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16/03/2017 | FRANCE | N°15MA00134

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 16 mars 2017, 15MA00134


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 247 592 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 1102733 du 17 novembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par

une requête et deux mémoires, enregistrés le 13 janvier 2015, le 1er août 2016 et le 1er ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C...a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser la somme de 247 592 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C.

Par un jugement n° 1102733 du 17 novembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 13 janvier 2015, le 1er août 2016 et le 1er février 2017, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 novembre 2014 ;

2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme de 247 592 euros en réparation du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens y compris les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- sa demande n'est pas prescrite ;

- sa contamination par le virus de l'hépatite C est d'origine transfusionnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2016, l'ONIAM, représenté par Me B... conclut :

1°) à ce que l'indemnité sollicitée soit ramenée à la somme de 27 560 euros ;

2°) au rejet du surplus des demandes.

Il soutient que :

- la prescription en matière de contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C a été portée à dix ans par la loi du 28 janvier 2016 ;

- la matérialité des transfusions et l'imputabilité de la contamination doivent être retenues ;

- l'évaluation du préjudice est excessive.

Vu

- les autres pièces du dossier.

- l'ordonnance du 28 novembre 2011 par laquelle le président du tribunal administratif de Marseille a liquidé et taxé les frais d'expertise à la somme de 750 euros ;

Vu :

- le code de la santé publique notamment son article L. 1142-28 dans sa rédaction issue de l'article 188 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lafay a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que Mme C... relève appel du jugement du 17 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande de condamnation de l'ONIAM à réparer les préjudices résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

Sur la prescription :

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant du I de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé : " (...) les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage " ; qu'aux termes du II du même article 188 de la loi du 26 janvier 2016, ces dispositions s'appliquent " lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de publication de la présente loi. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / Toutefois, lorsqu'aucune décision de justice irrévocable n'a été rendue, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales applique le délai prévu au I aux demandes d'indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006 (...) " ;

3. Considérant que Mme C... a saisi l'ONIAM d'une demande indemnitaire le 1er juin 2010 ; que, par l'effet de son appel, le jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 novembre 2014 n'est pas devenu irrévocable le 27 janvier 2016, date de publication de la loi du 26 janvier 2016 ; que, dans ces conditions, il y a lieu d'appliquer à la demande de la requérante le délai de prescription de dix ans à compter de la consolidation du dommage prévu par les dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique modifié ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille le 23 juin 2011, que l'état de santé de Mme C... a été déclaré consolidé le 3 février 2004 ; que la demande d'indemnisation de l'intéressée a été présentée moins de dix ans après le premier jour de l'année suivant cette date et n'était donc pas prescrite ; que, dès lors, Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 17 novembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a estimé que l'ONIAM était fondé à opposer à sa créance la prescription quadriennale prévue par la loi du 31 décembre 1968 ;

5. Considérant qu'il y a lieu pour la cour, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le bien-fondé des conclusions présentées par Mme C... devant le tribunal et devant la cour ;

Sur l'obligation à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale :

6. Considérant que l'ONIAM ne conteste ni la matérialité de transfusions de produits sanguins à Mme C... réalisées en 1983 laquelle résulte, d'ailleurs, de l'instruction, ni l'imputabilité de la contamination de la requérante par le virus de l'hépatite C à ces transfusions ni, en conséquence, l'obligation d'indemnisation qui lui incombe au titre de la solidarité nationale ;

Sur l'indemnisation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux

7. Considérant que le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l'assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu'elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction notamment du rapport d'expertise que Mme C... a bénéficié de l'assistance d'amis pour des actes de la vie courante pendant la durée de son traitement contre le virus de l'hépatite C ; que, compte tenu du taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en 2002 et 2003 augmenté des charges sociales, qui peut être fixé à 9 euros, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi au titre des frais d'assistance par une tierce personne en l'évaluant, sur la base de 6 heures par semaine pendant treize mois à la somme de 3 024 euros ;

9. Considérant que la découverte de la contamination par le virus de l'hépatite C en 2001, puis le traitement suivi pendant treize mois à compter du 9 janvier 2002 et mal toléré, ont contraint la requérante, inscrite en janvier 2002 en première année de classe préparatoire aux grandes écoles de biologie, à interrompre ses études ; que le refus de l'autoriser à tripler son année scolaire l'a obligée à s'inscrire à l'université en septembre 2003 ; que la contamination de Mme C... a ainsi perturbé le déroulement de sa scolarité et lui a causé une perte de chance de mener à son terme le cursus engagé ; qu'eu égard à la perte de deux années universitaires, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en accordant à Mme C... une somme de 8 000 euros ;

10. Considérant que si la contamination par le virus de l'hépatite C a eu une incidence sur la scolarité de Mme C..., la seule inscription dans une section préparatoire d'un lycée réputé ne lui garantissait ni le succès dans le cycle engagé, ni la réussite à des concours ultérieurs ; qu'alors même qu'elle était déclarée guérie, elle a renoncé au domaine auquel elle se destinait pour s'orienter vers une formation informatique ; qu'il ne résulte ainsi pas de l'instruction qu'elle ait perdu une chance d'exercer des activités professionnelles mieux rémunérées du fait de la contamination dont elle a été victime ; qu'en revanche, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que l'asthénie dont Mme C... reste atteinte réduit ses capacités à exercer une activité professionnelle ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'incidence professionnelle subie du fait des conséquences de la contamination sur la possibilité d'exercer une activité professionnelle en l'évaluant à 5 000 euros ;

En ce qui concerne les préjudices extra patrimoniaux :

11. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme C... a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total durant deux hospitalisations, du 26 au 27 novembre 2001 et du 9 au 10 janvier 2002, puis une période de déficit temporaire partiel à 75 % pendant les treize mois de la durée du traitement contre le virus de l'hépatite C ; qu'il sera fait une juste appréciation du déficit fonctionnel temporaire en lien avec la contamination par le virus de l'hépatite C en l'évaluant à la somme de 5 000 euros ;

12. Considérant que les souffrances endurées par Mme C... ont été évaluées à 4 sur une échelle de 7 ; qu'eu égard aux troubles et aux douleurs physiques, psychiques et morales subies par l'intéressée en lien avec la contamination, notamment pendant le traitement, il y a lieu de fixer à 8 000 euros l'indemnité due au titre de ce chef de préjudice ;

13. Considérant que le traitement contre le virus de l'hépatite C a entraîné chez Mme C... un amaigrissement important de 20 kilogrammes et une chute de cheveux ; qu'il y a lieu de fixer à la somme de 3 000 euros l'indemnité due au titre du préjudice esthétique temporaire ;

14. Considérant que les conséquences du traitement subi ont été prises en compte dans la détermination des sommes allouées au titre des souffrances endurées ; que le taux de 4 % retenu par l'expert au titre du déficit fonctionnel permanent dont reste atteinte la requérante, qui était âgée de 21 ans à la date de la consolidation de son état de santé, comprend les symptômes d'asthénie et le retentissement de la maladie notamment au plan psychologique ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à ce titre comprenant l'atteinte à la qualité de la vie en la fixant à 3 000 euros ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à demander la condamnation de l'ONIAM à lui verser la somme totale de 35 024 euros en réparation des préjudices subis ;

Sur les intérêts et leur capitalisation :

16. Considérant que Mme C... a droit aux intérêts sur la somme de 35 024 euros à compter de la réception de sa demande préalable du 1er juin 2010 ; que ces intérêts seront capitalisés à compter du 13 décembre 2012 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les dépens :

17. Considérant qu'il y a lieu de mettre les frais de l'expertise, ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille le 19 février 2012, à la charge de l'ONIAM ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros à verser à Mme C... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1102733 du 17 novembre 2014 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à Mme C... la somme totale de 35 024 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la demande préalable du 1er juin 2010 et capitalisation à compter du 13 décembre 2012.

Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 750 euros par l'ordonnance du président du tribunal administratif de Marseille du 28 novembre 2011, sont mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à Mme C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C...et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 2 mars 2017, où siégeaient :

- M. Laso, président assesseur, présidant la formation du jugement en application de l'article R. 222.26 du code de justice administrative,

- M. Lafay, premier conseiller,

- Mme E..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 16 mars 2017.

2

N° 15MA00134


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA00134
Date de la décision : 16/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Champ d'application.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. LASO
Rapporteur ?: M. Louis-Noël LAFAY
Rapporteur public ?: Mme CHAMOT
Avocat(s) : CABINET A'CORP

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-03-16;15ma00134 ?
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