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09/11/2020 | FRANCE | N°18MA03348

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 09 novembre 2020, 18MA03348


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société des eaux de Marseille a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la métropole d'Aix-Marseille-Provence à lui verser la somme de 808 908 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 2 février 2015.

Par un jugement n° 1607739 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 juillet 2018, le 4 septembre 2018, le 19 novembre 2019, le 9 janvier

2020 et le 13 février 2020, la Société des eaux de Marseille, représentée par Me B..., demande ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société des eaux de Marseille a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la métropole d'Aix-Marseille-Provence à lui verser la somme de 808 908 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 2 février 2015.

Par un jugement n° 1607739 du 31 mai 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 18 juillet 2018, le 4 septembre 2018, le 19 novembre 2019, le 9 janvier 2020 et le 13 février 2020, la Société des eaux de Marseille, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 31 mai 2018 ;

2°) à titre principal, de condamner la métropole d'Aix-Marseille-Provence à lui verser la somme de 808 908 euros assortie des intérêts moratoires à compter du 3 février 2015 ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert ;

4°) de mettre à la charge de la métropole d'Aix-Marseille-Provence la somme de

6 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas retenu l'existence de son préjudice à hauteur de la somme de 217 094 euros au titre de la valeur non amortie des investissements et de la somme de 591 814 euros au titre du manque à gagner correspondant aux bénéfices escomptés permettant d'assurer l'équilibre économique du contrat ;

- les juges de première instance ont méconnu leur pouvoir d'instruction en n'ordonnant pas une mesure d'expertise alors qu'elle a présenté, à titre subsidiaire, des conclusions à fin de désignation d'un expert, en ordonnant une mesure d'instruction inutile et en n'ordonnant pas de mesures d'instruction utiles pour la résolution du litige ;

- elle est fondée à être indemnisée de la valeur non amortie des investissements ainsi que des bénéfices dont elle a été privée par la rupture anticipée du contrat, la caducité du contrat devant être regardée comme une résiliation anticipée ;

- elle justifie par les extraits du Grand Livre auxiliaire issu de la comptabilité sociale, une copie des factures d'investissements réalisés dans le contrat de Berre l'Étang et l'attestation rédigée par le cabinet Ernst et Young Audit du montant de la valeur résiduelle des investissements à la date de la résiliation du contrat à hauteur de 216 734,18 euros en utilisant la méthode préconisée par l'instruction de juillet 2014 ;

- la résiliation anticipée du contrat de délégation de service public conclu pour une durée de trente ans l'a privée d'un manque à gagner certain au titre de la période 2015-2021 représentant la somme de 591 814 euros ;

- sa requête était recevable dès lors que le recours gracieux qu'elle a exercé le 25 janvier 2016 à l'encontre du refus du 18 décembre 2015 de la métropole Aix-Marseille-Provence de l'indemniser a donné lieu à une décision implicite de rejet ;

- le refus de l'indemniser de la valeur non amortie des investissements réalisés dans le cadre du contrat conduit à un enrichissement sans cause de la métropole Aix-Marseille-Provence ;

- au terme d'un arrêt du Conseil d'État rendu le 27 janvier 2020, n° 422104, les contrats conclus antérieurement à la loi Barnier dont la durée était supérieure à vingt ans ne sont pas illégaux.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 4 avril 2019, le 12 décembre 2019 et le 23 janvier 2020, la métropole d'Aix-Marseille-Provence représentée par Me C... demande à la Cour de rejeter la requête de la Société des eaux de Marseille et à ce qu'il soit mis à sa charge la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le recours de la Société des eaux de Marseille devant le tribunal administratif de Marseille a été introduit le 27 septembre 2016 soit après l'expiration du délai de recours ouvert par la décision du 18 décembre 2015 ;

- la demande indemnitaire de la Société des eaux de Marseille, insuffisamment justifiée, ne pouvait qu'être rejetée par les premiers juges ;

- l'attestation d'un commissaire aux comptes versée aux débats ne permet pas de démontrer la valeur non amortie des investissements à hauteur de 216 734,18 euros dès lors que les informations ayant servi à la préparation des comptes annuels n'ont pas été soumis aux tests d'audit ;

- la caducité de la convention ne permet pas au délégataire sortant de se voir indemniser du manque à gagner dû à la fin anticipée du contrat ;

- il n'appartenait pas au juge de première instance de désigner un expert afin qu'il complète la demande indemnitaire de la société requérante ;

- la SEM ne justifie pas en appel des sommes qu'elle réclame.

Par ordonnance du 3 février 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 17 février 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code civil ;

- la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;

- la loi n° 95-101 du 2 février 1995 ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2001-492 du 6 juin 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D... E..., rapporteure,

- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la Société des eaux de Marseille et de Me C..., représentant la métropole d'Aix-Marseille-Provence.

1. Par une convention de délégation signée le 31 mai 1991, rendue exécutoire le 8 juillet 1991, la commune de Berre-l'Etang, aux droits de laquelle vient la métropole d'Aix-Marseille-Provence, a confié le service public de distribution d'eau potable à la Société des eaux de Marseille (SEM) pour une durée de trente ans. La communauté d'agglomération dite Agglopole Provence, alors compétente en matière d'eau et d'assainissement pour le territoire de la commune de Berre-l'Etang, a, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 18 février 2011, engagé en application de l'article L. 1411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales une procédure d'attribution de l'ensemble des contrats de délégation de service public de distribution d'eau potable sur le territoire de la communauté d'agglomération, avec effet au 1er janvier 2013, différé au 3 février 2015 s'agissant de cette commune pour une durée de douze ans. La Société des eaux de Marseille a été désignée délégataire de ce service pour l'ensemble du territoire de la communauté d'agglomération. Elle a ensuite demandé à la métropole d'Aix-Marseille-Provence, venue aux droits de la communauté d'agglomération Agglopole Provence, de lui verser une indemnité en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la résiliation de la convention du 31 mai 1991. En l'absence de réponse favorable, elle a formé une demande indemnitaire devant le tribunal administratif de Marseille. Elle relève appel du jugement du 31 mai 2018 par lequel les juges de première instance ont rejeté sa demande.

Sur l'irrégularité du jugement :

2. Il ressort des écritures de première instance de la Société des eaux de Marseille que cette dernière a sollicité à titre subsidiaire, dans son mémoire enregistré le 3 mars 2017, une mesure d'expertise. Ces conclusions subsidiaires n'ont pas été analysées ni même visées par le tribunal administratif qui n'y a pas davantage statué alors qu'il a rejeté les conclusions principales. Par suite, le jugement attaqué est irrégulier en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions subsidiaires présentées par la Société des eaux de Marseille et doit, pour ce motif, être annulé dans cette mesure.

3. Il y a lieu pour la Cour de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les conclusions indemnitaires de la Société des eaux de Marseille présentées à titre principal et par la voie de l'évocation sur ses conclusions de première instance présentées à titre subsidiaire tendant à ce qu'une mesure d'expertise soit ordonnée.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

4. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".

5. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l'encontre d'une décision administrative un recours gracieux devant l'auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L'exercice du recours gracieux n'ayant d'autre objet que d'inviter l'auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d'un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé contre le rejet du recours gracieux mais comme étant également dirigé contre la décision administrative initiale.

6. Il résulte des dispositions de la loi du 12 avril 2000, notamment celles de l'article 19 reprises aux articles L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration en vigueur depuis le 1er janvier 2016, que les délais de recours contre une décision administrative se prononçant sur une demande indemnitaire ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, soit dans sa notification si la décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la demande l'ayant fait naître si elle est implicite. Il en va ainsi, y compris lorsque la décision, prise à la suite de l'exercice d'un recours gracieux qui n'est pas un préalable obligatoire au recours contentieux, ne se substitue pas à la décision qui a fait l'objet de ce recours.

7. Il résulte de l'instruction que par courrier en date du 20 mars 2015, la SEM a sollicité l'indemnisation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la fin anticipée de la convention du 31 mai 1991 à la date du 3 février 2015. Par courrier en date du 18 décembre 2015, dont la requérante indique sans être contestée sur ce point avoir reçu notification le 23 décembre suivant, le président de la communauté d'agglomération Agglopole Provence a rejeté le principe d'une indemnisation en indiquant les voies et délais de recours. Le courrier en date du 25 janvier 2016, présenté avant l'expiration du délai de recours contentieux et par lequel la Société des eaux de Marseille demande à la métropole Aix-Marseille-Provence le paiement de la somme de 808 908 euros, doit être regardé comme un recours gracieux dirigé contre la décision explicite de rejet du 18 décembre 2015, recours gracieux ayant fait l'objet d'un rejet implicite. Par suite, ce courrier, présenté avant l'expiration du délai de recours contentieux, a eu pour effet de proroger les délais de recours à l'encontre de la décision du 18 décembre 2015, qui n'était pas devenue définitive. Au surplus, en l'absence de délivrance par la métropole d'Aix-Marseille-Provence à la Société des eaux de Marseille d'un accusé de réception mentionnant les voies et délais de recours à sa demande gracieuse datée du 25 janvier 2016, la requête enregistrée le 27 septembre 2016 ne peut être regardée comme tardive et, par suite, irrecevable. La fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête introductive d'instance opposée par la métropole Aix-Marseille-Provence doit dès lors être écartée.

Sur l'évocation partielle, la demande d'expertise :

8. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit précédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à la concilier les parties. ". L'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge d'ordonner sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans l'instance.

9. Il résulte de l'instruction que l'expertise est sollicitée à titre subsidiaire par la Société des eaux de Marseille afin d'éclairer les juges sur les sommes qu'elle réclame. Dès lors que les éléments susceptibles de préciser les demandes indemnitaires de la société requérante sont à la disposition de la Cour, le caractère utile d'une mesure d'expertise n'est pas démontré. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner l'expertise demandée.

Sur l'effet dévolutif, les conclusions indemnitaires :

10. L'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 codifié à l'article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales en vertu duquel les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée, a été complété par l'article 75 de la loi du 2 février 1995, publiée au Journal officiel le 3 février suivant, aux termes duquel " dans le domaine de l'eau potable, ..., les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le trésorier-payeur général, à l'initiative de l'autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée.". Selon l'article 47 de cette même loi, codifié à l'article L. 1411-11 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions des articles 38 et 42 à 46 de la présente loi sont applicables aux conventions dont la signature intervient à compter du 31 mars 1993. / Elles ne sont pas applicables lorsque, avant la date de publication de la présente loi, l'autorité habilitée a expressément pressenti un délégataire et que celui-ci a, en contrepartie, engagé des études et des travaux préliminaires. ".

11. Sous réserve de mesures transitoires, lorsque la loi ne prévoit pas expressément l'application des normes nouvelles qu'elle édicte à une situation contractuelle en cours à la date de son entrée en vigueur, elle ne peut être interprétée comme autorisant implicitement une telle application de ses dispositions que si un motif d'intérêt général suffisant lié à un impératif d'ordre public le justifie et que cette application ne porte pas une atteinte excessive à la liberté contractuelle. Pour les contrats administratifs, l'existence d'un tel motif d'intérêt général s'apprécie en tenant compte des règles applicables à ces contrats, notamment du principe de mutabilité.

12. Les dispositions de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 ne comportent aucune mention expresse prévoyant leur application aux conventions de délégation de service public en cours et les dispositions précitées de l'article 47 de la loi ont eu pour seul objet d'exonérer du respect des nouvelles règles de passation des conventions de délégation de service public les conventions proches de leur conclusion à la date de publication de la loi et celles pour lesquelles le délégataire avait déjà été pressenti et avait engagé en contrepartie des études ou travaux préliminaires. Il ne saurait donc être déduit de l'absence de mention de l'article 40 dans ces dispositions que le législateur a expressément rendu applicables les règles fixées par cet article pour limiter la durée des délégations de service public à d'autres conventions que celles conclues à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

13. Toutefois, la loi du 29 janvier 1993 répond à un impératif d'ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation. Or, si un tel motif d'intérêt général ne saurait, pas plus que la nécessité d'assurer l'égalité de tous les opérateurs économiques délégataires de service public au regard des exigences de la loi, entraîner la nullité des contrats de délégation de service public conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi pour des durées incompatibles avec les dispositions de son article 40, ni contraindre les parties à de tels contrats à modifier leur durée, il implique en revanche, non seulement qu'aucune stipulation relative à la durée du contrat, convenue entre les parties après la date d'entrée en vigueur de la loi, ne peut méconnaître les exigences prévues par son article 40, mais en outre que les clauses d'une convention de délégation de service public qui auraient pour effet de permettre son exécution pour une durée restant à courir, à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, excédant la durée maximale autorisée par la loi, ne peuvent plus être régulièrement mises en oeuvre au-delà de la date à laquelle cette durée maximale est atteinte.

14. Pour les raisons exposées aux points 10 à 13, il appartient au juge saisi d'un litige relatif à une convention de délégation de service public conclue antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 de s'assurer que ce contrat n'a pas cessé de pouvoir être régulièrement exécuté en raison d'une durée d'exécution excédant, à compter de l'entrée en vigueur de la loi, la durée désormais légalement limitée en fonction de la nature des prestations ou, dans le cas où les installations sont à la charge du délégataire, en fonction de l'investissement à réaliser, et, en tout état de cause, pour un contrat de concession du service de distribution d'eau potable, excédant une durée de vingt ans, à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi du 2 février 1995, sauf justifications particulières préalablement soumises à l'examen du trésorier-payeur général.

15. En l'espèce, les clauses de la convention du 31 mai 1991, qui fixaient la durée de la délégation de service public à trente ans, excédaient la durée maximale de vingt ans autorisée par la loi du 2 février 1995 pour les délégations de service public passées dans le domaine de l'eau potable. D'une part, l'autorité délégante, qui n'a pas saisi le trésorier-payeur général, n'a pas entendu faire appliquer la convention du 31 mai 1991 au-delà de la durée légale maximale de vingt ans applicable à compter du 3 février 1995. D'autre part, cette autorité délégante a décidé de la cessation anticipée de la convention par l'engagement, le 18 février 2011, d'une nouvelle procédure d'attribution de la délégation de service public de distribution d'eau potable, dont l'entrée en vigueur, pour le territoire de la commune de Berre-l'Etang, a été fixée au 3 février 2015. À l'issue de cette procédure, la délégation de service public pour la gestion du service de production et de distribution d'eau potable sur le territoire de l'ensemble des communes membres de l'Agglopole Provence a été confiée, par acte du 23 juillet 2012, à la SEM pour une durée de douze ans à compter du 1er janvier 2013 à l'exception de deux communes dont celle de Berre, ce nouveau contrat ayant pris effet à compter du 3 février 2015. Par suite, la convention conclue par la commune de Berre l'Étang le 31 mai 1991 doit être regardée comme ayant été résiliée à compter de la date du 3 février 2015.

En ce qui concerne le préjudice tiré de la valeur non amortie des biens de retour :

16. Dans le cadre d'une délégation de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.

17. En principe, lorsqu'une délégation de service public cesse avant son terme, le délégataire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis. Lorsque l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Dans le cas où leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Enfin, si en présence d'une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus.

18. Par ailleurs, l'entrée en vigueur de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, qui a fixé la règle selon laquelle la durée des conventions de délégation de service public ne doit pas dépasser la durée normale d'amortissement des installations, et celle de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, qui a prévu que dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir, en principe, une durée supérieure à vingt ans, ne font pas obstacle à l'application des règles définies au point 17 ci-dessus en cas de cessation anticipée d'un contrat conclu antérieurement.

19. Aux termes de l'article III de la convention du 31 mai 1991 : " (...) Dans le cadre de ce programme, la SEM réalisera la construction d'un réservoir de 5 000 m3 environ et d'un tronçon de canalisation d'adduction jusqu'à concurrence d'un coût d'opération maximum de 8 000 000 Francs ". Selon l'article 1 du cahier des charges d'affermage annexé à cette convention du 31 mai 1991 : " Le présent affermage a pour objet la gestion du Service de distribution publique d'eau sur l'ensemble du territoire de la commune. / La gestion du service comprend la réalisation des travaux confiés au Fermier par le présent contrat, et l'exploitation, aux risques et périls du Fermier, des ouvrages créés pendant la durée de l'Affermage ou existants, à son entrée en vigueur. " et selon le a) de l'article 26 du même cahier : " Les travaux (...) seront décidés et financés par la commune. / (...) / Le Fermier sera tenu de percevoir gratuitement pour le compte de la Commune une surtaxe s'ajoutant au prix de l'eau. ".

20. Par une convention de délégation signée le 31 mai 1991, rendue exécutoire le 8 juillet 1991, la commune de Berre-l'Etang, aux droits de laquelle vient la métropole d'Aix-Marseille-Provence, a confié, par son article I, le service public de distribution d'eau potable à la Société des eaux de Marseille pour une durée de trente ans et, par son article III, a chargé cette société de réaliser la construction de 5 000 m3 environ de réserve au lieu-dit Flory ainsi que la construction de la canalisation d'amenée au réservoir à partir des conduites d'adduction existantes. Par un avenant n° 2 transmis à la sous-préfecture d'Istres le 28 mars 1996, les parties au contrat d'affermage signé le 31 mai 1991 ont décidé de réduire la construction du réservoir à 3 000 m3 et d'adapter, en conséquence, les conduites aux conditions d'adduction et de distribution.

21. Il résulte des tableaux de suivi Cash Flow versés au dossier que la Société des eaux de Marseille a enregistré dans ses comptes au titre de l'année 1995 la somme de 1 203 859 euros pour l'ensemble des investissements concernant " Berre Zac de Flory Eau ". Il résulte de l'examen des quarante et une factures versées aux débats datées de 1991, 1992, 1993 et 1994 que la Société des eaux de Marseille a engagé la somme exacte de 6 257 781,45 francs, soit

953 992,62 euros, pour réaliser la construction d'une réserve d'eau de 3 000 m3 et de la canalisation d'amenée. En outre, il résulte des extraits du Grand Livre auxiliaire que sur l'investissement de 953 992,62 euros réalisé, une somme de 737 258,44 euros, à la date du 31 décembre 2015, était amortie. Enfin, par une attestation en date du 25 juillet 2018, la société de commissaires aux comptes et d'expertise comptable Ernst et Young a certifié n'avoir pas d'observation à formuler sur les informations transmises par la Société des eaux de Marseille sur la base de leur travaux qui ont consisté, après avoir procédé par sondage, d'une part, à des rapprochements entre les éléments produits et la comptabilité dont ils sont issus afin de vérifier la concordance avec les éléments ayant servi de base à l'établissement des comptes annuels de l'exercice clos le 31 décembre 2015 et, d'autre part, à la vérification arithmétique des informations ainsi qu'à la vérification de la correcte application de la méthode de calcul de la valeur nette comptable des dépenses " réservoir et adduction Zac Flory ". Par suite, les diverses pièces comptables versées aux débats rapprochées de l'attestation de la société de commissaires aux comptes et d'expertise comptable Ernst et Young, qui a effectué un audit des comptes annuels pris dans leur ensemble de la requérante pour l'exercice clos au 31 décembre 2015, permettent de fixer la valeur non amortie des investissements réalisés par la Société des eaux de Marseille dans le cadre du contrat d'affermage de 1991 modifié en 1996 à la date de sa résiliation à la somme de 216 734,18 euros. La Société des eaux de Marseille est, dès lors, fondée à être indemnisée à ce titre du montant de 216 734,18 euros.

En ce qui concerne le manque à gagner :

22. D'une part, eu égard à l'absence de décision permettant à la convention du 31 mai 1991 conclue pour une durée de trente ans de se poursuivre au-delà de la durée légale maximale de vingt ans applicable à compter du 3 février 1995 après justifications particulières préalablement soumises à l'examen du trésorier-payeur général et à la conclusion le 23 juillet 2012 d'une nouvelle délégation de service public pour la gestion du service de production et de distribution d'eau potable sur le territoire de l'ensemble des communes membres de l'Agglopole Provence, y compris sur celui de la commune de Berre l'Etang, ainsi qu'il a été dit au point 15, cette convention doit être regardée comme ayant été résiliée à compter de la date du 3 février 2015. D'autre part, la Société des eaux de Marseille n'établit pas, ni même ne soutient que de telles justifications, permettant d'excéder la durée de vingt ans, auraient pu être apportées. Dans ces conditions, l'appelante n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation du manque à gagner pour la période non exécutée de ladite convention. Par suite, ce chef de préjudice doit être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que la Société des eaux de Marseille est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la réparation de son préjudice au titre de la valeur non amortie des investissements.

Sur les intérêts moratoires :

24. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande, préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine.

25. La Société des eaux de Marseille n'établit pas devant le juge la date à laquelle sa demande préalable datée du 25 janvier 2016 est parvenue à la métropole Aix-Marseille-Provence. Par suite, elle est seulement fondée à obtenir les intérêts moratoires sur la somme de 216 734,18 euros à compter de la date de l'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif de Marseille, soit à compter du 27 septembre 2016.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Société des eaux de Marseille, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la métropole d'Aix-Marseille-Provence demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la métropole d'Aix-Marseille-Provence le paiement à la Société des eaux de Marseille d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 31 mai 2018 est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur les conclusions subsidiaires de la Société des eaux de Marseille tendant à la désignation d'un expert.

Article 2 : La métropole d'Aix-Marseille-Provence est condamnée à verser à la Société des eaux de Marseille la somme de 216 734,18 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2016.

Article 3 : La métropole d'Aix-Marseille-Provence versera à la Société des eaux de Marseille une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 31 mai 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 2, 3 et 4 du présent arrêt.

Article 6 Le présent arrêt sera notifié à la Société des eaux de Marseille et à la métropole d'Aix-Marseille-Provence.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme D... E..., présidente assesseure,

- M. Philippe Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 9 novembre 2020.

2

N° 18MA03348

MY


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03348
Date de la décision : 09/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Fin des concessions.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Fin des concessions - Résiliation - Droit à indemnité du concessionnaire.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SOCIÉTÉ D'AVOCATS VEDESI ; SOCIÉTÉ D'AVOCATS VEDESI ; SELARL CABINET CABANES - CABANES NEVEU ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-11-09;18ma03348 ?
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