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25/04/2022 | FRANCE | N°19MA05388

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 25 avril 2022, 19MA05388


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Prolarge a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché SERV 1018, de condamner l'Etat à lui verser à titre indemnitaire la somme de 12 786 000 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1503658 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a déclaré qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la SAS Prolarge tendant à l'annu

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Prolarge a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler le marché SERV 1018, de condamner l'Etat à lui verser à titre indemnitaire la somme de 12 786 000 euros et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1503658 du 10 octobre 2019, le tribunal administratif de Toulon a déclaré qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la SAS Prolarge tendant à l'annulation du marché SERV 1018, a condamné l'Etat à verser à la SAS Prolarge la somme de 2 072 560 euros et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de la SAS Prolarge.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête enregistrée le 10 décembre 2019 sous le n° 19MA05388, et un mémoire du 24 janvier 2022, la ministre des armées demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 octobre 2019 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SAS Prolarge la somme de 2 072 560 euros et la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle demande à ce que la SAS Prolarge soit condamnée à verser à l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le marché n'a pas fait l'objet de modifications substantielles ; les précisions apportées portaient uniquement sur les moyens mis à disposition des candidats pour présenter leur offre ; ces modifications n'ont eu aucune incidence sur la présentation des offres ;

- il n'y a pas de lien de causalité entre les irrégularités en cause et les préjudices invoqués ;

- la SAS Prolarge ne disposait pas de chance sérieuse de remporter le marché ;

- les années reconductibles ne doivent pas être prises en compte dans le calcul du préjudice ;

- le manque à gagner doit être calculé à raison du bénéfice net et non du bénéfice brut ;

- il n'y a pas lieu de surseoir à statuer comme le demande la SAS Prolarge.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2020, et un mémoire complémentaire du 28 octobre 2021, la SAS Prolarge, représentée par Me Ferri, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente que le juge judiciaire ait statué sur sa plainte pour délit de favoritisme ou à défaut d'une communication complète du dossier d'instruction pénale ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 octobre 2019 ;

3°) d'annuler le marché SERV 1018 ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser à titre indemnitaire la somme de 12 786 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a prononcé le non-lieu à statuer sur ses conclusions aux fins d'annulation des contrats en litige ;

- ses demandes étaient recevables ;

- le marché SERV 1018 a été dénaturé ; certaines prestations nécessaires sont devenues facultatives ou optionnelles ; le cahier des charges a ainsi été modifié de façon substantielle ; l'objet et les conditions du marché ont été modifiés de façon substantielle ; aucun avis rectificatif n'a été publié ;

- les cibles aériennes faisaient partie des exigences primordiales marquées (P) ; les critères techniques des cibles aériennes ont été modifiés ; ces modifications représentaient au moins 10 % de l'étendue du marché ;

- les principes de transparence et d'égalité de traitement ont été méconnus ;

- l'équilibre économique du lot n° 2 est problématique ; il est désavantageux pour une PME ;

- la suppression des cibles aériennes l'a lésée ;

- les chiffrages avaient un caractère opaque ;

- les modifications ont eu pour but de faciliter le respect du plafond budgétaire par l'attributaire ;

- la procédure de négociation s'est déroulée de façon irrégulière ; les candidats n'ont pas été utilement informés du changement des prestations ; les offres n'ont pas été instruites régulièrement ; les prestations attendues étaient incertaines ; il n'a pas été apporté de réponse à ses questions ;

- il n'y a pas eu de seconde phase de négociation ;

- l'application des critères d'appréciation est entachée d'irrégularité ;

- le critère " tonnage des navires " pris en compte par le pouvoir adjudicateur ne figurait pas dans le règlement de consultation ;

- le critère " performance financière " a été mal appliqué ;

- le pouvoir adjudicateur a commis une erreur manifeste d'appréciation sur le critère " coûts " ;

- l'appréciation des critères n'a pas été opérée de façon objective ; la pondération des critères est confuse ;

- l'allotissement pratiqué par le pouvoir adjudicateur est contraire au code des marchés publics ;

- il existe un " faisceau d'indices d'environnement " ;

- elle a subi un préjudice de 12 786 000 euros ; elle a subi des frais directs et indirects supportés pour soumissionner aux marchés SERV 1006 puis SERV 1018, qui s'élèvent à 306 000 euros ; elle a subi une perte d'une marge brute opérationnelle évaluée au minimum à 5 200 000 euros sur cinq ans ; la perte de performance internationale par perte d'effet prescripteur, évaluée sur la base d'une majoration de 40 % de la MBO, correspond à une somme de 2 080 000 euros ; le handicap de démarrage de deux ans par rapport à la concurrence, évalué sur la base d'une majoration de 40 % de la MBO, correspond à une somme de 2 080 000 euros ; la perte des financements de croissance, évaluée sur la base d'une majoration de 60 % de la MBO, correspond à une somme de 3 120 000 euros ;

- il y a présomption de détournement de pouvoir.

Par ordonnance en date du 24 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 mars 2022.

II. Par une requête enregistrée le 11 décembre 2019 sous le n° 19MA05422, et un mémoire complémentaire du 28 octobre 2021, la SAS Prolarge, représentée par Me Ferri, demande à la Cour :

1°) de surseoir à statuer dans l'attente que le juge judiciaire ait statué sur sa plainte pour délit de favoritisme ou à défaut d'une communication complète du dossier d'instruction pénale ;

2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 octobre 2019 ;

3°) d'annuler le marché SERV 1018 ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser à titre indemnitaire la somme de 12 786 000 euros ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Prolarge soulève les mêmes moyens que ceux exposés dans ses écritures en défense dans le cadre de la requête enregistrée sous le n° 19MA05388.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 août 2021 et un mémoire du 24 janvier 2022, la ministre des armées demande la jonction de l'affaire avec celle enregistrée sous le n° 19MA05388 et conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens. Elle demande la condamnation de la SAS Prolarge à lui verser la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par ordonnance en date du 24 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 mars 2022.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 pris en application de l'article 4 du code des marchés publics et concernant certains marchés publics passés pour les besoins de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... Point, rapporteur,

- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Ferri pour la SAS Prolarge.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à la concurrence n° 10-116015 publié le 4 juin 2010 au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le ministre de la défense a lancé la procédure de passation du marché SERV 1018, ayant pour objet la mise à disposition de plastrons de surface pour la réalisation de prestations d'entraînements au profit de la Marine nationale. Ce marché public à bons de commande, passé selon la procédure négociée prévue par le décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 relatif à certains marchés de la défense, était divisé en trois lots ayant pour objet la fourniture de navires pour l'entrainement des unités de la Marine nationale. La SAS Prolarge a déposé une offre pour chacun des lots. Ses offres ont été rejetées par décision du 22 décembre 2010. La ministre de la défense relève appel du jugement du 10 octobre 2019 du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la SAS Prolarge la somme de 2 072 560 euros. La SAS Prolarge, par la voie de l'appel principal dans l'instance n° 19MA05388 et par la voie de l'appel incident dans l'instance n° 19MA05422, demande la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires, l'annulation du marché SERV 1018 et la condamnation de l'Etat à lui verser à titre indemnitaire la somme de 12 786 000 euros.

Sur la jonction :

2. Par les deux requêtes susvisées, la ministre des armées et la SAS Prolarge contestent le jugement n° 1503658 du 10 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulon a déclaré qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la SAS Prolarge tendant à l'annulation du marché SERV 1018, a condamné l'Etat à verser à la SAS Prolarge la somme de 2 072 560 euros et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de la SAS Prolarge. Ces deux requêtes étant dirigées contre le même jugement, il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

Sur la demande de sursis à statuer présentée par la SAS Prolarge :

3. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de surseoir à statuer dans l'attente que le juge judiciaire ait statué sur la plainte pour délit de favoritisme ou à défaut d'une communication complète du dossier d'instruction pénale.

Sur la régularité du jugement :

4. L'exécution intégrale du marché ne fait pas en elle-même obstacle à l'annulation de ce marché, certaines illégalités étant susceptibles d'entraîner nécessairement une telle annulation. Par suite, la SAS Prolarge est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'exception de non-lieu à statuer soulevée en défense par la ministre des armées. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il a prononcé le non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d'annulation des contrats et d'y statuer par la voie de l'évocation.

Sur l'exception de non-lieu à statuer soulevée en défense :

5. L'exécution intégrale du marché ne fait pas en elle-même obstacle à l'annulation de ce marché, certaines illégalités étant susceptibles d'entraîner nécessairement une telle annulation. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer soulevée en défense par la ministre à l'encontre des conclusions aux fins d'annulation du contrat doit être écartée.

Sur la recevabilité des conclusions contestant la validité du contrat :

6. Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

7. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, la publication d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi permet de faire courir le délai de recours contre le contrat. La circonstance que l'avis ne mentionnerait pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai qui court à compter de cette publication. L'avis d'attribution du contrat attaqué, publié par le ministère de la défense au Bulletin officiel des annonces des marchés publics n° 9C, annonce n° 99, le 13 janvier 2011 sous le n° 11-3838, comporte une rubrique intitulée " nom et adresse officiels de l'organisme acheteur ", dûment complétée, et précise le nom d'un " correspondant ". Toutefois, il ne mentionne pas les modalités de consultation du contrat. Ces modalités n'ont pas davantage été portées à la connaissance de la SAS Prolarge par les courriers en date du 22 décembre 2010 et du 19 janvier 2011 qui lui ont été adressés par le ministre de la défense. Dans ces conditions, les délais de recours de deux mois à l'encontre du contrat ne sont pas opposables à la SAS Prolarge.

8. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment un contrat administratif. Dans le cas où l'administration a omis de mettre en œuvre les mesures de publicité appropriées permettant de faire courir le délai de recours de deux mois, un recours contestant la validité du contrat doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter de la publication de l'avis d'attribution du contrat. En règle générale, et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.

9. Il résulte de l'instruction que l'avis d'attribution du contrat a été publié au Bulletin officiel des annonces de marchés publics le 13 janvier 2011. La SAS Prolarge, alors même que cet avis ne mentionnait pas les modalités de consultation du contrat, disposait d'un délai d'un an, soit jusqu'au 14 janvier 2012, pour exercer un recours juridictionnel contestant la validité du contrat. Si elle fait valoir qu'elle a introduit un premier recours en contestation devant le tribunal administratif de Toulon le 4 juin 2012, qui a été rejeté par jugement n° 1201496 du 17 octobre 2014 au motif qu'elle n'avait ni produit l'acte d'engagement signé par le ministre de la défense et l'attributaire du marché, ni justifié d'une impossibilité d'obtenir ce document, cette circonstance est en l'espèce sans incidence sur l'application du délai raisonnable d'un an mentionné au point précédent. Par suite, les conclusions de la SAS Prolarge contestant la validité du contrat présentées devant le tribunal administratif de Toulon le 15 août 2015, plus d'un an après la publication de l'avis d'attribution du contrat, sont tardives et par suite irrecevables.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande :

10. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. La présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation.

11. La règle mentionnée précédemment au point 8 ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique. De tels recours, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics.

En ce qui concerne les fautes :

S'agissant des modifications du cahier des charges :

12. Aux termes de l'article 1er du décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 : " I.- Les accords-cadres et marchés publics portant sur les armes, munitions et matériels de guerre sont en principe soumis à l'ensemble des dispositions du code des marchés publics. / II.- Toutefois, lorsqu'ils sont passés pour les besoins exclusifs de la défense et mettent en cause les intérêts essentiels de sécurité de l'Etat au sens de l'article 296 du traité instituant la Communauté européenne, peuvent être passés et exécutés selon les dispositions des articles 2 à 17 du présent décret les accords-cadres et marchés suivants : (...) 5. Les accords-cadres et marchés de travaux, de fournitures et de services directement liés à la réalisation, l'emploi, la mise en œuvre, le maintien en condition opérationnelle et l'évaluation des armes, munitions et matériels de guerre. / III. - Les dispositions du code des marchés publics auxquelles les articles 2 à 17 du présent décret ne dérogent pas expressément sont applicables aux accords-cadres et marchés entrant dans les prévisions du II de l'article 1er. ". L'article 2 du même décret dispose que : " I.- a) Sous réserve des exceptions prévues au b du I et au II du présent article, les accords-cadres et marchés entrant dans les prévisions du II de l'article 1er sont passés selon la procédure négociée après publicité préalable et mise en concurrence. Ils sont précédés d'un avis d'appel public à la concurrence inséré au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, selon un modèle défini par arrêté du ministre de la défense (...). L'avis d'appel à la concurrence fixe la date limite de réception des candidatures en fonction du montant estimé et de l'objet du marché. Le délai minimal est de vingt-cinq jours à compter de l'envoi de l'avis à la publication. ".

13. Lorsque le pouvoir adjudicateur souhaite, en cours de procédure et avant la remise des offres, modifier un élément de la consultation, il n'est tenu de publier un avis d'appel public à la concurrence rectificatif que si cette modification est substantielle.

14. Aux termes de l'avis d'appel public à la concurrence publié le 28 avril 2010 au BOAMP, le lot n° 1 avait pour objet la fourniture sur la façade Manche-Atlantique de navires plastrons, côtiers et hauturiers, lents et rapides. Le lot n° 2 avait pour objet la mise à disposition d'un navire pour assurer, sur la façade Manche-Atlantique, l'entraînement à l'appontage des hélicoptères, le rôle d'unité précieuse en haute mer et le mouillage des mines d'exercice. Enfin, le lot n° 3 portait sur la fourniture en mer Méditerranée d'une large gamme de navires plastrons, côtiers et hauturiers, lents et rapides et la gestion de leur coordination à la mer sur la base de scénarios cohérents élaborés en relation avec l'autorité militaire, ainsi que la mise en œuvre de cibles à la mer et de personnels à terre.

15. Il est constant qu'au cours de la négociation, le pouvoir adjudicateur a informé les candidats que la marine procéderait désormais à l'acquisition de bateaux de type " RIB ", de scooters des mers et d'unités de mise en œuvre de cibles aériennes et que les candidats pouvaient proposer comme une option le recours à ce matériel, seul le recours à des navires hauturiers apparaissant comme incontournable. En rendant ainsi optionnelle la demande de fourniture de navires côtiers pour le lot n° 1 et le lot n° 3 et en modifiant notablement les conditions et exigences de fourniture de cibles à la mer pour le lot n° 3, le pouvoir adjudicateur a réduit significativement l'étendue des moyens à mettre en œuvre par le prestataire, et par suite l'étendue des prestations attendues. Les navires côtiers et les cibles étaient au nombre des exigences primordiales définies à l'article 3.1.1 du règlement de consultation pour les lots n° 1 et n° 3. Le pouvoir adjudicateur a également indiqué qu'il fournirait un lot de cibles couvrant un an de consommations, modifiant ainsi pour le lot n° 3 les quantités requises définies à l'article 2 du règlement de consultation. Par suite, le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir qu'il s'agissait de simples précisions ou d'adaptations limitées sans incidence sur l'objet et les conditions du marché. Il en résulte que le pouvoir adjudicateur a ainsi significativement redéfini ses besoins pour les lots n° 1 et n° 3 et dès lors modifié l'objet initial du marché et les prestations attendues pour ces deux lots. Les modifications opérées avaient dès lors un caractère substantiel. Par suite, il incombait au pouvoir adjudicateur de reprendre à son commencement la procédure de passation pour les lots n° 1 et n° 3. Au regard de leur ampleur, les modifications opérées par le pouvoir adjudicateur ont pu avoir une incidence directe sur l'appréciation des critères de la performance technique et de la performance financière des offres pour les lots n° 1 et n° 3. En outre, ces modifications ont eu lieu au stade de la négociation, après la présentation initiale des offres. L'irrégularité commise était dès lors de nature à empêcher la société requérante de présenter utilement son offre et a pu avoir une incidence sur le classement des offres. Dans ces conditions, le manquement relevé a été susceptible de léser la SAS Prolarge dans la procédure d'attribution des lots n° 1 et n° 3. En revanche, il résulte de l'instruction que les modifications opérées par le pouvoir adjudicateur n'avaient aucune incidence sur l'objet et les prestations du lot n° 2, qui ne comprenaient ni mise à disposition de navires côtiers ni fourniture de cibles. La SAS Prolarge est donc seulement fondée à soutenir que la passation des lots n° 1 et n° 3 du marché SERV 1018 était entachée d'irrégularité du fait d'une modification substantielle des prestations.

S'agissant de l'application du critère " performance financière " :

16. Aux termes de l'article 6 du décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 : " (...) III. - Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde sur le seul critère prix ou sur une pluralité de critères non discriminatoires liés à l'objet du marché. Parmi ces critères peuvent figurer notamment ceux relatifs à la sécurité des approvisionnements. Le pouvoir adjudicateur peut librement décider de hiérarchiser ou pondérer ces critères. ".

17. La SAS Prolarge soutient que le critère " coût / tonne " appliqué pour apprécier la performance financière des offres ne figurait pas dans le règlement de consultation, qu'il avait pour effet de favoriser les hauts tonnages et qu'il était sans lien avec les besoins formulés. Il résulte de l'instruction que dans son courrier du 19 janvier 2011, le pouvoir adjudicateur a indiqué que, pour le critère prix, " l'évolution a été réalisée compte tenu du tonnage des navires proposés (calcul d'un prix à la tonne) ". Cet élément d'évaluation ne figurait pas dans les critères d'appréciation de la performance financière mentionnés et pondérés à l'article 3 du règlement de consultation et ils n'ont pas été portés à la connaissance des candidats. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que l'application de ce critère " coût / tonne " aurait été justifiée par l'objet du marché ou qu'elle aurait permis d'identifier l'offre économiquement la plus avantageuse. Par suite, la SAS Prolarge est fondée à soutenir que l'attribution des lots n° 1, n° 2 et n° 3 a eu lieu en méconnaissance des principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Il résulte de l'instruction que les tarifs proposés par la SAS Prolarge étaient inférieurs à ceux de la société attributaire. Par suite, l'irrégularité commise a été susceptible d'avoir une incidence sur le classement des offres. Dans ces conditions, les manquements relevés ont été susceptibles de léser la SAS Prolarge dans la procédure d'attribution des lots n° 1, n° 2 et n° 3.

S'agissant des autres moyens :

18. En premier lieu, aux termes de l'article 3 du décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004 : " Les marchés entrant dans les prévisions du II de l'article 1er peuvent donner lieu à un marché global ou à un marché alloti. Le pouvoir adjudicateur choisit librement entre ces deux modalités en fonction notamment des avantages économiques, techniques ou financiers qu'elles procurent. ". Il résulte de ce texte qu'il appartient au pouvoir adjudicateur, s'agissant des marchés de défense soumis au décret n° 2004-16 du 7 janvier 2004, de décider du principe ou non de l'allotissement et, s'il décide d'allotir le marché, de déterminer le nombre, la taille et l'objet des lots. Dès lors, la circonstance, à la supposer établie, que la viabilité économique du lot n° 2 aurait été mal évaluée est sans incidence sur la validité du contrat. La requérante soutient par ailleurs que le mode d'allotissement était constitutif d'une entrave à la concurrence pour les PME. Si elle fait valoir que le montant du marché était compris entre 150 000 euros et 500 000 euros, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de l'allotissement. La requérante n'est pas fondée à contester la répartition des prestations entre les différents lots, qui relève du libre choix du pouvoir adjudicateur. Par suite, le moyen doit être écarté dans toutes ses branches.

19. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'au point 3.2. du règlement de consultation, le pouvoir adjudicateur a défini les critères d'appréciation de la valeur des offres pour les lots n° 1, 2 et 3. Pour chacun des lots, le pouvoir adjudicateur a fixé différents critères de second ordre et de troisième ordre pour la performance technique de l'offre, et différents critères de second ordre pour la performance financière. L'ensemble de ces sous-critères a été précisément défini et pondéré. Au regard de la nature et de la complexité des prestations demandées, ce niveau de détails ne présente pas un caractère obscur ou arbitraire. Par suite, le moyen soulevé sur ce point par la SAS Prolarge doit être écarté.

20. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'une réunion de négociation a eu lieu le 20 octobre 2010. La SAS Prolarge, qui se borne à faire valoir que cette réunion de négociation n'a pas donné lieu à une instruction suffisante et qu'elle ne s'est pas déroulée dans une bonne atmosphère, ne précise pas les points sur lesquels la négociation aurait été refusée par le pouvoir adjudicateur. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur n'était pas tenu d'engager une seconde phase de négociation. Dès lors, la SAS Prolarge n'est pas fondée à soutenir que l'attribution du lot n° 2 aurait été entachée d'un défaut de négociation.

21. Les développements exposés par la SAS Prolarge concernant " les faisceaux d'éléments convergents extrêmement troublants " ne présentent pas un degré d'intelligibilité suffisant permettant d'en apprécier le sens et la portée concernant la procédure d'attribution du lot n° 2.

22. La SAS Prolarge soutient que la procédure est entachée de détournement de pouvoir, se prévalant à cet effet de la dénaturation du marché résultant de la modification substantielle ayant affecté l'objet et les prestations des lots n° 1 et n° 3 et de l'application irrégulière d'un critère d'appréciation relatif à ces deux lots. Toutefois, de tels éléments ne permettent pas d'établir, à eux seuls, que la procédure de passation aurait été engagée par le pouvoir adjudicateur dans le seul but de produire un effet d'émulation pour un attributaire prédéterminé. S'agissant du marché SERV 1006 déclaré sans suite pour motif d'intérêt général par le pouvoir adjudicateur, la SAS Prolarge n'établit pas l'existence d'une irrégularité et ne peut utilement se prévaloir de cette déclaration sans suite régulière pour établir l'existence d'un détournement de pouvoir affectant la procédure en litige. Par suite, le moyen doit être écarté dans toutes ses branches.

En ce qui concerne les conséquences des irrégularités fautives commises :

23. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

24. Il résulte de l'instruction que l'offre de la SAS Prolarge pour le lot n° 1 a été classée en deuxième position. La SAS Prolarge a reçu la note de 11,98 sur 20 s'agissant du critère technique et la note de 12,56 sur 20 sur le critère de la performance financière, alors que la société attributaire a reçu respectivement les notes de 14,94 et de 16,36 sur 20. Après pondération, la note finale de la SAS Prolarge était de 12,56 sur 20 contre 15,51 sur 20 pour la société attributaire, soit un écart de près de trois points. La SAS Prolarge soutient, sans être utilement contredite sur ce point, que l'attributaire final n'offrait en décembre 2010 aucune prestation de fourniture de " cibles aériennes ". Elle soutient également que, par voie de conséquence, son offre présentait un avantage comparatif notable par rapport à celle de l'attributaire. La circonstance, invoquée par la ministre des armées, que l'offre de la SAS Prolarge présentait des insuffisances, notamment sur les cibles aériennes, ne permet pas de contredire utilement la SAS Prolarge sur l'existence de cet avantage comparatif. Les écarts constatés sur la note technique auraient ainsi été significativement réduits si les irrégularités relevées précédemment n'avaient pas été commises. Il résulte également de l'instruction, ainsi que le fait valoir la société requérante sans être utilement contredite sur ce point, que ses coûts complets étaient meilleurs que ceux de l'attributaire final et que l'absence d'irrégularité résultant de l'application d'un critère " coût / tonne " lui aurait permis de se voir attribuer une meilleure note que l'attributaire sur le critère de la performance financière. La ministre des armées n'est dès lors pas fondée à soutenir que le lien de causalité entre les fautes commises et la perte de chances sérieuse de remporter le marché ne serait pas établie. Dans ces conditions, au vu des éléments versés au dossier, il y a lieu de considérer que la SAS Prolarge a subi une perte de chances sérieuse de remporter le lot n° 1.

25. En ce qui concerne le lot n° 2, il résulte de l'instruction que la SAS Prolarge a été classée en troisième position, avec une note technique de 10,79 et une note sur la performance financière de 9,09 contre, respectivement, les notes de 12,33 et de 8,65 pour le candidat classé deuxième. Après pondération, la note de la SAS Prolarge était de 10,11 contre 10,81 pour le candidat classé deuxième. Ainsi, la SAS Prolarge n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Cependant, en l'absence de tout élément permettant d'établir les effets des irrégularités commises sur la notation de la société classée deuxième, il ne résulte pas de l'instruction que ces irrégularités auraient eu une incidence sur l'ordre de classement entre la SAS Prolarge et la société classée deuxième, notamment au regard du critère de la performance technique pour laquelle le candidat classé deuxième a obtenu une meilleure note que la SAS Prolarge. Dans ces conditions, la SAS Prolarge n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait eu une chance sérieuse de remporter le marché. Par suite, elle a seulement droit au remboursement des frais engagés pour la présentation de son offre.

26. En ce qui concerne le lot n° 3, il résulte de l'instruction que la SAS Prolarge a été classée en troisième position, avec une note technique de 12,17 égale à celle du candidat classé deuxième et une note sur la performance financière de 13,62 contre 14,54 pour le candidat classé deuxième. Après pondération, la note de la SAS Prolarge était de 12,75 contre 13,12 pour le candidat classé deuxième. Ainsi, la SAS Prolarge n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le contrat. Cependant, en l'absence de tout élément permettant d'établir les effets des irrégularités commises sur la notation de la société classée deuxième, il ne résulte pas de l'instruction que ces irrégularités auraient eu une incidence sur l'ordre de classement entre la SAS Prolarge et la société classée deuxième. Dans ces conditions, la SAS Prolarge n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait eu une chance sérieuse de remporter le marché. Par suite, elle a seulement droit au remboursement des frais engagés pour la présentation de son offre.

En ce qui concerne le montant du préjudice :

27. Il résulte de ce qui précède que pour les lots n° 2 et n° 3, la SAS Prolarge a droit au remboursement des frais engagés pour la présentation de son offre. La SAS Prolarge soutient que le montant de son préjudice pour la soumission aux marchés SERV 1006 puis SERV 1018 s'élève à la somme de 306 000 euros. Toutefois, elle n'est pas fondée à demander l'indemnisation des frais de présentation de son offre pour le marché SERV 1006, distinct du marché en litige. Si elle expose par ailleurs des " frais de RD liés au programme Arten ", ni la réalité de ces frais ni leur lien avec la présentation de l'offre pour le marché SERV 1018 ne sont établis. Au titre du préjudice subi pour la présentation du marché SERV 1018, elle expose des frais pour un montant global de 158 560 euros. Ces frais, qui sont justifiés de manière détaillée, n'ont pas un caractère disproportionné, et la ministre des armées n'en conteste pas utilement la réalité. Il y a lieu, toutefois, de retrancher de cette somme la part des frais de présentation de l'offre pour le lot n° 3, inclus dans l'indemnisation de son manque à gagner. Il y a lieu de considérer, en l'espèce, que les frais de présentation doivent être répartis à parts égales pour chacun des trois lots. Il n'y a pas lieu d'assortir cette somme d'une majoration de 130 % au titre des " besoins en fonds de roulement et frais de structure associés ", dès lors que la réalité de ces préjudices n'est pas établie. Par suite, il y a lieu de considérer en l'espèce que les frais de présentation des lots n° 2 et n° 3 s'élèvent à la somme de 105 707 euros.

28. Concernant le lot n° 1, la SAS Prolarge soutient en premier lieu qu'elle a droit à l'indemnisation des pertes qu'elle aurait subies au titre de l'effet prescripteur et international, pour un montant de 2 080 000 euros, d'un handicap de démarrage de deux ans par rapport à la concurrence pour un montant de 2 080 000 euros, et des pertes de financement de croissance pour un montant de 3 120 000 euros. Toutefois, elle n'apporte aucune justification à l'appui de ses allégations sur l'ensemble de ces points et ne démontre pas l'existence de son préjudice. Par suite, les demandes sur ces trois points doivent être rejetées.

29. En second lieu, la SAS Prolarge a droit à être indemnisée de son manque à gagner incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. La SAS Prolarge soutient qu'elle a subi un manque à gagner de 5,2 millions d'euros, correspondant à sa marge opérationnelle brute sur cinq ans.

30. Lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions.

31. Il résulte de l'instruction que le lot n° 1 était un marché à bons de commande reconductible annuellement, dans la limite de cinq ans. Aux termes de l'article 1.2 du projet de cahier des clauses techniques particulières versé à l'appui du dossier de consultation, les prestations du lot n° 1 étaient attendues dès notification du marché. Aux termes de l'article 3.4 du projet de cahier des clauses administratives particulières, " la première période de validité du marché court de la date de sa notification jusqu'au 31 décembre de l'année en cours. Après reconduction expresse, les périodes suivantes seront d'une durée d'un an (...). / (...) Le marché pourra être reconduit ou non, d'année en année, par le pouvoir adjudicateur. Le titulaire sera informé de la décision de reconduction ou de non reconduction du marché, au plus tard le 1er décembre de l'année en cours. Le titulaire du marché ne peut pas refuser la reconduction. Le titulaire du marché ne pourra prétendre à aucune indemnité de la part de l'administration si une décision de reconduction n'est pas prononcée par le pouvoir adjudicateur. De même, il ne pourra prétendre à aucune indemnité si une décision de non reconduction lui est notifiée. Pour la première reconduction, la règle suivante sera appliquée : - si le marché est notifié dans le dernier trimestre de l'année, cette notification vaudra reconduction au 1er janvier suivant pour une période d'un an sans notification de décision expresse. - si le marché est notifié au cours des trois premiers trimestres de l'année, la reconduction ou non reconduction fera l'objet d'une décision expresse. ".

32. Il résulte de l'instruction que le marché aurait été attribué à la SAS Prolarge au cours du second semestre de l'année 2010. En vertu des stipulations précitées de l'article 3.4 du projet de cahier des clauses administratives particulières, les prestations étaient attendues dès notification du marché. La SAS Prolarge ayant reçu notification de la décision de rejet de son offre le 22 décembre 2010, il y a lieu de considérer qu'elle aurait eu notification du marché ce même jour et qu'elle aurait été en mesure d'exécuter les prestations à compter du 23 décembre 2010. En vertu des stipulations précitées de l'article 3.4 du cahier des clauses administratives particulières, cette notification au cours du second semestre aurait valu reconduction au 1er janvier suivant pour une période d'un an, sans notification de décision expresse. Le marché étant susceptible de faire l'objet d'une reconduction ou non par le pouvoir adjudicateur pour les années suivantes, le manque à gagner invoqué par la SAS Prolarge n'a un caractère certain que pour la période du 23 décembre 2010 au 31 décembre 2011. La SAS Prolarge n'est par suite fondée à demander l'indemnisation de son manque à gagner que pour la période d'exécution initiale du contrat allant du 23 décembre 2010 au 31 décembre 2011.

33. Il résulte de l'instruction que le contrat en litige était un marché à bons de commande dont les documents contractuels pour le lot n° 1 prévoyaient, aux termes de l'article 2.3 du CCAP, des quantités comprises entre un minimum annuel de 350 000 euros hors taxes et de 1,5 million d'euros hors taxes. Le manque à gagner dont a été privée la SAS Prolarge a un caractère certain pour la quantité minimum prévue par les stipulations du projet de CCAP versé à l'appui du règlement de consultation.

34. La requérante a droit à l'indemnisation de son manque à gagner correspondant au bénéfice net qu'elle aurait tiré de l'exécution du contrat au cours de la période allant du 23 décembre 2010 au 31 décembre 2011, à raison des quantités minimales annuelles correspondant à un volume d'affaires de 350 000 euros hors taxes. La SAS Prolarge, qui se borne à fournir un chiffrage global, n'apporte aucun élément de preuve permettant de justifier les montants qu'elle allègue ou le bénéfice net correspondant spécifiquement au lot n° 1. Elle n'apporte aucun élément de preuve permettant de justifier la marge opérationnelle de 33 % qu'elle invoque, et qui est contestée en défense par la ministre des armées. La Cour ne disposant pas, en l'état de l'instruction, des éléments permettant d'établir le montant du bénéfice net dont aurait pu bénéficier la SAS Prolarge à raison de l'exécution du lot n° 1, il y a lieu d'ordonner sur ce point une expertise avant dire droit.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1503658 en date du 10 octobre 2019 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la SAS Prolarge tendant à l'annulation du contrat SERV 1018 sont rejetées.

Article 3 : Avant de statuer sur le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Etat, il sera procédé à une expertise économique et comptable.

L'expert, qui sera désigné par la présidente de la Cour, aura pour mission de fournir tous éléments permettant à la Cour d'évaluer le bénéfice net qu'aurait engendré pour la SAS Prolarge l'exécution du lot n° 1 du marché au cours de la période allant du 23 décembre 2010 au 31 décembre 2011, à raison des quantités minimales prévues par les stipulations du projet de cahier des clauses administratives particulières.

Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-4 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.

Article 5 : Tous droits, moyens et conclusions des parties à l'instance sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Prolarge et à la ministre des armées.

Copie en sera adressée à la société V. Ship et à la société Seaowl France.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. B... Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2022.

N° 19MA05388 - 19MA05422 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05388
Date de la décision : 25/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-02-05 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés. - Mode de passation des contrats. - Marché négocié.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : AARPI FERRI BRUNET;AARPI FERRI BRUNET;AARPI FERRI BRUNET

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-04-25;19ma05388 ?
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