(Troisième Chambre)
Vu, I / sous le n 96NC00123, la requête et les mémoires enregistrés au greffe de la Cour les 13 janvier, 1er et 21 mars 1996, présentés pour M. Pierre Y..., demeurant ... à Bar le Duc (Meuse), par Me X..., avocat ;
M. Y... demande à la Cour :
1 ) - d'annuler le jugement en date du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande n 91-2249 tendant à l'annulation de l'arrêté du ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer en date du 19 mars 1991 prononçant, à compter du 26 mars suivant, son licenciement pour abandon de poste ;
2 ) - d'annuler ladite décision pour excès de pouvoir ainsi ;
3 ) - de l'indemniser des préjudices qui en sont issus ;
4 ) - d'ordonner la reconstitution de sa carrière ;
Vu, II /sous le n 96NC00124, la requête et les mémoires enregistrés au greffe de la Cour les 13 et 15 janvier 1996, 1er et 21 mars 1996, présentés pour M. Pierre Y..., par Me X..., avocat ;
M. Y... demande à la Cour :
1 ) - d'annuler le même jugement du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg en tant qu'il a rejeté sa demande n 89-1875 tendant, d'une part, à l'annulation et à l'indemnisation, de la décision du ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer en date du 6 septembre 1989 différant l'octroi d'un congé de formation professionnelle et des décision implicites de rejet opposées à ses autres demandes de même objet en date des 15 juin 1989, 28 décembre 1989 et 20 avril 1990 ;
2 ) - d'annuler lesdites décisions pour excès de pouvoir ;
3 ) - d'ordonner une expertise et une enquête en application des articles R.158 et R.172 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu, III / sous le n 96NC00125, la requête et les mémoires enregistrés au greffe de la Cour les 13 janvier, 12 et 21 mars 1996, présentés pour M. Pierre Y... par Me X..., avocat ;
M. Y... doit être regardé comme demandant à la Cour d'annuler par voie de conséquence le jugement n 91-2011 du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté sa requête à fins d'annulation de la décision en date du 17 juin 1991 du ministre de la fonction publique et des réformes administratives refusant son inscription aux instituts régionaux d'administration et l'a condamné à verser une amende de 5 000 F pour procédure abusive ;
Vu les ordonnances du président de la 3 chambre, portant clôture de l'instruction des présentes affaires au 7 janvier 2000 à 16 heures, et en vertu desquelles, en application de l'article R.156 du code des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, les mémoires produits après cette date n'ont pas été examinés par la Cour ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi n 71-575 du 16 juillet 1971 ;
Vu la loi n 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu la loi n 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n 70-903 du 2 octobre 1970, modifié ;
Vu le décret n 83-1025 du 28 novembre 1983 ;
Vu le décret n 84-588 du 10 juillet 1984 ;
Vu le décret n 85-607 du 14 juin 1985 ;
Vu le décret n 85-986 du 16 septembre 1986 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n 95-125 du 8 février 1995 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 avril 2000 :
- le rapport de M. LION, Premier Conseiller,
- et les conclusions de M. VINCENT, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la jonction :
Considérant que M. Y... forme régulièrement appel de deux jugements en date du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg en tant que le premier a rejeté ses requêtes n 89-1875 critiquant d'une part quatre refus de congés de formation et, d'autre part, la décision ministérielle du 19 mars 1991 le licenciant pour abandon de poste et en tant que le second jugement lui a infligé une amende pour procédure abusive ; que les trois requêtes N 96NC00123, 96NC00124 et 96NC00125 de M. Y..., relatives à la situation d'un même agent public, doivent être jointes pour statuer par un seul arrêt ;
Sur la régularité des jugements attaqués du 15 novembre 1995 :
Considérant, en premier lieu, que l'absence de réponse expresse du tribunal à la demande de M. Y... qui tendait au report de l'audience au rôle de laquelle l'affaire avait été inscrite, est sans influence sur la régularité des jugements attaqués, qui sont suffisamment motivés, ont également pris en compte son mémoire du 31 août 1995 et ont en outre répondu à l'ensemble de ses conclusions ;
Considérant, en deuxième lieu, que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de le faire, n'ont pas entaché d'irrégularité lesdits jugements en n'appelant pas en la cause le président du conseil général de la Moselle qui n'était pas l'auteur des décisions attaquées ;
Considérant, en troisième lieu que, contrairement à ce que soutient M. Y..., les premiers juges n'étaient pas tenus de se prononcer sur la recevabilité de ses demandes dès lors que les conclusions de celles-ci étaient rejetées au fond ;
Considérant en quatrième lieu, qu'en rejetant par prétérition le moyen inopérant tiré par M. Y... de la théorie de l'acte complexe, les premiers juges n'ont pas entaché d'omission à statuer les jugements attaqués du 15 novembre 1995 ;
Considérant, en dernier lieu, que M. Y... fait valoir à bon droit qu'en ce qui concerne le premier jugement attaqué n 89-1875, 91-1363, 91-1364 et 91-2249, le tribunal a méconnu les dispositions de l'article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, en soulevant d'office et en rejetant non contradictoirement comme, soit fondées sur une cause juridique distincte, soit comme constituant des conclusions nouvelles présentées après l'expiration du délai, une partie de ses conclusions et moyens tendant à l'annulation des refus de congés de formation litigieux ; qu'ainsi, le premier jugement susvisé doit être annulé en tant qu'il concerne les 4 refus de congés de formation susvisés ;
Considérant qu'il appartient à la Cour, d'évoquer pour statuer immédiatement sur les refus de congés de formation litigieux et de statuer par l'effet dévolutif sur les autres demandes et moyens présentés par M. Y... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
Sur les conclusions dirigées contre les refus de congés de formation professionnelle :
Considérant, en premier lieu, que, la circonstance que M. Y... n'a entendu former le 20 septembre 1989 qu'une action en référé présentée comme l'accessoire d'un recours pour excès de pouvoir contre un refus non daté de congé de formation est sans incidence sur la recevabilité de la requête dès lors qu'il est, d'une part, constant que la décision ministérielle attaquée du 6 septembre 1989 ne mentionnait pas les voies et délais de recours et que, d'autre part, le requérant a requalifié utilement cette demande le 25 mai 1990 en la dirigeant contre la décision du 6 septembre 1989 ; qu'en revanche, sont irrecevables, soit comme reposant sur une cause juridique distincte, soit comme présentant le caractère de demandes nouvelles tardives, les conclusions complémentaires enregistrées au greffe des premiers juges les 25 juillet et 4 septembre 1994 par lesquelles M. Y... a demandé d'une part, l'indemnisation de la privation de ses émoluments, de la perte de chance d'avancement, de l'atteinte à sa réputation, des troubles causés à ses conditions d'existence et, d'autre part, a élargi sa demande initiale à la légalité externe de la décision du 6 septembre 1989 et à l'annulation de trois rejets implicites de congé de formation demandés les 15 juin, 28 décembre 1989 et 20 avril 1990 ;
Considérant, en second lieu, que si les dispositions alors applicables du décret susvisé du 14 juin 1985 prévoient l'octroi d'un congé de formation dans la limite des crédits disponibles, elles permettent également à l'administration de refuser une telle demande trois fois successivement, après avis de la commission administrative paritaire, ou d'en différer la satisfaction dans l'intérêt du service, la commission administrative paritaire devant être saisie dès la première demande ; que si M. Y... critique le bien-fondé de la décision susvisée du 6 septembre 1989 qui a différé la satisfaction de sa demande de congé de formation, qui ne forme d'ailleurs pas une opération complexe avec son licenciement ultérieur, il n'établit pas, en se bornant à contredire l'appréciation de l'intérêt du service par l'administration, que le ministre, qui n'avait pas à se conformer en l'espèce aux dispositions du code du travail, aurait inexactement apprécié les circonstances de l'espèce, manifestement mal apprécié l'intérêt du service ou la mésentente, l'acharnement et la partialité invoqués, ni les promesses non tenues dont il affirme l'existence ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise et l'enquête sollicitées, la requête de première instance n 89-1875 présentée par M. Y... doit être rejetée ;
Sur les conclusions dirigées contre le licenciement pour abandon de poste :
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y..., assistant technique des travaux publics de l'Etat titulaire à compter du 1er novembre 1986, a été affecté à la direction départementale de l'équipement de Moselle puis, mis à la disposition du conseil général de la Moselle à compter du 25 avril 1988 ; qu'il a été ensuite affecté "provisoirement" à compter du 16 juillet 1990 à la direction départementale de l'équipement de Moselle où il a refusé d'exercer les fonctions qui lui étaient proposées ; que, bien que son administration ait, par lettre en date du 20 août 1990, estimé sans objet sa demande de congé de formation, il a néanmoins été placé, par arrêté ministériel, en position de disponibilité pour convenance personnelle pour une durée de deux mois, prolongée ensuite pour une même durée ; que cette position statutaire lui a permis de suivre le stage de l'association de formation professionnelle des adultes (A.F.P.A.) en vue duquel il avait présenté le 20 avril précédent sa quatrième demande de congé de formation ; qu'après avoir repris ses fonctions à la direction départementale de l'équipement le 3 décembre 1990, M. Y... les a quittées le 6 suivant, s'estimant titulaire d'un tel congé de formation tacite ; que, par une première lettre en date du 12 décembre 1990, le directeur départemental de l'équipement lui a, d'abord, demandé de justifier son absence et de régulariser sa situation, puis, par lettre datée du 21 suivant, lui a enjoint de reprendre ses fonctions, sous délai de huit jours, à peine de radiation des cadres pour abandon de poste ; que si, en réponse, M. Y... a indique le 27 décembre suivant qu'il s'estimait en congé de formation jusqu'à la fin du mois d'août 1991 et réintégrerait le service dès la fin de cette formation, un troisième courrier de son directeur départemental en date du 22 janvier 1991 lui a fait connaître que sa radiation des cadres pour abandon de poste serait demandée à l'administration centrale en raison de son comportement réputé inadmissible à partir du 2 octobre 1989 ; qu'il n'est pas, en outre, contesté que l'administration a expressément refusé à M. Y... de reprendre ses fonctions en février 1991 ; qu'il suit de là qu'à la date de sa radiation des cadres, M. Y... avait de la sorte clairement manifesté son intention de ne pas quitter le service ; que si le retard mis pour reprendre ses fonctions était, dans les circonstances de l'affaire, susceptible d'entraîner des poursuites disciplinaires, il ne pouvait cependant pas être regardé en l'espèce comme ayant le caractère d'un abandon de poste de nature à rompre le lien qui existait entre l'administration et l'intéressé ; que dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. Y... est fondé à soutenir qu'il a été licencié irrégulièrement en l'absence de toute procédure disciplinaire et à demander, en conséquence, l'annulation de l'arrêté attaqué qui, au surplus, n'est pas motivé ;
Considérant, en deuxième lieu, que si M. Y... a demandé dans sa requête introductive de première instance la réparation des préjudices résultant de l'arrêté du 19 mars 1991, il n'a cependant jamais contesté la fin de non recevoir tirée de l'absence de demande préalable opposée à titre principal à ses conclusions indemnitaires par le mémoire ministériel enregistré le 24 mars 1995 qui lui a été communiqué le 23 mai suivant par le greffe du tribunal ; qu'ainsi, le contentieux n'étant pas lié, les dites conclusions indemnitaires sont irrecevables ;
Sur les conclusions de M. Y... à fins de réintégration et reconstitution de sa situation administrative :
Considérant que les conclusions susmentionnées doivent être regardées comme tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'équipement sur le fondement de l'article L.8-2 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel de réintégrer M. Y... durant la période d'éviction illégale du service et de procéder à la reconstitution de sa carrière ; que ces mesures étant au nombre de celles nécessairement impliquées par l'exécution du présent arrêt annulant le licenciement, il y a lieu d'enjoindre à l'administration de réintégrer juridiquement l'intéressé à compter de la date de prise d'effet de son éviction illégale du service et de reconstituer sa carrière administrative ; qu'il y a lieu, compte tenu des circonstances de l'affaire, de prononcer contre le ministre de l'équipement des transports et du logement, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 1 000 F par jour jusqu'à la date à laquelle le présent arrêt aura reçu exécution ;
Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement n Considérant que, dès lors que la décision du 17 juin 1991 du ministre de la fonction publique et des réformes administratives refusant l'inscription de M. Y... au concours interne des instituts régionaux d'administration, se fondait sur le seul arrêté du 19 mars 1991 prononçant sa radiation des cadres, M. Y..., est fondé à soutenir que le refus d'inscription qui lui a alors été opposé était irrégulier et que le jugement n 91-2011 du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg doit, par voie de conséquence être annulé ;
Article 1er : Le jugement n 89-1875, 91-1363, 91-1364 et 91-2249 en date du 15 novembre 1995 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a rejeté les requêtes n 89-1875 et n 91-2249 de M. Y....
Article 2 : Le jugement n 91-2011 du 15 novembre 1995 est annulé.
Article 3 : L'arrêté du ministre de l'équipement des transports et du logement en date du 19 mars 1991 est annulé.
Article 4 : Il est enjoint au ministre de l'équipement des transports et du logement de réintégrer juridiquement M. Y... et de reconstituer sa situation administrative à compter de son éviction illégale du service.
Article 5 : Une astreinte est prononcée à l'encontre du ministre de l'équipement, des transports et du logement si celui-ci ne justifie pas avoir, dans les trois mois suivant la notification du présent arrêt, pris les mesures d'exécution enjointes et jusqu'à la date de cette exécution. Le taux de cette astreinte est fixé à mille francs (1 000 F) par jour à compter de l'expiration du délai de trois mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 6 : Le surplus des conclusions de M. Y... est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. Y..., au ministre de l'équipement, des transports et du logement et au ministre de la fonction publique.