu égard à ce qui vient d'être dit, aurait en tout état de cause dû supporter les frais d'étude de l'ouvrage ; que son expansion s'étant poursuivie, elle n'établit pas que la décision litigieuse lui aurait créé un préjudice commercial en tant qu'elle aurait porté atteinte à son image ; qu'en l'absence de tout élément tendant à établir qu'elle se serait dotée de moyens supplémentaires en matériel ou personnel propres à l'exécution de l'ouvrage n 3 ou qu'elle n'aurait pu redéployer sur un autre chantier les moyens permanents dont elle dispose, la société R.T.P. ne saurait pas davantage inclure dans son préjudice indemnisable la part non amortie des frais généraux qu'elle aurait supportés ; qu'il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société R.T.P. du fait de l'inexécution du marché en l'estimant à une somme de 100 000 F ; que la société R.T.P. a droit aux intérêts de cette somme à compter du 29 mars 1996, date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Besançon ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la décision de rejet de la candidature pour l'ouvrage d'art n 2 :
Considérant que l'ouvrage de franchissement de la RD 33 constitue un ouvrage de génie civil comparable par sa nature à certains de ceux cités en référence par la société R.T.P. ; qu'il n'est pas établi qu'il se serait agi d'un ouvrage d'exécution complexe nécessitant des qualifications particulières, qui n'ont au demeurant pas été requises par le règlement de consultation ; qu'eu égard à ce qui précède, la commission d'appel d'offres n'a pu sans erreur manifeste d'appréciation écarter la candidature de la société R.T.P. à l'appel d'offres lancé pour l'exécution de cet ouvrage ; que, par suite, la décision du 20 octobre 1995 par laquelle la commission d'appel d'offres a rejeté la candidature de la société R.T.P. doit être annulée ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de la décision retenant l'offre de la société Locatelli pour l'ouvrage n 2 et à l'indemnisation du préjudice subi de ce chef :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'offre déposée par la société R.T.P. excédait de 29 % le prix de l'offre de l'entreprise Locatelli retenue par le maître de l'ouvrage ; que la société R.T.P. n'établit pas ni même n'allègue que son offre serait plus intéressante que celle de l'entreprise Locatelli au regard des critères légaux précités et notamment de sa valeur technique ; que, par suite, la société requérante n'est fondée ni à demander l'annulation de la décision par laquelle la commission d'appel d'offres a retenu l'offre de l'entreprise Locatelli, ni à soutenir qu'elle aurait eu une chance sérieuse de remporter le marché si sa candidature n'avait pas été écartée ;
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'exclusion de tous les marchés :

Considérant que si, par lettre du 11 octobre 1995, le responsable d'un des services du conseil général de la Haute-Saône, précisant agir en qualité de "conseiller technique" de la commission d'appel d'offres, a indiqué à la société R.T.P. qu'il allait "proposer à la commission ... de ne pas ouvrir (ses) offres futures, à moins que le contenu de la première enveloppe comporte un nouvel élément déterminant en terme de références", une telle correspondance ne saurait, eu égard tant à ses termes qu'à son auteur, être regardée comme une décision du département de la Haute-Saône, qui n'aurait d'ailleurs pas compétence à cet effet, ou de la commission d'appel d'offres de cette collectivité tendant à écarter systématiquement la candidature de la société requérante à l'attribution de tout marché ; que, par suite, la société R.T.P. n'est pas fondée à demander réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait d'une prétendue décision du département de la Haute-Saône de l'évincer de tous les marchés ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner le département de la Haute-Saône à payer à la société R.T.P. une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant que les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société R.T.P., qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à payer au département de la Haute-Saône et à l'entreprise Locatelli la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le département de la Haute-Saône est condamné à verser à la société R.T.P. la somme de 100 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 29 mars 1996.
Article 2 : La décision de la commission d'appel d'offres du département de la Haute-Saône d'écarter la candidature de la société R.T.P. en vue de la dévolution du marché public afférent à l'ouvrage d'art n 2 de la déviation de Grandvelle est annulée.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Besançon en date du 24 octobre 1996 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le département de la Haute-Saône versera à la société R.T.P. une somme de 10 000 F au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société R.T.P. est rejeté ainsi que l'appel incident du département de la Haute-Saône et les conclusions de l'entreprise Locatelli tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société R.T.P., au département de la Haute-Saône, à l'entreprise Locatelli et à l'entreprise Carsana.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 96NC03071
Date de la décision : 31/05/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - FORMATION DES CONTRATS ET MARCHES - MODE DE PASSATION DES CONTRATS - APPEL D'OFFRES.

PROCEDURE - VOIES DE RECOURS - APPEL - CONCLUSIONS RECEVABLES EN APPEL - CONCLUSIONS INCIDENTES.


Références :

Code de justice administrative L761-1
Code des marchés publics 297


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. VINCENT
Rapporteur public ?: M. ADRIEN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2001-05-31;96nc03071 ?
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