Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 1er juillet 2019 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) lui a refusé le statut d'apatride et d'enjoindre à l'OFPRA de lui reconnaître cette qualité sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1903821 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire non communiqué enregistrés les 23 février 2021 et 7 février 2022, Mme D..., représentée par la SCP d'avocats Breuillot et Varo, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 1er juillet 2019 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides;
3°) d'enjoindre à l'OFPRA de lui reconnaître cette qualité, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au profit de son avocat, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme allouée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- elle est née en 1989, à une époque où la République de Serbie indépendante n'existait pas encore et il n'apparaît pas, notamment, que la loi invoquée par l'OFPRA puisse s'appliquer de manière rétroactive ;
- il peut difficilement lui être reproché, étant née en Croatie, ayant grandi en Italie, résidant en France depuis ses 15 ans, n'ayant jamais vécu en Serbie, n'ayant pas, de ce fait, la possession d'état de citoyenne serbe, ne sachant pas lire la langue serbe dans la mesure où cette langue est écrite en caractères cyrilliques, n'ayant eu qu'une instruction scolaire incomplète faute d'avoir été scolarisée de manière régulière, d'avoir méconnu, entre ses 18 ans et ses 23 ans, la loi serbe sur la nationalité, si tant est qu'elle existe et telle que la présente l'OFPRA, et qu'elle soit susceptible d'être interprétée conformément à ce qu'il soutient ; elle a été " mise à la porte " de l'ambassade de Serbie, lorsqu'elle s'y est rendue pour demander une réponse écrite à sa demande de la nationalité serbe ;
- le fait que l'ambassade de Serbie n'ait pas répondu n'a rien d'étonnant ; la commission de l'immigration et du statut des réfugiés du Canada, qui est une des rares administrations à donner l'état de la réglementation sur la nationalité en Serbie, indique en effet quelles sont les difficultés rencontrées par les citoyens roms à se prévaloir de leurs droits ;
- il incombe à l'OFPRA de démontrer que la requérante aurait pu demander la nationalité serbe en vertu de la loi serbe et qu'elle n'aurait pas fait le nécessaire ;
- la décision querellée est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation au regard des stipulations de l'article 1 § 1 de la convention de New York relative au statut des apatrides du 28 septembre 1954 dès lors qu'elle ne peut se prévaloir d'aucune nationalité à la date de sa demande ;
- Le statut d'apatride peut seulement être refusé, en application de l'article 1§2 de ladite Convention ; or, elle ne bénéficie d'aucune protection ou assistance d'un organisme des Nations-Unies, ne bénéficie pas de la possession d'état de citoyenne française et n'a commis aucun crime ou délit, de sorte que l'OFPRA a rejeté sa demande pour un motif totalement infondé ;
- la décision querellée porte atteinte à son droit de mener une vie privée et familiale normale, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où sa situation l'empêche de conclure un pacte civil de solidarité.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 janvier 2022, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme D... d'une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la situation de la requérante n'a pas évolué depuis le jugement de première instance.
Par ordonnance du 6 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été reportée au 7 février 2022 à 12h00.
Le 7 février 2022, Mme D..., représentée par la SCP d'avocats Breuillot et Varo, a présenté un mémoire qui n'a pas été communiqué.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- la convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... Taormina, rapporteur,
- et les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a déclaré être née le 14 septembre 1989 à Sisak (Croatie) d'une mère serbe et d'un père inconnu et avoir quitté ce pays pour vivre en Italie avec sa mère où celle-ci s'est remariée avec un ressortissant macédonien. Mme D... soutient avoir alors vécu de 2001 à 2004 en Belgique, puis sa famille se serait durablement installée en France à compter de 2004, où elle aurait donné naissance à son fils le 15 novembre 2012. Le 11 avril 2018, Mme D... a sollicité la reconnaissance de la qualité d'apatride, qui lui a été refusée par une décision du directeur général de l'OFPRA en date du 1er juillet 2019.
2. Par la présente requête, Mme D... relève appel du jugement en date du 5 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa requête tendant notamment à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides : " ... Le terme "apatride" désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation... ". Aux termes de l'article R. 721-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides reconnait la qualité de réfugié ou d'apatride et accorde le bénéfice de la protection subsidiaire ". Aux termes de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, créé par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New-York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention ". Aux termes de l'article L. 812-2 du même code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides reconnaît la qualité d'apatride aux personnes remplissant les conditions mentionnées à l'article L. 812-1, au terme d'une procédure définie par décret en Conseil d'Etat ".
4. Il incombe à toute personne se prévalant de la qualité d'apatride d'apporter la preuve qu'en dépit de démarches répétées et assidues, l'Etat de la nationalité duquel elle se prévaut a refusé de donner suite à ses démarches.
5. Pour établir le refus des autorités serbes de la reconnaître comme citoyenne de ce pays, Mme D... se borne à soutenir qu'elle a contacté en vain les autorités de cet Etat entre 2014 et 2017, sans toutefois produire, ni devant les premiers juges, ni devant la Cour, les demandes formées auprès de ces autorités. Mme D... n'établit, pas plus devant la Cour que devant les premiers juges, avoir été dans l'impossibilité d'obtenir l'assistance du consulat de Serbie en France, où elle réside selon ses allégations depuis l'âge de 15 ans, le seul fait que l'intéressée ait saisi en vain le consulat de Serbie en France n'impliquant pas que les autorités compétentes de ce pays aient refusé de la considérer comme leur ressortissante. Les circonstances que l'intéressée ignorait les démarches d'acquisition de la nationalité de ce pays, lesquelles auraient dû être entreprises avant le 23e anniversaire, ou qu'elle n'en maîtrisait pas la langue, ne sauraient suffire à établir un refus de la Serbie de considérer celle-ci comme une ressortissante.
6. En outre, il n'appartient pas à l'OFPRA de démontrer que l'étranger répond aux conditions de nationalité de l'Etat dont il pourrait légitimement prétendre être le ressortissant.
7. Enfin, l'article 1§2 de convention de New York du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides n'énumère pas de façon limitative les cas dans lesquels la qualité d'apatride peut être refusée, celle-ci ne pouvant découler du seul fait que l'intéressée ne disposait d'aucune nationalité à la date de sa demande.
8. Dès lors, c'est à bon droit que le directeur général de l'OFPRA a estimé que les démarches entreprises par Mme D... ne présentaient pas un caractère sérieux et assidu lui permettant de justifier de sa qualité d'apatride. Par suite, c'est sans entacher sa décision d'une erreur de droit ou d'une erreur d'appréciation que le directeur général de l'OFPRA a refusé de reconnaître à la requérante le statut d'apatride au titre des stipulations de l'article 1er de la convention de New-York du 28 septembre 1954 et des dispositions de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
10. La décision qui attribue ou refuse d'attribuer la qualité d'apatride n'ayant, par elle-même, ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France, le simple fait de ne pouvoir conclure un pacte civil de solidarité avec son concubin du fait du refus de l'OFPRA de lui reconnaître la qualité d'apatride ne saurait pour Mme D... constituer un obstacle à son droit de mener une vie privée et familiale normale, en méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
11. Compte tenu de tout ce qui précède, les conclusions de Mme D... tendant à l'annulation du jugement en date du 5 novembre 2020 rendu par le tribunal administratif de Nîmes et de la décision du 1er juillet 2019 prise par l'OFPRA doivent être rejetées, ensemble, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
12. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Mme D..., sous réserve que son avocate renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme D... une somme au titre des frais exposés par l'OFPRA et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., à Me Breuillot et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 février 2022, où siégeaient :
- M. Guy Fédou, président,
- M. A... Taormina, président assesseur,
- M. François Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mars 2022.
N° 21MA00756 2
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