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29/06/2020 | FRANCE | N°19MA00860

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 29 juin 2020, 19MA00860


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme du canal de la Brillanne a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'association syndicale autorisée du canal de Manosque et la société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale à lui verser la somme de 154 904,88 euros au titre des frais d'entretien de ses ouvrages exposés depuis 2009 à la suite des déversements d'eau et de boues du canal de Manosque dans le canal de la Brillanne.

Par un jugement n° 1601505 du 21 décembr

e 2018, le tribunal administratif de Marseille a décidé la résiliation de la conven...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme du canal de la Brillanne a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'association syndicale autorisée du canal de Manosque et la société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale à lui verser la somme de 154 904,88 euros au titre des frais d'entretien de ses ouvrages exposés depuis 2009 à la suite des déversements d'eau et de boues du canal de Manosque dans le canal de la Brillanne.

Par un jugement n° 1601505 du 21 décembre 2018, le tribunal administratif de Marseille a décidé la résiliation de la convention conclue le 9 mars 1921 entre la société anonyme du canal de la Brillanne et l'association syndicale autorisée du canal de Manosque à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la lecture du jugement, a condamné l'association syndicale autorisée du canal de Manosque à verser la somme de 17 595 euros à la société anonyme du canal de la Brillanne et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 22 février 2019 et le 31 juillet 2019, la société anonyme du canal de la Brillanne, représentée par Me G... et Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il a limité à 17 595 euros le montant de la somme qui lui est due au titre des frais d'entretien du canal de la Brillanne engendrés par les déversements provenant du canal de Manosque ;

2°) à titre principal, de porter ce montant à 188 776,98 euros toutes taxes comprises ;

3°) à titre subsidiaire, de désigner un expert en vue d'éclairer la Cour sur l'ensemble des éléments à intégrer dans le calcul de la redevance annuelle qui lui est due ;

4°) de mettre à la charge de l'association syndicale autorisée du canal de Manosque les frais d'expertise exposés dans le cadre du litige ;

5°) de mettre à la charge de l'association syndicale autorisée du canal de Manosque la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 7611 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé car il retient l'évaluation de l'expert alors qu'elle avait contesté son bien-fondé ;

- la méthode de calcul de la redevance appliquée étant constante depuis 1977 et l'association syndicale autorisée du canal de Manosque s'étant acquittée de ces redevances, celles-ci doivent être regardées comme une règle non écrite de valeur contractuelle qu'il convient d'appliquer en vertu de l'exigence de loyauté des relations contractuelles ;

- en tout état de cause, l'article 4 de la convention d'affermage conclue en 1977 entre l'association syndicale autorisée du canal de Manosque et la société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale et l'article 35 de la convention qu'elles ont conclue aux mêmes fins en 2006 constituent une stipulation pour autrui à son bénéfice ;

- les évaluations du rapport de l'expert sont erronées.

Par un mémoire en défense enregistré le 2 mai 2019, l'association syndicale autorisée du canal de Manosque, représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) à titre principal et par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme de 17 595 euros à la société anonyme du canal de la Brillanne et de rejeter la demande de la société anonyme du canal de la Brillanne ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Marseille ;

3°) de mettre à la charge de la société anonyme du canal de la Brillanne la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société anonyme du canal de la Brillanne ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 juillet 2019, la société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale, représentée par Me C..., demande à la Cour de rejeter la requête de la société anonyme du canal de la Brillanne et de mettre à la charge de cette société la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société anonyme du canal de la Brillanne ne sont pas fondés.

Par courrier du 4 juin 2020 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur le litige.

La société anonyme du canal de la Brillanne a répondu à ce moyen par un mémoire enregistré le 12 juin 2020.

Par ordonnance du 27 juin 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 13 septembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme F... H..., présidente assesseure, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. David Zupan, président de la 6ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. A... Thiele, rapporteur public,

- et les observations de Me G..., représentant la société anonyme du canal de la Brillanne, et de Me B..., représentant l'association syndicale autorisée du canal de Manosque.

°

1. La société anonyme du canal de la Brillanne et le syndicat du canal de Manosque, aux droits duquel vient l'association syndicale autorisée du canal de Manosque, ont conclu le 9 mars 1921 une convention aux termes de laquelle la société anonyme du canal de la Brillanne acceptait à titre perpétuel de recevoir au sein du canal de la Brillanne, qu'elle exploite, les déversements dits " de colature " émanant du canal de Manosque, propriété de l'association syndicale autorisée du canal de Manosque, moyennant un versement unique de 20 000 francs. De 1977 à 2008, l'association syndicale autorisée du canal de Manosque s'est acquittée auprès de la société anonyme du canal de la Brillanne, par l'intermédiaire de la société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale, alors fermière des installations du canal de Manosque, de sommes qualifiées de " redevances de colature " et correspondant aux frais de curage du canal de la Brillanne engendrés, selon la société anonyme du canal de la Brillanne, par le déversement des eaux du canal de Manosque. A compter de 2009, l'association syndicale autorisée du canal de Manosque a enjoint à son fermier de cesser le règlement de ces redevances et a refusé de les verser elle-même à la société anonyme du canal de la Brillanne. Celle-ci a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la condamnation solidaire de l'association syndicale autorisée du canal de Manosque et de la société du canal de Provence et d'aménagement de la région provençale à lui acquitter ces redevances pour les années 2009 à 2017, représentant un total de 154 904,88 euros toutes taxes comprises, et relève appel du jugement, en date du 21 décembre 2018, par lequel ce tribunal a limité ses droits à la somme totale de 17 595 euros, en sollicitant devant la Cour, désormais à l'encontre de la seule association syndicale autorisée du canal de Manosque, la somme actualisée de 188 776,98 euros toutes taxes comprises, intégrant les années 2018 et 2019.

2. Aux termes de l'article 35 du décret du 27 février 2015 : " Lorsqu'une juridiction est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut, par une décision motivée qui n'est susceptible d'aucun recours, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 152-14 du code rural et de la pêche maritime : " Toute personne physique ou morale, qui veut user pour l'alimentation en eau potable, pour l'irrigation ou, plus généralement, pour les besoins de son exploitation, des eaux dont elle a le droit de disposer, peut obtenir le passage par conduite souterraine de ces eaux sur les fonds intermédiaires, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l'exploitation présente et future de ces fonds, à charge d'une juste et préalable indemnité. / (...) Cette servitude s'applique également en zone de montagne pour obtenir le passage des eaux destinées à l'irrigation par aqueduc ou à ciel ouvert dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa ". En vertu des dispositions de l'article L. 152-16 du même code : " Les contestations auxquelles peuvent donner lieu l'établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d'eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnités dues soit au propriétaire du fonds traversé, soit à celui du fonds qui reçoit l'écoulement des eaux sont portées devant les tribunaux de l'ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier l'intérêt de l'opération avec le respect dû à la propriété.".

4. Il résulte de l'instruction que le contrat conclu le 9 mars 1921 entre l'association syndicale autorisée du canal de Manosque, personne morale de droit public et la société anonyme du canal de la Brillanne, personne morale de droit privé, tel qu'il vient d'être décrit au point 1 ci-dessus est susceptible d'être regardé comme instituant une servitude d'aqueduc au sens des dispositions de l'article L. 152-14 du code rural, dont le contentieux relève de la juridiction judiciaire en vertu de la loi, ou une autre servitude de droit privé, en vertu des dispositions des articles 637 et suivants du code civil, dont le contentieux relèverait en principe de la juridiction judiciaire.

5. Il résulte toutefois également de l'instruction qu'eu égard aux circonstances d'édification du canal de Manosque, à sa qualité d'ouvrage public, à l'obligation faite à l'association syndicale du canal de Manosque par la convention du 9 mars 1921 d'édifier des ouvrages de décantation et de raccordement aux ouvrages du canal de la Brillanne et à la fonction de ce canal, le contrat en cause pourrait constituer un contrat de travaux publics ou éventuellement, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Marseille, fixer les conditions de la participation de la société anonyme du canal de la Brillanne au service public administratif d'entretien des ouvrages d'irrigation assuré par l'ASA du canal de Manosque au profit de ses membres, et relever alors d'un régime de droit public.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la question de la qualification du contrat en cause et, partant, celle de savoir si l'action introduite par la société anonyme du canal de la Brillanne devant le tribunal administratif de Marseille relève ou non de la compétence de la juridiction administrative soulève une difficulté sérieuse mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction. Il y a lieu, par suite, de renvoyer cette question au Tribunal des conflits et de surseoir à statuer, jusqu'à la décision de ce Tribunal, sur la requête d'appel présentée par la société anonyme du canal de la Brillanne.

D É C I D E :

Article 1er : L'affaire est renvoyée au Tribunal des conflits.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête n° 19MA00860 jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour statuer sur ce litige.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme du canal de la Brillanne, à l'association syndicale du canal de Manosque et à la société du canal de provence et d'aménagement de la région provençale.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2020, où siégeaient :

- Mme F... H..., présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. E... Grimaud, premier conseiller,

- M. Allan Gautron, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 juin 2020.

2

N° 19MA00860

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA00860
Date de la décision : 29/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

17-03-02-03 Compétence. Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel. Contrats.


Composition du Tribunal
Président : Mme MASSE-DEGOIS
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : CABINET ADDEN MEDITERRANEE (SELARL)

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-29;19ma00860 ?
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