Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à lui verser la somme de 28 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété et de ses troubles dans les conditions d'existence et de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1302488 du 7 avril 2016, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 6 juin 2016, M. C..., représenté par Me B..., demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 7 avril 2016 ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 28 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété subi et des troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- une faible période d'exposition à l'amiante est suffisante pour déclencher une maladie ;
- le fait de ne pas bénéficier de l'allocation de cessation anticipée d'activité ne fait pas obstacle à la réparation de ses préjudices ;
- la carence fautive de l'État employeur est établie ;
- ses préjudices sont en lien avec cette carence fautive de l'État ;
- il a subi un préjudice d'anxiété et des troubles dans les conditions d'existence.
La requête a été communiquée le 17 juin 2016 au ministre de la défense qui n'a pas présenté de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;
- l'article 78 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001 ;
- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;
- le décret n° 2002-832 du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'État mis à la disposition de l'entreprise nationale prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001 ;
- l'arrêté du 28 février 1995, pris en application de l'article D. 461-25 du code de la sécurité sociale, fixant le modèle type d'attestations d'exposition et les modalités d'examen dans le cadre du suivi post-professionnel des salariés ayant été exposés à des agents ou procédés cancérigènes ;
- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Schaegis,
- et les conclusions de M. Argoud, rapporteur public.
1. Considérant que M. C..., ouvrier d'État de la base de défense de Toulon du 20 septembre 1983 au 31 décembre 2012, a d'abord été employé en qualité d'électricien de bord au sein d'entreprises sous-traitantes de la DCN puis en qualité d'ouvrier électricien (à compter du 10 février 1992) ; que, par un courrier du 21 mai 2013, il a sollicité auprès du ministre de la défense la réparation du préjudice d'anxiété et de ses troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis du fait de la carence fautive de l'État dans la protection de ses agents contre l'exposition aux poussières d'amiante ; qu'à la suite du silence gardé par l'administration sur sa demande, M. C... a introduit devant le tribunal administratif de Toulon, un recours tendant à l'indemnisation de son préjudice d'anxiété et de ses troubles dans les conditions d'existence ; que M. C... interjette appel du jugement du 7 avril 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête ;
Sur la responsabilité :
2. Considérant que, pour rejeter l'ensemble des conclusions indemnitaires de M. C..., le tribunal administratif de Toulon, après avoir rappelé que la carence de l'État qui n'a pas pris de mesures de protection particulière de ses agents contre les poussières d'amiante était susceptible d'engager sa responsabilité, a considéré que la période au cours de laquelle l'intéressé avait été exposé à ces substances était en l'espèce limitée et, qu'alors qu'il n'avait développé aucune pathologie imputable auxdites poussières, il n'apportait aucune précision quant aux conditions et à l'ampleur de son exposition ;
3. Considérant, d'une part, que le décret du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante comporte des dispositions interdisant l'exposition des travailleurs à l'amiante au-delà d'un certain seuil et impose aux employeurs de contrôler la concentration en fibres d'amiante dans l'atmosphère des lieux de travail, de nature à réduire le risque de maladie dans les établissements concernés ; que M. C... n'établit pas, ainsi qu'il lui appartient de le faire, que les préjudices dont il demande réparation trouveraient directement leur cause dans une carence fautive de l'État dans l'édiction de mesures législatives ou réglementaires destinées à imposer aux employeurs des mesures de prévention ;
4. Considérant, en revanche, que la carence de l'État, employeur de personnels exposés aux poussières d'amiante, dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité propres à les soustraire à ce risque d'exposition, est de nature à engager sa responsabilité ; que cette carence a exposé ces personnels à un risque sanitaire grave dès lors qu'il ressort de l'ensemble des données scientifiques accessibles ou produites au dossier que les poussières d'amiante inhalées sont définitivement absorbées par les poumons, traversent ceux-ci jusqu'à la plèvre, sans que l'organisme puisse les éliminer, et peuvent provoquer à terme, outre des atteintes graves à la fonctionnalité respiratoire, des pathologies cancéreuses particulièrement difficiles à guérir en l'état des connaissances médicales ; que le double dispositif de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité et de la surveillance post-professionnelle par examen clinique médical et examen radiographique du thorax tous les deux ans prévu à l'annexe II de l'arrêté du 28 février 1995 a été mis en place après que le législateur a reconnu le lien établi de façon statistiquement significative entre une exposition aux poussières d'amiante et la baisse d'espérance de vie ;
5. Considérant qu'en l'espèce, M. C... soutient, sans être contredit, que l'État n'a pris aucune disposition particulière en matière d'hygiène et de sécurité se rapportant à l'amiante dans les établissements de la DCN ; qu'il en résulte que la responsabilité de l'État en sa qualité d'employeur est, en l'espèce, engagée envers lui ;
6. Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction que le décret susvisé du 3 mai 2002 relatif à la situation des personnels de l'État mis à la disposition de l'entreprise nationale DCNS prévue à l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, a placé les personnels de cette structure sous un régime de droit commun à compter du 31 mai 2003 ; que, par suite, l'État, qui n'était plus l'employeur de l'intéressé après cette date, ne saurait engager sa responsabilité au titre de son exposition durant la période postérieure ;
En ce qui concerne le préjudice d'anxiété :
7. Considérant que les travailleurs des établissements ayant été exposés à l'amiante ont bénéficié d'un dispositif spécifique de cessation anticipée d'activité sur la base de la prise en compte de leur situation personnelle pendant leur période d'activité ; qu'une allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante a d'abord été créée par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 au bénéfice des salariés travaillant ou ayant travaillé dans certains établissements pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, qu'ils soient atteints ou non d'une maladie professionnelle liée à l'amiante ; qu'il ressort des travaux parlementaires de cette loi que l'intention du législateur était d'autoriser une cessation d'activité précoce pour tenir compte du fait statistiquement établi que ces personnes, compte-tenu de l'activité de l'établissement et de la période concernée, courent le risque d'une espérance moyenne de vie plus courte que les autres salariés ; que ce dispositif a été étendu par la loi du 29 décembre 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000 au bénéfice notamment des salariés ou anciens salariés des entreprises de construction navale et de réparation navale, ayant exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté ministériel ; que le décret du 21 décembre 2001 relatif à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État a instauré une allocation analogue dans ses principes, dite allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, au bénéfice de certains ouvriers d'État, qu'ils soient atteints ou non d'une pathologie liée à l'amiante, exerçant ou ayant exercé certaines professions dans des établissements ou parties d'établissements de construction et de réparation navales à des périodes déterminées au cours desquelles il est établi qu'étaient traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en permettant à ces ouvriers d'État de cesser leur activité de manière précoce dès lors qu'ils remplissent à titre individuel des conditions de temps, de lieu et d'activité limitativement définies par voie d'arrêté, le pouvoir réglementaire a entendu tenir compte du risque élevé de baisse d'espérance de vie de ces personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante ;
8. Considérant, par conséquent, que dès lors qu'un ouvrier d'État ayant exercé dans la construction navale a été intégré dans ce dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, compte tenu d'éléments personnels et circonstanciés tenant à des conditions de temps, de lieu et d'activité, il peut être regardé comme justifiant l'existence de préjudices tenant à l'anxiété due au risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ; que la décision de reconnaissance du droit à cette allocation vaut reconnaissance pour l'intéressé d'un lien établi entre son exposition aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie, et que cette circonstance, qui suffit par elle-même à faire naître chez son bénéficiaire la conscience du risque de tomber malade, est la source d'un préjudice indemnisable au titre du préjudice d'anxiété ;
9. Considérant que l'évaluation des préjudices dépend elle aussi des éléments personnels et circonstanciés avancés par le requérant ; que la circonstance que l'intéressé puisse être regardé comme justifiant de préjudices liés à l'exposition de l'amiante à raison de son intégration dans le dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, ne dispense pas le juge d'apprécier les éléments personnels et circonstanciés pertinents avancés par le requérant pour évaluer les préjudices allégués ;
10. Considérant que M. C..., admis au bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à compter du 1er avril 2017, a travaillé à bord de bâtiments de la Marine Nationale ou dans des locaux relevant de la Direction des constructions navales du ministère de la défense, l'exposant aux poussières d'amiante, du 20 septembre 1983 au 31 mai 2003, soit durant une période de vingt ans, et qu'en sa qualité d'électricien de bord puis d'ouvrier électricien, il a travaillé sur le démontage, la maintenance et la remise en état de tous les réseaux de gaines électriques contenant de l'amiante, et le démontage et la confection de joints en amiante dans la structure et les conduits de fumée de la boulangerie ; qu'au vu de ces constatations relatives aux conditions et à la durée de l'exposition personnelle de M. C... aux poussières d'amiante pour la période de responsabilité de l'État, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'anxiété de l'intéressé qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 11 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
11. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. C... verse au dossier sept comptes-rendus d'images thoraciques réalisés en une dizaine d'années ; que cette périodicité du suivi médical n'est pas de nature à établir la réalité de troubles dans ses conditions d'existence ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 300 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens ;
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 7 avril 2016 est annulé.
Article 2 : L'État est condamné à verser à M. C... la somme de 11 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à M. C... la somme de 300 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de la défense.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2017, où siégeaient :
- M. Gonzales, président,
- Mme Schaegis, première conseillère,
- .M. Coutel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juin 2017.
N° 16MA02268 2