(Troisième Chambre)
Vu la requête et le mémoire, enregistrés le 30 avril 1997 et le 24 septembre 1997 au greffe de la Cour, présentés pour la société SOGEA NORD OUEST, représentée par ses représentants légaux, domiciliés au siège, ... à Petit Couronne (Seine Maritime), venant aux droits de la société SOGEA NORD, en tant que mandataire du groupement d'entreprises constitué par SOGEA NORD et SOGEA EST pour le marché du doublement de la déviation de Sedan, par Me Pascal X..., avocat ;
La société demande à la Cour :
1 / d'annuler le jugement en date du 17 décembre 1996 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonnant une expertise partielle sur sa réclamation ;
2 / de désigner un expert pour examiner l'ensemble des réclamations qu'elle a posées, qui s'élèvent au total de 3 450 414,73 F hors taxes, soit 4 092 191,87 F toutes taxes comprises valeur avril 1991, augmentés des intérêts de droit à compter de cette date ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 décembre 1998 :
- le rapport de Mme BLAIS, Premier-Conseiller,
- les observations de la SCP COURTEAUD, représentée par Me LE PAGE, avocat de la SOGEA NORD OUEST,
- et les conclusions de M. VINCENT, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif, statuant sur la réclamation présentée par SOGEA NORD OUEST relative au marché passé pour le doublement de la déviation de Sedan, a écarté d'emblée un certain nombre des chefs de cette réclamation, et ordonné une mesure d'expertise sur les autres points ; que la société requérante demande l'annulation de cette décision en tant qu'elle a écarté sans expertise certaines de ses réclamations ;
Sur les causes des retards du chantier :
Considérant en premier lieu que le tribunal administratif a refusé de prendre en compte le retard de neuf jours dû à une grève des transporteurs routiers au motif que l'état d'avancement des travaux ne permettait pas, en tout état de cause, d'utiliser les éléments livrés en retard ; que si la société se prévaut de la télécopie adressée par elle le 7 juillet 1992 pour signaler ses difficultés à ce sujet, il ne résulte pas de cette pièce, rédigée en termes généraux, ni d'aucun autre élément de l'instruction que ces difficultés aient eu effectivement un effet direct sur l'avancement des travaux ;
Considérant en second lieu que si la société SOGEA NORD OUEST se plaint d'un retard de huit jours causé par les études de mise au point qu'à dû effectuer la centrale Betonpret, qui détenait seule, cependant, l'agrément des services de l'Etat, il est constant qu'elle n'a pris contact avec Betonpret que le 14 octobre 1991, à la demande expresse du maître d'oeuvre, alors que l'ordre de service de début des travaux lui avait été notifié le 4 septembre ; que la responsabilité dudit retard ne saurait, dès lors, en tout état de cause, incomber au maître d'ouvrage ;
Sur le règlement des travaux contractuels :
Considérant que l'administration n'a réglé que quatre unités d'éléments préfabriqués au prix unitaire de 30 700 F hors taxes pour les piles du pont, en se prévalant de ce qu'elle n'en avait prévu que quatre au devis estimatif non contesté par la société ; que d'après l'article 6-03 du bordereau des prix unitaires et forfaitaires, le prix unitaire de la fourniture et fixation des éléments préfabriqués sur pile s'applique à l'unité d'élément préfabriqué selon le plan d'exécution ; que, contrairement à ce qui a été jugé, les éléments de l'instruction ne permettent pas de dire que la société aurait dépassé les quantités prévues au marché ; qu'il y a lieu pour fixer le montant dû de ce chef à la société, de demander à l'expert désigné de déterminer la quantité de ces éléments qu'elle a effectivement exécutée en conformité avec le marché ;
Sur le règlement des travaux supplémentaires :
Considérant, en premier lieu, que si, aux termes des dispositions de l'article 3-3-1 du cahier des clauses administratives particulières, les prix du marché devaient être établis en tenant compte des particularités d'accès au chantier, et notamment du coût des pistes d'accès, dont il était précisé qu'il ne serait pas pris en charge par le maître d'ouvrage, ceci ne fait pas obstacle à ce que la société conteste la mise à sa charge d'une piste d'accès supplémentaire, non prévue par elle lors de l'élaboration de ses prix, et dont elle discute le caractère indispensable ; que les éléments de l'instruction ne permettent pas de déterminer si la piste d'accès côté Charleville, telle qu'elle a été imposée à la société, aurait dû être prévue par elle dans le cadre de la préparation du marché ; qu'il y a lieu, par suite, d'étendre la mission de l'expert à cette question ;
Considérant, en deuxième lieu, que les modalités d'exécution des fondations de l'ouvrage OA6 ayant effectivement été modifiées, l'instruction ne permet pas de dire si la somme de 30 000 F réclamée par la société pour les études supplémentaires qu'elle soutient avoir dû exécuter à ce titre est justifiée ; que la société est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté cette demande au motif qu'elle n'aurait pas justifié de la réalité de l'étude faite ; qu'il y a lieu de demander à l'expert désigné de donner son avis sur la réalité et le coût de cette étude ;
Considérant en troisième lieu que SOGEA NORD OUEST est seule recevable à présenter une réclamation au nom de son sous-traitant Spie Fondations, dès lors qu'il n'existe pas de relation contractuelle entre le maître d'ouvrage et le ledit sous-traitant ; que la société est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que cette réclamation a été écartée au motif qu'elle serait irrecevable pour la présenter ; que l'instruction ne permet pas de déterminer si les sommes supplémentaires réclamées par la société du chef de la modification, non contestée, des modalités d'exécution de l'OA6 sont justifiées ; qu'il y a lieu, par suite, de soumettre cette question à l'expert désigné ;
Considérant enfin que la société a dû reprendre le coffrage du tablier de l'OA1 en raison d'un décalage entre la sous face du tablier existant et celle du tablier à construire, qui n'avait pas été prévu ; qu'il n'est pas établi que cette erreur soit imputable à l'entreprise, ni même contrairement à ce qui a été jugé, qu'elle aurait eu les moyens de l'éviter, ou d'en éviter les conséquences ; qu'il y a lieu, par suite, avant de statuer sur la demande, d'inclure ces questions dans la mission de l'expert désigné ;
Sur le préjudice résultant de l'allongement de la durée du chantier :
Considérant que, contrairement à ce qui a été jugé, la société avait apporté, dès le stade de la réclamation préalable, suffisamment d'éléments à l'appui de sa demande d'indemnisation des surcoûts induits par l'allongement des délais du chantier pour qu'il y ait lieu de soumettre ce point à expertise ; qu'elle est donc fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a exclu cette question de la mission de l'expert ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de réformer le jugement en tant qu'il a rejeté sans expertise les réclamations de l'entreprise relatives au règlement des éléments préfabriqués exécutés pour les piles du pont, aux prestations supplémentaires relatives à la piste d'accès côté Charleville de l'OA1, aux études supplémentaires pour les fondations de l'OA6 et au surcoût de l'exécution desdites fondations, à la reprise du coffrage du tablier de l'OA1, et aux préjudices allégués par la société au titre des surcoûts induits par l'allongement des délais du chantier, et de modifier la mission de l'expert pour y inclure ces questions ;
Article 1er : La mission d'expertise ordonnée par le tribunal administratif, avant dire-droit sur les conclusions de la requête de SOGEA NORD OUEST, est étendue aux points suivants :
- en ce qui concerne les unités préfabriquées pour les piles du pont, dire quelle quantité a été exécutée, et si cette quantité est conforme aux prévisions du marché ;
- en ce qui concerne la piste d'accès côté Charleville, dire si, à son avis, cet ouvrage faisait partie des sujétions d'accès dont l'entreprise devait tenir compte dans ses prévisions de prix, où s'il s'agit d'une exigence extra-contractuelle du maître d'ouvrage ;
- en ce qui concerne la modification des fondations de l'OA6 : dire si l'entreprise a exposé des frais d'étude supplémentaires, et en évaluer, le cas échéant, le montant ;
- en ce qui concerne la réclamation présentée par Spie Fondations : dire si le coût de l'exécution des travaux a été augmenté du fait des modifications introduites, et si oui, dans quelle proportion ;
- en ce qui concerne la reprise du coffrage du tablier de l'OA1, dire à quelle cause est imputable le décalage entre la surface du tablier existant et celle du tablier à construire, dans quelle mesure ce décalage pouvait être prévu et ses conséquences onéreuses évitées ;
- en ce qui concerne les préjudices invoqués par l'entreprise à raison des retards de chantier, examiner les demandes de la société, dire si elles paraissent justifiées, et le cas échéant, proposer une évaluation.
Article 2 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société SOGEA NORD OUEST et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.