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17/05/2019 | FRANCE | N°17MA03213

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 17 mai 2019, 17MA03213


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 18 mai 2016 par laquelle la directrice territoriale Rhône Saône de l'établissement public Voies navigables de France a décidé de ne pas renouveler la convention d'occupation temporaire d'une parcelle de terrain au lieu-dit " les Cabanes des Aresquiers " à Frontignan, sur laquelle est édifié un local à usage d'habitation et lui a demandé de libérer les lieux, ainsi que la décision du 4 octobre 2016 par laquelle la m

ême autorité a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1605731 du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler la décision du 18 mai 2016 par laquelle la directrice territoriale Rhône Saône de l'établissement public Voies navigables de France a décidé de ne pas renouveler la convention d'occupation temporaire d'une parcelle de terrain au lieu-dit " les Cabanes des Aresquiers " à Frontignan, sur laquelle est édifié un local à usage d'habitation et lui a demandé de libérer les lieux, ainsi que la décision du 4 octobre 2016 par laquelle la même autorité a rejeté son recours gracieux.

Par un jugement n° 1605731 du 24 mai 2017, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 juillet 2017 et le 27 mars 2019, M. C..., représenté par la SCP Sanguinède di Frenna et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 24 mai 2017 ;

2°) d'annuler les décisions des 18 mai et 4 octobre 2016 de la directrice territoriale Rhône Saône de l'établissement public Voies navigables de France ;

3°) de mettre à la charge de l'établissement public Voies navigables de France, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué ne vise ni ne se prononce sur certains moyens et arguments nouveaux invoqués dans le dernier mémoire produit devant le tribunal administratif ;

- ce mémoire n'a pas été communiqué ;

- la parcelle en litige appartient au domaine privé de l'Etat, circonstance qui faisait obstacle à ce que lui soit opposé le caractère précaire et révocable de l'autorisation consentie ainsi que l'absence de droits acquis au renouvellement de la convention ;

- il a acquis un droit de superficie sur la parcelle en cause ;

- les motifs d'intérêt général invoqués pour refuser le renouvellement de la convention tenant aux impératifs de sécurité et au respect de l'environnement ne sont pas établis ;

- la décision en litige méconnaît le principe d'égalité et de non-discrimination des usagers du domaine public ;

- elle porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale et l'un de ses corollaires qu'est le droit à la protection de son domicile prévu à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi qu'au droit au respect de ses biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 16 février 2018, la commune de Frontignan, représentée par la SELARL A...-Cros, demande à la Cour de faire droit à la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête sont fondés. Elle fait valoir en outre que la décision contestée a été prise par une autorité incompétente faute pour Voies navigables de France de justifier d'un droit sur la parcelle en litige.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 février 2019, l'établissement public Voies navigables de France, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 30 avril 2019, M. C... a présenté des observations en réponse à un moyen relevé d'office par la Cour tiré de ce que le titulaire de la convention en litige, M. E... C...étant décédé, son fils Robert ne justifiait pas d'un intérêt suffisant lui donnant qualité pour demander l'annulation de la décision refusant le renouvellement de cette convention.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code des transports ;

- la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 portant loi de finances pour 1991, et notamment son article 124 ;

- le décret n° 91-796 du 20 août 1991 relatif au domaine confié à Voies navigables de France par l'article 124 de la loi de finances pour 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guidal,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me di Frenna, représentant M.C..., de Me F... substituant Me G..., représentant Voies navigables de France et de Me A..., représentant la commune de Frontignan.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement public Voies navigables de France, d'une part, et M. E... C..., d'autre part, ont conclu une convention autorisant ce dernier à occuper, pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014, un terrain de 155 mètres carrés situé au lieu-dit " Les Cabanes des Aresquiers " en rive droite du canal du Rhône à Sète sur le territoire de la commune de Frontignan en vue du maintien d'un habitat de loisirs. Par un courrier du 18 mai 2016, l'établissement public Voies navigables de France a informé M. " B... " C...que cette convention, arrivée à échéance le 31 décembre 2014, ne serait pas renouvelée et l'a invité à libérer le domaine public à une date à fixer ultérieurement. Ce courrier, qui comportait à la suite d'une erreur matérielle le prénom de " Hervé ", a été notifié à l'adresse de M. D... C..., fils de M. E... C.... Le recours gracieux formé contre cette décision par M. D... C...a été rejeté le 4 octobre 2016. M. D... C...relève appel du jugement du 24 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur l'intervention de la commune de Frontignan :

2. Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond, toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige. Il est constant que l'habitation autorisée par la convention en litige constitue, avec plusieurs autres du même quartier présentant les mêmes caractéristiques, un ensemble immobilier, qui s'inscrit dans le patrimoine culturel et touristique local. Dans cette mesure, la commune de Frontignan justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi, son intervention est recevable.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

3. D'une part, en vertu du I de l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, l'établissement public Voies navigables de France s'est vu confier l'exploitation, l'entretien, l'amélioration, l'extension des voies navigables et de leurs dépendances et la gestion du domaine de l'Etat nécessaire à l'accomplissement de ses missions. Selon l'article 1er du décret du 20 août 1991 susvisé, le domaine de l'Etat confié à Voies navigables de France en application de ces dispositions est celui défini à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure alors en vigueur. La liste des canaux appartenant au domaine public fluvial de l'Etat confié à Voies navigables de France en application de l'article 1er de ce décret comprend, selon l'arrêté ministériel du 24 janvier 1992, le canal du Rhône à Sète.

4. D'autre part, en vertu des dispositions de l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure dans sa rédaction en vigueur antérieurement à la date du transfert des canaux appartenant au domaine public fluvial de l'Etat à Voies navigables de France, le domaine public fluvial " comprend : (...) les rivières canalisées, les canaux de navigation, étangs ou réservoirs d'alimentation, contrefossés et autres dépendances ".

5. Il ressort des pièces du dossier que la zone dite des " Cabanes des Aresquiers " est occupée par différentes personnes privées, dont M. C..., qui ont été autorisées à y implanter sur des parcelles clairement délimitées un habitat de loisirs. Cette zone n'est pas elle-même affectée au fonctionnement du canal de navigation et n'en constitue pas une dépendance au sens des dispositions précitées du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure.

6. Par ailleurs, si le canal du Rhône à Sète, appartient au domaine public fluvial, il ne ressort pas des pièces du dossier que la zone dite des " Cabanes des Aresquiers ", qui lui est physiquement contigüe, présente une utilité directe pour cet ouvrage, notamment pour sa solidité ou son étanchéité. Si Voies navigables de France soutient que " cette bande forme une unité domaniale avec le canal et n'aurait pas vocation à exister sans la présence de ce canal au milieu des étangs palaisiers ", il ressort des pièces du dossier et notamment de la coupe technique du canal que l'étanchéité de l'ouvrage est assurée par un système de palplanches métalliques combinées à des pieux enfoncés dans le sol et que la zone en litige ne contribue nullement à en assurer l'assiette. Au demeurant, sur des sections très longues, aucun cordon lagunaire ne sépare le canal du Rhône à Sète des étangs qu'il traverse. Ainsi, la zone dite des " Cabanes des Aresquiers " ne constitue pas un accessoire du domaine public fluvial.

7. La parcelle en litige appartient à un ensemble plus vaste, qui était à l'origine un îlot situé entre les actuels étangs salés d'Ingril et de Vic selon les indications du plan du projet du canal des étangs daté du 18ème siècle, versé au dossier par Voies navigables de France. Cette zone, aujourd'hui bordée au nord ouest par l'étang d'Ingril et au sud est par le canal du Rhône à Sète, où sont implantées plusieurs maisons à usage d'habitation, présente une unité et est entièrement dissociable de ce canal. Par suite, elle ne peut être regardée comme relevant du domaine public fluvial, par application de la théorie de la domanialité publique globale.

8. Il résulte de ce qui précède que la parcelle en litige appartient au domaine privé de l'Etat.

9. La contestation par une personne privée de l'acte par lequel une personne morale de droit public ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne privée, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire. En revanche, la juridiction administrative est compétente pour connaître de la contestation par l'intéressé de l'acte administratif par lequel une personne morale de droit public refuse d'engager avec lui une relation contractuelle ayant un tel objet.

10. L'article 11 de la convention conclue par M. E... C...excluait expressément toute possibilité de tacite reconduction, et stipulait que " l'occupant qui souhaite voir la présente convention renouvelée devra en faire la demande par écrit " trois mois avant la date d'expiration de la convention. En l'espèce, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier et il n'est d'ailleurs pas soutenu que l'intéressé ait présenté une demande de renouvellement dans les formes et conditions prévues par ces stipulations. La décision en litige par laquelle Voies navigables de France a décidé de ne pas renouveler cette convention, plus d'un an après son expiration, ne peut, dès lors, être regardée comme ayant été prise par l'établissement public en réponse à une demande de son cocontractant. Elle doit, dans ces conditions, être regardée comme un refus d'engager une relation contractuelle. Le litige né de l'exécution d'un tel refus relève, par suite, de la compétence de la juridiction administrative.

Sur la fin de non-recevoir opposée en première instance :

11. Si la convention arrivée à échéance était établie au nom de M. E... C..., depuis lors décédé, les décisions en litige qui ont été adressées à son fils Robert doivent être regardées comme un refus de Voies navigables de France d'engager avec ce dernier une relation contractuelle. Dès lors, même si l'autorisation consentie à M. E... C...était strictement personnelle et prenait donc fin avec le décès de son titulaire, les décisions en litige présentent à l'égard de son fils Robert le caractère d'un acte faisant grief, pour lesquelles il justifie d'un intérêt suffisant pour en demander l'annulation. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée à sa demande en première instance par Voies navigables de France ne peut qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

12. Les biens gérés et exploités par Voies navigables de France en application des dispositions précitées l'article 124 de la loi du 29 décembre 1990 de finances pour 1991 et de l'article 1er du décret du 20 août 1991, dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 4311-1, L. 4314-1 et D 4314-1 du code des transports, sont les biens du domaine public fluvial de l'Etat qui lui ont été confiés par celui-ci et qui sont définis, s'agissant du domaine public fluvial artificiel, à l'article 1er du code du domaine public fluvial et de la navigation intérieure, dont les dispositions ont été reprises à compter du 1er juillet 2006 à l'article L. 2111-10 du code général de la propriété des personnes publiques. Le transfert ainsi opéré par l'Etat au profit de l'établissement public n'a porté que sur ces seuls biens et leurs accessoires, relevant du domaine public fluvial, mais non pas sur les biens relevant du domaine privé de l'Etat qui n'étaient pas nécessaires à l'exercice des missions de Voies navigables de France.

13. Comme il a été dit au point 8, la parcelle en litige ne relève pas du domaine public fluvial confié à l'établissement public et appartient au domaine privé de l'Etat. Par suite, cette circonstance privait Voies navigables de France de toute compétence pour refuser de renouveler la convention d'occupation temporaire en litige. Dès lors, pour ce motif d'incompétence, la décision du 18 mai 2016 par laquelle la directrice territoriale Rhône Saône de l'établissement public Voies navigables de France a décidé de ne pas renouveler cette convention est illégale, ainsi que par voie de conséquence celle du 4 octobre 2016 par laquelle la même autorité a rejeté le recours gracieux de M. D... C....

14. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens relatifs à la régularité de la procédure suivie devant les premiers juges et les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Voies navigables de France la somme que demande M. C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la somme demandée par Voies navigables de France sur leur fondement soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention de la commune de Frontignan est admise.

Article 2 : Le jugement du 24 mai 2017 du tribunal administratif de Montpellier et les décisions du 18 mai 2016 et du 4 octobre 2016 de la directrice territoriale Rhône Saône de l'établissement public Voies navigables de France sont annulés.

Article 3 : Les conclusions des parties tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à l'établissement public Voies navigables de France, à la commune de Frontignan et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2019, où siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 mai 2019.

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N° 17MA03213

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Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - Compétence - Compétence en matière de décisions non réglementaires - Autorités diverses.

Compétence - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel - Domaine - Domaine privé - Autorisation d'occupation.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POCHERON
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS GIL-FOURRIER et CROS

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Date de la décision : 17/05/2019
Date de l'import : 04/06/2019

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 17MA03213
Numéro NOR : CETATEXT000038489928 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-05-17;17ma03213 ?
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