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14/06/2021 | FRANCE | N°20MA01711

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6eme chambre - formation a 3, 14 juin 2021, 20MA01711


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rocca Transports a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 15 décembre 2017 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse lui a infligé une amende d'un montant de 228 000 euros en raison de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette sanction sur le site internet du ministère de l'économie et des finances pour une

durée de douze mois ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de cett...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Rocca Transports a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la décision du 15 décembre 2017 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse lui a infligé une amende d'un montant de 228 000 euros en raison de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 441-6 du code de commerce et a décidé la publication de cette sanction sur le site internet du ministère de l'économie et des finances pour une durée de douze mois ou, à titre subsidiaire, de réduire le montant de cette amende.

Par un jugement n° 1800270 du 6 mars 2020, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 avril 2020 et 24 février 2021, la société Rocca Transports, représentée par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia ;

2°) d'annuler la décision du 15 décembre 2017 ou, à défaut, de réduire le montant de l'amende prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'auteur de la décision du 15 décembre 2017 est incompétent ;

- cette décision, qui ne précise pas les manquements reprochés à la société et à laquelle aucun des documents auxquels renvoie l'acte n'était joint, est insuffisamment motivée, d'autant plus qu'il n'est pas justifié qu'elle ait reçu notification de la correspondance du 30 juin 2017 lui notifiant le procès-verbal résultant du contrôle ;

- le courrier notifiant les griefs retenus à l'encontre de la société et celui adoptant la décision de sanction ayant été signés par la même autorité, les fonctions de poursuite et de sanction n'ont pas été séparées, de telle sorte que le principe d'impartialité a été méconnu ;

- pour le même motif, la procédure menée à l'encontre de la société a méconnu les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision est entachée d'erreur de droit car la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi se fonde sur les dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du code de commerce, qui a trait aux délais de paiement maximaux autorisés par la loi, pour sanctionner le non-respect de délais de paiement convenus entre les entreprises ;

- la décision est entachée d'erreur de fait car la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ne démontre pas l'existence de retards effectifs de paiement ;

- la sanction est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 12 janvier 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Rocca Transports ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 25 février 2021, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 mars 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la société Rocca Transports.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'un contrôle mené sur la comptabilité de la société Rocca Transports, la société requérante a été informée, par un courrier du 30 juin 2017 auquel était annexé le procès-verbal des manquements relevés à son encontre, que la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Corse envisageait de prononcer à son égard une amende administrative d'un montant de 261 000 euros et la publication de celle-ci. La société Rocca Transports ayant fait part de ses observations sur cette procédure le 29 août 2017, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse a, par une décision du 15 décembre 2017, prononcé à son encontre une amende administrative d'un montant de 228 000 euros et a décidé de sa publication sur le site internet du ministère de l'économie pour une durée de douze mois. Saisi par la société Rocca Transports d'un recours de plein contentieux contre cette décision, le tribunal administratif de Bastia l'a rejeté par le jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 470-2 du code de commerce : " I. - L'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation est l'autorité compétente pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements mentionnés au titre IV du présent livre ainsi que l'inexécution des mesures d'injonction prévues à l'article L. 470-1.". En vertu des dispositions de l'article R. 470-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " I. - L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 470-2 est : / (...) 3° Le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ou son représentant nommément désigné.".

3. La décision attaquée ayant été signée par la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse, autorité compétente pour édicter une telle mesure en application des dispositions ci-dessus reproduites, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

4. En deuxième lieu, la décision du 15 décembre 2017 mentionne l'article L. 441-6 du code de commerce, qui constitue sa base légale, ainsi que les manquements reprochés à la société Rocca Transports, et rappelle la communication à la société du procès-verbal qui lui a été notifié le 30 juin 2017, qui précisait le détail des griefs imputés à la requérante, dont la décision attaquée s'approprie les motifs. Par ailleurs, si la société Rocca Transports fait valoir que l'administration n'établit pas lui avoir notifié ce document, elle n'en conteste pas formellement la réception, qui est attestée par les observations que la société a formulées sur son contenu le 29 août 2017. Il s'ensuit que la décision de sanction, qui énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui la fondent dans son principe et son montant, est suffisamment motivée, la circonstance qu'elle ne décrive pas la méthode de calcul retenue par l'administration pour déterminer l'ampleur du manquement imputé à la société étant sans incidence sur le bien-fondé de ce moyen.

5. En troisième lieu, il résulte des termes des points 67 à 69 de la décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 du Conseil constitutionnel que l'attribution à la DIRECCTE, autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, de la compétence pour constater les infractions et manquements aux obligations posées par les diverses dispositions du code de commerce, enjoindre au professionnel de se conformer à celles-ci, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite et, d'autre part, pour prononcer les amendes administratives sanctionnant les manquements relevés ne méconnaissent pas le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle. Par ailleurs, si les poursuites engagées par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi en vue d'infliger des sanctions financières sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce dans leur rédaction alors en vigueur constituent des accusations en matière pénale, au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'en résulte pas que la procédure administrative doit respecter les stipulations de cet article, dès lors, d'une part, que ni la DIRECCTE ni sa directrice, compétents pour prendre les mesures de sanction, ne peuvent être regardés comme un tribunal, au sens des stipulations de cet article, et, d'autre part, que la décision de sanction peut faire l'objet d'un recours de plein contentieux devant la juridiction administrative, conformément aux exigences de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il en résulte que la société Rocca Transports n'est pas fondée à soutenir que le cumul des pouvoirs de constatation et de répression des infractions par la DIRECCTE méconnaîtrait le principe d'impartialité ou tout autre principe, stipulation ou disposition imposant la séparation des autorités administratives responsables du déclenchement des poursuites et de leur sanction, et notamment les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la légalité interne :

6. En premier lieu, aux termes des dispositions du neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, en vigueur à la date de la décision attaquée : " Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser soixante jours à compter de la date d'émission de la facture. Par dérogation, un délai maximal de quarante-cinq jours fin de mois à compter de la date d'émission de la facture peut être convenu entre les parties, sous réserve que ce délai soit expressément stipulé par contrat et qu'il ne constitue pas un abus manifeste à l'égard du créancier. En cas de facture périodique, au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts, le délai convenu entre les parties ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. ". En vertu des dispositions du VI de cet article, dans leur rédaction applicable au 15 décembre 2017 : " Sont passibles d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés aux huitième, neuvième, onzième et dernier alinéas du I du présent article, le fait de ne pas indiquer dans les conditions de règlement les mentions figurant à la première phrase du douzième alinéa du même I, le fait de fixer un taux ou des conditions d'exigibilité des pénalités de retard selon des modalités non conformes à ce même alinéa ainsi que le fait de ne pas respecter les modalités de computation des délais de paiement convenues entre les parties conformément au neuvième alinéa dudit I. L'amende est prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 470-2. Le montant de l'amende encourue est doublé en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive. ".

7. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment de la rédaction de la décision attaquée comme du procès-verbal dressé le 30 juin 2017, que la DIRECCTE a entendu sanctionner le non-respect, par la société Rocca Transports, des délais contractuels de paiement convenus avec ses fournisseurs, grief qui peut valablement donner lieu à l'infliction de l'amende administrative prévue par les dispositions précitées, qui permettent l'édiction de cette sanction pour punir " le fait de ne pas respecter les délais de paiement mentionnés ", au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce, au nombre desquels se trouvent les délais de paiement contractuels. Le moyen d'erreur de droit soulevé sur ce point par la société doit donc être écarté.

8. D'autre part, si la société Rocca Transports fait valoir que la DIRECCTE n'a pas fait état de la méthode de calcul lui permettant de constater l'existence de retards effectifs de paiement et n'établit pas la date des paiements litigieux, il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal du 30 juin 2017 que le contrôleur de la DIRECCTE a pris en compte un échantillon représentatif de factures et justificatifs de paiement et constaté leur règlement tardif au regard des délais convenus avec les fournisseurs de la société, communiqués par les soins de celle-ci. Par ailleurs, le ministre de l'économie, des finances et de la relance soutient sans être contredit que ces fournisseurs sont majoritairement réglés par traite ou par virement, de telle sorte qu'il n'existe aucune incertitude sur les dates de mise à disposition des fonds constatées par l'agent ayant procédé au contrôle. La requérante, qui ne produit au demeurant aucune pièce susceptible de remettre en cause les constats portés sur le procès-verbal, n'est dès lors pas fondée à soutenir que la décision attaquée reposerait sur des faits matériellement inexacts.

9. En dernier lieu, si la société Rocca Transports fait valoir que ses fournisseurs sont des sociétés dotées de moyens financiers importants qui ne pâtissent pas du retard de paiement et qu'elle est elle-même fréquemment réglée en retard par ses clients, il résulte de l'instruction que le retard moyen pondéré de paiement de la société Rocca Transports s'élève à 36 jours en ce qui concerne la société Corsica ferries, pour laquelle 2,2 millions d'euros de factures ont été réglées en retard, à 36 jours en ce qui concerne la Compagnie méridionale de navigation, dont le montant de factures réglées en retard de paiement s'élève à 3,02 millions d'euros, à 60 jours en ce qui concerne la société MCM, dont 3,65 millions d'euros de factures ont été payées en retard, et à 25 jours en ce qui concerne la société Torre, pour un montant de 0,82 millions d'euros de factures réglées tardivement. Par ailleurs, il résulte de ce même procès-verbal que la société a ainsi dégagé un gain en besoin de fonds de roulement de 1,46 millions. Eu égard à ces circonstances, au chiffre d'affaires de l'entreprise et à la circonstance que la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse a, dans la décision attaquée, réduit le montant de l'amende envisagée afin de ne pas tenir compte des relations de facturation internes au groupe auquel appartient la société, la société Rocca Transports n'est pas fondée à soutenir que la sanction de 228 000 euros qui lui a été infligée serait disproportionnée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société Rocca Transports n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par leur jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 décembre 2017.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Rocca Transports sur leur fondement soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Rocca Transports est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rocca Transports et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée à la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Corse.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. C... Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2021.

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N° 20MA01711

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 20MA01711
Date de la décision : 14/06/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exces de pouvoir

Analyses

14-05-05 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Défense de la concurrence. Pratiques restrictives.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELE
Avocat(s) : CABINET MUSCATELLI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-06-14;20ma01711 ?
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