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07/03/2022 | FRANCE | N°19MA03382

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 07 mars 2022, 19MA03382


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pérols a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner in solidum M. D... A..., la société CBTP et la société Proceram à lui verser une somme de 73 481,06 euros au titre des travaux de reprise, une somme de 114 210,92 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait des désordres qui ont affecté la crèche " Les Pitchouns ", la somme de 10 389,07 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 10 000 euros en réparation de ses troubles de jouissance.

Par un

jugement n° 1700932 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Montpellier a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Pérols a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner in solidum M. D... A..., la société CBTP et la société Proceram à lui verser une somme de 73 481,06 euros au titre des travaux de reprise, une somme de 114 210,92 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait des désordres qui ont affecté la crèche " Les Pitchouns ", la somme de 10 389,07 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 10 000 euros en réparation de ses troubles de jouissance.

Par un jugement n° 1700932 du 23 mai 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamné M. A... à verser à la commune de Pérols la somme de 137 408, 25 euros toutes taxes comprises au titre des désordres affectant la crèche " Les Pitchouns ", avec intérêts au taux légal à compter du 28 février 2017 et capitalisation. Le tribunal administratif de Montpellier a mis partiellement à la charge définitive de M. A... les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 10 389,07 euros, pour un montant de 7 791,80 euros, et condamné M. A... à verser à la commune la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 19MA03382 les 23 juillet 2019, 6 août 2019 et 29 août 2019, la commune de Pérols, représentée par la SCP Margall-D'albenas, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) de condamner M. A... à lui verser une somme de 114 210,92 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait des désordres qui ont affecté la crèche " Les Pitchouns ", la somme de 10 389,07 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 10 000 euros en réparation de ses troubles de jouissance, avec intérêts au taux légal à compter de la date du dépôt du rapport d'expertise et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre une somme de 2 500 euros à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Pérols soutient que :

- elle entend diriger ses demandes et prétentions contre M. A..., renonçant aux demandes et prétentions articulées contre la SA CBTP et la société Proceram ;

- le jugement n'est pas suffisamment motivé ; l'imprudence fautive de la commune mentionnée par les juges n'est pas justifiée ;

- le jugement est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'imprudence et la circonstance que les cloques étaient visibles sont des motifs contradictoires ;

- ses conclusions étaient recevables ; la demande de première instance comprenait un exposé de ses fondements juridiques ; elle a invoqué la responsabilité décennale des constructeurs ; le jugement est entaché sur ce point d'une contradiction de motifs ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à exonérer le maître d'œuvre de sa responsabilité au titre du manquement à son devoir de conseil ;

- les désordres n'avaient pas un caractère apparent au moment de la réception ;

- le maître d'œuvre a manqué à ses obligations de conseil au moment des opérations de réception ; sa responsabilité est pleine et entière ;

- la faute exonératoire de la commune n'est pas établie ;

- l'ouvrage est impropre à sa destination ; elle a subi un préjudice d'usage ; ce trouble de jouissance peut être évalué à 10 000 euros ;

- les travaux de reprise s'élèvent à la somme de 73 481,06 euros toutes taxes comprises ;

- les préjudices subis du fait des désordres s'élèvent à la somme de 114 210,92 euros toutes taxes comprises ;

- les frais et honoraires d'expertise doivent être mis à la charge du maître d'œuvre ;

- le maire a été autorisé à ester en justice par une décision du 29 juillet 2019.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 février 2020, et un mémoire complémentaire du 26 janvier 2021, M. D... A..., représenté par la SCP Levy Balzarini Sagnes Serre, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier ;

2°) à titre principal, de rejeter l'ensemble des conclusions dirigées contre lui ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter les condamnations prononcées à son encontre à raison de la fixation de sa part de responsabilité dans la survenance des désordres à hauteur de 20 %, soit 12 625,17 euros au titre des travaux de réparation, 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 22 842,18 euros au titre de l'éventuel préjudice à venir de la commune ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner in solidum la SA CBTP, la société Proceram et la commune de Pérols à le relever et garantir à hauteur de 80 % de toute condamnation prononcée à son encontre et, en tout état de cause, de toute condamnation qui excéderait sa part d'imputabilité des désordres ;

5°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la commune de Pérols ou de tout autre succombant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- le maire de la commune de Pérols n'a pas d'autorisation pour ester en justice ;

- la commune n'a pas précisé le terrain juridique sur lequel elle entendait engager sa responsabilité ;

- la réception des travaux a été prononcée sans réserve ;

- la commune n'établit pas l'existence d'une faute du maître d'œuvre ; il n'a pas manqué à son devoir de conseil ;

- le maître d'œuvre a mis en demeure l'entreprise titulaire de remédier à certains désordres, dont le décollement du revêtement du sol ;

- le bullage est apparu le 14 janvier 2014, postérieurement à la proposition de réception de l'architecte ;

- la société Proceram est intervenue pour remédier aux désordres avant la réception ;

- les désordres sont apparus durant l'année qui a suivi la réception et relèvent de la garantie de parfait achèvement ; le maître d'œuvre n'est pas débiteur de la garantie de parfait achèvement ;

- aucune faute ne peut être reprochée au maître d'œuvre ; il a conseillé au maître de l'ouvrage de formuler une réserve ;

- le maître de l'ouvrage, qui a participé aux opérations de réception, était pleinement informé des dommages supposés, et a réceptionné les travaux sans réserve en toute connaissance de cause ; la faute du maître de l'ouvrage est totalement exonératoire ;

- à titre subsidiaire, les désordres trouvent leur cause dans des erreurs d'exécution imputables aux sociétés CBTP et Proceram ; la part de responsabilité du maître d'œuvre ne saurait excéder 20 % ;

- il doit être couvert en garantie des condamnations prononcées à son encontre par les sociétés CBTP et Proceram ;

- la TVA n'est pas due sur les travaux préparatoires ; la commune récupère la TVA par le biais du fonds de compensation de la TVA ;

- le préjudice de jouissance invoqué par la commune n'est pas établi ; à titre subsidiaire, le montant des condamnations prononcées à son encontre à ce titre devra être limité à 2 000 euros ;

- la somme de 114 210,92 euros sollicitée par la commune au titre d'un éventuel préjudice à venir n'est pas justifiée ; à titre subsidiaire le montant des condamnations prononcées à son encontre à ce titre devra être limité à 22 842,18 euros ;

- les désordres constatés sont de nature décennale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2020, et deux mémoires complémentaires datés du 22 janvier 2021 et du 23 février 2021, la SA CBTP Sud Atlas, représentée par Me Marle-Plante, demande à la Cour :

1°) de donner acte à la commune de Pérols de son désistement de ses conclusions dirigées contre elle et de rejeter toutes conclusions et demandes adverses ;

2°) à titre principal, de rejeter l'appel incident présenté par M. A... et à titre subsidiaire de confirmer le jugement, de rejeter l'appel incident de M. A... et de condamner ce dernier à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de limiter sa responsabilité à hauteur de 5 %, de rejeter les autres demandes formulées à son encontre et de condamner M. A... et la société Proceram à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie présentées par M. A....

Elle soutient que :

- dans ses mémoires du 6 et du 29 août 2019, la commune de Pérols a conclu expressément à l'abandon de ses conclusions dirigées contre la SA CBTP et la société Proceram ;

- l'appel incident de M. A... est irrecevable ;

- M. A... a manqué à ses obligations de conseil ; elle n'a commis aucune faute ; il n'y a aucun lien de causalité entre une éventuelle faute qu'elle aurait commise et le dommage ;

- l'imputabilité des dommages à hauteur de 30 % à la SA CBTP, proposée par l'expert, n'est pas fondée ; les désordres ne proviennent pas des réseaux réalisés par la société CBTP ; l'absence de pare-vapeur sous dallage ne lui est pas imputable ; le défaut d'épaisseur du mortier ne lui est pas imputable ; les causes accessoires relevées par l'expert judiciaire ne lui sont pas imputables ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne peut être retenue au-delà de 5 % ; la responsabilité de l'architecte est prépondérante dans la survenance des dommages ; la société Proceram a commis des fautes ; elle doit être relevée et garantie de toute condamnation prononcée à son encontre par M. A... et la société Proceram au-delà de 5 %.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2020, la SARL Revêtement du Sud Proceram, représentée par la SELARL Actah, demande à la Cour de confirmer le jugement attaqué et de rejeter toute demande de condamnation formée à son encontre, de déclarer nul le rapport d'expertise et de mettre à la charge de la commune de Pérols la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les demandes présentées par la commune de Pérols à l'encontre de la société Proceram sont prescrites ; le caractère apparent des désordres à la réception prive le maître de l'ouvrage de la garantie décennale due par l'entreprise ; la garantie contractuelle est prescrite ;

- les demandes présentées contre la société Proceram sont irrecevables ; la société a fait l'objet d'une procédure collective ; aucune créance n'a été déclarée entre les mains des représentants du créancier ;

- le rapport d'expertise est nul ; l'expert n'a pas apporté de réponse construite et sérieuse aux demandes du tribunal ; l'expertise ne comprend aucune démonstration technique.

Par ordonnance en date du 23 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2021 à 12h00.

Un mémoire complémentaire présenté pour la commune de Pérols et enregistré le 23 mars 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.

Par courrier en date du 13 janvier 2022, les parties ont été informées que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les vices de forme et de procédure entachant un acte réglementaire ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Le moyen tiré de ce que la délibération du conseil municipal n° 9 du 16 avril 2014, modifiée par délibération n° 7 du 16 décembre 2014, par laquelle le maire de Pérols a reçu délégation de pouvoir du conseil municipal pour représenter la commune en justice serait, en l'absence de note explicative de synthèse, entachée d'un vice de procédure, est irrecevable.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 19MA03517 le 26 juillet 2019, et un mémoire complémentaire du 26 janvier 2021, M. A..., représenté par la SCP Levy Balzarini Sagnes Serre, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 mai 2019 ;

2°) à titre principal, de rejeter l'ensemble des conclusions dirigées contre lui ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter les condamnations prononcées à son encontre à raison de la fixation de sa part de responsabilité dans la survenance des désordres à hauteur de 20 %, soit 12 625,17 euros au titre des travaux de réparation, 2 000 euros au titre du préjudice de jouissance et 22 842,18 euros au titre de l'éventuel préjudice à venir de la commune ;

4°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner in solidum la société CBTP, la société Proceram et la commune de Pérols à le relever et garantir à hauteur de 80 % de toute condamnation prononcée à son encontre et, en tout état de cause, de toute condamnation qui excéderait sa part d'imputabilité des désordres ;

5°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la commune de Pérols ou de tout autre succombant au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Il soulève des moyens identiques à ceux exposés dans ses écritures présentées dans le cadre de l'instance n° 19MA03382. Il soutient en outre que la demande de relevé et garantie formulée par la société CBTP est infondée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 août 2019, et un mémoire complémentaire enregistré le 29 août 2019, la commune de Pérols, représentée par la SCP Margall-D'albenas, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 mai 2019 ;

2°) de condamner M. A... à lui verser une somme de 114 210,92 euros au titre des préjudices qu'elle a subis du fait des désordres qui ont affecté la crèche " Les Pitchouns ", la somme de 10 389,07 euros au titre des frais d'expertise et une somme de 10 000 euros en réparation de ses troubles de jouissance, avec intérêts au taux légal à compter de la date du dépôt du rapport d'expertise et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre une somme de 2 500 euros à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Pérols soulève des moyens identiques à ceux exposés dans ses écritures présentées dans le cadre de l'instance n° 19MA03382.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2020, et un mémoire complémentaire daté du 23 février 2021, la société CBTP Sud Atlas, représentée par Me Marle-Plante, demande à la Cour :

1°) de rejeter toutes conclusions et demandes adverses ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par M. A... et de confirmer le jugement, de rejeter l'appel incident de M. A... et de condamner ce dernier à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de limiter sa responsabilité à hauteur de 5 %, de rejeter les autres demandes formulées à son encontre et de condamner M. A... et la société Proceram à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner in solidum M. A... et la société Proceram à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre pour des sommes mises à sa charge au-delà de 5 % de responsabilité et de condamner M. A... et la société Proceram à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie présentées par M. A....

Elle soulève des moyens identiques à ceux exposés dans ses écritures présentées dans le cadre de l'instance n° 19MA03382.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2020, la SARL Revêtement du Sud Proceram, représentée par la SELARL Actah, demande à la Cour de confirmer le jugement attaqué et de rejeter toute demande de condamnation formée à son encontre, de déclarer nul le rapport d'expertise et de mettre à la charge de la commune de Pérols la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soulève des moyens identiques à ceux exposés dans ses écritures présentées dans le cadre de l'instance n° 19MA03382.

Par une ordonnance en date du 23 février 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mars 2021.

Un mémoire complémentaire présenté pour la commune de Pérols et enregistré le 23 mars 2021, postérieurement à la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.

Par courrier en date du 13 janvier 2022, les parties ont été informées que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les vices de forme et de procédure entachant un acte réglementaire ne peuvent être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux. Le moyen tiré de ce que la délibération du conseil municipal n° 9 du 16 avril 2014, modifiée par délibération n° 7 du 16 décembre 2014, par laquelle le maire de Pérols a reçu délégation de pouvoir du conseil municipal pour représenter la commune en justice serait, en l'absence de note explicative de synthèse, entachée d'un vice de procédure, est irrecevable.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... Point, rapporteur,

- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Chatron pour la commune de Pérols et de Me Granier pour la société CBTP Sud Atlas.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".

2. La commune de Pérols a décidé de réhabiliter un bâtiment municipal en vue de sa mise à disposition de la crèche associative " Les Pitchouns ". Dans cette perspective, elle a passé un marché public de travaux divisé en neuf lots. La maîtrise d'œuvre a été confiée à M. A..., architecte. Le lot n° 1 " Gros œuvre " a été attribué à la SA CBTP et le lot n° 5 " Revêtement de sol dur et souple " à la société Proceram. La commune de Pérols demande réparation à M. A..., maître d'œuvre, des désordres causés aux ouvrages dans le cadre de l'exécution des lots n° 1 et n° 5 du marché public de travaux. Au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis, la commune de Pérols sollicite l'indemnisation du montant des travaux de reprise des désordres affectant le sol souple de la crèche, pour un montant de 73 481,06 euros toutes taxes comprises, tel qu'établi par l'expert judicaire dans son rapport du 24 janvier 2017. M. A... soutient que le montant de ce chef de préjudice doit être établi hors taxes.

3. Aux termes de l'article L. 256 B du code général des impôts : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence. ". Aux termes de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable à la date de dépôt du rapport d'expertise : " Les ressources du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée des collectivités territoriales comprennent les dotations ouvertes chaque année par la loi et destinées à permettre progressivement le remboursement intégral de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales et leurs groupements sur leurs dépenses réelles d'investissement ainsi que sur leurs dépenses d'entretien des bâtiments publics et de la voirie payées à compter du 1er janvier 2016. (...) ". Aux termes du même article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable à compter du 31 décembre 2020 : " I.- Les attributions ouvertes chaque année par la loi à partir des ressources du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée des collectivités territoriales visent à compenser la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales et leurs groupements sur leurs dépenses d'investissement ainsi que sur leurs dépenses pour : 1° L'entretien des bâtiments publics et de la voirie ; (...) / II.- Les attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée sont déterminées dans le cadre d'une procédure de traitement automatisé des données budgétaires et comptables. Cette procédure automatisée s'applique aux dépenses payées par les collectivités à partir du 1er janvier 2021 selon les différents régimes de versement applicables aux bénéficiaires tels que définis à l'article L. 1615-6. ". Aux termes de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable à compter du 31 décembre 2020 : " (...) Le taux de compensation forfaitaire est fixé à 16,404 % pour les dépenses éligibles réalisées à compter du 1er janvier 2015. (...) ".

4. Dans sa décision de section n° 109322 S.A.R.L. Cartigny du 19 avril 1991, le Conseil d'Etat a jugé que le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection et que ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a perçue à raison de ses propres opérations. Le Conseil d'Etat a précisé que les dispositions alors en vigueur de l'article L. 235-13 du code des communes, qui instituaient un fonds d'équipement destiné à permettre progressivement le remboursement de la taxe à la valeur ajoutée acquittée par les collectivités locales sur leurs dépenses réelles d'investissement, ne modifiaient pas le régime fiscal des opérations de ces collectivités et ne faisaient dès lors pas obstacle à ce que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les travaux de réfection soit incluse dans le montant de l'indemnité.

5. Si le fonds de compensation pour la TVA ne confère pas aux collectivités territoriales un droit au remboursement de la TVA équivalent au régime fiscal de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, ce mécanisme tend cependant à permettre aux collectivités territoriales la compensation intégrale de la TVA qu'elles ont acquittée sur leurs dépenses d'investissement éligibles. Ce régime de remboursement de la TVA fonctionne depuis de nombreuses années et a acquis un caractère pérenne. Le fonctionnement actuel du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée présente ainsi, pour les collectivités territoriales, des garanties de remboursement intégral de la TVA qui grève le montant des travaux de reprise qu'elles doivent engager. La mise en œuvre d'une procédure de traitement automatisé des données budgétaires et comptables, prévue par les dispositions du L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur version modifiée par la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, a vocation à renforcer les garanties de compensation intégrale des frais de TVA au bénéfice des collectivités territoriales. Il en résulte que les collectivités territoriales pourraient être présumées bénéficier, par le biais des dotations au titre du FCTVA, du remboursement total de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée pour les travaux de réfection. Dans cette mesure, la prise en compte de la TVA dans le montant de l'indemnité versée par la personne condamnée à réparer la collectivité publique à raison des frais de remise en état de l'ouvrage présenterait le risque d'indemniser la collectivité publique au-delà du préjudice réel qu'elle a subi.

6. Les requêtes de la commune de Pérols et de M. A... posent dès lors les questions suivantes :

1°) Le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée prévu par les dispositions de l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales permet en principe aux collectivités territoriales de récupérer intégralement le montant de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elles ont acquittée sur leurs dépenses réelles d'investissement. Au regard des garanties de compensation intégrale apportées par ce mécanisme budgétaire et comptable, les collectivités territoriales doivent-elles être présumées bénéficier d'un remboursement intégral de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le coût des travaux de reprise qu'elles doivent engager '

2°) Le montant de l'indemnité versée par la personne condamnée à réparer le préjudice résultant des désordres affectant l'ouvrage doit-il dès lors exclure le montant de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le coût des travaux de réfection, charge étant à la collectivité qui demande l'indemnisation de son préjudice toutes taxes comprises de justifier qu'elle n'a pu ou ne pourra bénéficier d'une compensation intégrale de la taxe par le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée '

7. Ces questions constituent des questions de droit nouvelles présentant une difficulté sérieuse et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges. Dans ces conditions, il y a lieu de surseoir à statuer sur les requêtes de la commune de Pérols et de M. A... et de transmettre pour avis sur ces questions le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat.

D É C I D E :

Article 1er : Les dossiers des requêtes de la commune de Pérols et de M. A... sont transmis au Conseil d'Etat pour examen des questions de droit suivantes :

1°) Au regard des garanties de compensation intégrale apportées par le fonctionnement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, les collectivités territoriales doivent-elles être présumées bénéficier d'un remboursement intégral de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le coût des travaux de reprise qu'elles doivent engager '

2°) Le montant de l'indemnité versée par la personne condamnée à réparer le préjudice résultant des désordres affectant l'ouvrage doit-il dès lors exclure le montant de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le coût des travaux de réfection, charge étant à la collectivité qui demande l'indemnisation de son préjudice toutes taxes comprises de justifier qu'elle n'a pu ou ne pourra bénéficier d'une compensation intégrale de la taxe par le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée '

Article 2 : Il est sursis à statuer sur les requêtes de la commune de Pérols et de M. A... jusqu'à l'avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration du délai de trois mois à compter de la transmission du dossier prévue à l'article 1er.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à la commune de Pérols et à M. D... A....

Copie en sera adressée à la société CBTP Sud Atlas et à la société Revêtement du Sud Proceram.

Délibéré après l'audience du 31 janvier 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. C... Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2022.

2

N° 19MA03382 - 19MA03517


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03382
Date de la décision : 07/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SELARL A.C.T.A.H. CABINET FERRARI;SELARL A.C.T.A.H. CABINET FERRARI;SCP LEVY - BALZARINI - SAGNES - SERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-03-07;19ma03382 ?
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