La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/03/2001 | FRANCE | N°96NC01766

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3e chambre, 22 mars 2001, 96NC01766


(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 26 juin 1996 au greffe de la cour, présentée pour M. Francesco Y..., demeurant ... (Moselle), par la SCP Michel, Frey-Michel, Gossin, avocats au barreau de Nancy ;
M. Y... demande à la cour :
1 / d'annuler le jugement du 14 mai 1996 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 5 720 000 francs à raison des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'il y a subie ;
2 / de condamner les Hô

pitaux universitaires de Strasbourg à lui verser cette somme ;
Vu le jug...

(Troisième Chambre)
Vu la requête, enregistrée le 26 juin 1996 au greffe de la cour, présentée pour M. Francesco Y..., demeurant ... (Moselle), par la SCP Michel, Frey-Michel, Gossin, avocats au barreau de Nancy ;
M. Y... demande à la cour :
1 / d'annuler le jugement du 14 mai 1996 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête tendant à condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 5 720 000 francs à raison des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale qu'il y a subie ;
2 / de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser cette somme ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la correspondance en date du 29 janvier 2001 par laquelle le président de la troisième chambre de la cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'elle était susceptible de soulever d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité des conclusions indemnitaires de la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 février 2001 :
- le rapport de M. VINCENT, Président,
- les observations de Me COVIAUX, substituant Me ANDRE, avocat de M. Y..., et de Me X..., substituant Me LE PRADO, avocat des HOPITAUX UNIVERSITAIRES DE STRASBOURG,
- et les conclusions de M. ADRIEN, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant que M. Y..., alors âgé de dix-huit ans, a subi le 15 octobre 1991 aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg une intervention chirurgicale au niveau de la colonne vertébrale destinée à traiter une scoliose double majeure et un spondylolisthésis, à l'issue de laquelle il a été frappé de paralysie des membres inférieurs ; que l'intéressé, qui ne soutient plus en cause d'appel que les conséquences dommageables de cette intervention seraient imputables à une faute médicale, recherche la responsabilité du centre hospitalier sur le fondement de la responsabilité sans faute et, subsidiairement, pour défaut d'information sur les risques susceptibles d'être encourus du fait de l'opération ;
Sur les conclusions tendant à engager la responsabilité sans faute des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg :
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant toutefois qu'il résulte du rapport de l'expert commis par les premiers juges que les risques de paraplégie inhérents à l'intervention subie par M. Y... se présentent, dans toutes les statistiques publiées, dans une proportion de 0,5 à 2 % des opérations réalisées en matière de chirurgie de la scoliose ; qu'une telle fréquence, bien qu'elle traduise une faible probabilité, ne caractérise pas un risque exceptionnel ; que, par suite, la responsabilité sans faute des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ne saurait en tout état de cause être engagée ;
Sur les conclusions tendant à engager la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg pour manquement au devoir d'information du patient :
Considérant que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que M. Y... soutient expressément n'avoir pas été informé des risques de paraplégie que comporte l'opération ; que si le chirurgien ayant effectué l'intervention affirme qu'il s'entretient "en général" avec le patient à l'occasion de l'examen pratiqué antérieurement à celle-ci, il reconnaît ne pouvoir prouver la réalité d'une telle information ; que cette preuve ne saurait résulter de la circonstance que M. Y... avait auparavant consulté de nombreux praticiens spécialisés et été hospitalisé une première fois dans le même service pour effectuer un bilan préalable à l'intervention ; que M. Y... est ainsi fondé, par ce moyen exprimé pour la première fois en appel, à rechercher la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg en se prévalant de la faute résultant du manquement du praticien à l'obligation d'information et à demander pour ce motif l'annulation du jugement attaqué ;
Sur l'étendue du droit à réparation :

Considérant, toutefois, que la faute commise par les praticiens du centre hospitalier n'a entraîné pour M. Y... que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; que, par suite M. Y... est fondé à demander réparation non pas des conséquences dommageables résultant de l'intervention, mais seulement du dommage résultant de cette perte de chance, qui doit être évalué à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; qu'il résulte de l'instruction que, compte tenu de l'âge de l'intéressé, conduisant à écarter désormais toute autre alternative thérapeutique, et des symptômes qu'il présentait, notamment d'essoufflements et de douleurs, accompagnés d'un important retentissement pychologique en relation directe avec l'affection dont il était atteint, l'intervention chirurgicale s'imposait de l'avis unanime des praticiens l'ayant examiné depuis moins d'un an ; que, compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention, d'une faible probabilité, et, d'autre part, les difficultés de toute nature engendrées par le maintien, voire l'aggravation possible, de son état au cours de l'âge adulte qui auraient résulté du renoncement à l'intervention, cette fraction doit être fixée au quart des conséquences dommageables de celle-ci ;
Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant en premier lieu que le préjudice afférent à la perte de revenus professionnels de M. Y..., qui exerçait la profession d'apprenti magasinier, doit être évalué à 24 000 francs pendant la période d'incapacité temporaire totale ; que le taux d'incapacité résultant de la paraplégie dont M. Y... est atteint doit être fixé à 75 % et le préjudice subi à ce titre à 1 650 000 francs, englobant la nécessité de l'aide partielle d'une tierce personne ; que M. Y..., dont le contrat d'apprentissage serait en tout état de cause venu à expiration au terme de l'année scolaire 1991-1992 et qui n'avait entrepris, compte tenu de son âge, aucune carrière professionnelle, n'est pas fondé à faire valoir au titre de la période d'incapacité permanente un préjudice résultant de la perte de revenus professionnels distinct de celui réparé ci-dessus au titre des troubles dans ses conditions d'existence ; que l'intéressé établit avoir supporté des frais d'acquisition et de réparation de matériels spécialisés adaptés à son handicap, lesquels, eu égard à la nécessité de leur renouvellement périodique, doivent être appréciés à la somme non contestée de 244 439,39 francs après déduction de la part prise en charge par la sécurité sociale ; que le surcroît de frais d'acquisition et de renouvellement d'un véhicule adapté à son handicap doit être évalué à 60 000 francs ; que l'intéressé, qui habitait chez ses parents, puis dans un logement loué conjointement avec un tiers, n'établit ni l'inadaptation de ce logement à son handicap, ni le surcroît de loyer qui résulterait de la location d'un autre logement ; que si la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines établit avoir supporté des frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et d'hospitalisation, il convient de déduire du préjudice les frais afférents à la période d'hospitalisation qui aurait été en tout état de cause nécessaire pour effectuer le suivi de l'opération subie par M. Y..., qui peut être estimée à une semaine ; qu'il y a ainsi lieu de réduire de 217 990,71 francs à 193 769,52 francs l'évaluation des frais d'hospitalisation au titre de la période du 15 octobre au 16 décembre 1991 inclus et, par voie de conséquence, de fixer à 1 094 713, 15 francs le préjudice indemnisable au titre des frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et d'hospitalisation supportés par la caisse ; qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice autre que personnel résultant des conséquences dommageables de l'intervention subie par M. Y... doit être évalué à 3 073 152,54 francs ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice d'agrément, ainsi que des souffrances physiques et du préjudice esthétique endurés par M. Y..., en évaluant à 250 000 francs l'ensemble de ces chefs de préjudice ;
Considérant qu'eu égard à ce qui précède, le préjudice indemnisable subi par M. Y... doit être fixé à 768 288,13 francs au titre du préjudice relatif à l'intégrité physique et à 62 500 francs au titre des autres dommages ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines :

Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines, qui a été mise en cause en première instance et a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui rembourser le montant de ses débours consécutifs à l'intervention subie par M. Y... et à qui le jugement du tribunal administratif écartant toute responsabilité du centre hospitalier a été notifié le 20 mai 1996, n'a présenté devant la cour administrative d'appel de Nancy de conclusions tendant à ce que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg soient condamnés à lui rembourser le montant des sommes qu'elle avait exposées en faveur de M. Y... que le 4 septembre 1996, soit après l'expiration du délai d'appel ; que ces conclusions sont tardives et, par suite, irrecevables ;
Sur les droits de M Y... :
Considérant qu'en dépit de l'irrecevabilité des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines tendant au remboursement des sommes exposées par elle, il y a lieu, en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour fixer le montant de l'indemnité due à M. Y..., de défalquer le montant des sommes exposées par la caisse de la part de la condamnation mise à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg représentative de la réparation des atteintes à l'intégrité physique de la victime, qui s'élève à 768 288,13 francs ; que l'indemnité à laquelle peut prétendre M. Y... s'élève en conséquence à 62 500 francs ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que M. Y... a droit aux intérêts de la somme de 62 500 francs à compter du 7 janvier 1992, date de la réception par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg de sa demande préalable ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 24 mai 2000 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, par suite, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ; que si la capitalisation des intérêts a été également demandée le 3 juillet 2000, une année ne s'était pas écoulée depuis la précédente demande ; que, par suite, il y a lieu de rejeter cette dernière demande ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 100 francs, à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à verser à M. Y... une somme de 10 000 francs au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 14 mai 1996 est annulé.
Article 2 : Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg verseront à M. Y... la somme de 62 500 francs assortie des intérêts légaux à compter du 7 janvier 1992. Les intérêts échus le 24 mai 2000 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 100 francs, sont mis à la charge des Hôpitaux universitaires de Strasbourg.
Article 4 : Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg verseront à M. Y... une somme de dix mille francs (10 000 F) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines et le surplus des conclusions de M. Y... sont rejetés.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Y..., aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la caisse primaire d'assurance maladie de Sarreguemines.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 96NC01766
Date de la décision : 22/03/2001
Type d'affaire : Administrative

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE SANS FAUTE - ACTES MEDICAUX.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE POUR FAUTE SIMPLE : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DU SERVICE HOSPITALIER - EXISTENCE D'UNE FAUTE - MANQUEMENTS A UNE OBLIGATION D'INFORMATION ET DEFAUTS DE CONSENTEMENT.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - TROUBLES DANS LES CONDITIONS D'EXISTENCE - TROUBLES DANS LES CONDITIONS D'EXISTENCE SUBIS PAR LA VICTIME D'UN ACCIDENT.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - SOUFFRANCES PHYSIQUES.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - EVALUATION DU PREJUDICE - PREJUDICE ESTHETIQUE.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RECOURS OUVERTS AUX DEBITEURS DE L'INDEMNITE - AUX ASSUREURS DE LA VICTIME ET AUX CAISSES DE SECURITE SOCIALE - DROITS DES CAISSES DE SECURITE SOCIALE - IMPUTATION DES DROITS A REMBOURSEMENT DE LA CAISSE - ARTICLE L - 376-1 (ANCIEN ARTICLE L - 397) DU CODE DE LA SECURITE SOCIALE.


Références :

Code civil 1154
Code de justice administrative L761-1
Code de la sécurité sociale L376-1


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. VINCENT
Rapporteur public ?: M. ADRIEN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2001-03-22;96nc01766 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award