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11/06/1991 | FRANCE | N°89NC00362

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2e chambre, 11 juin 1991, 89NC00362


Vu la requête sommaire enregistrée le 20 juin 1988 et le mémoire ampliatif le 19 octobre 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat sous le numéro 99 277 et au greffe de la Cour administrative d'appel sous le numéro 89NC00362, présentés pour le Ministre de la Mer tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule un jugement du 21 avril 1988 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la SA Aciéries de Paris-Outreau la somme de 2 477 648,07 F augmentée des intérêts de droits et réparation des dommages subis par la destruction d'une in

stallation industrielle implantée sur un terre plein du port de Boul...

Vu la requête sommaire enregistrée le 20 juin 1988 et le mémoire ampliatif le 19 octobre 1988 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat sous le numéro 99 277 et au greffe de la Cour administrative d'appel sous le numéro 89NC00362, présentés pour le Ministre de la Mer tendant à ce que le Conseil d'Etat :
1°) annule un jugement du 21 avril 1988 par lequel le tribunal administratif de Lille a condamné l'Etat à verser à la SA Aciéries de Paris-Outreau la somme de 2 477 648,07 F augmentée des intérêts de droits et réparation des dommages subis par la destruction d'une installation industrielle implantée sur un terre plein du port de Boulogne sur Mer lors d'une tempête survenue le 12 janvier 1978 et une somme de 16 450 F au titre des frais d'expertise ;
2°) rejette la demande de la SA Aciéries de Paris et d'Outreau présentée devant les premiers juges ;
Vu le mémoire en défense enregistré le 23 mars 1990 présenté par la SA des Aciéries de Paris-Outreau ; la société conclut au rejet de la requête ; elle demande en outre la capitalisation des intérêts et la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 15 000 F au titre de l'article R. 222 du code des tribunaux administratifs et des Cours Administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 99277 du 2 janvier 1989 par laquelle le président de la 1ère sous-section de la section du Contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour le dossier de la présente requête ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 mai 1991 :
- le rapport de M. LE CARPENTIER, conseiller,
- les observations de Me DE CHAISEMARTIN, avocat de la société des aciéries de PARIS-OUTREAU,
- et les conclusions de Mme FELMY, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que dans la nuit du 11 au 12 janvier 1978 un vent violent accompagné d'une forte houle a causé dans le port industriel de Boulogne-sur-Mer la destruction partielle du talus protecteur du terre plein sur lequel était implanté une usine de la SA Aciéries de Paris- Outreau qui a subi de ce fait divers dommages évalués par un rapport d'expertise à 2 477 648,07 F ;
Considérant que, par avenant du 24 février 1971, complétant les dispositions du cahier des charges du 25 octobre 1960, l'Etat a concédé à la chambre de commerce et d'industrie la gestion d'une zone du port industriel de Boulogne-sur-Mer en vue de la mettre à disposition de la SA Aciéries de Paris et d'Outreau pour l'extension de son usine de traitement de minerai de manganèse ; que la chambre de commerce et d'industrie de Boulogne-sur-Mer a chargé le service maritime des ports de Boulogne-sur-Mer et de Calais de la maîtrise d'oeuvre pour la réalisation dans la zone sus-mentionnée d'un terre plein et des limitations le bordant destinées à le protéger de la mer ; que l'ouvrage public constitué par ledit terre plein et ce talus indispensable pour sa protection, qui fait partie du domaine public maritime, constitue un ensemble indissociable alors même que la concession et la mise à disposition sus-évoquées n'ont porté que sur le seul terre plein à l'exclusion des limitations ; que dès lors, la SA des Aciéries de Paris-Outreau détenait à l'égard du talus limitant et protégeant ledit terre plein, sur lequel elle avait implanté son usine et dont elle était le seul bénéficiaire, la qualité d'usager ;
Considérant qu'en cette qualité d'usager d'un ouvrage de protection contre les eaux de la mer, la société des aciéries de Paris et d'Outreau est en droit de mettre en cause la responsabilité de l'Etat, maître de l'ouvrage constitué par le talus de protection et maître d'oeuvre lors de l'édification dudit talus, à raison des dommages causés par les erreurs de conception ou les défauts d'entretien en raison desquels cet ouvrage n'a pas assuré une protection efficace ; que pour s'exonérer de cette responsabilité, il appartient à l'Etat d'établir, soit que l'ouvrage ne comportait pas de défauts l'empêchant de remplir normalement sa fonction, soit l'existence d'une force majeure ou la faute de la victime ;
Considérant que l'Etat n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'aménagement ni de l'entretien normal de l'ouvrage ; qu'en effet, même en admettant que les calculs et les normes qui ont servi à la conception de l'ouvrage ne sont pas entachés d'erreurs, contrairement à ce qu'a estimé l'expert désigné par le tribunal administratif, la rupture du talus de protection lors de la tempête des 11 et 12 janvier 1978 révèle en l'espèce un vice de l'ouvrage en cause, alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'amplitude de la houle, la hauteur de la marée et la force du vent au cours de cette tempête aient présenté, malgré leur caractère exceptionnel, même conjugués, un caractère d'imprévisibilité et d'irrésistibilité leur donnant la nature d'un événement de force majeure ;

Considérant qu'à supposer qu'il soit établi, le fait que la SA des aciéries de Paris-Outreau ait implanté certaines de ses installations à proximité immédiate dudit talus ne constitue par une imprudence dans l'utilisation du terre plein lequel devait apporter auxdites installations une égale protection sur toute son étendue ; que par suite, aucune faute de cette dernière susceptible d'exonérer l'Etat d'une partie de sa responsabilité ne peut lui être reprochée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de la Mer n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à la SA des Aciéries de Paris- Outreau une somme d'un montant de 2 477 648,07 F et une somme de 16 450 F au titre des frais d'expertise ;
Considérant que la SA des Aciéries de Paris et d'Outreau a demandé le 23 mars 1990 la capitalisation des intérêts afférents à l'indemnité que le tribunal administratif de Lille lui a accordée ; qu'à cette date, au cas où le jugement attaqué n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Considérant enfin que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de l'article R.222 et de condamner l'Etat à payer à la SA des Aciéries de Paris et d'Outreau la somme de 15 000 F au titre des sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : La requête du Ministre de la Mer est rejetée.
Article 2 : Les intérêts afférents à l'indemnité de 2 477 648,07 F que l'Etat a été condamné à verser à la SA des Aciéries de Paris et Outreau par jugement du tribunal administratif de Lille en date du 21 avril 1988 et échus le 23 mars 1990 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, pour autant que ce jugement n'a pas été exécuté.
Article 3 : Les conclusions de la SA des Aciéries de Paris Outreau tendant au bénéfice de l'article R.222 du code des tribunaux administratifs et des Cours administratives d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la mer et à la SA des Aciéries de Paris et Outreau.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2e chambre
Numéro d'arrêt : 89NC00362
Date de la décision : 11/06/1991
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE SANS FAUTE - RESPONSABILITE ENCOURUE DU FAIT DE L'EXECUTION - DE L'EXISTENCE OU DU FONCTIONNEMENT DE TRAVAUX OU D'OUVRAGES PUBLICS - USAGERS DES OUVRAGES PUBLICS - Existence - Propriétaire d'une usine implantée sur un terre-plein protégé de la mer par un talus - Qualité d'usager vis-à-vis du talus.

60-01-02-01-03-02, 67-02-02-02 Usine implantée sur un terre-plein dans la zone industrielle d'un port maritime endommagée par une tempête ayant partiellement détruit le talus protecteur édifié en bordure de mer. L'ouvrage public constitué par ledit terre-plein et ce talus indispensable pour sa protection, qui fait partie du domaine public maritime, constitue un ensemble indissociable alors même que la mise à disposition de la société propriétaire de l'usine n'a porté que sur le seul terre-plein à l'exclusion des limitations. Dès lors, ladite société possédait à l'égard du talus limitant et protégeant ledit terre-plein, dont elle était la seule bénéficiaire, la qualité d'usager.

TRAVAUX PUBLICS - REGLES COMMUNES A L'ENSEMBLE DES DOMMAGES DE TRAVAUX PUBLICS - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - QUALITE D'USAGER - Usagers d'autres ouvrages - Talus protecteur - Propriétaire d'une usine implantée sur un terre-plein protégé de la mer par un talus - Qualité d'usager vis-à-vis du talus.


Références :

Code civil 1154
Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel R222


Composition du Tribunal
Président : M. Woehrling
Rapporteur ?: M. Le Carpentier
Rapporteur public ?: Mme Felmy

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;1991-06-11;89nc00362 ?
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