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28/06/2021 | FRANCE | N°20MA00466

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 28 juin 2021, 20MA00466


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'université Aix-Marseille à lui verser une somme de 186 146 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estimait avoir été victime et de mettre à la charge de cette dernière une somme de 5 000 euros au titre des frais du litige.

Par un jugement n° 1706265 du 2 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requê

te et des mémoires, enregistrés le 5 février 2020 ainsi que les 26 février 2021 et 26 mars 2021,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'université Aix-Marseille à lui verser une somme de 186 146 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estimait avoir été victime et de mettre à la charge de cette dernière une somme de 5 000 euros au titre des frais du litige.

Par un jugement n° 1706265 du 2 décembre 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 5 février 2020 ainsi que les 26 février 2021 et 26 mars 2021, M. B..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner l'université Aix-Marseille à lui verser la somme totale de 166 148 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis ;

3°) d'ordonner, d'une part, une enquête administrative sur sa situation et, d'autre part, la saisine du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;

4°) de mettre à la charge de l'université Aix-Marseille, outre les dépens, une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la faute de l'université d'Aix-Marseille n'était pas établie au vu des pièces versées aux débats et que les éléments du dossier n'étaient pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de cette université à son égard ;

- l'absence d'affectation à une unité de recherche depuis 2011 lui a fait perdre nombre de responsabilités scientifiques alors que réaliser des travaux de recherche est un droit conféré par le statut d'enseignant-chercheur et conséquemment un devoir ;

- il a été évincé du projet de création d'une unité de recherche intitulée S.P.O.R.T en 2011 sans même en avoir été informé ;

- alors qu'il a sollicité sa réintégration au sein de l'institut des sciences du mouvement, demande que le conseil de laboratoire a accepté le 28 janvier 2013, le conseil scientifique a émis un avis négatif et le conseil d'administration de l'université d'Aix-Marseille n'a jamais été saisi par ce conseil scientifique alors que lui incombe la décision finale ; à ce jour, sa demande de rattachement à l'institut des sciences du mouvement reste toujours en suspens et ses demandes d'éclaircissement de septembre 2015, novembre 2015 et avril 2016 sont restées sans réponse ;

- aucune proposition d'affectation sérieuse ne lui a été faite, les deux qui lui ont été soumises étant fantaisistes car ne se rattachant pas à son domaine de compétence ; cette absence de proposition caractérise une " placardisation " et relève d'une situation d'humiliation et de harcèlement moral ;

- il est contraint, de ce fait, d'enseigner dans un IUT à La Ciotat, distant de 30 kms des premiers laboratoires de recherche marseillais, qui ne présente pas le statut d'unité de formation de recherche et ne dispose d'aucun laboratoire de recherche ; il est ainsi enfermé dans un rôle pédagogique inapproprié à ses compétences et est empêché de remplir sa fonction de directeur de recherches et d'encadrement des étudiants appelés à travailler sous sa responsabilité, tout en dispensant des enseignements de travaux pratiques moins rémunérateurs que les cours magistraux qu'il dispensait à l'université Aix-Marseille ;

- il est empêché de développer et d'améliorer ses compétences pédagogiques acquises du fait notamment des refus qui lui sont opposés à participer à des colloques ou séminaires de formation ;

- il a perdu de facto nombre de responsabilités scientifiques ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, son incorporation dans la réserve opérationnelle à partir de l'année 2017 ne constitue pas un cumul d'activités de recherche mais un cumul d'activités de rémunération ;

- depuis 2012 lui a été retirée la direction d'une thèse sans aucun avertissement préalable ni consultation du conseil scientifique pourtant prévue aux articles 26 et 27 des statuts de l'université ;

- l'ensemble de ces faits constituent une diminution des tâches confiées, une privation de travail, un changement d'affection injustifié, un dénigrement, des pressions psychologiques et une dégradation de travail ;

- il a subi un préjudice financier du fait de la perte de la prime de l'excellence scientifique de 6 700 euros calculée sur une période de 12 ans, soit 80 400 euros ;

- la perte de jouissance de son matériel scientifique lui a causé un préjudice à hauteur de 75 000 euros, le matériel acheté sur les contrats de recherche ASO-Tour de France, DRET CNRS et CG 13 n'ayant jamais été porté à l'inventaire de l'université ;

- les frais médicaux engendrés par sa dépression doivent être indemnisés à hauteur de 748 euros ;

- il a subi un préjudice moral qui sera justement réparé par l'octroi d'une somme de 10 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 mai 2020 et 15 mars 2021, l'université Aix-Marseille, représentée par Me H..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel est entachée d'un défaut de motivation ;

- les moyens présentés par M. B... sont infondés.

Par ordonnance du 16 mars 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 9 avril 2021.

Vu la note en délibéré produite le 25 juin 2021 par l'université Aix-Marseille .

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet ;

- le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme F... Massé-Degois, rapporteure,

- les conclusions de M. C... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me G... pour M. B... et de Me E... substituant Me H... pour l'université d'Aix-Marseille.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été nommé en qualité de professeur des universités à l'université d'Aix-Marseille à compter d'avril 1998 avant d'être nommé à la classe exceptionnelle des professeurs des universités le 1er octobre 2003. Il a sollicité, par un courrier daté du 5 avril 2017, le bénéfice de la protection fonctionnelle auprès du président de l'université Aix-Marseille ainsi que l'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral dont il estimait être victime. Le silence gardé sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'université d'Aix-Marseille à lui verser la somme totale de 186 146 euros en réparation des préjudices subis au titre du harcèlement moral dont il dit avoir fait l'objet et demande à la Cour d'annuler ce jugement et de condamner l'université Aix-Marseille à lui payer la somme de 166 148 euros au titre de ses préjudices.

Sur la fin de non-recevoir opposée par l'université d'Aix-Marseille :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête ... Elle contient l'exposé des faits et moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

3. Contrairement à ce que soutient l'université d'Aix-Marseille, la requête de M. B... ne se borne pas à reproduire purement et simplement sa demande devant le tribunal administratif de Marseille mais comporte des précisions quant aux raisons pour lesquelles il estime que c'est à tort que ce tribunal a jugé qu'il n'établissait pas l'existence de la faute commise par l'université Aix-Marseille de nature à engager sa responsabilité et que les éléments produits à l'instance n'étaient pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral de la part de cette université à son encontre. Sa requête d'appel satisfaisant ainsi aux exigences des dispositions précitées de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, la fin de non-recevoir opposée par l'université Aix-Marseille doit être écartée.

Sur les conclusions indemnitaires :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant sur les droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ".

5. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

6. En premier lieu, d'une part, M. B... soutient qu'au cours de l'année 2011, le doyen de la faculté des sciences du sport ainsi que le vice-président de la Recherche de l'université de méditerranée, devenue Aix-Marseille Université, lui ont demandé d'assurer le montage, le portage et le suivi de la création de l'unité de recherche " S.P.O.R.T " puis lui ont demandé de répondre à l'évaluation négative faite par l'Agence d'Evaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (AERES) quant à l'opportunité de la création de cette unité et que, après la finalisation de cette unité de recherche, son nom a été retiré de l'organigramme de celle-ci, sans même qu'il en ait été informé. D'autre part, M. B... fait valoir que, alors qu'il a sollicité son affectation au sein de l'Institut des Sciences du Mouvement (ISM), unité de recherche, laquelle a été validée par vote, tant par le comité de direction de l'institut de l'ISM dans sa séance du 20 décembre 2012 que par le conseil de laboratoire de l'ISM dans sa séance du 28 janvier 2013 et que sa demande d'affectation est restée en suspens après que le conseil scientifique de l'université ait décidé, dans sa séance du 16 avril 2013, d'ajourner sa décision et d'examiner sa demande ultérieurement dès lors " qu'une réflexion [devait] être engagée entre les différents protagonistes afin de traiter sereinement l'affectation recherche " le concernant, il n'a, à ce jour, reçu aucune décision expresse. Par ailleurs, M. B... fait valoir qu'il appartenait au conseil d'administration, en pareil cas, de se prononcer en dernier lieu, et que ces demandes d'éclaircissements sont restées jusqu'à ce jour sans réponse, témoignant ainsi d'une situation d'obstruction à ses activités de recherche. M. B... soutient également, à cet égard, que les propositions d'affectation qui lui ont été faites au sein de l'unité de recherche " NORT " et de l'unité de recherche " DS-ACI " sont fantaisistes dans la mesure où étant électro-physiologiste, ses compétences relèvent de la neuropharmacologie expérimentale, de la mise en oeuvre de questionnaires de santé publique et de mesures des aptitudes physiques de sujets alors que les outils méthodologiques utilisés dans ces deux unités relèvent de la biochimie, de la biologie cellulaire et de la biologie moléculaire. Enfin, M. B... fait valoir qu'il ne peut davantage exercer une activité de recherche au sein de l'IUT de La Ciotat, auquel il a été affecté après l'intervention du médiateur de l'Université.

7. En deuxième lieu, M. B... soutient que, alors qu'il dirigeait la thèse d'un étudiant, la direction de cette thèse lui a été retirée sans avertissement ni consultation préalable du conseil scientifique et que, par ailleurs, il a lui été interdit d'entamer la direction de thèses de deux étudiants.

8. En troisième lieu, M. B... fait valoir que les refus que lui a opposés l'université Aix-Marseille d'utiliser les matériels de recherche de l'ISM et d'accéder aux salles du laboratoire de cette unité témoignent d'une situation de harcèlement moral.

9. Ces éléments de fait ainsi soumis à la Cour par M. B..., au regard de l'examen des pièces du dossier, sont suffisants pour établir l'existence d'une présomption d'un harcèlement moral.

10. Cependant, les échanges contradictoires résultant de l'instruction ne permettent pas à la Cour, en l'état, d'apprécier si ces agissements sont justifiés ou non par des considérations étrangères à tout harcèlement moral. Il y a lieu, dès lors, d'ordonner avant dire droit un supplément d'instruction aux fins d'inviter l'université Aix-Marseille à produire, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification de l'arrêt de la Cour, tous éléments de nature à démontrer que les faits et agissements dont M. B... fait état sont étrangers à tout harcèlement, et notamment le retrait de son nom de l'organigramme de l'unité de recherche " S.P.O.R.T ", l'absence de suite donnée à sa demande de réintégration au sein de l'institut de sciences et du mouvement en dépit d'un avis favorable du conseil de laboratoire ainsi que les interdictions de diriger des thèses, d'utiliser les matériels de recherche de l'ISM et d'accéder aux salles du laboratoire, et de réserver, jusqu'en fin d'instance, les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.

D É C I D E :

Article 1er : Avant dire droit sur la requête de M. B..., il est ordonné à Aix-Marseille Université de produire, dans un délai de trois mois à compter de la notification de cette décision, tous éléments de nature à démontrer que les faits et agissements dont il fait état sont étrangers à tout harcèlement, et notamment le retrait de son nom de l'organigramme de l'unité de recherche " S.P.O.R.T ", l'absence de suite donnée à sa demande de réintégration au sein de l'institut de sciences et du mouvement en dépit d'un avis favorable du conseil de laboratoire ainsi que les interdictions de diriger des thèses, d'utiliser les matériels de recherche de l'ISM et d'accéder aux salles du laboratoire.

Article 2 : Tous droits et moyens des parties demeurent réservés, à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à l'université Aix-Marseille.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme F... Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2021

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N° 2000466


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA00466
Date de la décision : 28/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-01-03 Procédure. Instruction. Pouvoirs généraux d'instruction du juge. Production ordonnée.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : DANJOU

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-06-28;20ma00466 ?
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