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25/10/2021 | FRANCE | N°20MA01123

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 25 octobre 2021, 20MA01123


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F..., reconnu invalide à plus de 80 %, élève de 2ème cycle de formation de l'acteur au sein du conservatoire à rayonnement régional (CRR) du Grand Avignon, pôle théâtre, a obtenu le 21 juin 2014 le brevet d'études théâtrales, validant le cycle 2. Il a alors demandé son admission en cycle 3 dit " spécialisé ", mais le conseil pédagogique de l'établissement a décidé le 27 juin 2014 de ne pas l'admettre en cycle spécialisé, de ne pas le maintenir en cycle 2 dès lors qu'il avait obtenu l

e brevet et lui a proposé un suivi dans le cadre des ateliers de perfectionnement de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F..., reconnu invalide à plus de 80 %, élève de 2ème cycle de formation de l'acteur au sein du conservatoire à rayonnement régional (CRR) du Grand Avignon, pôle théâtre, a obtenu le 21 juin 2014 le brevet d'études théâtrales, validant le cycle 2. Il a alors demandé son admission en cycle 3 dit " spécialisé ", mais le conseil pédagogique de l'établissement a décidé le 27 juin 2014 de ne pas l'admettre en cycle spécialisé, de ne pas le maintenir en cycle 2 dès lors qu'il avait obtenu le brevet et lui a proposé un suivi dans le cadre des ateliers de perfectionnement des pratiques amateurs (APPA), afin qu'il puisse perfectionner sa pratique et présenter à nouveau sa candidature l'année suivante, et d'assister en tant qu'auditeur à l'ensemble des autres cours. Le 24 septembre 2014, après recours gracieux de M. F..., le directeur de l'établissement lui indiquait les motifs du refus de son admission en cycle spécialisé.

Par un jugement n° 1501622 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la requête de M. F... tendant à l'annulation de la décision du 27 juin 2014, confirmée le 26 septembre suivant, par laquelle le directeur du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon a refusé son admission en cycle spécialisé. Par arrêt n° 17MA01748 du 7 mai 2018, la Cour a annulé ce jugement, ensemble la décision du 27 juin 2014, confirmée le 24 septembre 2014, de refus d'admission en cycle spécialisé prise par le directeur du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon à l'encontre de M. F....

M. F... ayant, par une nouvelle requête, demandé que la communauté d'agglomération du Grand Avignon soit condamnée à lui verser la somme de 35 000 euros en réparation des préjudices moral et matériel ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence éprouvés du fait de l'illégalité de la décision annulée, le tribunal administratif de Nîmes a, par un jugement n° 1802436 du 30 décembre 2019, condamné celle-ci à lui payer une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de l'illégalité de la décision du 27 juin 2014, confirmée le 26 septembre 2014, par laquelle le directeur du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon a refusé son admission en cycle spécialisé.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 6 mars et 21 juillet 2020, M. B... F..., représenté par la SCP d'avocats Breuillot et Varo, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1802436 du 30 décembre 2019 en tant que le tribunal administratif de Nîmes n'a condamné la communauté d'agglomération du Grand Avignon à lui payer, en réparation de son préjudice, que la somme de 2 000 euros ;

2°) de condamner la communauté d'agglomération du Grand Avignon à lui payer la somme de 25 000 euros en réparation du son préjudice moral résultant de la discrimination dont il a fait l'objet, ainsi que du préjudice matériel et des troubles dans ses conditions d'existence causés par la décision illégale prise à son encontre annulée par la Cour ;

3°) de condamner la communauté d'agglomération du Grand Avignon à lui payer une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- son refus d'admission en cycle spécialisé est fautif, car discriminatoire à son égard, du fait de son handicap ;

- il a été privé de la possibilité de poursuivre des études qui lui auraient permis de préparer les concours des écoles supérieures d'art dramatique ; son préjudice moral est manifeste ; il éprouve un préjudice matériel constitué par l'obligation de payer un loyer en pure perte sur Avignon où il avait souscrit un nouveau bail dès l'annonce des résultats du brevet d'études théâtrales (BET) pour l'année scolaire 2014/2015 qu'il a obtenu, et a dû ainsi payer un loyer sur Avignon alors que sa formation ne pouvait se poursuivre et qu'il aurait ainsi pu retourner vivre au domicile de sa mère ;

- le tribunal administratif de Nîmes, dans sa décision du 30 décembre 2019, a, à tort, limité le montant de la réparation due à une somme de 2 000 euros.

Par mémoire en défense enregistré le 28 avril 2020, la communauté d'agglomération du Grand Avignon, représentée par Me d'Albenas, conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. F... à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le passage de second en troisième cycle n'est pas automatique, même en cas d'obtention du BET qui n'atteste que d'aptitudes à la pratique théâtrale en amateur ;

- M. F... ne démontre aucun fait laissant supposer l'existence d'une quelconque pratique discriminatoire à son égard ;

- si M. F... soutient que la décision litigieuse l'aurait privé de la chance de préparer les concours des écoles supérieures d'art dramatique, un tel préjudice est purement éventuel, l'intéressé n'apportant aucunement la preuve de ce qu'il avait des chances sérieuses, non seulement de réussir en cycle spécialisé, mais également de réussir au concours des écoles supérieures d'art dramatique ;

- aucune discrimination n'étant avérée, il ne peut prétendre à une indemnisation d'un quelconque préjudice moral à ce titre, ses prétentions étant, au demeurant, exorbitantes au regard de la jurisprudence en la matière ;

- il demeurait libre de donner congé de l'appartement dont il est locataire à Avignon pour ne pas devoir assumer l'ensemble des loyers pour l'année 2014-2015, alors, au demeurant, que ses prétentions à ce titre apparaissent en contradiction avec ses propres développements dès lors qu'il affirme lui-même être aujourd'hui membre d'une troupe amateur de théâtre située à Avignon, ce qui laisserait supposer que l'intéressé avait effectivement besoin de loger sur place.

Par ordonnance du 28 juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 septembre 2021 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... Taormina, rapporteur,

- les conclusions de M. E... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Teles pour la communauté d'agglomération du Grand Avignon.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... relève appel du jugement n° 1802436 du 30 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Nîmes a condamné la communauté d'agglomération du Grand Avignon à lui payer une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de l'illégalité de la décision du 27 juin 2014 par laquelle le directeur du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon a refusé son admission en cycle spécialisé et a rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de sa requête.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. En premier lieu, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, dès lors qu'il en résulte un préjudice direct et certain qui résulte de cette illégalité.

3. Il résulte de l'instruction que la décision du 27 juin 2014, confirmée le 26 septembre 2014, par laquelle le directeur du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon a refusé l'admission en cycle spécialisé de M. F... a été annulée par la Cour, pour avoir été prise en méconnaissance du règlement pédagogique " pôle théâtre " du conservatoire du 8 octobre 2013, lequel ne prévoyait pas de sélection à l'issue du cycle 2 d'études, pour être admis en cycle 3 de spécialité. Cette illégalité est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de la communauté d'agglomération du Grand Avignon.

4. En second lieu, il appartient à la personne qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de discrimination de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'une telle discrimination. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à toute discrimination. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de discrimination sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

5. Pour justifier le refus d'admission de M. F... en cycle spécialisé et son orientation vers une filière non professionnalisante, le directeur du conservatoire invoque la " non acquisition des fondamentaux ". L'obtention du brevet d'études théâtrales et les notes dont se prévaut M. F... ne sauraient à elles seules justifier l'acquisition de tels fondamentaux permettant une admission en cycle supérieur. Toutefois, en se bornant à opposer le caractère non contemporain du témoignage de Mme A..., compagne du requérant, la communauté d'agglomération du Grand Avignon ne conteste pas la véracité des faits relatés par celle-ci selon lesquels le directeur du conservatoire de l'époque, M. D..., et une enseignante du conservatoire, Mme G..., ont expliqué au requérant que, malgré son niveau et le fait qu'il possède les fondamentaux, sa maladie ne lui permettait pas de poursuivre en cycle spécialisé. De tels propos non démentis en défense, qui démontrent que la décision annulée par la Cour dans son arrêt n° 17MA01748 du 7 mai 2018 a été prise en considération du handicap dont est atteint M. F..., constitue de la part des instances décisionnaires du conservatoire une discrimination qui constitue une faute engageant à ce titre la responsabilité de la communauté d'agglomération du Grand Avignon. Dès lors, M. F... est fondé à invoquer une telle faute. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes a considéré que la responsabilité de la communauté d'agglomération du Grand Avignon n'était pas engagée à ce titre.

En ce qui concerne les préjudices :

6. En premier lieu, si M. F... est fondé à soutenir qu'une poursuite de ses études en cycle 3 du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon lui aurait permis de préparer les concours des écoles supérieures d'art dramatique dans de bonnes conditions, il ne démontre pas qu'il n'existe pas d'autres possibilités de préparer ces concours dans des conditions équivalentes et, par conséquent, qu'il aurait perdu des chances sérieuses d'être admis dans ces concours, au demeurant, très sélectifs. Il n'est, dès lors, par fondé à solliciter à ce titre l'indemnisation d'un préjudice. Par suite, le tribunal administratif de Nîmes était fondé à rejeter ses conclusions indemnitaires formulées à ce titre.

7. En deuxième lieu, dès lors que, comme il a été dit au point 5 du présent arrêt, la responsabilité de la communauté d'agglomération du Grand Avignon est engagée à l'égard du requérant pour avoir pris une décision de nature discriminatoire, M. F... est fondé à prétendre à une indemnisation de son préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre la somme de 10 000 euros. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nîmes n'a accueilli qu'à hauteur de la somme de 2 000 euros ses conclusions indemnitaires formulées à ce titre.

8. Enfin, en dernier lieu, si M. F... demande réparation du préjudice matériel résultant selon lui de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de payer un loyer en pure perte sur Avignon, il n'établit pas qu'il ait été contraint de conclure un bail par anticipation avant son admission certaine en cycle 3 du conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon. Par suite, le tribunal administratif de Nîmes était fondé à rejeter ses conclusions indemnitaires formulées à ce titre.

9. Il résulte de ce qui précède, que M. F... est fondé à demander la réformation du jugement n° 1802436 du 30 décembre 2019 rendu par le tribunal administratif de Nîmes, en ce qu'il a considéré que le conservatoire à rayonnement régional du Grand Avignon n'a pas pris de décision discriminatoire à son égard et n'a accueilli qu'à hauteur de 2 000 euros les conclusions indemnitaires formulées au titre de son préjudice moral.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Avignon une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. F... qui, dans la présente instance, n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la communauté d'agglomération du Grand Avignon et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La condamnation prononcée par le tribunal administratif de Nîmes dans son jugement n° 1802436 du 30 décembre 2019 à l'encontre de la communauté d'agglomération du Grand Avignon en réparation du préjudice moral causé à M. F... est portée à la somme de 10 000 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1802436 du 30 décembre 2019 rendu par le tribunal administratif de Nîmes est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Il est mis à la charge de la communauté d'agglomération du Grand Avignon une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. F... est rejeté.

Article 5 : Les conclusions de la communauté d'agglomération du Grand Avignon tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F... et à la communauté d'agglomération du Grand Avignon.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. C... Taormina, président assesseur,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2021.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA01123
Date de la décision : 25/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Gilles TAORMINA
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET BREUILLOT et VARO

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-10-25;20ma01123 ?
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