La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/01/2022 | FRANCE | N°20MA00466

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 31 janvier 2022, 20MA00466


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... Grélot a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'université Aix-Marseille à lui verser la somme totale de 186 146 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime et de mettre à la charge de cette dernière une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1706265 du 2 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté

sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... Grélot a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'université Aix-Marseille à lui verser la somme totale de 186 146 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime et de mettre à la charge de cette dernière une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1706265 du 2 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 février 2020, 26 février et 26 mars 2021, M. Grélot, représenté par Me Danjou, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner Aix-Marseille Université à lui verser la somme totale de 166 148 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis dont 6 700 euros par an au titre de la perte de la prime d'excellence scientifique durant douze ans le séparant de la retraite soit la somme totale de 80 400 euros, 75 000 euros au titre de la perte de jouissance de son matériel scientifique, 748 euros au titre du remboursement de ses frais médicaux engendrés par sa situation de dépression consécutive au harcèlement moral et 10 000 euros au titre du préjudice moral subi, en raison du harcèlement moral dont il a été victime de la part d'Aix-Marseille Université ;

3°) de dire et juger que la décision implicite de refus de sa réintégration est illégale est fautive ;

4°) d'ordonner, d'une part, une enquête administrative sur sa situation et, d'autre part, la saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;

5°) de mettre à la charge de l'université Aix-Marseille, outre les dépens, une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 mai 2020 et 15 mars 2021, l'université Aix-Marseille, représentée par Me Beauvillard, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. Grélot la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt avant dire droit du 28 juin 2021, la Cour a ordonné à Aix-Marseille Université de produire, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cet arrêt, tous éléments de nature à démontrer que les faits et agissements dont il fait état, dont notamment le retrait de son nom de l'organigramme de l'unité de recherche " S.P.O.R.T ", l'absence de suite donnée à sa demande de réintégration au sein de l'institut de sciences et du mouvement en dépit d'un avis favorable du conseil de laboratoire ainsi que les interdictions de diriger des thèses, d'utiliser les matériels de recherche de l'ISM et d'accéder aux salles du laboratoire sont étrangers à tout harcèlement.

Par un mémoire récapitulatif enregistré le 26 octobre 2021 en application des dispositions de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, M. Grélot, représenté par Me Danjou, soutient que :

1°) depuis 2011, il se trouve dans l'incapacité d'exercer ses fonctions d'enseignant-chercheur au sein de l'université d'Aix-Marseille, en raison de décisions administratives systématiquement défavorables et non justifiées, ainsi que d'absences de réponse répétées à ses demandes d'éclaircissement :

- ainsi, sa demande de rattachement à l'Institut des Sciences du Mouvement (ISM) déposée en novembre 2012 reste, à ce jour, toujours en suspens ;

- l'unique proposition d'intégration à deux unités du vice-président du conseil scientifique Bertin a été faite en réponse à une énième demande, soit deux ans après l'ajournement de son intégration dans l'ISM, offres fantaisistes ne rentrant pas dans son domaine de compétence ;

- le retrait de la direction de la thèse de Jean-Bernard B... a été effectué sans aucun avertissement ni consultation préalable du conseil scientifique, en méconnaissance des articles 26 et 27 des statuts de l'université d'Aix-Marseille ;

- l'interdiction de débuter les directions de thèse de Clothilde Vallet et Emmanuel Sagui a été prise sans justification fondée ;

- le retrait de sa participation au projet de création de l'unité SPORT a eu pour conséquence directe de le placer en dehors de tout dispositif de recherche de la Faculté des Sciences du Sport (unité Institut des Sciences du Mouvement ISM et unité SPORT), sans en avoir été directement informé, alors qu'il était pourtant le porteur mandaté par l'université d'Aix-Marseille, alors que courant 2011, il lui avait été demandé par le nouveau doyen de la Faculté des Sciences du Sport et le Vice-Président recherche de l'université de la Méditerranée, Monsieur I..., d'assurer le montage, le portage et le suivi de la création de cette unité de recherche et de répondre à l'évaluation négative qui avait été faite par l'Agence d'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur quant à l'opportunité de la création de cette unité ;

- il a eu également à subir une interdiction d'accéder aux matériels de recherche, pourtant acquis pour certains grâce à ses contrats DRET, CG13 et ASO ;

2°) il en résulte que :

- il est ainsi enfermé dans un rôle pédagogique inapproprié à ses compétences et est empêché de remplir sa fonction de directeur de recherches et d'encadrement des étudiants appelés à travailler sous sa responsabilité, tout en dispensant des enseignements de travaux pratiques moins rémunérateurs que les cours magistraux qu'il dispensait à l'université Aix-Marseille ;

- il est empêché de développer et d'améliorer ses compétences pédagogiques acquises du fait notamment des refus qui lui sont opposés de participer à des colloques ou séminaires de formation ; il a perdu de facto nombre de responsabilités scientifiques ;

- le fait de s'approprier son travail (notamment la direction de thèse ou la création de projets), ou de remettre en cause ses compétences professionnelles, caractérisent la situation de harcèlement moral qu'il subit de façon continue depuis sept ans au sein d'Aix-Marseille Université ;

- il a subi un préjudice financier du fait de la perte de la prime de l'excellence scientifique (devenue prime d'encadrement doctoral) de 6 700 euros calculée sur une période de douze ans, soit 80 400 euros ;

- la perte de jouissance de son matériel scientifique lui a causé un préjudice à hauteur de 75 000 euros, le matériel acheté sur les contrats de recherche ASO-Tour de France, DRET CNRS et CG 13 n'ayant jamais été porté à l'inventaire de l'université, puisqu'il ne devait pas revenir à l'université ;

- les frais médicaux engendrés par sa dépression doivent être indemnisés à hauteur de 748 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 10 000 euros ;

3°) l'université ne peut utilement faire valoir, pour prétendre qu'il n'y a pas eu de harcèlement, qu'il aurait bénéficié d'une promotion en 2013, alors qu'il s'agit d'une promotion interne à l'université qui a été décidée précédemment par la commission de sélection, plusieurs mois avant le mois d'octobre 2013 ;

4°) c'est donc à tort que le tribunal administratif de Marseille a considéré pour rejeter sa requête :

- que son affectation ne le privait pas d'activités de recherche, alors que l'IUT n'a pas le statut d'UFR, ne disposant pas de laboratoire pour que les enseignants-chercheurs y réalisent leurs activités de recherche et n'en disposera pas, comme cela est attesté par le professeur Merad, chef du département RetT de l'IUT ;

- que son incorporation dans la réserve militaire opérationnelle à partir de l'année 2017, cinq années après son éviction de toute unité de recherche, ne constitue pas un cumul d'activités de recherche, mais entraîne simplement un cumul de rémunérations, le requérant n'étant pas, de ce fait, devenu pour autant, chercheur au Service de Santé des Armées car cette demande d'incorporation peut être formulée par tout citoyen français de plus de dix-sept ans ; le requérant n'est que réserviste de la Défense nationale ;

- que les éléments produits ne sauraient à eux seuls établir les allégations de dépression dont souffre le requérant, alors qu'ils démontrent au contraire un suivi psychothérapique régulier auprès du docteur H..., médecin psychiatre ; il a exposé sa souffrance au travail à la psychologue du travail d'AMU (voir courriel Mme A... d'Andrea, 16 octobre 2015) et au médecin de prévention de l'université en mai 2016.

Le 7 novembre 2021, Aix-Marseille Université, représentée par Me Beauvillard, a enregistré un mémoire récapitulatif en application des dispositions de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, auquel elle a renoncé par courrier du 8 novembre suivant et qui n'a, en conséquence, pas été communiqué.

Par un mémoire récapitulatif enregistré le 8 novembre 2021 en application des dispositions de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, Aix-Marseille Université, représentée par Me Beauvillard, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. Grélot d'une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

1°) la requête d'appel est irrecevable, à défaut d'être motivée, la réitération des moyens de première instance étant insuffisante ;

2°) sont irrecevables comme demandes nouvelles en appel les demandes suivantes :

- juger que la décision implicite de refus de réintégration du requérant est illégale et fautive ;

- ordonner une enquête administrative sur la situation du requérant, ainsi que la saisine du CHSCT ;

3°) la demande relative à la prétendue illégalité de la décision de réintégration est prescrite ; le requérant demande de " juger la décision de refus de réintégration comme illégale et fautive ", sans apporter aucune information sur cette décision ; si cette demande porte sur la décision du Conseil scientifique du 18 avril 2013, il est évident que cette dernière est prescrite, puisqu'à défaut de mentionner les voies et délais de recours, elle n'a pas été formulée dans un délai raisonnable, près de sept ans s'étant écoulés entre cette décision du conseil scientifique et la requête d'appel ;

4°) sur l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral :

- pendant la période durant laquelle M. Grélot estime avoir été harcelé par l'établissement, ce dernier a fait l'objet d'une promotion en tant que " Professeur de classe Exceptionnelle " le 1er septembre 2013 ;

- la circonstance que M. Grélot n'a plus été proposé comme directeur du laboratoire " SPORT " résulte de la réalisation d'une évaluation du laboratoire par l'HCERES avec ses thématiques " sport et développement durable " dont les résultats ont été particulièrement mauvais (note C obtenue) ; l'établissement a, alors, proposé de resserrer le projet du laboratoire SPORT sur la seule thématique du management du sport, dont M. Grélot n'est pas spécialiste, et a enlevé la thématique développement durable que portait M. Grélot, raison pour laquelle l'intéressé a été retiré de l'organigramme de l'unité de recherche " SPORT " et a demandé une intégration à l'ISM, par la suite ;

- s'agissant de l'absence d'affectation, le crédit d'affectation (d'environ 2 000 euros) convoité par M. Grélot était réservé aux seuls enseignants-chercheurs déjà en place ; or, les enseignants-chercheurs, déjà statutaires, et qui rejoignent l'unité en cours de contrat, ne sont pas financés sur les dotations de base du laboratoire et sont à la charge de l'équipe les accueillant ; les enseignants-chercheurs entrant en cours de quinquennal ne peuvent pas, en conséquence, bénéficier de la subvention " point-chercheur " ; M. Grélot n'avait donc pas droit au bénéfice de ce crédit d'affectation, puisqu'il ne remplissait pas les règles susvisées ; le fait que M. Grélot ait, via ses courriers, contesté les conditions de sa réintégration, a conduit le conseil scientifique à surseoir à sa décision de réintégration ; si, dans un premier temps, le comité de direction de l'ISM a émis un avis favorable, le Conseil scientifique de l'université d'Aix-Marseille siégeant en formation restreinte a, par la suite, décidé lors de sa séance du 16 avril 2013 d'ajourner sa décision et d'examiner cette demande ultérieurement " afin qu'une réflexion puisse être engagée entre les différents protagonistes pour traiter sereinement l'affectation recherche de M. Grélot " ; l'université ne saurait être tenue responsable des refus du requérant d'intégrer des unités de recherche qui correspondaient parfaitement à ses compétences et qui lui auraient permis de poursuivre sereinement ses travaux de recherche ; finalement, l'intéressé a sollicité son transfert vers l'IUT de La Ciotat, sans solliciter de nouvelles demandes de réintégration au sein d'une unité de recherches ;

- s'agissant du cumul d'activités, l'appelant a exercé, concomitamment à son activité d'enseignant à l'IUT de La Ciotat, des activités de recherche au sein du service de santé des armées (SSA), ce qui a donné lieu notamment à la publication d'articles, activité qui l'a conduit à formuler une demande de cumul de rémunérations à laquelle le vice-président de l'université a répondu en l'informant qu'il n'avait pas encore signé cette demande de cumul au motif que Aix-Marseille Université souhaitait encadrer les cumuls d'activités de recherche ; aussi, le cumul d'activité parait-il caractérisé ;

- s'agissant de l'utilisation du matériel de l'ISM, il est inexact de mentionner que l'université lui aurait interdit tout accès au matériel par un courriel du 24 août 2015, le doyen de la faculté des sciences du sport ayant, en effet, donné son accord pour que M. Grélot puisse continuer à disposer du matériel de recherche pour les manipulations, en indiquant que pour ses autres besoins, l'usage du matériel devra être encadré par une convention qui n'a jamais vu le jour puisque l'intéressé a refusé cette proposition ; le requérant s'est approprié l'ergomètre de type Excalibur qui se trouvait dans la salle d'expérience, matériel qui n'a jamais rejoint le site universitaire ;

- s'agissant de l'interdiction de diriger des thèses, M. Grélot ne faisant plus partie du laboratoire ISM, il ne pouvait donc pas bénéficier de crédits pour l'encadrement des doctorants, ni encadrer en thèse un doctorant profitant de l'environnement scientifique de l'ISM. ; il a donc, tout naturellement, été remplacé ;

- la circonstance, fût-elle avérée, que M. Grélot ait souffert d'une dépression ne suffit pas à caractériser des faits relevant d'une situation de harcèlement moral qui aurait été mise en œuvre par l'université ;

5°) sur les préjudices allégués :

- s'agissant de la perte de la prime d'excellence scientifique, devenue la prime d'encadrement doctoral, rien ne permet de garantir que le requérant aurait pu bénéficier de cette prime s'il avait sollicité le bénéfice de cette dernière, demande qu'il n'a d'ailleurs pas faite ; ses prétentions formulées à ce titre concernent, en conséquence, un préjudice incertain et hypothétique qui exclut toute indemnisation ;

- s'agissant de la perte de jouissance de son matériel scientifique, M. Grélot, qui sollicite le paiement de la somme de 75 000 euros au titre de la perte de jouissance de son matériel scientifique, se méprend sur la propriété dudit matériel qui appartient à l'université et sur lequel il n'a donc aucun droit ; même pour l'indemnisation d'une perte de jouissance de ce matériel, la somme réclamée est fantaisiste ;

- s'agissant des frais médicaux, la demande formulée à ce titre ne pourra qu'être rejetée ;

- s'agissant du préjudice moral allégué, il n'est pas justifié ;

- s'agissant du refus de la protection fonctionnelle demandée par le requérant, il est justifié, dès lors que l'université a démontré que les agissements qui lui sont reprochés sont étrangers à tout harcèlement.

Par ordonnance du 8 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 novembre 2021 à 12h00.

Le 16 novembre 2021, M. Grélot, représenté par Me Danjou, a présenté un mémoire qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984, fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences ;

- le décret n° 2009-851 du 8 juillet 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gilles Taormina, rapporteur,

- les conclusions de M. Renaud Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Danjou pour M. Grélot et de Me Beauvillard pour Aix-Marseille Université.

Considérant ce qui suit :

1. M. Grélot a été nommé en qualité de professeur des universités en neuropsychologie et physiologie des activités physiques et sportives, à l'université d'Aix-Marseille, à compter d'avril 1998 avant d'être nommé à la classe exceptionnelle des professeurs des universités le 1er octobre 2003. Il a sollicité, par un courrier daté du 5 avril 2017, le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès du président de l'université Aix-Marseille ainsi que l'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estimait être victime. Le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. M. Grélot relève appel du jugement n° 1706265 du 2 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête de plein contentieux tendant principalement à la condamnation de l'université d'Aix-Marseille à lui verser une somme de 186 146 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estime avoir été victime.

Sur les fins de non-recevoir opposées par l'université d'Aix-Marseille :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête... Elle contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Contrairement à ce que soutient l'université d'Aix-Marseille, la requête de M. Grélot ne se borne pas à reproduire purement et simplement sa demande devant le tribunal administratif de Marseille mais comporte des précisions quant aux raisons pour lesquelles il estime que c'est à tort que ce tribunal a jugé qu'il n'établissait pas l'existence de la faute commise par l'université Aix-Marseille de nature à engager sa responsabilité et que les éléments produits à l'instance n'étaient pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de cette université à son encontre. Sa requête d'appel satisfaisant ainsi aux exigences des dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la fin de non-recevoir opposée par Aix-Marseille Université doit être écartée.

4. En second lieu, en demandant à la Cour de dire et juger que la décision implicite de refus de sa réintégration est illégale et fautive, M. Grélot ne formule pas de demande nouvelle, cette illégalité résultant ipso facto de l'existence d'un harcèlement, à le supposer établi. Ne constitue pas non plus une demande nouvelle celle tendant à voir ordonner, d'une part, une enquête administrative sur sa situation et, d'autre part, la saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), s'agissant de mesures d'instruction dont il n'appartient qu'à la juridiction d'apprécier l'opportunité. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par Aix-Marseille Université doit être écartée.

Sur l'existence de faits constitutifs d'un harcèlement moral imputables à Aix-Marseille Université :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

6. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

7. En premier lieu, s'agissant de l'affectation de M. Grélot, d'une part, celui-ci soutient qu'au cours de l'année 2011, le doyen de la faculté des sciences du sport ainsi que le vice-président de la Recherche de l'université de Méditerranée, devenue Aix-Marseille Université, lui ont demandé d'assurer le montage, le portage et le suivi de la création de l'unité de recherche " SPORT " puis lui ont demandé de répondre à l'évaluation négative faite par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) quant à l'opportunité de la création de cette unité et que, après la finalisation de cette unité de recherche, son nom a été retiré de l'organigramme de celle-ci, sans même qu'il en ait été informé. D'autre part, M. Grélot fait valoir que, alors qu'il a sollicité son affectation au sein de l'Institut des Sciences du Mouvement (ISM), unité de recherche, laquelle a été validée par vote, tant par le comité de direction de l'institut de l'ISM dans sa séance du 20 décembre 2012 que par le conseil de laboratoire de l'ISM dans sa séance du 28 janvier 2013 et que sa demande d'affectation est restée en suspens après que le conseil scientifique de l'université eut décidé, dans sa séance du 16 avril 2013, d'ajourner sa décision et d'examiner sa demande ultérieurement dès lors " qu'une réflexion [devait] être engagée entre les différents protagonistes afin de traiter sereinement l'affectation recherche " le concernant, il n'a, à ce jour, reçu aucune décision expresse. L'université ne démontre pas utilement en quoi un désaccord sur l'affectation de financements de recherches serait de nature à justifier qu'aucune décision n'ait été prise à ce jour. Par ailleurs, M. Grélot fait valoir, sans être contredit par l'université, qu'il appartenait au conseil d'administration, en pareil cas, de se prononcer en dernier lieu, et que ces demandes d'éclaircissements sont restées jusqu'à ce jour sans réponse, témoignant ainsi d'une situation d'obstruction à ses activités de recherche. M. Grélot soutient également, à cet égard, que les propositions d'affectation qui lui ont été faites au sein de l'unité de recherche " NORT " et de l'unité de recherche " DS-ACI " sont fantaisistes dans la mesure où, étant électro-physiologiste, ses compétences relèvent de la neuropharmacologie expérimentale, de la mise en œuvre de questionnaires de santé publique et de mesures des aptitudes physiques de sujets alors que les outils méthodologiques utilisés dans ces deux unités relèvent de la biochimie, de la biologie cellulaire et de la biologie moléculaire. L'université, qui ne conteste pas l'inadéquation de ces propositions par rapport à la spécialité de M. Grélot, ne fournit pas non plus à la Cour des éléments permettant d'infirmer les allégations du requérant.

8. Aix-Marseille Université ne démontre l'existence d'aucune procédure prévue par des dispositions législatives ou règlementaires, même interne à l'université, qui aurait été mise en œuvre afin d'exclure M. Grélot, ni d'aucun motif légitime qui aurait pu justifier une telle éviction de l'intéressé de l'unité de recherche " SPORT " qu'il dirigeait et dont il n'est pas contesté qu'il était à l'origine de la création. Dès lors, si la mauvaise évaluation de l'activité collective des membres de cette unité de recherche faite par l'AERES pouvait justifier, de la part de cette unité et de l'université, la réorientation des activités ou la suppression de celle-ci, M. Grélot qui n'en était pas le seul membre, à qui il appartenait exclusivement de démissionner de ses fonctions de direction ou de membre et à l'égard duquel il n'a été caractérisé aucune faute personnelle, est, par suite, fondé à soutenir que l'université ne pouvait, comme elle l'a fait, l'en évincer ou s'abstenir de tout mettre en œuvre afin qu'il n'en soit pas évincé.

9. Dès lors que M. Grélot, qui n'a jamais été chercheur au sein du service de santé des armées ni de l'Hôpital d'instruction des Armées Laveran, comme l'attestent le professeur Sagui, professeur agrégé au sein du service de santé des Armées, et le professeur Thefenne, chef du pôle de réadaptation à l'Hôpital d'instruction des Armées Laveran, mais simplement réserviste au service de santé des Armées, a été contraint d'accepter une affectation à l'IUT de la Ciotat, sur les conseils du professeur Dufresne, de la faculté des sciences du sport, médiateur de l'université dans ce dossier, qui atteste de la situation dont le requérant était victime au sein de cette institution, d'un niveau très inférieur au niveau de l'intéressé, professeur des universités de classe exceptionnelle qui n'assure plus, depuis cette affectation, ni activité de recherche, qui n'est pas statutairement la mission des IUT, ni cours magistraux, mais n'assure plus que des travaux dirigés, alors que les professeurs d'université assurent statutairement, en principe, un service composé principalement de cours magistraux, Aix-Marseille Université n'est pas fondée à soutenir que M. Grélot aurait, sans motif légitime, décliné d'autres propositions d'affectation à la faculté des sciences du sport de l'université. Aix-Marseille Université ne démontre pas davantage utilement l'existence d'un motif légitime pour lequel elle n'a jamais donné suite à la demande de M. Grélot d'intégrer l'ISM, unité de recherche de l'université, comme l'attestent les professeurs Bonatti et Ripoll, enseignants-chercheurs à la faculté des sciences du sport d'Aix-Marseille qui attestent, par ailleurs de l'éviction de l'intéressé de la faculté, sans motif légitime, ainsi que le professeur Dufresne. Par suite, l'intéressé est fondé à soutenir que les propositions de reclassement faites par l'université ne correspondaient pas à sa spécialité et qu'il a été contraint, en acceptant d'être affecté à l'IUT de la Ciotat, d'être " déclassé " et privé de recherche fondamentale, faute de laboratoire, dans le cadre d'une affectation en IUT, comme l'atteste le professeur Hug, de la faculté des sciences du sport de l'université de Nantes, membre de l'Institut universitaire de France, affectation qu'il n'a pu ressentir, compte tenu de son profil, que comme une humiliation nonobstant sa promotion à la classe exceptionnelle des professeurs d'université.

10. En deuxième lieu, s'agissant des activités de recherche de M. Grélot à l'université, celui-ci soutient d'une part, que, alors qu'il dirigeait la thèse d'un étudiant, la direction de cette thèse lui a été retirée sans avertissement ni consultation préalable du conseil scientifique et que, par ailleurs, il lui a été interdit d'entamer la direction de thèse de deux étudiants. Il soutient, d'autre part, qu'il lui a été interdit par l'université d'utiliser le matériel de recherche de l'ISM et d'accéder aux salles du laboratoire de cette unité.

11. Aix-Marseille Université, qui ne conteste pas ne pas avoir mis en œuvre les procédures internes prévues à cet effet et qui a, comme cela vient d'être dit aux points 8 et 9, évincé de fait et sans motif légitime M. Grélot de la faculté des sciences du sport, ne pouvait dès lors, comme elle l'a fait, lui retirer, au motif de cette éviction et sans même prendre la peine d'en informer les doctorants concernés qui se sont retrouvés sans directeur de thèse peu de temps avant leur soutenance, comme l'atteste M. B..., doctorant, les directions de thèse qu'il assurait jusqu'à cette éviction, ni lui interdire de diriger d'autres thèses, comme l'atteste M. G..., doctorant. Par suite, M. Grélot est fondé à soutenir que ces décisions ont été prises sans motif légitime.

12. Enfin, M. Grélot doit être regardé comme ne pouvant plus, comme il le soutient, être en mesure, de fait, d'exercer une activité de recherche au sein de l'IUT de La Ciotat, auquel il a été affecté après l'intervention du médiateur de l'université, les IUT n'ayant, statutairement, pas vocation à abriter en leur sein des activités de recherche, ni à former des chercheurs, comme le confirme par attestation le directeur de l'IUT de La Ciotat.

13. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 8, 9 et 11 du présent arrêt, Aix-Marseille Université doit, dès lors, être regardée comme ne démontrant pas utilement avoir sérieusement permis à M. Grélot de pouvoir continuer d'utiliser les laboratoires de la faculté des sciences du sport dont il n'était plus membre après son éviction. Par suite, M. Grélot est fondé à soutenir qu'il a été privé d'activités de recherche sans motif légitime.

14. En troisième lieu, il résulte des pièces produites par M. Grélot que celui-ci fait l'objet d'un suivi psychothérapique régulier auprès du docteur H..., médecin psychiatre, et qu'il a exposé sa souffrance au travail à la psychologue du travail de l'université en octobre 2015 et au médecin de prévention de l'université en mai 2016. Ces suivi et signalements, contemporains des faits sus-décrits, sans qu'il soit établi que l'intéressé souffrait avant 2012 de pathologies altérant sa santé mentale, doivent, par suite, être considérés comme ayant pour cause les mesures dont il a fait l'objet de la part de l'université.

15. Compte tenu de tout ce qui précède, M. Grélot doit être regardé comme fondé à soutenir qu'il a été l'objet, de la part de la direction d'Aix-Marseille Université, de mesures non justifiées, à caractère vexatoire et humiliantes ayant, par leur nombre et leur accumulation, abouti à une dégradation de ses conditions de travail et à son déclassement professionnel, ce qui a été de nature à porter atteinte à ses droits et à sa dignité, à altérer sa santé mentale et à compromettre son avenir professionnel. Ces faits caractérisent, à l'encontre de M. Grélot, un harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et dont il est fondé à demander réparation du préjudice que lui cause un tel harcèlement. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.

Sur la réparation des préjudices causés à M. Grélot du fait du harcèlement moral :

16. En premier lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 14 du présent arrêt, M. Grélot est fondé à demander la condamnation d'Aix-Marseille Université, qui n'en conteste pas le montant, à lui payer la somme totale de 748 euros représentant les frais médicaux restés à sa charge.

17. En deuxième lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux points 8, 9, 11 et 14 du présent arrêt, M. Grélot est fondé à demander la condamnation d'Aix-Marseille Université à réparer son préjudice moral, dont il sera fait une juste appréciation en la fixant à la somme de 7 000 euros.

18. En troisième lieu, s'agissant de la prime d'encadrement doctoral et de recherche prévue par l'article L. 954-2 du code de l'éducation qui a été refusée à M. Grélot comme il en a été informé par courrier du 29 avril 2016 du président de l'université, le décret n° 2009-851 du 8 juillet 2009 prévoit qu'elle " peut être accordée aux personnels dont l'activité scientifique est jugée d'un niveau élevé au regard notamment de la production scientifique, de l'encadrement doctoral et scientifique, de la diffusion de leurs travaux et des responsabilités scientifiques exercées ". Dès lors, le préjudice allégué par M. Grélot n'ayant qu'un caractère éventuel, sa demande tendant au versement à ce titre de la somme de 80 400 euros ne peut qu'être rejetée.

19. En quatrième lieu, s'il résulte des pièces produites par M. Grélot et s'il n'est pas utilement contesté par Aix-Marseille Université que nombre de matériels de recherche de la faculté des sciences du sport ont été acquis par M. Grélot grâce à des contrats conclus avec des organismes tiers apporteurs de financements, le requérant, qui doit être regardé comme demandant réparation du préjudice qu'il éprouve en n'ayant désormais plus accès à ces matériels, n'en démontre pas l'existence par les deux pièces qu'il a produites à l'instance et ne justifie pas davantage du montant qu'il sollicite. Sa demande tendant au versement d'une somme de 75 000 euros au titre de la perte de jouissance de son matériel scientifique ne peut, dès lors, qu'être rejetée.

20. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de condamner Aix-Marseille Université à verser à M. Grélot la somme totale de 7 748 euros.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'Aix-Marseille Université une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. Grélot et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. Grélot qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par Aix-Marseille Université et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1706265 rendu le 2 décembre 2019 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : Aix-Marseille Université est condamnée à verser à M. Grélot la somme totale de 7 748 euros.

Article 3 : Il est mis à la charge d'Aix-Marseille Université une somme de 2 000 euros au profit de M. Grélot, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel est rejeté.

Article 5 : Les conclusions d'Aix-Marseille Université tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... Grélot et à l'université Aix-Marseille.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 janvier 2022.

N° 20MA00466 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00466
Date de la décision : 31/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-03-04-06 Travail et emploi. - Conditions de travail. - Médecine du travail.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : DANJOU

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-01-31;20ma00466 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award