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19/01/2022 | FRANCE | N°19MA05647

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 19 janvier 2022, 19MA05647


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille, saisi par l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités, a annulé le contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre lui et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pour la période 2007/2016 et a ordonné avant dire droit, à la demande de la région, une expertise comptable afin de déterminer principalement le montant des charges de SNCF Mobilités et, le cas échéant, le préjudice

financier indemnisable subi par ce dernier au titre de l'exercice 2016 du fait...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Marseille, saisi par l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités, a annulé le contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre lui et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pour la période 2007/2016 et a ordonné avant dire droit, à la demande de la région, une expertise comptable afin de déterminer principalement le montant des charges de SNCF Mobilités et, le cas échéant, le préjudice financier indemnisable subi par ce dernier au titre de l'exercice 2016 du fait de la délibération n° 16-808 du 3 novembre 2016 par laquelle la région a décidé de retenir un montant de contribution prévisionnelle régionale annuelle au titre de l'exercice 2016 arrêté à la somme de 241 610 588 euros toutes taxes comprises alors que SNCF Mobilités avait établi un devis de 289 356 000 euros toutes taxes comprises.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 20 décembre 2019, l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités, représenté par Mes Gaudemet et Glaser, demande à la Cour:

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute ou sans faute, de condamner la région PACA à lui verser la somme de 48 237 374 euros, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016 ;

3°) à titre subsidiaire :

- sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle ou, sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, de condamner la région PACA à lui verser la somme de 48 237 374 euros, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016 ;

- si la Cour l'estime utile, d'ordonner avant dire droit une expertise comptable pour déterminer le montant du préjudice de SNCF Mobilités sur ces fondements extracontractuels ;

4°) d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

5°) de condamner la région PACA à lui verser la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire complémentaire enregistré le 26 mars 2021, l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités, représenté par Mes Gaudemet et Glaser, demande à la Cour :

1°) de lui donner acte de son désistement partiel, d'instance et d'action, au titre de sa demande de condamnation de la région PACA à lui verser la somme de 48 237 374 euros assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, avec capitalisation desdits intérêts au titre de l'exercice 2016 et à lui verser la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de n'annuler le jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019 rendu par le tribunal administratif de Marseille qu'en tant qu'il prononce l'annulation du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre la région PACA et la SNCF pour la période 2007/2016.

Il soutient que :

1°) sur la conformité des clauses financières de la convention d'exploitation TER au droit des aides d'Etat :

- le jugement querellé est insuffisamment motivé ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions du règlement CE n° 1370/2007 entré en vigueur le 3 décembre 2009 étaient applicables aux clauses financières de la convention TER 2007-2016, signée fin 2006, et alors que, en acceptant de signer la convention TER 2007-2016, la région PACA avait pleinement accepté le mécanisme du forfait de charges dit C1 ;

- les dispositions transitoires de l'article 8.2 du règlement prévoyant que " l'attribution de contrats de service publics de transport est conforme à l'article 5 de celui-ci à partir du 3 décembre 2019 ", les clauses financières de la convention TER sont conformes aux règles européennes en matière d'aides d'Etat ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Marseille, rien n'interdit que le montant des coûts soit déterminé forfaitairement, tant que cela n'entraine pas de surcompensation ;

- la formule de calcul de la contribution régionale est identique à celle que suggère l'annexe unique au règlement CE n° 1370/2007 ;

- la règle d'indexation est fondée sur des indices externes prenant en compte l'évolution réelle des coûts salariaux au niveau national, comme l'indice ICHTTS (indice mensuel du coût du travail), le RS6S (indice trimestriel des salaires mensuels de base de l'ensemble des salariés du secteur tertiaire) ou encore le FODC4 (indice mensuel du fioul domestique) ;

- le tribunal n'est pas fondé dans son constat de l'absence de transparence des comptes de SNCF Mobilités ou de contrariété aux règles de séparation imposées par l'ARAFER ;

2°) sur le nécessaire respect de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et sur l'absence de vice susceptible de justifier l'écartement du contrat :

- l'exigence de loyauté des relations contractuelles fait obstacle à ce que l'application du contrat soit écartée lorsque la partie qui revendique d'écarter le contrat l'a pourtant jusque-là fidèlement exécuté, notamment pour ce qui concerne ses conditions financières, sans jamais élever de critiques à cet égard ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille, entachant son jugement d'une erreur de droit, a écarté l'intégralité du contrat, au motif que les clauses financières de celui-ci, qui instituent un mécanisme d'évaluation forfaitaire des charges, ne permettraient pas à l'autorité organisatrice de transport de s'assurer de la juste évaluation de la compensation de service public et seraient donc susceptibles d'entrainer le versement d'une aide d'Etat, alors qu'une telle irrégularité - à la supposer établie - ne constitue pas un vice du consentement.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 avril 2021, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), représentée par Me Goutal, conclut à ce qu'il soit donné acte à l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités de son désistement partiel d'instance et d'action et au rejet du surplus des conclusions tendant à l'annulation du jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019 rendu par le tribunal administratif de Marseille, en tant qu'il prononce l'annulation du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre la région PACA et la SNCF pour la période 2007/2016.

Elle soutient que :

1°) sur la validité du contrat :

- le règlement CE n° 1370/2007 institue, depuis le 3 décembre 2009, des contraintes juridiques impératives applicables au calcul et au contrôle de la contribution versée à l'exploitant par la personne publique en contrepartie des obligations de service public imposées, et ces dispositions s'appliquent aux contrats en cours ;

- les premiers juges ont, à juste titre, considéré que les stipulations du contrat ne garantissaient pas l'absence de surcompensation ;

- l'article 8.2 du règlement n'a ni pour objet ni pour effet de reporter à une date ultérieure à la publication du règlement l'application de ses dispositions relatives à la détermination de la compensation de service public ;

- dès lors que l'expertise de chiffrage détaillé du service public TER en PACA pour 2016 réalisée par CFTA aboutissait à un devis alternatif inférieur de près de 10 % à celui proposé par SNCF Mobilités, elle ne pouvait que considérer, jusqu'à démonstration contraire, que la contribution prévisionnelle résultant de l'application des dispositions contractuelles par l'opérateur historique était excessive au sens de l'annexe du règlement ;

- la formule de calcul de la compensation prévue par la convention n'est pas identique à celle que suggère l'annexe au règlement CE n° 1370/2007 ;

- cette illégalité est, classiquement, source de responsabilité pour faute de l'administration, mais est également susceptible d'engager sa responsabilité financière en cas de condamnation de l'Etat par la CJUE pour aide illégale et entraine, en outre, une obligation de remboursement de la part du destinataire de l'aide ;

2°) sur sa bonne foi dans l'exécution du contrat :

- en l'espèce, il est ressorti des premiers résultats de l'expertise de reconstitution des coûts du service 2016 commandée par la région que le devis 2016 adressé par SNCF Mobilités se fondait sur un niveau de charges trop élevé, et en tout état insuffisamment justifié ;

- l'argument tiré de la méconnaissance du principe de loyauté contractuelle est inopérant, la région étant, au demeurant, dans l'obligation légale d'écarter les dispositions contractuelles en cause ;

- SNCF Mobilités n'est pas fondé à prétendre que le fait que les stipulations contractuelles en cause ne prévoiraient en elles-mêmes aucun versement prédéterminé et que leur mise en œuvre serait conditionnée à l'intervention d'une décision ultérieure de la région serait de nature à interdire à cette dernière d'écarter les clauses financières du contrat, la jurisprudence sur laquelle il se fonde n'étant pas transposable aux faits de l'espèce.

Par ordonnance du 28 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 octobre 2021 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, et notamment ses articles 61-1 et 62 ;

- le règlement (UE) n° 2016/2338 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2016 modifiant le règlement (CE) n° 1370/2007 en ce qui concerne l'ouverture du marché des services nationaux de transport de voyageurs par chemin de fer ;

- le règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) n° 1191/69 et (CEE) n° 1107/70 du Conseil ;

- la décision CJUE du 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH, n° C-280/00 ;

- la décision CJUE du 6 octobre 2015, Commission européenne c. Jørgen Andersen, C-303-13/P, point 54 ;

- la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;

- la loi n° 2014-872 du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire ;

- le décret n° 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités ;

- le décret n° 2016-327 du 17 mars 2016 relatif à l'organisation du transport ferroviaire de voyageurs et portant diverses dispositions relatives à la gestion financière et comptable de SNCF Mobilités ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... Taormina, rapporteur,

- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Gaudemet pour l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités et de Me Goutal pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Une note en délibéré, présentée pour SNCF Mobillités, a été enregistrée le 7 janvier 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu le 11 décembre 2006 entre la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et la SNCF pour dix ans, avec effet du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016, l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités a adressé à la région PACA, par courrier du 10 juillet 2015, son pré-devis pour l'exercice 2016 et a établi le montant de sa contribution financière à la charge de la région PACA à la somme de 285 927 000 euros toutes taxes comprises, devis qui a été porté par le courrier du 30 septembre 2015 à la somme de 289 356 000 euros. Par sa délibération n° 16-808 du 3 novembre 2016, le conseil régional de la région PACA a décidé de retenir un montant de contribution prévisionnelle régionale annuelle au titre de l'exercice 2016 arrêté à la somme de 241 610 588 euros toutes taxes comprises, au motif d'un niveau de charges identifié par SNCF Mobilités trop élevé et insuffisamment justifié, et d'un objectif de recettes dont a été déduite la prise en charge à 50 % par la région des pertes de recettes attribuées aux conséquences de l'attentat de Nice du 14 juillet 2016. Par courrier du 23 décembre 2016, SNCF Mobilités a contesté le montant de 241 610 588 euros retenu pour la contribution financière prévisionnelle 2016, estimant que l'application des prescriptions contractuelles aboutit à un montant de contribution financière de 281 939 270 euros, soit un écart de 40 328 682 euros, et a sollicité en conséquence l'indemnisation de son préjudice. Par courrier du 16 février 2017, la région PACA a rejeté cette demande. Devant le tribunal administratif de Marseille, la région PACA a soutenu qu'elle a été contrainte d'écarter ces stipulations contractuelles dont SNCF Mobilités revendique l'application, dès lors que l'application de ces clauses contractuelles conduirait à une situation illégale eu regard du droit communautaire.

2. SNCF Mobilités relève appel du jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019, en tant que le tribunal administratif de Marseille a annulé le contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre la région PACA et la SNCF pour la période 2007/2016.

Sur le désistement de l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités :

3. Dans sa requête d'appel enregistrée le 20 décembre 2019, l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités demandait à la Cour d'annuler le jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019 rendu par le tribunal administratif de Marseille, de condamner, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute ou sans faute, et subsidiairement sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle, la région PACA à lui verser la somme de 48 237 374 euros, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016 avec capitalisation, et à lui verser la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par mémoire enregistré le 26 mars 2021, l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités a demandé à la Cour de lui donner acte de son désistement partiel, d'instance et d'action, au titre de sa demande de condamnation de la région PACA à lui verser la somme de 48 237 374 euros assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, avec capitalisation desdits intérêts au titre de l'exercice 2016 et à lui verser la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ce désistement partiel est pur et simple et rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Si SNCF Mobilités soutient que le jugement est insuffisamment motivé, faute d'expliquer en quoi le caractère forfaitaire des charges C1 ferait par principe obstacle à la juste évaluation de la compensation de service, et faute d'évoquer la raison qui interdirait à SNCF Mobilités de faire utilement valoir que le niveau de charges unilatéralement évalué par la région ne couvrirait plus ses charges réelles, il résulte du jugement querellé que le tribunal administratif de Marseille a considéré qu'une évaluation forfaitaire des charges ne pouvait pas permettre une juste évaluation de la compensation due au titre des obligations de service public et que seules les charges évaluées à leur niveau réel pouvaient être compensées. Dès lors, SNCF Mobilités n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé. Par suite, le moyen formulé à ce titre doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. L'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 15 octobre 2019 en tant qu'il a prononcé l'annulation du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre la région PACA et la SNCF pour la période 2007/2016.

6. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

7. Alors que la convention en cause a été conclue le 11 décembre 2006 avec l'établissement public SNCF, la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire a institué le groupe public ferroviaire constitué de la SNCF, de SNCF Réseau et de SNCF Mobilités, et ce dernier assure, selon l'article 3 du décret du 10 février 2015, " conformément aux dispositions du même règlement [règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement et du Conseil du 23 octobre 2007] les services de transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt régional dans les conditions prévues par les articles L. 2121-3 à L. 2121-9 du code des transports ". L'article 17 du décret du 17 mars 2016 précise ainsi en son 7° que la convention qui doit désormais être conclue entre la région et SNCF Mobilités définit en particulier les contributions financières dues au titre de l'exécution des services d'intérêt régional conventionnés et calculées conformément aux dispositions de l'article 6 du règlement (CE) n° 1370/2007 du 23 octobre 2007, selon lequel toute compensation liée à un contrat de service public doit respecter, quelles que soient les modalités d'attribution du contrat, les dispositions de l'article 4, lesquelles disposent que les contrats de service public " établissent à l'avance, de façon objective et transparente : i) les paramètres sur la base desquels la compensation, s'il y a lieu, doit être calculée, et ii) la nature et l'ampleur de tous droits exclusifs accordés, de manière à éviter toutes surcompensation. (...) ces paramètres sont déterminés de façon qu'aucune compensation ne puisse excéder le montant nécessaire pour couvrir l'incidence financière nette sur les coûts et les recettes occasionnés par l'exécution des obligations de service public en tenant compte des recettes y relatives conservées par l'opérateur de service public ainsi que d'un bénéfice raisonnable ". Selon le c) de ce même article 4 du règlement (CE) n° 1370/2007 du 23 octobre 2007, les contrats de service public et les règles générales " définissent les modalités de répartition des coûts liés à la fourniture des services. Ces coûts peuvent comprendre notamment les coûts de personnel, d'énergie, d'infrastructure, de maintenance et de réparation des véhicules de transport public, du matériel roulant et des installations nécessaires au fonctionnement des services de transport de voyageurs, des coûts fixes et une rémunération appropriée du capital ". Selon l'annexe 2 du règlement : " la compensation ne peut pas excéder un montant correspondant à l'incidence financière nette, équivalant à la somme des incidences, positives ou négatives, dues au respect de l'obligation de service public sur les coûts et les recettes de l'opérateur de service public ", " le calcul des coûts et des recettes [devant] être effectué en conformité avec les règles comptables et fiscales en vigueur ".

8. En premier lieu, aux termes de l'article VI.1 de la convention TER 2007/2016 relatif aux éléments constitutifs du compte d'exploitation contractuel annuel : " VI.1.1 La constitution des charges: VI.1.1.1 Eléments constitutifs des charges annuelles d'exploitation : compte tenu des conditions d'exploitation du service public TER et des principes régissant les prises de risque respectives de la SNCF et de la Région, les parties s'accordent sur le fait que la SNCF assume les risques sur les charges dont elle a la maîtrise telles que décrites ci-dessous. Les autres charges, dont la SNCF n'a pas la maîtrise, sont répercutées à l'euro à la Région. Ces charges sont égales à la somme des deux composantes suivantes : C1 : montant des charges forfaitisées, C2 : montant des autres charges... VI.1.1.2 : Evolution des charges C1 : A offre constante, la SNCF s'engage sur un montant de charges C1 sur la durée du présent contrat. / Les indices initiaux sont constitués par la moyenne de l'année civile 2007. Les valeurs prévisionnelles de l'année N sont prises en compte pour calculer la contribution prévisionnelle de l'année N ; au moment du décompte définitif, la régularisation portera sur l'évaluation définitive des indices de l'année N par rapport à ceux de l'année 2007. / Règles d'indexation : Le montant des charges C1, hors frais de structure, est indexé chaque année N à partir de 2008, selon la règle d'indexation suivante : ...Modification des charges : la modification d'une de ces composantes de l'offre de service se traduit par la prise en compte des conséquences sur le montant du forfait de charges C1. La modification du forfait de charges intervient soit au cours du service annuel soit à l'occasion du changement de service. / Le processus suivi par les parties est réalisé dans les conditions prévues à l'article IV.1.1 pour ce qui concerne les modifications de dessertes... ".

9. Aux termes de l'article VI.1.2.2 de la convention TER 2007/2016 relatif à l'objectif de recettes : " L'objectif de recettes utilisé pour le calcul de la contribution financière annuelle de la région est fixé par les parties, sur proposition de la SNCF, le 31 août de l'année N+1 pour l'année N... Si les deux parties ne sont pas parvenues à un accord au 31 décembre de l'année N-1, l'objectif de recettes de l'année N sera déterminé automatiquement en fonction : - de l'objectif de recettes de l'année N-1, corrigé de l'évolution constatée sur les mois écoulés pour lesquels ces informations sont disponibles et ont été communiquées par la SNCF à la région ; - d'une augmentation tarifaire nationale égale à la moyenne de celles pratiquées les deux exercices précédents ; - de l'incidence des modifications de l'offre décidées par la région... ".

10. Aux termes de l'article VI.2 de la convention TER 2007/2016 relatif au calendrier d'élaboration du compte d'exploitation contractuel annuel : " Pour chaque exercice annuel, le compte d'exploitation contractuel fait l'objet d'un devis annuel, établi le 31 août de l'année N-1 et qui tient compte : - de l'effet sur l'année N des mesures déjà décidées, - de toute mesure connue ou prévisible pour le reste de l'année N. / Ce devis annuel fixe le niveau prévisionnel des charges (CP) ainsi que l'objectif de recettes (OR sur la base de R1+CT1+CT2+CT3). Il permet ainsi de déterminer le montant, en euros et hors taxes, de la contribution d'exploitation prévisionnelle annuelle de la région (SP). / La contribution financière prévisionnelle annuelle de la région est versée par acomptes mensuels conformément aux articles ci-dessous. / Le devis annuel est approuvé par le conseil régional avant le 31 décembre de l'année N-1 dans le cadre d'un avenant au présent contrat. (...) / Le compte d'exploitation contractuel définitif de l'année N, établi notamment sur la base du devis et des éventuels avenants au présent contrat ayant des incidences sur le compte d'exploitation contractuel de l'année N sera présenté par la SNCF, au plus tard le 30 juin de l'année N+1, pour être approuvé par la région. / La contribution financière définitive de la région sera déterminée sur la base du compte d'exploitation contractuel définitif tel qu'exprimé à l'article VI.3.2.2. Le règlement de la contribution financière définitive interviendra conformément aux principes énoncés ci-dessous... ".

11. Aux termes de l'article VI.3.2.2 de la même convention relatif à la détermination de la contribution financière définitive de la région : " Le montant définitif de la contribution financière annuelle de la Région est arrêté en fin d'exercice en fonction des dispositions ci-dessous. La contribution financière prévisionnelle de la Région est ajustée sur la base : a) de l'écart constaté entre, d'une part, l'objectif de recettes et d'autre part les recettes (R1) réellement constatées et calculées selon les principes du règlement FC12K recettes. (...) b) des bonus-malus et pénalités, prévus à l'article VI.3.2.1, c) de l'impact de l'ajustement de la formule d'indexation appliqué au terme C1, d) du différentiel entre le réel des charges C2 et le prévisionnel, tel qu'il résulte du devis annuel et des devis modificatifs, e) des conséquences financières des réparations dues au vandalisme telles que décrites à l'article V.3.2,f) des charges de trésorerie incombant à la SNCF imputables aux retards de paiement des acomptes et toute autre somme due par la Région à la SNCF au titre du présent contrat, g) de tout autre montant arrêté d'accord entre les parties (notamment perturbations exceptionnelles et mesures d'urgence des articles III.2.1. et III.2.2), h) éventuellement de minoration de charges. ".

12. En deuxième lieu, si SNCF Mobilités soutient que le règlement CE 1370/2007 du 23 octobre 2007 n'était pas applicable ratione temporis au contrat, qui avait été conclu fin 2006, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans sa décision du 6 octobre 2015, Commission européenne c. Jørgen Andersen, C-303-13/P, point 54, que les règles du règlement CE 1370/2007 du 23 octobre 2007 relatives aux aides d'Etat s'appliquaient aux aides versées à compter du 3 décembre 2009, même en vertu d'un contrat conclu antérieurement à la date d'entrée en vigueur de ce règlement. Au demeurant, ce règlement met en œuvre, en la précisant, l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a faite de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dans sa décision du 24 juillet 2003 Altmark Trans GmbH, n° C-280/00, texte qui prohibe, sauf dérogation prévue par les traités, les aides publiques qui menacent de fausser la concurrence entre entreprises des Etats membres en favorisant certaines d'entre elles. L'article 108 dudit traité prévoit que tout projet tendant à instituer une telle aide doit être notifié en temps utile à la Commission européenne. Dans sa décision précitée du 24 juillet 2003, la Cour de justice de l'Union européenne précise que toute subvention versée à un concessionnaire de service public a le caractère d'une aide d'Etat, sauf si elle ne vise, de manière objective et transparente, qu'à la stricte compensation des obligations de service public pesant sur le concessionnaire. Dès lors, SNCF Mobilités n'est pas fondé à soutenir que le règlement CE 1370/2007 du 23 octobre 2007 n'est pas applicable aux contrats en cours. Le moyen formulé à ce titre doit, par suite, être écarté.

13. En troisième lieu, il résulte des dispositions du règlement (CE) n° 1370/2007 du 23 octobre 2007 que, alors même que SNCF Mobilités bénéficie de droits exclusifs pour la fourniture de services de transport ferroviaire régional de voyageurs, la compensation financière qui lui est attribuée doit être justifiée, sauf à être qualifiée d'aide illégale par la Cour de justice de l'Union européenne et à entraîner, dans cette hypothèse, l'engagement de la responsabilité de la région PACA en application de l'article L. 1611-10 du code général des collectivités territoriales.

14. En l'espèce, si SNCF Mobilités soutient que la règle européenne de stricte compensation ne s'oppose pas par principe à la détermination forfaitaire des charges, dès lors que celles-ci restent toujours inférieures aux coûts résultant des obligations de service public, il résulte de la jurisprudence précitée de la Cour de justice de l'Union européenne qu'outre la prohibition de toute surcompensation non autorisée au titre des aides d'Etat, le montant de la compensation doit être établi de manière objective et transparente de telle manière que les obligations de service public à compenser soient clairement définies, que les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation soient préalablement établis de façon objective et transparente, que la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour permettre à l'entreprise d'atteindre un niveau de rentabilité considéré comme raisonnable pour les entreprises du secteur concerné et enfin, que le niveau de la compensation nécessaire soit déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes et d'un bénéfice raisonnable.

15. Il résulte de l'instruction que le mécanisme de détermination des charges forfaitisées C1 tel qu'il est prévu dans la convention TER 2007/2016, et dont le montant est annexé chaque année N à partir de 2007 pour les frais de structure et à partir de 2008 pour les autres charges, comprenne les charges de maintenance du matériel, les charges d'accompagnement et de conduite, les charges des établissements d'exploitation pour la quote-part TER, le forfait de service des gares nationales visées à l'annexe 3 du cahier des charges, les charges d'entretien des installations fixes, les charges de fourniture et d'alimentation en énergie (électricité, diesel), les charges routières non comprises dans les charges de substitution (hors perturbations et mesures exceptionnelles), les charges de structure régionales et nationales de gestion du TER, les charges de capital et financières des installations fixes, les charges de location du matériel roulant à un organisme non financier, le solde entre les recettes et les dépenses résultant des échanges de matériel roulant et de locomotives entre activités SNCF, les charges liées à la réalisation des études récurrentes prévues au cahier des charges, les charges d'interpénétration liées aux relations avec l'Italie minorées des recettes afférents, une rémunération pour risques et aléas calculée sur la base de 3,7 % du montant des charges C1. Le risque induit de surcompensation résulte de l'absence de séparation comptable des différentes activités de SNCF Mobilités, et du fait que SNCF Mobilités n'a pas présenté à la région, en méconnaissance de l'article L. 2133-4 du code des transports, des règles de séparation comptable pour l'établissement des comptes relatifs au périmètre des activités de transport ferroviaire de voyageurs, ainsi que l'a relevé l'autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) dans sa décision n° 2016-220 du 13 décembre 2016 qui relève également que les refacturations entre activités apparaissent effectuées sur la base de coûts prévisionnels du prestataire et non réellement constatés, alors que " les éventuelles absences de régularisations par rapport aux coûts réels de la prestation devraient être justifiées, et leur impact financier chiffré, afin de s'assurer de l'absence de risque de sous ou surfacturation entre activités ".

16. Ni le contrat ni aucun autre élément du dossier ne permet d'évaluer le coût des obligations de service public, les charges totales supportées par SNCF Mobilités en 2007 ayant été calculées puis déduites des recettes ne provenant pas de la région PACA, c'est-à-dire des recettes d'exploitation ou annexes ainsi que des contributions pour tarifs sociaux ne provenant pas davantage de la région, pour déterminer le déficit d'exploitation que la contribution de la région a pour objet de compenser à l'euro près. Dans ces charges compensées, SNCF Mobilités inclut sa rémunération fixée à un montant fixe de 7 018 002 euros correspondant à 6,5 % environ de l'objectif de chiffre d'affaires pour 2007. Par ailleurs, ce mécanisme de calcul permet à SNCF Mobilités d'accroître mécaniquement son bénéfice en comprimant ses charges, la plus grande partie des charges, soit 196 693 744 euros sur un total de 259 478 436 euros c'est-à-dire 75,80 %, étant évaluée de manière forfaitaire, donc n'évoluant pas tout au long de la période. Le bénéfice engrangé par SNCF Mobilités correspond ainsi à la différence entre les charges réellement supportées et les charges remboursées par la région.

17. Du fait de ce mode de calcul, la contribution de la région a pour effet de limiter en grande partie le risque d'exploitation, puisqu'elle est égale à la différence entre les charges et les recettes. SNCF Mobilités n'encourt dès lors qu'un seul risque du fait de l'exploitation, au cas où elle laisserait le montant des charges réellement supportées s'accroître pour venir dépasser le montant des charges telles que largement forfaitisées dans le contrat et indexées. Le contrat litigieux garantit donc à SNCF Mobilités une rémunération constante, quelle que soit le nombre d'usagers, de sorte que même en cas de fréquentation nulle, SNCF Mobilités percevra une contribution suffisante pour lui permettre de couvrir l'ensemble de ses charges tout en faisant un bénéfice opérationnel de l'ordre de 7 millions d'euros par an. Ainsi, la contribution, qui est censée dépendre exclusivement des obligations de service public, est de nature à augmenter mécaniquement en cas de baisse du nombre d'usagers.

18. Faute d'identifier de manière objective et transparente les charges liées aux obligations de service public, la contribution de la région doit dès lors être regardée comme une aide d'Etat soumise à l'exigence de la notification à l'Union européenne. En l'absence d'une telle notification, le contrat, qui a un contenu illicite, doit, de ce fait et nonobstant le principe de loyauté des relations contractuelles, être écarté. Par suite, SNCF Mobilités n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement n° 1705056 du 15 octobre 2019 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif de Marseille a annulé le contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre la région PACA et la SNCF pour la période 2007/2016.

D É C I D E :

Article 1er : Il est donné acte du désistement de l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités au titre de sa demande de condamnation de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur à lui verser la somme de 48 237 374 euros assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, avec capitalisation desdits intérêts au titre de l'exercice 2016 et à lui verser la somme de 50 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités et à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 5 janvier 2022, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. A... Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 janvier 2022.

N° 19MA05647 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA05647
Date de la décision : 19/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

39-03-01-02-03 Marchés et contrats administratifs. - Exécution technique du contrat. - Conditions d'exécution des engagements contractuels en l'absence d'aléas. - Marchés. - Sous-traitance.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET JOFFE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-01-19;19ma05647 ?
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