Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C...a demandé au tribunal administratif de Montpellier d'annuler l'arrêté en date du 10 avril 2018 par lequel le préfet du Var l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par l'article 1er du jugement n° 1801709 du 7 juin 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a accordé à titre provisoire à M. C... le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, par l'article 2 a décidé qu'il n'y avait plus lieu à statuer sur l'interdiction de retour sur le territoire français, par l'article 3 a annulé la décision du 10 avril 2018 par laquelle le préfet du Var a obligé M. C... à quitter le territoire français, par l'article 4 a enjoint au préfet du Var de procéder au réexamen de la situation de M. C... dans le délai de trois mois à compter de la notification du jugement, et dans cette attente de le munir d'une autorisation provisoire de séjour et par l'article 5 a condamné l'Etat à verser au conseil de M. C... la somme de 600 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir le bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 2 juillet 2018, le préfet du Var demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 3 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier du 7 juin 2018 ;
2°) de rejeter la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier.
Il soutient qu'il était fondé à obliger M. C... à quitter le territoire français, après avoir examiné la possibilité de le remettre aux autorités italiennes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la directive n° 2008/115/CE du 26 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Mastrantuono a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant tunisien né en 1993, a été interpellé le 10 avril 2018. Il a fait l'objet le même jour d'une obligation de quitter le territoire sans délai. Le préfet du Var fait appel de l'article 3 du jugement du 7 juin 2018 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a annulé la décision du 10 avril 2018 par laquelle il a décidé d'obliger M. C... à quitter le territoire français.
2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I.- L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ". L'article L. 531-1 du même code dispose que : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1 et L. 311-1 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne, en vigueur au 13 janvier 2009 (...) ".
3. Il ressort des dispositions qui précèdent que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagé l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
4. Il ressort des pièces du dossier que, lors de son interpellation, M. C... était dépourvu de visa l'autorisant à entrer en France et n'était pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. Il relevait ainsi du cas où, en application des dispositions, citées précédemment, du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une obligation de quitter le territoire français pouvait être prise à son encontre. A supposer que M. C... puisse être regardé comme ayant demandé à être éloigné vers l'Italie, il ressort des pièces du dossier que les services de gendarmerie ont saisi les services de police italiens, dans le cadre de l'audition de M. C..., d'une demande de communication de sa situation administrative, à laquelle il a été répondu que cet individu était en situation irrégulière sur le territoire italien, son permis de séjour étant périmé. Par suite, et alors d'ailleurs que la réadmission de l'intéressé avait été expressément refusée par les autorités italiennes le 19 octobre 2017, après qu'un arrêté de remise avait été pris par le préfet du Var, ce dernier doit être regardé comme ayant examiné s'il y avait lieu de remettre M. C... aux autorités italiennes en priorité. Dans ces conditions, c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Montpellier a estimé qu'il n'était pas établi que le préfet ait procédé à cet examen, et a, par suite, annulé la décision portant obligation de quitter le territoire français du 10 avril 2018.
5. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés en première instance par M. C....
6. En premier lieu, par un arrêté n° 2017/69/PJI du 28 septembre 2017, régulièrement publié le 29 septembre 2017 au recueil des actes administratifs du département, le préfet du Var a donné délégation à M. D... B..., directeur de cabinet, à l'effet de signer, notamment, les mesures d'éloignement relevant de la compétence du représentant de l'Etat dans le département et concernant les étrangers séjournant irrégulièrement sur le territoire français, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Serge Jacob, secrétaire général de la préfecture. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... n'aurait pas, en l'espèce, été absent ou empêché. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques (...) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". L'article L. 211-5 du même code dispose que : " La motivation (...) doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
8. L'arrêté attaqué, après avoir visé notamment l'article L. 511-1-I-1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, énonce que M. C..., qui a déclaré être entré irrégulièrement en France le 5 avril 2018 et n'avoir effectué aucune démarche administrative afin de régulariser sa situation en France, est également en situation irrégulière sur le territoire italien, son titre de séjour étant périmé. Il vise également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et mentionne que l'intéressé, célibataire et sans charge de famille, a précisé avoir une copine dont il ne donne pas l'identité, et a indiqué que ses parents résident en Tunisie. Enfin, il indique qu'il existe un risque que M. C... se soustraie à l'obligation de quitter le territoire français dès lors que l'intéressé ne possède pas de garanties de représentation, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, alors qu'il a dissimulé des éléments de son identité et qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, précisant vivre chez sa copine à Toulon sans fournir d'adresse exacte. Ainsi, cet arrêté, contrairement à ce qui est soutenu, comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision obligeant M. C... à quitter sans délai le territoire français, et qui permettent de vérifier que le préfet du Var a procédé à un examen de la situation personnelle de l'intéressé.
9. En troisième lieu, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été entendu préalablement à l'édiction de la mesure contestée, comme en témoignent les procès-verbaux d'audition du 10 avril 2018 signés par l'intéressé dans le cadre de la procédure de retenue instituée par les dispositions de l'article L. 611-1-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. A cette occasion, assisté d'une interprète en langue arabe, il a été informé de ce qu'une mesure d'éloignement était susceptible d'être prise à son encontre et il a pu présenter toutes les observations qu'il jugeait utiles. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 41 de la charte sur les droits fondamentaux de l'Union européenne doit être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des procès-verbaux d'audition de M. C... par les services de gendarmerie, que si l'intéressé a déclaré travailler en Italie, il a indiqué être dépourvu de famille dans ce pays et être venu en France pour rejoindre sa " copine " qui réside à Toulon. Si l'intéressé affirme qu'il réside en Italie depuis sept ans et qu'il y a toutes ses attaches privées et économiques, il ne produit aucun document de nature à démontrer l'ancienneté de son séjour en Italie. Par ailleurs, il est constant que les parents de M. C... résident en Tunisie. Dans ces conditions, la décision par laquelle le préfet du Var l'a obligé à quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé.
12. En cinquième lieu, si M. C... invoque également la violation de l'article 9 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, ses stipulations créent seulement des obligations entre Etats sans ouvrir de droits aux intéressés et ne peuvent donc, en tout état de cause, être utilement invoquées.
13. En sixième lieu, il suit de ce qui a été dit précédemment que M. C... n'est pas fondé à exciper, au soutien de sa demande d'annulation de la décision lui refusant l'octroi d'un délai de départ volontaire, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
14. En septième lieu, le requérant ne peut utilement se prévaloir des dispositions du 1 de l'article 7 de la directive n° 2008/115/CE du 16 décembre 2008 susvisée, qui ont été transposées en droit interne par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité et codifiées au II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et qui en tout état de cause ne prévoient pas la possibilité d'accorder un délai de départ volontaire allant jusqu'à sept jours.
15. En huitième lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification (...) / Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) f ) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 (...) ".
16. Pour refuser à M. C... un délai de départ volontaire, le préfet du Var a estimé, ainsi qu'il a été dit précédemment que le risque de fuite était établi aux motifs que, démuni de tout document d'identité et de voyage et ayant dissimulé des éléments de son identité, M. C... déclarait habiter chez sa " copine " à Toulon mais refusait d'indiquer son nom et ne pouvait préciser son adresse. M. C... ne conteste pas sérieusement ces éléments en se bornant à produire une copie de son permis de séjour italien, périmé depuis le 17 janvier 2018, et d'un document qu'il présente comme une demande de renouvellement de ce titre de séjour. Dans ces conditions, M. C..., qui entrait bien dans le champ d'application des dispositions précitées du II de l'article L. 511-1 précité, n'est pas fondé à soutenir que le préfet ne pouvait légalement refuser de lui accorder un délai de départ volontaire.
17. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les motifs exposés au point 11.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Var est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier a annulé sa décision du 10 avril 2018 obligeant M. C... à quitter le territoire français.
D É C I D E :
Article 1er : L'article 3 du jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Montpellier du 7 juin 2018 est annulé.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. C... présentée devant le tribunal administratif de Montpellier et tendant à l'annulation des décisions l'obligeant à quitter sans délai le territoire français et fixant le pays de destination sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. E... C....
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 5 février 2019, où siégeaient :
- M. Antonetti, président,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 février 2019.
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N° 18MA03210
jm