(Troisième Chambre)
Vu la requête et les mémoire enregistrés au greffe de la Cour les 2 octobre 1995, 16 janvier, 12 et 28 février 1996 et 7 février 2000 présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS, dont le siège est ... représenté par son directeur en exercice, à ce dûment habilité par délibération du conseil d'administration en date du 15 décembre 1995, par Maître Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
LE CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS demande à la Cour :
1 ) - d'une part, d'annuler le jugement n 92-1624 du 20 juin 1995 par lequel le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne l'a condamné à payer diverses indemnités aux consorts X... et à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes en réparation des conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale pratiquée sur la personne du jeune Emmanuel X... le 2 août 1988, et, d'autre part, de prononcer le sursis à exécution dudit jugement ;
2 ) - d'ordonner une nouvelle expertise confiée à un neurochirurgien ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n 95-125 du 8 février 1995 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 avril 2000 :
- le rapport de M. LION, Premier Conseiller,
- les observations de M. Emmanuel X...,
- et les conclusions de M. VINCENT, Commissaire du Gouvernement ;
Sur l'appel principal du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert nommé par les premiers juges, que le jeune Emmanuel X..., né le 31 octobre 1973, a chuté d'un toit le 31 juillet 1988 vers 21h30, et a été transporté au centre hospitalier général de Charleville-Mézières où les premiers examens ont révélé une paraplégie traumatique complète, un traumatisme crânien avec fracture, ainsi qu'une fracture du poignet gauche ; qu'il a été transféré dans l'après-midi du 1er août suivant au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS où sera réalisée le lendemain une laminectomie sous anesthésie générale et la réduction orthopédique du poignet ; qu'il restera hospitalisé dans le même service jusqu'au 8 août suivant sans qu'en dehors des soins intensifs et des radiographies standard du rachis cérébral, aucun contrôle ou suivi spécialisé post-opératoire, ni aucune intervention chirurgicale secondaire de libération canalaire ou greffe complémentaire n'aient été pratiqués au niveau de la région antérieure de la vertèbre fracturée ; que toutefois, la présence d'un fragment osseux intra-canalaire, nécessitant une nouvelle intervention chirurgicale pour le retirer, sera révélée lors d'examens pratiqués 18 mois après l'intervention litigieuse en vue d'effectuer le changement du matériel orthopédique devenu inadéquat ; que si le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS soutient devant la Cour, d'une part, qu'une contre-expertise aurait alors dû être confiée à un neuro-chirurgien pour apprécier l'irréversibilité de la paraplégie en cause, et que d'autre part, le tribunal aurait méconnu les difficultés chirurgicales et la gravité des lésions initiales, cette contestation de l'expertise en cause doit être rejetée par adoption des motifs des premiers juges ; que, par suite, le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Sur le recours incident de la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes :
Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient l'hôpital appelant, les conclusions incidentes de la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes portent sur des demandes déjà présentées dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal le 21 juillet 1994 ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'hospitalisation initiale d'Emmanuel X... du 1er au 8 août 1988 n'est pas directement imputable à la faute hospitalière mais à sa chute susmentionnée ; que le montant des frais d'hospitalisation doit donc être limité en l'espèce à la somme de 135 615,89 F à laquelle il convient d'ajouter la somme de 414 721,83 F représentant le coût de sa rééducation fonctionnelle à Warnécourt ; que par suite, ce poste de préjudice s'élève à 550 337,72 F ;
Considérant, en troisième lieu, que les frais médicaux et pharmaceutiques se sont élevés, pour la caisse primaire d'assurance maladie, à la somme de 95 379,39 F ; que doivent s'y ajouter les frais médicaux restés à la charge de M. et Mme X... à hauteur de 31 453,33 F ainsi que les frais de déplacement nécessités par l'hospitalisation de leur fils à la clinique du Ternois à Saint-Pol et ceux inhérents à son séjour au centre de rééducation fonctionnelle de Warnécourt qui ont été de 15 720 F ; que ce chef de préjudice doit, en conséquence être fixé à la somme de 142 552,72 F ;
Considérant, en quatrième lieu, que, le capital représentatif de frais futurs d'appareillage et de rééducation justifiés par la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes, dont elle devra assurer la charge, s'élève à 1 093 453,61 F ;
Considérant, en cinquième lieu, qu'eu égard à l'âge de la victime lors de l'accident, il n'a pu y avoir d'indemnisation au titre de l'incapacité temporaire totale ;
Considérant, en sixième lieu, sur le préjudice corporel qu'il résulte du rapport susmentionné du docteur Y..., que l'incapacité de travail d'Emmanuel X... s'est étendue du 31 juillet 1988 au 23 octobre 1991 ; que ce dernier présente une paraplégie complète, diverses cicatrices, est muni d'une sonde urinaire et a, en outre, besoin de l'aide d'une tierce personne ; que les séquelles directement imputables à la faute de l'hôpital ont été estimées par l'expert comme entraînant la perte d'une chance de voir fixé à 55 % le taux de son incapacité permanente partielle actuelle de 85 % ; que l'indemnité due pour l'emploi journalier d'une tierce personne doit être fixée, en l'espèce, à 500 000 F ; qu'il sera fait une juste indemnisation des troubles dans ses conditions d'existence en la fixant à la somme de 1 200 000 F, dont les 2/3 lui sont alloués au titre des troubles physiologiques ; que ses souffrances physiques estimées importantes par l'expert et évaluées à 6 sur une échelle allant de 1 à 7 et son préjudice esthétique, estimé moyen, fixé à 4 sur la même échelle, seront justement évalués à une somme de 100 000 F ; qu'ainsi, ces chefs de préjudice seront justement réparés par l'octroi d'une somme totale de 1 800 000 F ;
Considérant, en dernier lieu, que si en ajoutant à ces sommes celle de 20 000 F réparant justement la douleur morale de M. et Mme X..., le préjudice global s'élève à la somme de 3 606 044,05 F dont 30 % sont, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, directement imputables à la faute du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS, la réparation du dommage résultant de la perte d'une chance de voir atténuée l'incapacité permanente partielle d'Emmanuel X... doit, pour tenir compte de son état à l'admission dans le service, n'être fixée qu'à une fraction de ces préjudice qui sera, en l'espèce, fixée à leur moitié ; qu'ainsi, il y a lieu de condamner le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS à verser, au titre de la perte de chance en cause, une indemnité totale de 540 906,60 F aux consorts X... ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes a droit au remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et du préjudice esthétique et d'agrément ; que, par suite, les droits de cette caisse s'élèvent en l'espèce à la somme de 448 755,20 F que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS est condamné à lui verser ;
Sur les droits de M. Emmanuel X... :
Considérant qu'en vertu de ce qui vient d'être dit, les droits de M. Emmanuel X..., au titre de son préjudice personnel sur lequel la créance de la caisse ne peut s'imputer, s'élèvent à la somme de 75 000 F au paiement de laquelle le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS est condamné ;
Sur le préjudice de M. et Mme X... :
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, M. et Mme X... ont en l'espèce droit au remboursement de la moitié des 3/10 de leur préjudice matériel et moral sur lequel la créance de la caisse ne peut être imputée ; qu'en conséquence, leurs droits s'élèvent à la somme de 17 151,40 F, au versement de laquelle le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS est condamné ;
Sur les conclusions à fins d'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant, d'une part, que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS est partie perdante dans la présente instance ; qu'il y a donc lieu, de le condamner à payer, en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, une somme de 5 000 F à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes ; que, d'autre part, la demande des consorts X... à fins de paiement de leurs frais irrépétibles doit être rejetée ;
Article 1er : LE CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS versera à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes une somme de quatre cent quarante huit mille sept cent cinquante cinq francs vingt centimes (448 755,20 F) en remboursement de ses débours ainsi qu'une somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 2 : LE CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS versera une somme de somme de soixante quinze mille francs (75 000 F) à M. Emmanuel X....
Article 3 : LE CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS versera une somme globale de dix-sept mille cent cinquante et un francs quarante centimes (17 151,40 F) à M. et Mme X....
Article 4 : Le jugement n 92-1624 du 20 juin 1995 du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La requête n 95NC01566 du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS, le surplus des conclusions incidentes de la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes et les conclusions des consorts X... sont rejetés.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE REIMS, à M. et Mme X..., à M. Emmanuel X... et à la caisse primaire d'assurance maladie des Ardennes.