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17/05/2021 | FRANCE | N°19MA03527

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 17 mai 2021, 19MA03527


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. L... E..., Mme I... Q..., M. B... O..., Mme G... C..., M. P... D..., Mme K... R... et M. A... H... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la délibération du 30 mars 2017 par laquelle le conseil municipal de la commune de La Trinité a approuvé la vente, sous conditions préalables et suspensives, à la société Promex des parcelles communales cadastrées AC 73 et AC 74 et a autorisé le maire à signer la promesse de vente, l'acte notarié de vente et toutes les pièces relatives à cette

vente.

Par un jugement n° 1702113 du 14 mai 2019, le tribunal administratif ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. L... E..., Mme I... Q..., M. B... O..., Mme G... C..., M. P... D..., Mme K... R... et M. A... H... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la délibération du 30 mars 2017 par laquelle le conseil municipal de la commune de La Trinité a approuvé la vente, sous conditions préalables et suspensives, à la société Promex des parcelles communales cadastrées AC 73 et AC 74 et a autorisé le maire à signer la promesse de vente, l'acte notarié de vente et toutes les pièces relatives à cette vente.

Par un jugement n° 1702113 du 14 mai 2019, le tribunal administratif de Nice a annulé cette délibération.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 29 juillet 2019, la société Promex, représentée par Me J..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice ;

2°) de mettre à la charge de M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier car il ne vise pas les textes et principes dont les premiers juges ont fait application ;

- la minute du jugement n'est pas signée ;

- le rapporteur public n'a pas mentionné le sens précis de ses conclusions ;

- l'opération ne constituant pas un marché public, aucune procédure de mise en concurrence n'était obligatoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juillet 2020, M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H..., représentés par Me N... de ¨Prémare, concluent au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Promex en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par la société Promex sont infondés ;

- les moyens qu'ils soulevaient devant le tribunal et qui n'ont pas été retenus par les premiers juges étaient de nature à conduire à l'annulation de la délibération.

Par ordonnance du 20 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 2 septembre 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... Fédou, président de la 6ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. M... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. F... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me S..., représentant M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H....

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 30 mars 2017, le conseil municipal de La Trinité a, d'une part, approuvé la vente à la société Promex de deux dépendances du domaine privé communal en vue d'une opération de construction de logements et, d'autre part, autorisé le maire de la commune à signer l'acte de vente. Le tribunal administratif de Nice a, par son jugement du 14 mai 2019, annulé cette délibération.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article L. 5 du code de justice administrative prévoit que " l'instruction des affaires est contradictoire " et aux termes de l'article L. 7 de ce code : " Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu'elles appellent ". Les règles applicables à l'établissement du rôle, aux avis d'audience et à la communication du sens des conclusions du rapporteur public sont fixées, pour ce qui concerne les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, par les articles R. 711-1 à R. 711-3 du code de justice administrative. L'article R. 711-2 indique que l'avis d'audience mentionne les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public. Le premier alinéa de l'article R. 711-3 du même code dispose que : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ".

3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

4. Il ressort des pièces du dossier que, préalablement à l'audience devant le tribunal administratif de Nice, le rapporteur public a, le 11 avril 2019, coché dans l'application " Sagace " la case " annulation totale ou partielle ". Toutefois, cette indication ne permettait pas, dans les circonstances de l'espèce, de connaître l'étendue de l'annulation proposée ni le cas échéant d'identifier la partie de la délibération que le rapporteur public proposait d'annuler. Par suite, cette indication n'a pas mis les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique ainsi que de préparer, le cas échéant, des observations orales et d'envisager la production après cette audience d'une note en délibéré. Dès lors, la société Promex est fondée à soutenir que l'article R. 711-3 du code de justice administrative a été méconnu et que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière. Le jugement doit, par voie de conséquence, être annulé sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens tirés du défaut de signature de la minute et du défaut de visa des normes dont le jugement a fait application.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. E... et autres devant le tribunal administratif de Nice.

Sur la nature du contrat attaqué et la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif de Nice :

6. Si la délibération autorisant la conclusion d'un contrat administratif et la décision de le signer ne peuvent être contestées par les tiers au contrat et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné qu'à l'occasion d'un recours de pleine juridiction en contestation de validité de ce contrat, la décision administrative par laquelle est approuvée la passation d'un contrat de droit privé est détachable de ce contrat et peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.

7. Il résulte en l'espèce de l'instruction que le contrat en cause, qui revêtait le simple caractère d'une promesse de vente de deux parcelles du domaine privé de la commune, se bornait à indiquer que l'acquéreur pourrait construire une surface de plancher de 4 850 m², à prévoir deux conditions suspensives tenant, l'une, à l'octroi d'un permis de construire pour une telle surface comprenant 30 % de logements sociaux et, l'autre, à la réalisation d'un accès piétonnier de 200 mètres carrés à restituer à la commune et, enfin, à instaurer un droit de préférence de la commune pendant une période de cinquante ans au cas où l'acquéreur entendrait revendre le terrain et les constructions éventuellement édifiées.

8. D'une part, ce contrat ne comportait, s'agissant des ouvrages à édifier, aucune prescription technique émanant de la commune susceptible de caractériser un besoin précisé par le pouvoir adjudicateur et de faire regarder la collectivité comme le maître de l'ouvrage direct de cette opération. Par ailleurs, si les dispositions des articles L. 302-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation chargent les établissements publics de coopération intercommunale et, dans certaines hypothèses, les communes, d'arrêter une politique locale de l'habitat, cette compétence n'implique pas, par elle-même, celle d'assurer la maîtrise d'ouvrage des opérations de construction de logements sociaux, de telle sorte que le contrat en cause ne vise pas à satisfaire un intérêt économique direct de la commune, mais un intérêt urbanistique et de mixité sociale qui, s'il participe aux préoccupations d'intérêt général de cette collectivité territoriale, ne répond pas à ses besoins propres. Il s'ensuit que ce contrat ne saurait être rangé au nombre des marchés de travaux publics, alors même que l'acte comportait la réalisation d'un accès piétonnier, celui-ci représentant un aspect purement accessoire de l'opération eu égard à son emprise très limitée, et ouvrait un droit de préférence à la commune en cas de revente du bien, droit dont l'exercice revêt un caractère purement aléatoire et facultatif pour celle-ci.

9. D'autre part, la commune de la Trinité ne disposant plus, aux termes de ce contrat, qui transfère la propriété du bien à la société Promex, d'un contrôle sur le droit d'exploitation de l'ouvrage, qui est entièrement et définitivement acquis à la société Promex comme conséquence de ce transfert de propriété, l'acte en litige ne saurait davantage être qualifié de concession de travaux.

10. Enfin, le contrat en cause, qui ne fait au demeurant participer en aucune manière la société Promex à un service public, est dépourvu de toute clause exorbitante du droit commun et ne relève d'aucune des catégories de contrats auxquelles la loi confère la nature de contrat administratif.

11. Il résulte de ce qui précède que le contrat de vente conclu entre la commune de La Trinité et la société Promex constitue un contrat de droit privé. M. E... et autres étaient dès lors recevables à demander, par la voie du recours pour excès de pouvoir, l'annulation de la délibération approuvant sa conclusion et autorisant le maire à le signer.

Sur la légalité de la délibération du 30 mars 2017 :

12. Aux termes des dispositions de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération ".

13. Il ressort des pièces du dossier que la commune de La Trinité a reçu le 29 mars 2017, soit la veille du conseil municipal au cours duquel la délibération attaquée a été adoptée, une offre émanant de la société Capri Capital proposant, pour le terrain objet de la vente, un prix de 1 600 000 euros. Les requérants de première instance soutiennent, sans être contredits par la commune, qu'interrogé par leurs soins sur l'existence d'une telle offre au cours du conseil municipal, le maire a nié son existence. Si la commune soutient que l'absence d'information de l'assemblée délibérante sur cette offre était sans incidence sur l'issue de la délibération du conseil dès lors que la proposition de la société Capri Capital ne présentait pas un caractère sérieux, notamment au regard de son prix, elle ne fait valoir aucun élément de nature à faire douter du caractère réel de cette offre et de l'engagement effectif de cette société. M. E... et autres sont dès lors fondés à soutenir qu'eu égard à l'importance d'une telle information pour évaluer la pertinence du choix de l'acquéreur, la commune de La Trinité a porté au droit à l'information des membres du conseil municipal une atteinte de nature à emporter une méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités ci-dessus reproduites.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H... sont fondés à demander l'annulation de la délibération du 30 mars 2017.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Promex sur leur fondement soit mise à la charge de M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H..., qui n'ont pas la qualité de partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre une somme globale de 2 000 euros à la charge de la société Promex, à verser à M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H....

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1702113 du tribunal administratif de Nice du 14 mai 2019 est annulé.

Article 2 : La délibération du conseil municipal de La Trinité du 30 mars 2017 est annulée.

Article 3 : La société Promex versera une somme globale de 2 000 euros à M. E..., Mme Q..., M. O..., Mme C..., M. D..., Mme R... et M. H... en application des dispositions de l'article L .761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Promex, à M. L... E..., à Mme I... Q..., à M. B... O..., à Mme G... C..., à M. P... D..., à Mme K... R..., à M. A... H... et à la commune de La Trinité.

Délibéré après l'audience du 26 avril 2021, où siégeaient :

- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. M... Grimaud, premier conseiller,

- M. François Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mai 2021.

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N° 19MA03527


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03527
Date de la décision : 17/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Domaine - Domaine privé - Régime - Aliénation.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Recevabilité - Recevabilité du recours pour excès de pouvoir en matière contractuelle.


Composition du Tribunal
Président : Mme MASSE-DEGOIS
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : DUMOUCHEL DE PREMARE

Origine de la décision
Date de l'import : 25/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-05-17;19ma03527 ?
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