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14/06/2021 | FRANCE | N°20MA02773

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6eme chambre - formation a 3, 14 juin 2021, 20MA02773


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Corsica Networks a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler le marché conclu le 21 septembre 2018 entre la collectivité de Corse et la société NXO France portant sur la conception, l'installation et l'administration d'un réseau régional très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse, d'autre part, de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 282 585 euros hors taxes en réparation des préjudices subis du fait de

son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, la somme de 8 000 euros ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Corsica Networks a demandé au tribunal administratif de Bastia, d'une part, d'annuler le marché conclu le 21 septembre 2018 entre la collectivité de Corse et la société NXO France portant sur la conception, l'installation et l'administration d'un réseau régional très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse, d'autre part, de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 282 585 euros hors taxes en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, la somme de 8 000 euros hors taxes en réparation du préjudice découlant des frais exposés pour la préparation de son offre, majorées des intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018.

Par un jugement n° 1801165 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires en réplique enregistrés les 7 août 2020, 28 janvier 2021 et 16 mars 2021, la société Corsica Networks, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia ;

2°) d'annuler ou, à défaut, de résilier le marché conclu le 21 septembre 2018 ;

3°) de condamner la collectivité de Corse à lui verser la somme de 282 585 euros hors taxes en réparation des préjudices subis du fait de son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, la somme de 8 000 euros hors taxes en réparation du préjudice découlant des frais exposés pour la préparation de son offre ;

4°) de majorer la condamnation des intérêts au taux légal à compter du 9 novembre 2018 ;

5°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure est entachée de défaut d'impartialité et d'un conflit d'intérêts car l'agent de la collectivité qui a mené la procédure de passation est un ancien salarié de la société NXO France, attributaire ;

- l'offre de la société NXO France était irrecevable faute de décrire de manière crédible l'infrastructure de transmission alternative qu'elle proposait de mettre en place ;

- le pouvoir adjudicateur devait contrôler de manière effective et sur la base de pièces probantes la crédibilité de l'offre de la société NXO France, ce qu'il n'a pas fait ;

- l'offre de la société NXO France était anormalement basse ;

- la méthode de notation employée par la collectivité de Corse, qui reposait sur une simulation de commande fictive, était irrégulière dès lors que la pondération des différents éléments de la commande ne correspondait pas à la commande réelle et donnait une importance excessive au prix du raccordement en fibre ;

- l'offre de la société NXO France constituait une variante irrégulière.

Par des mémoires en défense enregistrés le 17 décembre 2020 et le 25 février 2021, la collectivité de Corse conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Corsica Networks en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société Corsica Networks sont infondés.

La collectivité de Corse a produit un mémoire, enregistré le 23 avril 2021, qui n'a pas été communiqué.

La société Corsica Networks a produit un mémoire, enregistré le 17 mai 2021, qui n'a pas été communiqué.

Par ordonnance du 8 avril 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 26 avril 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., représentant la société Corsica Networks, et de Me B... pour la collectivité de Corse.

Une note en délibéré de la Selas Cloix et Mendes-Gil pour la collectivité de Corse a été enregistrée le 3 juin 2021 et n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence suivi d'un avis rectificatif publié respectivement les 28 mars et 18 avril 2018, la collectivité de Corse a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre sur bons de commande assorti d'un montant minimum de 1 000 000 euros hors taxes et d'un montant maximum de 2 600 000 euros hors taxes destiné à assurer la conception, la mise en oeuvre, l'administration et la maintenance d'un réseau régional à très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse. Par courrier du 1er août 2018, la société Corsica Networks, candidate, a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société NXO France. La société Corsica Networks a demandé au tribunal administratif de Bastia l'annulation du contrat conclu entre la collectivité de Corse et la société NXO France et la condamnation de cette collectivité à réparer le préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction de la procédure. Le tribunal a rejeté sa demande par le jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

2. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

3. Il résulte de l'instruction que M. E..., désigné par le règlement de consultation du marché comme le " technicien en charge du dossier ", chargé notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats, et dont le procès-verbal d'ouverture des plis mentionne qu'il s'est vu remettre les plis " en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ", a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'agence d'Ajaccio de la société NXO France. Il résulte également de l'instruction que l'intéressé a occupé cet emploi immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse, qui a eu lieu au plus quelques mois avant l'attribution du marché attaqué. Si la collectivité de Corse fait valoir que M. E... n'occupait pas de fonctions de direction au sein de la société NXO France et qu'il n'a participé ni à l'élaboration du cahier des charges, ni à l'examen des offres, ni à la rédaction du rapport d'analyse des offres, il résulte du procès-verbal d'ouverture des plis que l'intéressé a au moins contribué à l'analyse des offres au regard des critères de sélection. En outre, si M. E... n'était pas l'un des cadres dirigeants de la société NXO France, il occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de la société NXO France et ces fonctions, exercées encore quelques mois avant sa participation au processus de sélection des offres, avaient précisément trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché. Ainsi, eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à M. E... au sein de la société NXO France puis des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société, sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts liant M. E... à la société NXO France et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse. Il appartenait dès lors à cette dernière, qui avait connaissance de la qualité d'ancien salarié de la société NXO France de M. E..., de mettre en oeuvre, une fois connue la candidature de cette société, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l'écartant de la procédure d'analyse des offres. La société Corsica Networks est dès lors fondée à soutenir que la collectivité de Corse a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en s'abstenant de prendre une telle mesure.

4. Eu égard à la gravité du vice ainsi relevé, la société Corsica Networks est fondée à demander l'annulation du marché attaqué. Il résulte toutefois de l'instruction que si cette annulation prenait effet immédiatement, la continuité du service de raccordement des établissements d'enseignement au réseau, qui est l'une des missions confiées au titulaire, pourrait être remise en cause. Il y a lieu, par suite, de différer l'effet de cette annulation au 15 décembre 2021.

5. Il résulte de tout ce qui précède que la société Corsica Networks est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du marché et qu'elle est par suite fondée à demander l'annulation du jugement attaqué ainsi que du marché du 21 septembre 2018.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'indemnisation :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'offre de la société Corsica Networks, seule candidate à l'attribution du marché en dehors de la société NXO France, avait été jugée recevable et avait reçu une note de 13,84 points sur 20 en ce qui concerne le critère de la valeur technique, contre 14,24 pour l'offre de la société NXO France et une note de 16,60 en ce qui concerne le critère du prix, contre 20 pour l'offre de la société NXO France, soit une note pondérée de 15,50 sur 20, contre une note de 17,70 sur 20 accordée à l'attributaire. Il s'ensuit que dans le cadre d'une procédure dépourvue de tout manquement au principe d'impartialité, la société Corsica Networks aurait, eu égard aux qualités concurrentielles de son offre, disposé de chances sérieuses d'obtenir le marché. Elle est par suite fondée à demander l'indemnisation du manque à gagner dont l'a privée son éviction, laquelle doit être évaluée à la marge nette qu'aurait dégagée l'exécution du marché.

7. En deuxième lieu, si la société Corsica Networks produit une attestation de son expert-comptable faisant état d'une marge brute de 22 %, le taux de marge nette pouvant être attendu de l'exécution du marché et le mode de comptabilisation des charges fixes et variables retenu par l'expert-comptable ne résulte ni de l'instruction, ni d'aucune autre pièce produite par la requérante, ainsi que le soutient en défense la collectivité de Corse. La Cour n'étant pas suffisamment informée sur ce point, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société Corsica Networks, tous droits et moyens étant réservés sur ce point, d'ordonner une expertise aux fins, pour l'expert, d'éclairer la Cour sur ce point.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1801165 du tribunal administratif de Marseille du 9 juin 2020 est annulé.

Article 2 : Le marché conclu le 21 septembre 2018 entre la collectivité de Corse et la société NXO France est annulé. Cette annulation prendra effet le 15 décembre 2021.

Article 3 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la société Corsica Networks, procédé à une expertise contradictoire en présence de ladite société et de la collectivité de Corse, avec mission pour l'expert, qui sera désigné par le président de la Cour, de :

- prendre connaissance de l'entier dossier ;

- se faire communiquer l'intégralité des pièces de l'offre de la société Corsica Networks et les documents de préparation de cette offre ;

- se faire communiquer les pièces comptables permettant de déterminer le niveau des produits et charges habituels de cette entreprise ;

- déterminer, compte tenu des charges fixes et variables que cette société aurait supportées dans l'exécution du marché et, compte tenu des recettes procurées par celui-ci, la marge nette perdue par elle du fait de l'absence d'exécution du marché par ses soins.

Article 4 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Corsica Networks, à la collectivité de Corse et à la société NXO France.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. C... Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2021.

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N° 20MA02773

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 20MA02773
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELE
Avocat(s) : SELARL CLOIX et MENDES-GIL

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-06-14;20ma02773 ?
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