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19/10/2020 | FRANCE | N°18MA02839

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 19 octobre 2020, 18MA02839


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler le titre de perception émis à son encontre le 12 mars 2015 par le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Corse pour un montant de 1 846 550 euros.

Par un jugement n° 1600865 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 juin 2018, la chambre de commerc

e et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, représentée par Me A..., demande à la Co...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler le titre de perception émis à son encontre le 12 mars 2015 par le directeur départemental des finances publiques de la Haute-Corse pour un montant de 1 846 550 euros.

Par un jugement n° 1600865 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 18 juin 2018, la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 18 avril 2018 ;

2°) d'annuler le titre de perception émis à son encontre pour un montant de 1 846 550 euros le 12 mars 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre de perception du 12 mars 2015 méconnaît l'article 24 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 dès lors qu'il ne mentionne pas les bases et éléments de calcul qui fondent son montant et les dispositions de ce décret ne s'appliquent pas en l'espèce dès lors que son article 5 exclut les chambres de commerce et d'industrie de son champ d'application ;

- ce titre de perception méconnaît l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, en l'absence de signature de son auteur et de mention de son service ;

- l'article 33 de la loi de finances pour 2015 méconnait les dispositions combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de son premier protocole additionnel dès lors que, notamment, la différence de traitement entre les chambres de commerce et d'industrie territoriales repose, sans être justifiée par un motif d'intérêt général, sur la situation du fonds de roulement au cours de l'exercice 2013 ;

- la quote-part due par la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse au titre du prélèvement de 350 millions d'euros devrait s'établir à 865 738 euros au lieu de 1 384 862 euros ;

- il est rigoureusement impossible pour une chambre de commerce et d'industrie de déterminer par elle-même le montant de son prélèvement et encore moins de s'assurer de l'exactitude de celui retenu par le tableau figurant à l'article 33 ;

- le critère du poids économique ne présente aucun rapport avec l'objet du prélèvement institué par l'article 33 et ne peut dès lors être regardé comme un critère objectif permettant d'opérer une différence de traitement ;

- le mode de calcul présenté à l'article 33 de la loi de finances pour 2015 méconnait les principes constitutionnels d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques ainsi que les exigences constitutionnelles de clarté et de précision de la loi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 août 2018, le ministre de l'économie et des finances demande à la Cour le rejet de la requête de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse.

Il soutient que :

- l'article 5 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ne dispense pas l'Etat, dans ses relations financières avec les chambres de commerce et d'industrie, d'appliquer les dispositions de ce décret ;

- la détermination de la créance ne saurait donner lieu à un calcul dès lors que c'est la loi elle-même qui détermine le montant de la créance due par chaque chambre de commerce et d'industrie ;

- les dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 ne sont pas applicables en l'espèce dès lors que le Conseil d'Etat a exclu de son champ d'application l'ensemble des décisions adressées par l'Etat à un établissement public dont il assure la tutelle ;

- les dispositions de l'article 33 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 pour 2015, justifiées par un objectif d'intérêt général, n'ont pas porté une atteinte disproportionnée au respect des biens énoncés à l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- ces mêmes dispositions ne portent pas atteinte aux stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles rétablissent une forme d'égalité entre chambres de commerce et d'industrie et que les critères retenus sont justifiés.

Par une ordonnance du 19 mai 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 juin 2020.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et notamment son article 1600 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

- la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 et notamment son article 33, tel que modifié par la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C... D..., rapporteure ;

- et les conclusions de M. B... Thielé, rapporteur public.

1. La direction départementale des finances publiques de Haute-Corse a émis le 12 mars 2015 un titre de perception d'un montant de 1 846 550 euros à l'encontre de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse par application de l'article 33 de la loi de finances pour 2015 qui avait institué un prélèvement de 500 millions d'euros sur le budget de l'ensemble des établissements consulaires territoriaux. Par une réclamation du 18 mai 2015, la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Bastia et de la Haute-Corse a formé un recours préalable à l'encontre de ce titre auprès de la direction départementale des finances publiques de Haute-Corse qui l'a implicitement rejeté. La chambre de commerce et d'industrie territoriale de Bastia et de la Haute-Corse a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à l'annulation du titre de perception du 12 mars 2015 émis à son encontre. La chambre de commerce et d'industrie territoriale de Bastia et de la Haute-Corse relève appel du jugement du 18 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité de l'article 33 de la loi de finances pour 2015 :

2. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé (...) " et aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

3. Si la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse soulève les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de l'article 33 de la loi de finances pour 2015 au regard, d'une part, des principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques et, d'autre part, des exigences constitutionnelles de clarté et de précision de la loi, il ressort de ses écrits qu'elle n'a pas présenté ces moyens dans un mémoire distinct, en méconnaissance des prescriptions de l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Ces moyens doivent, dès lors, être déclarés irrecevables.

Sur la régularité du titre de perception :

4. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 1 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Les dispositions du titre Ier du présent décret sont applicables aux administrations publiques au sens du règlement (CE) du 25 juin 1996 visé ci-dessus, mentionnées aux 1° à 5° suivants ainsi qu'aux personnes morales mentionnées au 6° : 1° L'Etat ; (...) ". Aux termes de l'article 5 de ce même décret : " Par dérogation au 4° de l'article 1er et au premier alinéa de l'article 3, les dispositions du présent décret ne s'appliquent pas (...) aux chambres de commerce et d'industrie (...). "

5. Si le décret précité du 7 novembre 2012 ne s'applique pas à la gestion budgétaire des chambres de commerce et d'industrie en vertu de son article 5, il s'applique, en revanche, à la gestion budgétaire et à la comptabilité publique de l'Etat et de ses services en vertu de son article 1. Ainsi, les dispositions de décret s'appliquent au titre de perception émis par la direction départementale des finances publiques de Haute-Corse qui n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, méconnu l'article 5 dudit décret.

6. D'autre part, aux termes de l'article 24 du même décret du 7 novembre 2012 : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation (...) ". En application de ce principe, un titre de recettes exécutoire est suffisamment motivé s'il indique, soit par lui-même, soit par référence à un document qui lui est joint ou qui a été précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels son auteur se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge du redevable.

7. Le titre de perception litigieux, qui porte sur la somme de 1 846 550 euros, indique que l'objet de la créance est le " recouvrement de la part du prélèvement de 500 millions d'euros sur les CCI prévu au III de l'article 33 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 au profit du fonds de financement des chambres de commerce et d'industrie de région mentionné au 2 du III de l'article 1600 du code général des impôts ". Si la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse soutient que le titre de perception ne comportait pas les éléments de calcul à partir desquels le montant de la créance qui lui est réclamée a été établi, ce montant résulte du texte même du III de l'article 33 de la loi du 29 décembre 2014. Par suite, le moyen tiré de ce que le titre de perception litigieux n'indique pas les bases de liquidation en méconnaissance de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 doit être écarté.

8. En second lieu, aux termes du second alinéa de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations désormais codifié à l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par l'une des autorités administratives mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ".

9. Ces dispositions ne sont pas applicables aux décisions adressées par l'État à un établissement public dont il assure la tutelle. Par suite, le titre exécutoire litigieux adressé par l'Etat à la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Bastia et de la Haute-Corse, dont il assure la tutelle par l'intermédiaire des préfets, n'avait pas à être signé par l'ordonnateur ni à mentionner le service de l'agent ordonnateur. En tout état de cause, il résulte des pièces soumises au juge que le titre de perception mentionne les nom, prénom et qualité dudit agent. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'alinéa 2 de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 désormais codifié à l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.

Sur le bien-fondé de la créance :

10. L'article 1600 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, prévoit en son III que : " 2.-Le produit de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est affecté au fonds de financement des chambres de commerce et d'industrie de région, dans la limite du plafond prévu au I de l'article 46 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 précitée. En 2015, le produit du prélèvement exceptionnel prévu au III de l'article 33 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 est également affecté au fonds de financement des chambres de commerce et d'industrie de région (...) ". Selon l'article 33 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, tel que modifié par la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, applicable en l'espèce : " I.- Par dérogation au 2 du III de l'article 1600 du code général des impôts, une somme de 500 millions d'euros, imputable sur le produit attendu de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, est affectée au budget général de l'Etat. / (...) III.- Il est opéré, en 2015, au profit du fonds de financement des chambres de commerce et d'industrie de région mentionné au 2 du III de l'article 1600 du code général des impôts, un prélèvement de 500 millions d'euros sur les chambres de commerce et d'industrie, à l'exception des régions où il n'existe qu'une seule chambre de commerce et d'industrie territoriale, dénommée chambre de commerce et d'industrie de région. / Ce prélèvement est réparti entre les établissements disposant d'un fonds de roulement, défini au 1° du présent III, de plus de cent vingt jours de charges de fonctionnement. / Le prélèvement est réparti : / 1° A hauteur de 350 millions d'euros, à proportion de cet excédent. Le fonds de roulement est défini, pour chaque établissement, par référence aux données comptables de l'exercice 2013, par différence entre les ressources stables (capitaux propres, provisions, dettes d'emprunt) et les emplois durables (actif immobilisé). Les charges prises en compte pour calculer le fonds de roulement correspondant à cent-vingt jours sont les charges décaissables non exceptionnelles (charges d'exploitation et charges financières, moins les dotations aux amortissements et aux provisions pour dépréciation). Les données prises en compte pour le calcul du fonds de roulement et des charges décaissables non exceptionnelles excluent les services budgétaires portuaires et aéroportuaires et les ponts gérés par les chambres de commerce et d'industrie. Elles excluent également les montants affectés en 2014 et 2015 à des investissements en faveur de centres d'apprentissage ou de formation en alternance, et ayant fait l'objet d'une décision d'autorisation du Premier ministre avant le 1er novembre 2014 dans le cadre du programme d'investissements d'avenir ; / 2° A hauteur de 150 millions d'euros, à proportion du poids économique des chambres de commerce et d'industrie, défini à l'article L. 711-1 du code de commerce. ". Un tableau précise à la suite de ces dispositions le montant du prélèvement pour chacun des établissements concernés, y compris la chambre de commerce et d'industrie territoriale de Bastia et de la Haute-Corse.

11. L'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Ces stipulations ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux ou financiers découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier.

12. Enfin, l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales prévoit quant à lui : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ". Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi.

En ce qui concerne la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

13. Les chambres de commerce et d'industrie sont des établissements publics administratifs soumis à la tutelle de l'Etat, qui exercent des missions d'intérêt général. En vertu des dispositions des articles L. 710-1 et R. 712-22-1 du code de commerce, les chambres de commerce et d'industrie de région bénéficient des impositions de toute nature qui leur sont affectées par la loi et elles répartissent entre les chambres de commerce et d'industrie territoriales et départementales qui leur sont rattachées, sous déduction de leur propre quote-part, le produit des impositions de toute nature qui leur sont affectées.

14. Il résulte de l'instruction, et en particulier des documents soumis à débat parlementaire, que le prélèvement sur le produit de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises normalement destiné au fonds de financement des chambres de commerce et d'industrie de région instauré par le I de l'article 33 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 rappelé au point 10 a été adopté par le législateur afin de réduire, puis de plafonner, les recettes fiscales affectées aux établissements consulaires, dès lors qu'il avait été constaté qu'une part importante de ces établissements disposaient, en raison de la croissance des recettes fiscales qui leur avaient été affectées au titre des années précédentes, de fonds de roulement excédant les ressources nécessaires pour assurer les missions qui leur incombaient. Le second prélèvement, prévu au III du même article, avait quant à lui un double objectif, d'une part, compenser le prélèvement effectué, au profit du budget général de l'Etat, en vertu du I du même article et abonder les fonds de roulement indispensables au fonctionnement des chambres de commerce et d'industrie de région et, d'autre part et surtout, permettre une répartition plus équitable des ressources entre les établissements consulaires territoriaux, les chambres de commerce et d'industrie de région dotées du produit de 500 millions d'euros provenant de ce prélèvement étant chargées d'assurer une péréquation entre les établissements consulaires départementaux permettant de garantir à l'ensemble de ceux-ci un niveau de ressources fiscales de référence. Dans ces conditions, alors que les chambres de commerce et d'industrie n'ont aucune garantie de disposer d'un même niveau de ressources fiscales d'une année à l'autre, le prélèvement litigieux, qui n'est opéré que sur les établissements qui sont d'un poids économique suffisant et qui disposent d'un fonds de roulement de plus de 120 jours de charges de fonctionnement, ménage un juste équilibre entre l'atteinte portée aux biens des chambres de commerce et d'industrie territoriales et les motifs d'intérêt général la justifiant, et le transfert de ressources opéré entre personnes publiques par les dispositions législatives rappelées au point 10 ne méconnaît pas les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

15. Le prélèvement en litige ne visant que les chambres de commerce et d'industrie territoriales disposant d'un fonds de roulement correspondant à plus de 120 jours de charges de fonctionnement, il institue ainsi une différence de traitement entre des personnes publiques qui ne sont pas dans une situation analogue. En outre, cette distinction ainsi que les objectifs d'intérêt général tels qu'ils sont rappelés au point 14 représentent, en l'espèce, une justification légitime de la différence de traitement instaurée dès lors que le niveau du fonds de roulement, constitue, contrairement à ce que soutient la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, un indicateur fiable, objectif et rationnel de la capacité contributive des chambres de commerce et d'industrie.

16. L'article 33 prévoit également que ce prélèvement s'opère à hauteur de 150 millions d'euros à proportion du poids économique des chambres de commerce et d'industrie défini à l'article L. 711-1 et l'article R. 713-66 du code de commerce. Ce poids économique est établi selon trois critères : le nombre de ressortissants des chambres, la somme des bases d'imposition de la cotisation foncière des entreprises due par ses ressortissants et le nombre de salariés qu'ils emploient qui permettent une appréciation objective de la capacité financière des chambres. Par ailleurs, seules les chambres de commerce et d'industrie disposant d'un fonds de roulement supérieur à cent-vingt jours de charges de fonctionnement étant visées par le prélèvement, contrairement à ce qui est soutenu, les capacités contributives sont ainsi prises en compte pour la détermination des établissements contribuant à ce prélèvement.

17. Enfin, les dispositions législatives de l'article 33 contestées ont expressément exclu de l'assiette du fonds de roulement les ressources budgétaires provenant des services portuaires et aéroportuaires et des ponts gérés en propre par les chambres de commerce et d'industrie, de même que les investissements prioritaires des chambres de commerce et d'industrie qui sont ainsi préservés. Par suite, les modalités de détermination des établissements consulaires concernés et de calcul du prélèvement sont en rapport direct avec l'objet de la loi et ne créent pas de différence de traitement disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur.

18. Il résulte de ce qui a été dit aux points 15 à 17 que les dispositions législatives critiquées n'instaurent pas, contrairement à ce que soutient l'établissement requérant, des conditions incompatibles avec le principe de non-discrimination garanti par les stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur le calcul du prélèvement exceptionnel :

19. D'une part, la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse ne saurait utilement soutenir qu'en retenant exclusivement les données comptables de l'exercice 2013, les dispositions litigieuses revêtiraient un caractère discriminatoire dans la mesure où le législateur s'est fondé, ainsi qu'il lui était loisible de le faire, sur les dernières données comptables disponibles pour déterminer la répartition du prélèvement de 500 millions d'euros sur les chambres de commerce et d'industrie.

20. D'autre part, la notion de fonds de roulement utilisée pour la répartition du prélèvement entre les établissements est précisément définie au 1° du III de l'article 33 de la loi de finances du 29 décembre 2014.

21. Si l'appelante soutient qu'elle est redevable " au titre du prélèvement de 350 millions d'euros " de la somme de " 865 738 euros au lieu de 1 384 862 euros ", elle n'en apporte cependant pas la démonstration par la seule production des tableaux joints à sa requête d'appel réalisés par ses soins et dont les données chiffrées ne sont corroborées par aucune pièce comptable. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de calcul qui affecterait le montant de la quote-part de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, tel que fixé par le tableau inséré au III de l'article 33 de la loi du 29 décembre 2014, n'est pas assorti des données comptables probantes qui permettraient au juge de se prononcer sur son bien-fondé.

22. Il résulte de tout ce qui précède que la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse n'est pas fondée, en tout état de cause, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme C... D..., présidente-assesseure,

- M. Philippe Grimaud, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 19 octobre 2020.

2

N° 18MA02839


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA02839
Date de la décision : 19/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

14-06-01 Commerce, industrie, intervention économique de la puissance publique. Organisation professionnelle des activités économiques. Chambres de commerce et d'industrie.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: Mme Christine MASSE-DEGOIS
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SELARL KIHL-DRIE ; SELARL GRIMALDI - MOLINA et ASSOCIÉS - AVOCATS ; SELARL KIHL-DRIE

Origine de la décision
Date de l'import : 07/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-10-19;18ma02839 ?
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