Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...F...et M. A...E..., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de tuteur de leur fils Lucca, et M. et Mme C... F...ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner le centre hospitalier de Bastia et le docteur Bastien à verser :
1°) la somme de 75 000 euros à Mme F...,
2°) la somme de 40 000 euros à M.E...,
3°) la somme de 100 000 euros à Mme F...et M.E..., agissant au nom de leur fils,
4°) la somme de 15 000 euros chacun à M. et Mme F..., en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des fautes commises lors du suivi de la grossesse de Mme F... et après la naissance de Lucca.
Par un jugement n° 1300292 du 9 juillet 2015, le tribunal administratif de Bastia a condamné le centre hospitalier de Bastia à verser à Mme F... la somme de
10 000 euros, à M. E...la somme de 1 500 euros et à M. et Mme F... la somme de 750 euros chacun.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 septembre 2015 et le 6 juin 2017, Mme F... et M.E..., agissant tant en leur nom personnel qu'au nom de leur enfant mineur, et M. et Mme F..., représentés par la SCP Terquem, Pioli, demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement du 9 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité aux sommes de 10 000 euros, 1 500 euros et 750 euros les indemnités au versement desquelles il a condamné le centre hospitalier de Bastia en réparation des préjudices qu'ils ont subis ;
2°) de porter aux sommes de 75 000, 40 000, 100 000 et 15 000 euros le montant des indemnités dues respectivement à MmeF..., à M.E..., à Mme F...et
M.E..., agissant au nom de leurs fils, à M. F...et à MmeF..., ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2013 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bastia la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le rapport de l'expert est lacunaire et partial ;
- il y a eu un manquement au devoir d'information ;
- les comptes rendus d'échographie ne figuraient pas au dossier médical de la mère ;
- son dossier médical et celui de son enfant n'ont pas été correctement tenus ;
- la patiente n'a pas bénéficié de soins attentifs et conformes aux données de la science lors du suivi de sa grossesse ;
- l'absence de prise en compte des doléances et des douleurs de la patiente et sa non-hospitalisation alors qu'elle présentait des pertes de liquide amniotique et des hémorragies a fait perdre une chance à l'enfant d'éviter une atteinte neurologique grave ;
- le suivi de la grossesse a été insuffisant ;
- un suivi normal de la grossesse aurait permis d'éviter une césarienne ;
- la mère et l'enfant ont été infectés par un staphylocoque epidermidis ;
- il n'y a pas eu d'analyse bactériologique placentaire, alors qu'il s'agit d'une pratique courante en cas de suspicion de rupture prolongée des membranes ;
- la césarienne n'était pas nécessaire ;
- l'accouchement et ses suites ont été douloureux et ont nécessité une reprise chirurgicale ;
- le diabète gestationnel n'a pas été pris en compte ;
- la fissure prématurée des membranes placentaires n'a pas été diagnostiquée ;
- ces fautes médicales commises par le centre hospitalier de Bastia sont de nature à engager sa responsabilité ;
- les préjudices ont été insuffisamment évalués.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2017, le centre hospitalier de Bastia, représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement n'est pas irrégulier ;
- le rapport d'expertise n'est pas partial ni incomplet ;
- le handicap de l'enfant n'a pas une origine fautive ;
- le préjudice moral de Mme F...a été justement indemnisé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bourjade-Mascarenhas,
- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,
- les observations de MmesF....
1. Considérant que MmeF..., M. E...et M. et Mme F...relèvent appel du jugement du 9 juillet 2015 par lequel le tribunal administratif de Bastia a limité aux sommes de 10 000 euros, 1 500 euros et 750 euros les indemnités au versement desquelles il a condamné le centre hospitalier de Bastia en réparation des préjudices subis respectivement par MmeF..., M. E...et M. et Mme F...du fait des fautes commises lors du suivi de la grossesse de Mme F... et de la naissance de Lucca ;
Sur la régularité des opérations d'expertise :
2. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'expert et le sapiteur, désignés respectivement par des ordonnances du président du tribunal administratif de Bastia du 15 mars 2011 et du 7 avril 2011, aient manqué à leur obligation d'accomplir leur mission avec conscience, objectivité et impartialité ; qu'il ne résulte pas non plus de l'instruction que le rapport d'expertise, qui répond à l'ensemble de la mission fixée par l'ordonnance du
15 mars 2011 et dont les conclusions sont sans ambigüité, précises et argumentées, est lacunaire ;
3. Considérant qu'il suit de là que les requérants ne justifient pas que l'expertise aurait été irrégulière ; qu'en tout état de cause, l'irrégularité invoquée ne ferait pas obstacle à ce que le rapport, et notamment celles des constatations de fait opérées par l'expert et dont l'exactitude n'est pas contestée par les intéressés, puisse être retenu à titre d'information par le juge administratif, dès lors qu'il a été versé au dossier et soumis, de ce fait, au débat contradictoire des parties ;
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne le défaut d'information :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 code de la santé publique, dans sa version applicable à la date des faits : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. (...) " ;
5. Considérant que les premiers juges ont relevé à juste titre que le centre hospitalier de Bastia avait manqué à son obligation de délivrer une information complète à la patiente et à son compagnon en ne leur fournissant pas d'explications sur les métrorragies, les leucorrhées et les douleurs dont Mme F...se plaignait ni d'indications sur les résultats des examens mettant en évidence des infections qui ont été pratiqués après la naissance sur la mère et l'enfant ; que le centre hospitalier de Bastia ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité à ce titre ;
En ce qui concerne la tenue des dossiers médicaux de la mère et de l'enfant :
6. Considérant qu'aux termes de l'article R. 1112-2 code de la santé publique, dans sa version applicable à la date des faits : " Un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public (...) " ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les échographies pratiquées lors des consultations de Mme F...par le gynécologue-obstétricien qui assurait son suivi au centre hospitalier de Bastia qui se sont déroulées les 27 avril, 27 mai, 29 juin, 31 août, 30 septembre, et 28 et 29 octobre 2009 n'ont pas donné lieu à un compte rendu ; que ne sont pas non plus consignés dans le dossier médical de la patiente les résultats du prélèvement vaginal effectué le 28 octobre 2009 ni ceux de la bactériologie pratiquée le 19 novembre 2009 ; qu'un tel manquement du praticien hospitalier dans la tenue du dossier médical de Mme F...est de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Bastia qui ne la conteste d'ailleurs pas ;
8. Considérant, en revanche, qu'il ne résulte pas de l'instruction que des manquements auraient été commis dans la tenue du dossier médical de Lucca E...;
En ce qui concerne les fautes de soins :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) " ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise et de l'avis du sapiteur, que la constitution des lésions encéphalopathiques du foetus qui s'est produite dans le courant du troisième trimestre de grossesse, avant l'accouchement, a une origine indéterminée et n'était ni prévisible ni décelable, ni évitable ;
11. Considérant que l'ensemble des examens inhérents au suivi d'une grossesse ont été réalisés ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'état de santé de Mme F...qui présentait des leucorrhées et des métrorragies nécessitait son hospitalisation ; que l'absence de réalisation d'examen complémentaire n'est pas susceptible d'avoir fait perdre à son enfant une chance d'éviter l'atteinte neurologique grave dont il est porteur, laquelle, en tout état de cause, n'a pas une origine malformative ni constitutionnelle ni une cause inflammatoire ou infectieuse de nature bactérienne ou virale néonatale ; qu'ainsi, les soins prodigués à
Mme F...lors du suivi de sa grossesse sont conformes aux données de la science ;
12. Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que les examens pratiqués lors de la grossesse n'ont pas permis de constater une rupture de la poche des eaux ni une réduction du liquide amniotique ; que, par ailleurs, le résultat du test de rupture des membranes placentaires réalisé le jour même de l'accouchement dont la fiabilité n'est pas remise en cause par les requérants, était négatif ; qu'en revanche, Mme F...a présenté une fissuration prolongée infra-clinique des membranes qui était indétectable ; que, par suite, le centre hospitalier de Bastia n'a pas commis de faute en ne diagnostiquant pas la fissure prématurée des membranes placentaires ;
13. Considérant que le diabète gestationnel dont souffrait MmeF..., révélé par un test de glycémie effectué le 9 septembre 2009, a été pris en charge immédiatement par la mise sous régime de la patiente ; qu'en tout état de cause, les lésions anatomiques présentées par l'enfant sont sans lien avec ce diabète ; qu'aucune faute ne peut être imputée à ce titre au centre hospitalier de Bastia ;
14. Considérant que la programmation d'un accouchement par césarienne avait été évoquée lors de la consultation du 29 octobre 2009 en raison de la présentation de l'enfant en siège décomplété ; que le choix d'un accouchement par césarienne est conforme aux données médicales ; que, par suite, aucune faute concernant le choix du mode d'accouchement ne saurait être retenue à l'encontre du centre hospitalier de Bastia ;
15. Considérant que l'absence d'analyse bactériologique placentaire au décours de la césarienne est sans lien avec les lésions neurologiques dont est atteint Lucca qui n'ont pas une origine infectieuse de nature bactérienne néonatale ;
16. Considérant qu'il n'est pas établi par les requérants que les douleurs abdominales ressenties par Mme F...lors de son admission au centre hospitalier de Bastia le
19 novembre 2009 n'auraient pas été prises en charge avant que son accouchement par césarienne ne soit décidé ;
17. Considérant que les premiers juges ont à bon droit considéré que l'absence de prise en compte par le centre hospitalier de Bastia des doléances et des douleurs de la patiente lors du suivi de sa grossesse est constitutif de faute de nature à engager sa responsabilité que ne conteste pas l'établissement de soins ;
18. Considérant que l'infection de Lucca par un staphylocoque epidermidis est sans lien avec les lésions neurologiques dont il est atteint qui n'ont pas, comme il a été indiqué au point 15, une origine infectieuse ;
19. Considérant qu'aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision " ;
20. Considérant qu'il résulte des analyses médicales effectuées après réalisation de la césarienne et les jours suivant l'accouchement produites par les requérants que
Mme F...a aussi été infectée par un staphylocoque epidermidis ; qu'elle a dû subir, le 14 décembre 2009, une nouvelle intervention pour mise à plat d'un hématome pariétal en raison de l'inflammation de la cicatrice de la césarienne ; que Mme F...soutient qu'elle a contracté une infection nosocomiale au centre hospitalier de Bastia qui n'a pas été traitée par antibiothérapie ; qu'elle fait également valoir que l'infection de la suture de la césarienne a pour origine l'infection nosocomiale ; que, toutefois, l'état du dossier ne permet pas à la Cour de se prononcer sur l'existence d'une infection nosocomiale et les conséquences invoquées par la requérante ; que, dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions de la requête présentées par Mme F...tendant à la mise en jeu de la responsabilité du centre hospitalier de Bastia à ce titre et le droit à réparation susceptible d'en résulter, d'ordonner une expertise sur ces points ;
Sur les préjudices :
21. Considérant que les premiers juges ont fait une évaluation suffisante du préjudice moral subi par MmeF..., M. E...et M. et Mme F...en le fixant à la somme respectivement de 5 000 euros, 1 500 euros et 750 euros chacun ; qu'ils ont également fait une estimation suffisante du préjudice consécutif aux manquements dans la tenue du dossier médical de Mme F...et de son droit à l'information en lui allouant la somme de 5 000 euros ;
22. Considérant, ainsi qu'il a été indiqué au point 10, que l'encéphalomacie multikystique dont est atteint Lucca est sans lien de causalité avec une faute du centre hospitalier de Bastia ; qu'il suit de là que le préjudice résultant de l'état de santé de Lucca n'est pas susceptible d'ouvrir droit à réparation au profit de Mme F...et autres ;
23. Considérant qu'il y a lieu de réserver les droits de Mme F...sur les conclusions indemnitaires tendant à la réparation des souffrances subies du fait d'une infection et de l'inflammation et de la reprise de la cicatrice de la césarienne ;
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions présentées par Mme F...et M. E...au nom de leur enfant mineur, par M. E...et par M. et Mme F...sont rejetées.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions présentées par Mme F... relatives à une infection par staphylocoque epidermidis et à la reprise de la cicatrice de la césarienne, procédé par un expert, désigné par le président de la Cour, à une expertise avec pour mission de :
1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme F...et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins et aux diagnostics pratiqués sur elle au cours et au décours de son accouchement par le centre hospitalier de Bastia ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ; procéder à l'examen sur pièces du dossier médical de Mme F...ainsi qu'éventuellement à son examen clinique ;
2°) donner son avis sur le point de savoir si Mme F...a contracté une infection nosocomiale au centre hospitalier de Bastia et préciser les conditions de réalisation de la suture de la césarienne ;
3°) décrire l'ensemble des préjudices pouvant être regardés comme directement et exclusivement imputables à l'infection nosocomiale susceptible d'avoir été contractée par Mme F...;
4°) dire si l'état de santé de Mme F...a entraîné un déficit fonctionnel temporaire et en préciser les dates de début et de fin, ainsi que le ou les taux ;
5°) indiquer à quelle date l'état de Mme F...peut être considéré comme consolidé ; préciser s'il subsiste une incapacité permanente partielle et, dans l'affirmative, en fixer le taux, en distinguant la part imputable à l'infection nosocomiale de celle ayant pour origine toute autre cause ou pathologie, eu égard notamment aux antécédents médicaux de l'intéressée ;
6°) dire si l'état de Mme F...est susceptible de modification en amélioration ou en aggravation ; dans l'affirmative, fournir toutes les précisions utiles sur cette évolution, sur son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen serait nécessaire, en mentionner le délai ;
7°) préciser si l'état de santé de Mme F...a justifié une assistance par une tierce personne et de préciser les dates de début et de fin de cette aide ainsi que sa nature et son importance en nombre d'heures par semaine ou par jour ;
8°) dire si l'état de santé de Mme F...a entraîné des répercussions sur la vie professionnelle de l'intéressé ;
9°) donner tous éléments utiles permettant d'évaluer les autres postes de préjudices tels que les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel et le préjudice d'impréparation en lien avec l'infection nosocomiale ;
10°) de fournir toutes précisions complémentaires que l'expert jugera utile à la solution du litige et de nature à permettre d'apprécier l'étendue du préjudice.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...F..., à M. A... E..., à M. et Mme C...F..., au centre hospitalier de Bastia et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2018 où siégeaient :
- M. Vanhullebus, président de chambre,
- M. Barthez, président assesseur,
- Mme Bourjade-Mascarenhas, première conseillère.
Lu en audience publique, le 12 avril 2018.
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N° 15MA03742