Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner l'université de Nice Sophia-Antipolis à lui verser une somme de 147 000 euros en réparation de ses préjudices résultant des faits de violences morales, injures, diffamations, outrages et harcèlement moral dont il a été victime, et de mettre à la charge de l'université de Nice Sophia-Antipolis une somme de 2 500 euros au titre des frais du litige.
Par un jugement n° 1700563 du 26 avril 2019, le tribunal administratif de Nice a partiellement fait droit à sa demande en ce qu'il a condamné l'université de Nice Sophia-Antipolis à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral dont il a été victime et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juin 2019 et 29 octobre 2020, sous le n° 19MA02832, M. C..., représenté par Me Bonacorsi, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 avril 2019 en tant qu'il ne l'a indemnisé qu'à hauteur de 2 000 euros ;
2°) de condamner l'université de Nice Sophia-Antipolis à lui verser la somme de 147 000 euros en réparation de ses préjudices résultant des faits de violences morales, injures, diffamations, outrages et harcèlement moral dont il a été victime ;
3°) de mettre à la charge de l'université de Nice Sophia-Antipolis une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la responsabilité de l'université de Nice Sophia-Antipolis est caractérisée au regard du harcèlement moral dont il a été victime durant les années 2014 - 2015 ;
- le tribunal n'a pas pris en compte un certain nombre d'éléments circonstanciés figurant au dossier et a manifestement dénaturé l'appréciation du cas d'espèce ;
- la mise en place d'une mesure de protection fonctionnelle, au demeurant tardivement, ne peut suffire à démontrer que l'administration a mis en place l'ensemble des mesures propres à assurer sa protection ;
- cette situation de harcèlement a porté atteinte à son intégrité physique ;
- les premiers juges ont dénaturé les faits en considérant que la protection fonctionnelle aurait participé à la prise en charge des difficultés et souffrances qu'il a exprimées ;
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le préjudice d'affection et les troubles dans ses conditions d'existence ;
- l'absence d'avancement durant la première période de trois ans avant changement de poste caractérise une perte financière de l'ordre de 18 144 euros ; durant cette période, il a dû se former dans sa nouvelle affectation ;
- le poste actuellement occupé " technicien de prévention " ne lui permet pas de prétendre à un degré de responsabilité ajoutant des valeurs d'implication dans un dossier d'avancement ; c'est à tort que le tribunal administratif a considéré qu'aucun texte légal ou réglementaire n'exigeait l'exercice de fonctions d'encadrement en prérequis obligatoire pour être nommé assistant ingénieur.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 24 août et 18 novembre 2020, l'université de Nice Sophia-Antipolis, représentée par Me Laridan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C... une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement doit être regardé comme définitif concernant les agissements de harcèlement moral dont le requérant soutient avoir fait l'objet au regard de ses contestations en appel ;
- les préjudices d'affection et de troubles dans les conditions d'existence ne sont pas établis ni, au demeurant, leur lien de causalité avec les agissements de harcèlement moral dont il prétend avoir été l'objet ; ces derniers résulteraient du caractère prétendument tardif de l'octroi de la protection fonctionnelle et à l'insuffisance des mesures prises au titre de celle-ci ;
- les faits relatifs à la perte de connaissance du requérant le 9 mai 2014, alors qu'il assurait une garde de caserne en qualité de pompier volontaire, et de l'apparition d'un zona en date de mars et juin 2015 ne sauraient être qualifiés ni de préjudice d'affection ni de trouble dans les conditions d'existence consécutifs à des agissements de harcèlement moral ;
- le bénéfice de la protection fonctionnelle, qui ne saurait être considéré ni comme tardif ni comme insuffisant, n'a pas pu causer au requérant un préjudice d'affection ou un trouble dans ses conditions d'existence ;
- le requérant n'est pas fondé à invoquer un blocage administratif dans son avancement, lequel n'est pas susceptible d'être présenté comme une perte de chance sérieuse ;
- il n'est pas fondé à soutenir que la circonstance qu'il n'exerce pas des fonctions d'encadrement dans le cadre de ses fonctions d'affectation est un obstacle à l'avancement dans le corps des assistants ingénieurs.
Par ordonnance du 7 décembre 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 décembre 2020 ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;
- le décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 fixant les dispositions statutaires applicables aux ingénieurs et aux personnels techniques et administratifs de recherche et de formation du ministère de l'éducation nationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... Fédou, président-rapporteur,
- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public,
- et les observations de Me Ratouit, substituant Me Laridan, pour l'université de Nice Sophia-Antipolis.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... relève appel du jugement en date du 26 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice n'a que partiellement fait droit à sa demande, en condamnant l'université de Nice Sophia-Antipolis à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral dont il a été victime et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le bien-fondé du jugement :
Sur la responsabilité de l'université de Nice Sophia-Antipolis :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ". Aux termes de l'article 11 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ". Les dispositions précitées établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis.
3. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
4. Il résulte de l'instruction que M. C... a été victime de moqueries et de brimades au cours des années 2014 et 2015. Par ailleurs, le requérant expose par des faits circonstanciés, appuyés d'un témoignage, que ses relations avec le directeur des services administratifs se sont détériorées et que cette détérioration a entrainé des conséquences en termes d'organisation de son travail. Ainsi, il résulte de l'instruction, notamment de l'échange d'emails en date d'avril 2015 avec le doyen de l'UFR LASH que M. C..., qui avait sous sa responsabilité huit agents, n'était pas informé de l'octroi de congés par le directeur des services administratifs à ses agents et qu'il n'a pas été associé aux décisions budgétaires impactant son service pendant une durée de deux ans. Par ailleurs, il n'a pas bénéficié d'entretiens professionnels durant trois années. En outre, s'il a été temporairement déchargé de ses fonctions de responsable pour exercer les fonctions de chargé de mission archives, il résulte de l'instruction qu'il devait retrouver ses anciennes fonctions en septembre 2015. Ces fonctions ont été attribuées de fait à l'adjoint du directeur des services administratifs, au cours de la réunion du 21 septembre 2015. Au cours de cette même réunion, il a été décidé de déplacer M. C... dans un autre bâtiment, situé à 250 mètres du service qu'il dirigeait, dans un bureau qui ressemblait davantage à un local technique, afin de laisser son bureau à la personne qui l'a remplacé dans ses fonctions antérieures. Malgré son retour dans le service logistique, M. C... ne s'est vu remettre ni passe général, ni codes téléphoniques indispensables à l'exercice de ses fonctions, dont la restitution aurait été sollicitée en janvier 2015 par le responsable des services techniques. Il en résulte que l'isolement et les brimades dont a été victime M. C... doivent être regardés comme des actes constitutifs de harcèlement moral, ainsi que le reconnaît du reste l'université dans son mémoire en défense. Il s'ensuit que les préjudices résultant de ces agissements doivent être intégralement réparés.
Sur les préjudices indemnisables :
5. Aux termes de l'article 34 du décret n° 85-1534 du 31 décembre 1985 : " Les assistants ingénieurs sont nommés par arrêté du ministre de l'éducation nationale. Ils sont recrutés, dans la limite des emplois à pourvoir : (...) / 2° Au choix, selon les modalités suivantes : / Les nominations sont prononcées par voie d'inscription sur une liste d'aptitude établie sur proposition des présidents, directeurs ou responsables d'établissement, après avis de la commission administrative paritaire compétente. Peuvent y être inscrits les fonctionnaires appartenant au corps des techniciens de recherche et de formation ou à celui des secrétaires d'administration de recherche et de formation du ministère de l'éducation nationale, justifiant de huit années de services publics, dont trois au moins en catégorie B (...). ".
6. Il résulte de l'instruction que le requérant a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle le 12 octobre 2015, qui lui a été accordée sur le fondement de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 par décision du 14 décembre 2015. Le bénéfice de ces dispositions a été accordé à M. C... au regard des difficultés et des souffrances exprimées par cet agent, ainsi que le reconnait l'université de Nice Sophia-Antipolis. Cette protection ne saurait être regardée comme étant tardive, alors que le délai pendant lequel l'instruction de la demande doit être menée était nécessaire.
7. Les éléments de faits avancés par le requérant ont été de nature à entraîner une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à sa santé. Il résulte de l'instruction que le requérant a souffert d'un état anxieux sévère, réactionnel à ses conditions de travail, et d'un syndrome dépressif, ayant nécessité plusieurs arrêts de maladie notamment aux mois de juin et de novembre 2014, ainsi qu'un suivi psychologique et psychiatrique entre mai 2014 et mai 2015, dont il est résulté la prescription d'anxiolytiques. Par conséquent, eu égard aux agissements dont il a été victime, M. C... est fondé à solliciter la réparation de son préjudice moral dont il convient de faire une juste appréciation en la portant à la somme de 6 000 euros.
8. Il ne résulte cependant pas de l'instruction que le requérant aurait subi en outre un préjudice d'affection ou des troubles dans ses conditions d'existence du fait des agissements de harcèlement moral. Si le requérant se prévaut de la circonstance qu'il ait fait un malaise sans perte de connaissance au mois de juin 2014 alors qu'il exerçait les fonctions de pompier volontaire, il ne démontre pas le lien de causalité direct avec le préjudice dont il demande réparation.
9. Enfin, s'il soutient avoir été victime d'une perte de chance de bénéficier d'une promotion au grade d'assistant ingénieur, celle-ci n'est pas établie. Il résulte en effet de l'instruction que M. C... appartenait au corps des techniciens de recherche et de formation depuis le 1er décembre 2007 et qu'il occupait un poste de catégorie B. Dans la dernière évaluation de M. C..., son passage au grade d'assistant ingénieur était envisageable, et ses candidatures à ce grade avaient été soutenues par l'administration. Toutefois, il ne ressort d'aucun texte légal ou réglementaire que l'exercice de fonctions d'encadrement ait été un prérequis obligatoire pour être nommé assistant ingénieur. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance qu'il n'exerçait plus depuis le 1er février 2016 de mission d'encadrement, dans le cadre de sa nouvelle affectation, n'était pas un obstacle à l'avancement dans le corps des assistants ingénieurs. En tout état de cause, le requérant ne saurait faire grief au président de l'université de l'avoir définitivement affecté au sein du service prévention, hygiène et sécurité en qualité de technicien de classe supérieure, en date du 19 septembre 2016, dès lors qu'il résulte de l'instruction que ce même service avait été demandé par le requérant lors de son entretien professionnel en date de juillet 2015, et que ce changement d'affectation a été alors assuré dans le respect de son grade et de sa position hiérarchique. Il n'établit dès lors pas l'existence d'une perte de chance sérieuse d'être promu assistant ingénieur. Par suite, sa demande de réparation du préjudice au titre de la perte de chance d'avancement et des conséquences financières y afférentes ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à l'université de Nice Sophia-Antipolis une somme au titre de ces dispositions.
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'université de Nice Sophia-Antipolis la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'indemnité que l'université de Nice Sophia-Antipolis doit verser à M. C... en réparation de son préjudice moral est portée à la somme de 6 000 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 26 avril 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'université de Nice Sophia-Antipolis versera à M. C... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au président de l'université de Nice Sophia-Antipolis.
Délibéré après l'audience du 4 avril 2022, à laquelle siégeaient :
- M. A... Fédou, président-rapporteur,
- M. Gilles Taormina, président assesseur,
- M. François Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2022.
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N° 19MA02832