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15/06/2021 | FRANCE | N°18MA05064

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 9eme chambre - formation a 3, 15 juin 2021, 18MA05064


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C..., aujourd'hui divorcée de M. G..., a demandé au tribunal administratif de Montpellier à titre principal, de condamner la société Orange à lui verser la somme de 442 973,40 euros en réparation de son entier préjudice consécutif à la maladie professionnelle subie suite à son exposition à des rayonnements ionisants.

Par un jugement n° 1602003 du 21 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la société Orange à verser à Mme C... d'une part la somme de 3 12

3,40 euros au titre des dépenses de santé et d'autre part celle de 10 000 euros à titr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C..., aujourd'hui divorcée de M. G..., a demandé au tribunal administratif de Montpellier à titre principal, de condamner la société Orange à lui verser la somme de 442 973,40 euros en réparation de son entier préjudice consécutif à la maladie professionnelle subie suite à son exposition à des rayonnements ionisants.

Par un jugement n° 1602003 du 21 septembre 2018, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la société Orange à verser à Mme C... d'une part la somme de 3 123,40 euros au titre des dépenses de santé et d'autre part celle de 10 000 euros à titre de provision sur l'indemnité réparant ses préjudices et a, avant de statuer sur les autres conclusions indemnitaires de la requête de Mme C..., ordonné une expertise.

Le rapport d'expertise a été enregistré le 7 février 2019.

Par mémoire enregistré le 29 mars 2019, Mme C... a ramené la somme sollicitée à titre de dommages et intérêts à hauteur de 300 136 euros.

Par un jugement n° 1602003 du 31 décembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a condamné la société Orange à verser à Mme C... la somme de 71 779,14 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2016 et de la capitalisation des intérêts sous déduction de la somme de 10 000 euros versée à titre provisionnel en exécution du jugement du tribunal du 21 septembre 2018, mis à la charge de définitive de la société Orange les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 070 euros ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 18MA05064, les 30 novembre 2018, 12 et 15 avril 2019, 11 septembre 2020, la société Orange, représentée par la SCP E... et Trichet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 septembre 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Le jugement est irrégulier en ce que les conclusions du rapporteur public n'ont pas été mises en ligne dans un délai raisonnable avant l'audience et les indications de ce dernier ne permettaient pas de connaitre sa position ;

- le tribunal aurait dû soulever d'office la prescription de l'action de Mme C... ;

- le tribunal, en retenant que la société Orange devait être regardée comme ayant reconnu implicitement l'imputabilité au service de la maladie professionnelle de Mme C..., a relevé un moyen d'office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à tous les moyens exposés par la société Orange ;

- il n'existe aucun lien de causalité entre l'activité de Mme C... et sa pathologie ;

- sa demande est prescrite ;

- comme elle l'a démontré devant le tribunal, aucun autre des moyens de l'intéressée n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er février et 16 mai 2019, Mme C..., représentée par la SCP Teissonniere et associés, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Orange d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa demande devant le tribunal était recevable et non prescrite ;

- les autres moyens soulevés par la société Orange ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 31 août 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 15 septembre 2020.

Par ordonnance du 14 septembre 2020, la clôture d'instruction a été reportée au 21 octobre 2020.

Un mémoire présenté pour la société Orange a été enregistré le 10 février 2021, postérieurement à la clôture d'instruction et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrée sous le n° 20MA00988, les 28 février, 2 avril et 6 mai 2020, la société Orange, représentée par la SCP E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 31 décembre 2019 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Montpellier ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce que les conclusions du rapporteur public n'ont pas été mises en ligne dans un délai raisonnable avant l'audience et étaient incomplètes, en ce que le tribunal administratif n'a pas répondu à tous les moyens exposés, en ce que les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ont été méconnues, le jugement ne mentionnant pas tous les mémoires et pièces produits devant le tribunal, en ce que les premiers juges ont statué ultra petita en accordant à Mme C... au titre de son déficit fonctionnel permanent résultant des souffrances endurées 60 000 euros alors qu'elle n'avait sollicité que 40 000 euros à ce titre et enfin en ce que le jugement est insuffisamment motivé s'agissant des sommes accordées au titre du déficit fonctionnel et du préjudice d'agrément ;

- contrairement à ce que le tribunal administratif a retenu au prix d'une inexactitude matérielle et d'une dénaturation des pièces du dossier, il y avait lieu de surseoir à statuer jusqu'à la décision de la cour administrative d'appel sur la requête formée par la société Orange à l'encontre du jugement du tribunal administratif du 21 septembre 2018 qui avait retenu sa responsabilité dans la survenance de la maladie professionnelle de Mme C... ;

- le tribunal a commis une inexactitude matérielle et une dénaturation des pièces du dossier en considérant que le déficit fonctionnel permanent résultant des souffrances endurées par Mme C... pouvait être évalué à 60 000 euros alors que l'expert avait évalué à 30 % le taux d'atteinte à l'intégrité physique et psychique et à 3 sur 7 lesdites souffrances après consolidation ;

- il a également commis une erreur de qualification juridique et une dénaturation des pièces du dossier en considérant que Mme C... avait subi un préjudice d'agrément qu'il convenait d'apprécier à hauteur de 3.000 euros alors que Mme C... n'avait pas justifié pratiquer d'activité sportive ou de loisirs spécifique ;

- il a aussi entaché son jugement d'une inexactitude matérielle et d'une dénaturation des pièces du dossier en considérant que Mme C... avait subi un préjudice sexuel évalué à la somme de 5 000 euros alors que ce préjudice avait été évalué à 2 sur une échelle de 7 par l'expert.

La requête a été communiquée à Mme C... qui n'a pas produit de mémoire.

III. Par une requête, enregistrée le 5 mars 2020 sous le n° 20MA01119, Mme C..., représentée par la SCP Teissonniere et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 31 décembre 2019 en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande ;

2°) de condamner la société Orange à lui verser la somme de 294 462 euros à titre de dommages et intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la société Orange une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est fondée à demander la somme de 9 104 euros au titre de l'assistance tierce personnes avant consolidation et 1 524 euros pour la période post consolidation ;

- elle a également subi un déficit fonctionnel temporaire partiel entre chaque période de DFTT jusqu'à consolidation qu'il convient d'indemniser à hauteur de 13 436 euros.

S'agissant des souffrances endurées elle est en droit de percevoir une somme de 40 000 euros :

- elle est également en droit de prétendre au versement d'une somme de 10 000 euros au titre de son préjudice esthétique temporaire ;

- elle est fondée à demander réparation des souffrances physiques et morales qu'elle endure à hauteur de 30 000 euros ;

- elle subit un préjudice esthétique permanent qu'il convient d'indemniser à hauteur de 10 000 euros ;

- son préjudice d'agrément doit être indemnisé à hauteur de 20 000 euros ;

- c'est par une juste appréciation que le tribunal a fixé l'indemnisation de son préjudice sexuel à la somme de 5 000 euros ;

- elle a subi un préjudice spécifique de contamination qui doit être indemnisé à hauteur de 40 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 septembre 2020, la société Orange, représenté par la SCP E... conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de Mme C... d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête de Mme C... n'est pas recevable faute de contenir une critique du jugement attaqué ;

- les moyens qu'elle soulève ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier, et notamment le rapport d'expertise enregistré le 7 février 2019.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 67-228 du 15 mars 1967 ;

- le décret n° 86-1103 du 2 octobre 1986 ;

- le décret n° 2003-296 du 31 mars 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Roux, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant la société Orange, et de Me B..., représentant Mme G....

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes susvisées n° 18MA05064, n° 20MA00988 et n° 20MA01119 présentées pour la société Orange et pour Mme C..., concernent la situation d'un même agent et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

2. Mme C..., agent retraité de France Télécom pour laquelle a travaillé de novembre 1975 à décembre 2009, principalement en qualité de technicienne de réseaux et qui s'est vue diagnostiquer un cancer du sein en octobre 2007, a demandé au tribunal administratif de Montpellier, à titre principal, de condamner la société Orange, qui a été substituée par la loi du 26 juillet 1996 à France Télécom, à lui verser la somme de 442 973,40 euros en réparation de son entier préjudice consécutif à la maladie professionnelle subie suite à son exposition à des rayonnements ionisants. Par un jugement du 21 septembre 2018, le tribunal a condamné la société Orange à lui verser, d'une part, la somme de 3 123,40 euros au titre des dépenses de santé et d'autre part celle de 10 000 euros à titre de provision sur l'indemnité réparant ses préjudices et a, avant de statuer sur les autres conclusions indemnitaires de la requête de Mme C..., ordonné une expertise. Puis, par un jugement du 31 décembre 2019, le tribunal a condamné la société Orange à verser à l'intéressée la somme de 71 779,14 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2016 et de la capitalisation des intérêts sous déduction de la somme de 10 000 euros versée à titre provisionnel en exécution du jugement du tribunal du 21 septembre 2018 et mis à la charge de définitive de la société Orange les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 070 euros ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance et rejeté le surplus des conclusions des parties. La société Orange fait appel, d'une part, du jugement du 21 septembre 2018 sous le n° 18MA05064 et d'autre part, du jugement du 31 décembre 2019 sous le n° 20MA00988 et Mme C... fait appel sous le n° 20MA01119 également de ce dernier jugement.

Sur la requête n° 18MA05064 :

En ce qui concerne la régularité du jugement du 21 septembre 2018 :

3. En premier lieu, d'une part, selon l'article 2226 du Code civil " l'action en responsabilité née à raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ". Cette disposition est applicable à l'établissement public France télécom, dès lors qu'il ne disposait pas de comptable public, et à la société anonyme qui lui a été substituée par la loi du 26 juillet 1996, comme aux salariés de France Télécom. D'autre part, aux termes de l'article 2247 du code civil : " Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription. ". Il suit de là que la société Orange n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait dû soulever d'office la prescription de l'action de Mme C..., laquelle n'était au demeurant pas prescrite comme il va être indiqué au point 8.

4. En deuxième lieu, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments invoqués par la société Orange, a répondu à tous les moyens qu'elle avait invoqués en défense.

5. En troisième lieu, en portant une appréciation des faits quant à l'imputabilité au service de la maladie professionnelle de Mme C... au point 4 du jugement, le tribunal a exercé son office sans soulever un moyen d'ordre public.

6. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". Le rapporteur public qui, après avoir communiqué le sens de ses conclusions en application de ces dispositions, envisage de modifier sa position doit, à peine d'irrégularité de la décision, mettre les parties à même de connaître ce changement.

7. Il ressort des pièces du dossier que le conseil de la société Orange a été informé, le 28 juillet 2018, par un avis d'audience du greffe du tribunal administratif de Montpellier, qu'il pourrait, s'il le souhaitait, prendre connaissance du sens des conclusions que le rapporteur public prononcerait sur cette affaire lors de l'audience du 7 septembre suivant, en consultant, au moyen d'un code d'accès confidentiel, l'application Sagace qui serait renseignée à cet effet dans un délai de l'ordre de deux jours avant l'audience. Le sens des conclusions du rapporteur public, qui permettait de connaitre sa position contrairement à ce que soutient la société requérante, a été mis en ligne dans l'application Sagace le 5 septembre 2018 à 10H30. Si ce sens a été modifié le lendemain à 9H45, et uniquement sur le montant de la provision que le rapporteur public proposait d'allouer à Mme C... ramené de 15 000 à 5 000 euros, le conseil de la société Orange a, après en avoir été averti par le greffe du tribunal, pris connaissance du sens des conclusions modifiées à 9H48 le jour même. Dans ces conditions, la société appelante n'est pas fondée à invoquer une méconnaissance du premier alinéa de l'article R. 711-3 précité du code de justice administrative.

En ce qui concerne l'exception de prescription :

8. Aux termes de l'article 2248 du code civil : " Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel. ". Toutefois, le délai de prescription de la dette de la société Orange a commencé à courir à compter du 31 décembre 2009, date de consolidation de l'état de santé de Mme C..., qui a été atteinte d'un cancer du sein dont elle impute l'origine à son exposition prolongée à des rayons ionisants lorsqu'elle travaillait à France télécom. Par suite, en application de l'article 2226 précité du Code civil, le délai de prescription de la créance de l'intéressée n'était pas expiré le 18 avril 2016, date à laquelle elle a introduit sa requête devant le tribunal administratif de Montpellier.

En ce qui concerne la responsabilité :

S'agissant de la faute :

9. Il résulte des articles R. 1333-1 et suivants du code de la santé publique, et des textes qui leurs sont antérieurs, en particulier les articles 7, 14, 17 et 25 du décret du 15 mars 1967 portant règlement d'administration publique relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants, des articles 17, 24 et 28 de celui du 2 octobre 1986 relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants et de la sous-section 6 du décret du 31 mars 2003 ayant le même objet, que l'employeur doit procéder à une surveillance de l'exposition aux rayonnements ionisants des agents concernés par des activités professionnelles pendant lesquelles ils sont soumis à une exposition interne ou externes d'éléments des familles naturelles de l'uranium et du thorium, tel que le radium 226.

10. En conséquence, la société France Télécom, devenue Orange avait une obligation générale d'assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs placés sous sa responsabilité, et, à cet effet, de veiller à la mise en oeuvre effective des mesures administratives et techniques permettant la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles liées à l'exposition aux rayonnements ionisants (notamment : limitation des doses pour les travailleurs exposés ; évaluation des risques par analyse des postes de travail, des doses susceptibles d'être reçues pour toute opération envisagée ; définition des zones de travail selon les sources de rayonnements ; classement des personnels selon leur degré d'exposition aux rayons ionisants ; suivi et surveillance médicale des personnes potentiellement exposées ; contrôles techniques de radioprotection sur les sources et appareils émetteurs et d'ambiance des locaux de travail ; information des travailleurs potentiellement exposés).

11. En l'espèce, d'une part, il résulte de l'instruction que la société France Télécom a eu connaissance du risque potentiel lié à la présence d'éléments radioactifs dans les parasurtenseurs, a minima à compter de 1998, date à laquelle la direction régionale de Lyon a rédigé un rapport d'étude sur la présence de radium 226 dans ces matériels, qui conclut à la découverte fortuite de cet élément radioactif dans les parasurtenseurs type 96 des répartiteurs d'abonnés, alors même que ces appareils étaient interdits depuis 1978, et indique également que la présence de ce radioélément semble avoir été méconnue par les services ayant eu en charge la sécurité du personnel, expliquant la raison pour laquelle aucun consigne sur les précautions à prendre lors de l'utilisation de ces matériels n'a été diffusée.

12. D'autre part, la société Orange fait valoir que la Direction Générale des Télécommunications a adressé un note du 20 novembre 1974 adressée aux directeurs régionaux des télécommunications les informant de l'uniformisation de l'étiquetage des boites contenant les parafoudres, en l'absence de toute obligation règlementaire, que la société France Télécom a cessé de sa propre initiative d'approvisionner son réseau avec des parafoudres à radioéléments à compter de 1978 en introduisant ensuite de nouveaux matériels issus de l'évolution technique et n'a jamais caché à son personnel que des parafoudres à radioéléments ont pu être mis en place sur le réseau jusqu'à la fin des années 70 et enfin que les photographies de boites antérieures à 1978 de parasurtenseurs mettent en évidence une mention très apparente rappelant la présence d'éléments radioactifs dans les parasurtenseurs et que de plus des instructions ont été diffusées aux techniciens pour la dépose des parafoudres installées avant 1978 et qui contiendraient donc des rayonnements ionisants. Toutefois, Mme C... soutient sans être contredite qu'elle n'a reçu aucune formation sur le danger des rayonnements ionisant liés à son métier, n'a pas porté par exemple de dosimètre passif ou un quelconque équipement de protection et enfin n'a pas fait l'objet d'une surveillance médicale renforcée de radioprotection alors qu'elle était amenée à manipuler ces matériels radioactifs dont le risque était alors connu. En outre, la fiche produite par la société Orange de prévention datant de 2001 quant aux manipulations de ces matériels intitulée " procédure conservatoire en cas d'interventions non différables sur les parafoudres à radioéléments " est uniquement relative aux opérations de repérage de ces matériels " en attendant les consignes plus précises de récupération et de transport " et est ainsi sans rapport avec les fonctions de Mme C... qui a consisté de 1981 à 2007 à remplacer ces matériels défectueux pour une remise en service pour les abonnés. Enfin, si ce document indique les équipements de protection individuelle, notamment des gants, des pinces et des boites hermétiques, mis à disposition à partir de cette période, l'intéressée soutient sans être contredite que les opérateurs réseaux étaient amenés à les placer pendant l'intervention dans la poche poitrine de leur blouse ou entre les lèvres mêmes afin de se libérer les mains.

13. Dans ces conditions, c'est à bon droit que le tribunal a estimé que Mme C... était fondée à soutenir que la société France Télécom, devenue Orange a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne mettant pas en place les obligations réglementaires qui lui incombaient en terme de suivi, de formation et de protection contre l'exposition aux rayonnements ionisants et était dès lors fondée à obtenir la réparation intégrale de ses préjudices directement liés à cette faute.

S'agissant du lien de causalité :

14. Il résulte de l'instruction que la commission de réforme du 24 octobre 2013 a émis un avis favorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie de Mme C... et que la société Orange a définitivement reconnu cette imputabilité et décidé de régulariser la situation de son agent en conséquence en lui allouant, conformément à l'avis de la commission de réforme du 25 septembre 2014, une rente viagère à compter de sa mise à la retraite pour raison de santé le 30 décembre 2009 ainsi qu'une allocation temporaire d'invalidité fondée sur le caractère temporaire de la maladie qui avait également reçu un avis favorable de la commission le 26 février 2015. Par ailleurs, aucun des éléments avancés par la société Orange n'est de nature à remettre en cause cette imputabilité au service.

15. Il suit de là que, compte tenu du caractère professionnel de la maladie dont elle souffre, Mme C... est fondée à solliciter l'indemnisation des préjudices personnels à raison de la faute commise par son employeur.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Orange n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 21 septembre 2018.

Sur les requêtes n° 20MA00988 et 20MA01119 :

En ce qui concerne la régularité du jugement du 31 décembre 2019 :

17. En premier lieu, contrairement aux allégations de la société Orange, aucune disposition légale ou réglementaire n'imposait au tribunal de surseoir à statuer dans l'attente que la cour se prononce sur sa requête dirigée contre le jugement rendu le 21 septembre 2018.

18. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le sens des conclusions du rapporteur public, qui permettait de connaitre sa position sur l'ensemble des points du dossier, a été mis en ligne dans l'application Sagace le 18 décembre 2019 à 9H alors que l'affaire a été appelée lors de l'audience du 20 suivant à 9H00. Le conseil de la société Orange qui avait été informé par lettre du 21 novembre 2019 de ce qu'il pourrait, s'il le souhaitait, prendre connaissance du sens des conclusions que le rapporteur public prononcerait sur cette affaire lors de l'audience en consultant, au moyen d'un code d'accès confidentiel, l'application Sagace qui serait renseignée à cet effet dans un délai de l'ordre de deux jours avant l'audience, a d'ailleurs procédé à cette consultation le 18 décembre 2019 à 11H02. Dans ces conditions, dans ces conditions, la société Orange n'est pas fondée à invoquer une méconnaissance du premier alinéa de l'article R. 711-3 précité du code de justice administrative.

19. En troisième lieu, le jugement attaqué, qui répond à tous les moyens invoqués en défense par la société Orange, vise l'ensemble des mémoires et pièces produits.

20. En quatrième lieu, les premiers juges ont suffisamment motivé au point 7 de leur décision la somme accordée à Mme C... au titre de son déficit fonctionnel permanent et au point 9 celle accordée au titre du préjudice d'agrément.

21. En dernier lieu, si le préjudice résultant du déficit fonctionnel permanent de l'intéressée a été évalué à une somme supérieure à celle demandée à ce titre par la requérante, la société Orange n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif de Montpellier a statué au-delà des conclusions dont il était saisi, dès lors que le montant total de la somme allouée à la requérante n'excède pas celui de la demande de première instance.

En ce qui concerne la recevabilité de la requête d'appel de Mme C... :

22. Contrairement à ce que soutient la société Orange, la requête d'appel de Mme C... contient une critique du jugement du 31 décembre 2019. Elle est par suite recevable.

En ce qui concerne les préjudices :

23. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'état de santé de Mme C... a nécessité une assistance par tierce personne, non seulement pendant la période d'hospitalisation à domicile prescrite par le chirurgien lors des troubles cicatriciels du lambeau de grand dorsal soit du 10 juillet au 31 août 2009 à raison de 3 H par semaine, mais également suite à l'intervention du 30 novembre 2007 au cours de laquelle il a été procédé à l'ablation de son sein droit, cette aide, à raison de 2 heures par jour pendant quinze jours, consistant en la surveillance et le soutien psychologique de l'intéressée. Il résulte également de l'instruction que l'assistance d'une tierce personne a également été rendue nécessaire durant la phase de 22 semaines de janvier à mai 2008 durant laquelle Mme C... a subi des cures de chimiothérapie, à raison des 4 heures par semaine, afin d'effectuer à sa place les actes de la vie quotidienne tel que le ménage ou les courses. Il en a été de même pour la période où elle a été hospitalisée à son domicile, du 10 juillet au 31 août 2009, soit 52 jours, à raison de 2 heures par jour. Sur la base de 13 euros par heure, Mme C... alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'une aide aurait été nécessaire pour les autres périodes, est en droit de prétendre à une somme de 2 886 euros en sus de celle de 259,14 euros allouée comme il a été dit par le tribunal à ce titre.

24. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que Mme C... a subi une masectomie en novembre 2007 ayant nécessité sept jours d'hospitalisation, six cures de chimiothérapie en hospitalisation de jour, un traitement par Herceptin à raison d'un jour par mois pendant six mois, des séances de radiothérapie en ambulatoire sur 25 journée étalées sur cinq semaines, une nouvelle intervention chirurgicale de reconstruction mammaire entrainant 15 jours d'hospitalisation ainsi qu'une reprise chirurgicale nécessitant deux jours d'hospitalisation supplémentaires ainsi que trois séances de lipomodelage avec, à nouveau, des hospitalisations pour un nombre total de jours de déficit temporaire total de 76 auquel s'ajoutent, au regard de la chronologie des faits, de l'assistance d'une tierce personne qui lui a été nécessaire et de l'état physique diminué dans lequel elle n'a pu que se trouver après sa sortie d'hospitalisation pour la masectomie et la reconstruction mammaire, entre les séances de chimiothérapie et de radiothérapie. Dans ces conditions, outre la somme de 1 520 euros allouée par le tribunal à Mme C... au titre des troubles subis dans les conditions d'existence s'agissant des périodes d'incapacité temporaire totale c'est à dire aux périodes d'hospitalisation et de cures, il y a lieu d'indemniser l'intéressée au titre de son incapacité partielle. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en la fixant à une moyenne de 50 % sur une période de six mois et en lui allouant par suite une somme de 1 500 euros.

25. En troisième lieu, si l'expert a évalué le pretium doloris de l'intéressée à 1 sur une échelle de 7, eu égard à la nature et au nombre des interventions subies et aux troubles physiques occasionnés par les cures de chimiothérapie et de radiothérapie, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à Mme C... une somme de 4 000 euros.

26. En quatrième lieu, c'est à bon droit que le tribunal a fixé à 1 000 euros la somme à accorder à Mme C... en réparation de son préjudice esthétique temporaire qui correspond à la mastectomie et évalué par l'expert à 1 sur une échelle de 7.

27. En cinquième lieu, l'expert a évalué à 30 % le déficit fonctionnel permanent, lequel tient compte des souffrances physiques et psychologiques ressenties de l'intéressée, âgée de 56 ans à la date de la consolidation, à 3 sur une échelle de 7. Il y a lieu par suite de ramener la somme allouée à ce titre par le tribunal à 45 000 euros.

28. En sixième lieu, compte tenu de l'ampleur des séquelles de la victime celle-ci subit nécessairement un préjudice d'agrément qui sera justement évalué à 1 000 euros dans les circonstances de l'espèce.

29. En septième lieu, il résulte de l'instruction et en particulier des photographies produites par Mme C... qu'elle reste affectée d'un préjudice esthétique après reconstruction mammaire, notamment lié à la différence d'aspect de ses deux seins et à la présence de cicatrices visibles. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant une somme de 5 000 euros à ce titre.

30. En huitième lieu, c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué le préjudice sexuel de Mme C... à 5 000 euros, lequel préjudice est contrairement à ce que soutient la société Orange, distinct de son préjudice esthétique.

31. En dernier lieu, eu égard au conditions et à la durée d'exposition à des rayonnements ionisants de Mme C... et à la nature même de la maladie qu'elle a contractée, elle justifie d'un préjudice en lien direct et certain avec la faute de la société France Télécom, aujourd'hui société Orange, tenant à l'anxiété due au risque de récidive. Compte tenu des éléments qui viennent d'être rappelés et également de l'âge de la victime, ce préjudice sera justement réparé en le fixant à la somme de 5 000 euros.

32. Il résulte de tout ce qui précède que la somme à laquelle la société Orange est condamnée à verser à Mme C... en réparation de l'intégralité de ses préjudices doit être portée à 72 165,14 euros.

En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :

33. D'une part, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1231-6 du code civil courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale. Mme C... a par suite droit aux intérêts légaux afférents aux intérêts échus à compter de la réception de sa demande par la société Orange, soit le 5 octobre 2015.

34. D'autre part, aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Cette demande ne peut toutefois prendre effet que lorsque les intérêts sont dus au moins pour une année entière. Le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande. Mme C... a demandé la capitalisation des intérêts dans sa requête déposée devant le tribunal le 18 avril 2016. Cette demande prend effet à compter du 5 octobre 2016, date à laquelle les intérêts étaient dus pour une année entière.

Sur les frais liés au litige :

35. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme C..., qui n'est pas dans la présente instance la partie principalement perdante, verse à la société Orange la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette société une somme de 4 000 euros en application de ces mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La société Orange est condamnée à verser à Mme C... une somme portée à 72 165,14 euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 2015. Les intérêts échus à la date du 5 octobre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 31 décembre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : La société Orange versera à Mme C... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange, à Mme F... C... et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault.

Délibéré après l'audience du 13 avril 2021, où siégeaient :

- M. Chazan, président,

- Mme A..., présidente assesseure,

- Mme D..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 juin 2021.

18MA05064, 20MA00988, 20MA01119 2


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. CHAZAN
Rapporteur ?: Mme Frederique SIMON
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIES;SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIES;SCP DELVOLVE;SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIES

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 9eme chambre - formation a 3
Date de la décision : 15/06/2021
Date de l'import : 22/06/2021

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18MA05064
Numéro NOR : CETATEXT000043677106 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-06-15;18ma05064 ?
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