Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les arrêtés du préfet des Alpes-Maritimes en date du 30 juillet 2020, d'une part, ordonnant sa remise aux autorités italiennes et prononçant à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an, d'autre part, prononçant son assignation à résidence pour une durée de 45 jours.
Par un jugement n° 2003449 du 3 septembre 2020, le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2020, M. D..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 3 septembre 2020 ;
2°) d'annuler les arrêtés du 30 juillet 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier en estimant que l'arrêté portant remise aux autorités italiennes était suffisamment motivé ;
- les premiers juges ont procédé d'office à une substitution de base légale, en se fondant sur les dispositions des articles L. 311-1 et L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans mettre les parties en mesure de présenter leurs observations sur ce nouveau fondement ;
- les premiers juges et le préfet ont renversé la charge de la preuve en relevant qu'il n'établissait pas être en conformité avec les articles 5 et 21 de l'accord de Schengen, alors qu'il effectue des allers-retours entre l'Italie et la France, dans la limite des trois mois prévues par ces stipulations ;
- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen relatif au bien-fondé de l'interdiction de circulation ;
- il ne pouvait faire l'objet d'une telle mesure dès lors que son séjour en France ne constitue pas un abus de droit et que son comportement ne représente pas une menace pour l'ordre public ;
- l'arrêté attaqué méconnaît l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour est susceptible de relever d'office le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en tant qu'il a été rendu par un magistrat désigné par le président du tribunal administratif, alors qu'en application de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la procédure contentieuse prévue par l'article L. 512-1 n'est pas applicable aux décisions de remise d'un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne.
Par un mémoire, enregistré le 2 décembre 2020, M. D... a répondu à ce moyen.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations du public avec l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A..., premier vice-président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., de nationalité tunisienne, demande l'annulation du jugement par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête dirigée contre les arrêtés du préfet des Alpes-Maritimes en date du 30 juillet 2020, d'une part, ordonnant sa remise aux autorités italiennes et prononçant à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an, d'autre part, prononçant son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne, en vigueur au 13 janvier 2009 ". L'article R. 776-1 du code de justice administrative dispose que sont instruites et jugées selon les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du chapitre VI du titre VII de son livre VII, " les conclusions tendant à l'annulation d'une autre mesure d'éloignement prévue au livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception des arrêtés d'expulsion, présentées en cas de placement en rétention administrative, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure ". Enfin aux termes de l'article R. 776-15 du même code, applicable en vertu de l'article R. 776-14, " aux recours dirigés contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence " : " Les jugements sont rendus, sans conclusions du rapporteur public, par le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cet effet ".
3. Il résulte de ces dispositions combinées que si l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'a pas rendu applicable la procédure contentieuse prévue par l'article L. 512-1 du même code aux décisions de remise à un Etat membre de l'Union européenne d'un étranger non ressortissant d'un tel Etat, les articles R. 776-1, R. 776-14 et R. 776-15 du code de justice administrative prévoient que le recours formé contre une de ces décisions relève de la compétence du président du tribunal administratif ou du magistrat qu'il désigne à cet effet, lorsque l'intéressé est assigné à résidence et qu'il conteste cette décision concomitamment avec la décision prononçant son assignation à résidence.
4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, M. D... a, par une requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nice le 1er septembre 2020, contesté les deux arrêtés du 30 juillet 2020 par lesquels le préfet des Alpes-Maritimes a, d'une part, ordonné sa remise aux autorités italiennes et prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an, et, d'autre part, prononcé son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Dans ces conditions, M. T. Kieffer, magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif, en application de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, était compétent pour statuer sur cette requête.
5. En deuxième lieu, si le premier juge a estimé utile, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 invoqué par le requérant, de se fonder sur les dispositions des articles L. 311-1 et L. 313-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il n'a pas, de ce fait, procédé à une substitution de la base légale de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que le premier juge aurait procédé à une telle substitution de base légale, sans en informer préalablement les parties, doit être écarté.
6. En troisième lieu, il résulte des termes de la requête de M. D... enregistrée au greffe du tribunal administratif qu'il n'a contesté la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français contenue dans le premier arrêté attaqué que par un unique moyen de légalité externe tiré du " défaut de motivation " de cette décision et n'a soulevé à son encontre aucun moyen de légalité interne tiré notamment de l'erreur de droit dont elle serait entachée. Si le requérant soutient qu'il a développé une telle argumentation lors de l'audience, il ne l'établit pas alors que les visas du jugement attaqué n'en témoignent pas. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que ce jugement est irrégulier faute d'avoir répondu à un moyen tiré de l'illégalité interne de la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français.
7. Enfin, hormis dans le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. M. D... ne peut donc utilement se prévaloir de la dénaturation des faits ou de l'erreur de droit qu'aurait commise le premier juge pour demander l'annulation du jugement attaqué.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions relatives à la décision de remise aux autorités italiennes :
8. En premier lieu, il résulte des termes du premier arrêté attaqué que M. D... a fait l'objet d'une décision de remise aux autorités italiennes, en application des dispositions de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aux motifs, d'une part, qu'il a présenté des documents italiens de nature à permettre sa réadmission dans ce pays et, d'autre part, qu'il se trouve en situation irrégulière en France, dès lors qu'il n'a pas justifié être en conformité avec les conditions fixées par les articles 5 et 21 de la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985. Contrairement à ce que soutient le requérant, l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile était visé de façon explicite par l'arrêté attaqué ce qui suffisait à l'énoncé des considérations de droit qui constituent le fondement de la décision, au sens de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, sans qu'il ait été nécessaire que ces dispositions soient expressément citées. Par ailleurs, la mention selon laquelle il se trouvait en situation irrégulière en France, faute de justifier être en conformité avec les conditions fixées par les articles 5 et 21 de la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, le mettait à même de comprendre les considérations de fait qui constituaient le fondement de cette décision, au sens de ces mêmes dispositions, et, le cas échéant, de les contester utilement devant le juge administratif. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté ainsi attaqué est insuffisamment motivé.
9. En deuxième lieu, il résulte des stipulations des articles 5 et 21 de la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 que les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par l'un des Etats parties à la convention peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage en cours de validité, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres Etats parties, sous réserve notamment de justifier de l'objet et des conditions de leur séjour et de disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée de ce séjour que pour le retour dans leur pays de provenance, ou d'être en mesure d'acquérir légalement ces moyens.
10. Contrairement à ce que soutient le requérant, il appartient bien, en application de ces stipulations, au ressortissant étranger titulaire d'un titre de séjour délivré par l'un des Etats parties à la convention de justifier qu'il remplit les conditions pour circuler sur le territoire d'un autre Etat partie. Le requérant ne peut sérieusement soutenir qu'il se trouvait en France pour un séjour limité de moins de trois mois alors qu'il ressort des pièces qu'il a lui-même produites qu'il est employé continument, depuis mai 2018, en qualité d'ouvrier agricole par une entreprise située à Auribeau-sur-Siagne (Alpes-Maritimes), et à temps complet depuis novembre 2018.
11. Enfin, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales et des droits de l'homme par adoption des motifs retenus par le premier juge, au point 16 du jugement attaqué, le requérant ne faisant valoir devant la Cour aucun élément distinct de ceux soumis à son appréciation sur la réalité, l'ancienneté et la stabilité des liens personnels et familiaux qui l'attacheraient au territoire français.
12. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions dirigées contre le premier arrêté attaqué du préfet des Alpes-Maritimes en tant qu'il a ordonné sa remise aux autorités italiennes.
En ce qui concerne les conclusions relatives à la décision prononçant une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an :
13. Aux termes du II de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision de remise prise en application du premier alinéa du I à l'encontre d'un étranger titulaire d'un titre de séjour dans un autre Etat membre de l'Union européenne d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans. /
Toutefois, cette interdiction de circulation sur le territoire français n'est applicable à l'étranger détenteur d'une carte de résident portant la mention "résident de longue durée-UE" en cours de validité accordée par un autre Etat membre ou d'une carte de séjour portant la mention "carte bleue européenne" en cours de validité accordée par un autre Etat membre de l'Union européenne (...) que lorsque (son) séjour en France constitue un abus de droit ou si (son) comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ".
14. M. D... soutient sans être contesté être titulaire d'une carte de séjour de longue durée établie par les autorités italiennes et produit, à cet effet, la copie d'un titre de séjour portant la mention " soggiornante di lungo periodo - UE " dont la durée de validité est illimitée. Dans ces conditions, une interdiction de circulation sur le territoire français ne pouvait être prononcée à son encontre que si son séjour en France constituait " un abus de droit " ou si son comportement personnel représentait une menace pour l'ordre public, au sens des dispositions précitées du II de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En se bornant à relever que l'intéressé ne démontre pas avoir habituellement résidé en France depuis son entrée sur le territoire, qu'il ne justifie pas la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, qu'il est célibataire et sans enfant et dispose de fortes attaches dans son pays d'origine, le préfet n'a caractérisé ni un abus de droit, ni une menace pour l'ordre public. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette décision, le requérant est fondé à soutenir que le préfet a commis une erreur de droit en assortissant la décision de remise dont il a fait l'objet d'une mesure d'interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.
15. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté les conclusions de M. D... dirigées contre le premier arrêté attaqué du préfet des Alpes-Maritimes en tant qu'il a prononcé à son encontre une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.
En ce qui concerne les conclusions relatives à l'arrêté assignant à résidence M. D... pour une durée de quarante-cinq jours :
16. Aucun moyen propre n'est dirigé contre le second arrêté attaqué dont l'annulation n'est demandée par le requérant que par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté ordonnant sa remise aux autorités italiennes.
17. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes prononçant son assignation à résidence.
Sur les frais liés au litige :
18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de M. D... présentée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 30 juillet 2020 est annulé en tant qu'il a prononcé à l'encontre de M. D... une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée d'un an.
Article 2 : Le jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2021, où siégeaient :
M. Philippe A..., président,
M. Laurent Marcovici, président assesseur,
M. Sylvain Merenne, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2021
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N° 20MA03424