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13/03/2017 | FRANCE | N°15MA00945

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre - formation à 3, 13 mars 2017, 15MA00945


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Marseille Aménagement a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui payer la somme de 3 409 030,11 euros en dédommagement des frais qu'elle a été amenée à exposer pour procéder à la dépollution d'un site acquis le 5 avril 2002.

Par un jugement nos 0903132, 0900645 du 29 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société Marseille Aménagement et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise.

Procédure

devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2015, la société locale d'équipement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Marseille Aménagement a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui payer la somme de 3 409 030,11 euros en dédommagement des frais qu'elle a été amenée à exposer pour procéder à la dépollution d'un site acquis le 5 avril 2002.

Par un jugement nos 0903132, 0900645 du 29 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société Marseille Aménagement et a mis à sa charge définitive les frais d'expertise.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mars 2015, la société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise (SOLEAM), venant aux droits de la société Marseille Aménagement, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 décembre 2014 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 712 540,84 euros en réparation de son préjudice.

Elle soutient que :

- sa demande devant le tribunal administratif a été régulièrement précédée d'une demande indemnitaire préalable ;

- elle ne se heurtait pas à la prescription quadriennale, comme l'ont relevé à bon droit les premiers juges ;

- l'expertise menée a démontré que le site acquis auprès du ministère de la défense, comme celui acquis auprès de Réseau ferré de France (RFF), étaient affectés d'une pollution importante aux métaux lourds et l'état n'est pas fondé à contester les conclusions du rapport d'expertise;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que sa demande était fondée sur la garantie des vice cachés de l'article 1641 du code civil, alors qu'elle était exclusivement fondée sur l'obligation de délivrance conforme prévue par les articles 1603, 1604 et 1626 du même code ;

- ils n'ont pas répondu au moyen tiré de ce que l'absence de pollution lourde et la destination des lieux étaient entrées dans le champ contractuel ;

- il appartenait à l'Etat de livrer un site dépourvu de toute pollution et pas seulement de pollution pyrotechnique ;

- ce dernier ne saurait se prévaloir de son ignorance prétendue de la pollution aux métaux lourds affectant le site vendu et de son absence de responsabilité ;

- il n'est pas fondé à soutenir que cette pollution serait postérieure à la vente ;

- elle justifie des sommes acquittées afin d'assurer la dépollution totale du site.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juillet 2015, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la pollution du site litigieux aux métaux lourds, d'origine ancienne, ne lui est pas imputable, pas davantage qu'à son occupant précédent, l'un et l'autre n'y ayant d'ailleurs jamais exercé d'activité polluante ;

- l'Etat n'était pas informé de la pollution du site litigieux aux métaux lourds, ni de sa destination finale, lors de sa cession ;

- l'acte de vente du 5 avril 2002 comporte une clause limitative de responsabilité à son profit ;

- l'Etat a satisfait à son obligation de dépollution pyrotechnique, seule opposable contractuellement et légalement ;

- le moyen tiré de la méconnaissance par l'Etat de son obligation de délivrance conforme est irrecevable et manque en fait ;

- la société requérante n'invoque pas sa responsabilité au titre de la garantie des vices cachés ;

- aucune installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), telle que définie par l'article L. 511-1 du code de l'environnement, n'a été exploitée sur le site et il n'a pas méconnu les dispositions des articles L. 512-6 et L. 514-20 du même code ;

- la société requérante ne saurait utilement se prévaloir de la reconnaissance, dans une autre affaire, de la responsabilité de RFF au titre de la pollution du terrain acquis auprès de lui ;

- le préjudice allégué par la société requérante est surévalué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le décret n° 76-225 du 4 mars 1976 modifié ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné Mme Marie-Pierre Steinmetz-Schies, président assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Moussaron, président de la 6ème chambre en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gautron,

- et les conclusions de M. Thiele, rapporteur public.

1. Considérant que par un acte du 5 avril 2002, faisant suite à un agrément ministériel du 7 septembre 2000, la société Marseille Aménagement, aux droits de laquelle vient la société locale d'aménagement et d'équipement de l'aire de Marseille (SOLEAM), a acquis du ministère de la Défense, sur le territoire de la commune de Marseille, un tènement formé des parcelles bâties cadastrées C nos 35 à 37 d'une contenance totale de 6 610 m², pour un prix de 1 219 592,10 euros ; que des diagnostics réalisés sur le site l'année suivante, à la demande de la société, ayant révélé la présence notamment d'une pollution des sols aux métaux lourds, celle-ci a obtenu la désignation, par une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Marseille du 1er décembre 2003, d'un expert chargé de déterminer la nature, l'étendue et l'origine de cette pollution et de préciser les mesures permettant d'y mettre fin ; que l'expert ayant déposé son rapport le 20 avril 2004, la société a, au vu de ce dernier, assigné l'Etat devant le même tribunal afin d'obtenir sa condamnation à lui rembourser le montant des frais de dépollution du site ; que le juge de la mise en état de ce tribunal a, le 27 novembre 2011, décliné sa compétence au profit de celle des juridictions de l'ordre administratif ; que la société SOLEAM relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à réparer son préjudice;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, notamment des écritures de la société requérante devant le tribunal administratif, que si les premiers juges ont considéré, à tort, que sa demande de première instance était fondée non seulement sur la méconnaissance de l'obligation de délivrance conforme du vendeur prévue par les articles 1603 et suivant du code civil, mais également sur la garantie des vices cachés que lui imposent ses articles 1641 et suivants, alors que seul le premier de ces deux fondements de responsabilité était invoqué devant eux, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de leur jugement, dès lors qu'ils se sont prononcés sur chacun de ces fondements de responsabilité et n'ont pas, en tout état de cause, omis de statuer sur tout ou partie des conclusions de la société ;

3. Considérant, en second lieu, que les premiers juges, en relevant, au point 5 de leur jugement, que " le vendeur n'a jamais entendu affirmer que les terrains en cause étaient exempts de toute autre pollution " et que " pour remplir l'obligation de délivrance invoquée par la requérante, le terrain devait être uniquement exempt de pollution pyrotechnique ", ont nécessairement écarté le moyen allégué, tiré de ce que l'absence de pollution lourde et la destination des lieux étaient entrées dans le champ contractuel ; que la société requérante n'est pas, dès lors, fondée à soutenir que les premiers juges auraient omis de répondre à ce moyen ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Considérant, en premier lieu, qu'en vertu de l'article 1603 du code civil, le vendeur " (...) a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. " ; qu'aux termes de l'article 1604 du même code : " La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur. " ; qu'aux termes de son article 1625 : " La garantie que le vendeur doit à l'acquéreur a deux objets : le premier est la possession paisible de la chose vendue ; le second, les défauts cachés de cette chose ou les vices rédhibitoires. " ; qu'aux termes de son article 1626 : " Quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. " ; qu'enfin, aux termes de son article 1627 : " Les parties peuvent, par des conventions particulières, ajouter à cette obligation de droit ou en diminuer l'effet ; elles peuvent même convenir que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie. " ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 4 du décret susvisé du 4 mars 1976, applicable au présent litige : " I. - Les biens immobiliers de l'Etat dont le ministère de la défense est l'utilisateur ne peuvent faire l'objet d'un changement d'utilisation au profit d'un autre ministre ou d'un établissement public de l'Etat, de la délivrance d'un titre d'occupation unilatéral ou contractuel ou d'une cession qu'à la condition que le ministère de la défense ait, au préalable, examiné leur situation dans le cadre d'une étude historique et technique destinée à déterminer la présence éventuelle de munitions, mines, pièges, engins et explosifs. (...) II. - Si l'étude historique et technique met en évidence une présomption de pollution pyrotechnique, une analyse quantitative du risque est établie, en fonction de l'usage auquel le terrain est destiné, afin de déterminer si la pollution pyrotechnique présumée nécessite ou non la réalisation d'une opération de dépollution afin d'assurer l'utilisation des terrains concernés sans danger pour la santé, la salubrité et la sécurité publiques. (...) Le cas échéant, si l'analyse quantitative du risque conclut à la nécessité de conduire une opération de dépollution, un diagnostic sans excavation peut être réalisé sur tout ou partie du terrain, afin de localiser les objets pyrotechniques enfouis. " ; qu'aux termes de l'article 4-1 du même décret : " Sous réserve qu'il ne s'agisse pas de munitions chimiques, en cas de découverte fortuite pendant une période de dix ans suivant la délivrance des attestations mentionnées à l'article 4-9, la neutralisation, l'enlèvement et la destruction des munitions, mines, pièges, engins et explosifs sont à la charge : (...) 2° Du ministère de la défense, lorsque la cession est consentie en application d'autres dispositions, en particulier de l' article L. 3211-1 du code général de la propriété des personnes publiques. " ;

6. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 3 de l'acte de vente : " Le vendeur ne fournit aucune garantie sur les possibilités d'utilisation du bien vendu (...) " ;

7. Considérant que, d'une part, l'Etat s'est, certes, engagé à l'article 8 de l'acte de vente du 5 avril 2002 à délivrer à l'acquéreur du tènement litigieux un bien exempt de toute pollution pyrotechnique, conformément aux dispositions précitées du décret du 4 mars 1976 ; que le même article fait ainsi état d'une attestation délivrée par l'autorité militaire le 27 novembre 1989 et annexée à cet acte, selon laquelle des travaux de recherche, neutralisation et destruction de munitions et engins pyrotechniques ne sont pas nécessaires ; que, toutefois, contrairement à ce que soutient la société SOLEAM, il ne résulte ni des mentions, au demeurant non contestées, de cette annexe, ni des stipulations de l'article 8 de l'acte de vente, ni d'aucune autre stipulation de cet acte, que le vendeur se serait engagé à ce qu'aucun autre type de pollution n'affecte le bien cédé, alors en particulier qu'il n'est pas établi que l'Etat aurait eu connaissance, à la date de la vente, de la réalité de la pollution aux métaux lourds affectant le sol de ce site, ni d'activités passées exercées sur celui-ci de nature à entraîner une telle pollution ; qu'il s'en suit que l'Etat n'avait pas à procéder à des études complémentaires sur ce point ; qu'il ne résulte pas davantage des stipulations de l'acte de vente que l'Etat se serait engagé à délivrer un bien compatible avec une affectation à un usage résidentiel et d'équipements collectifs, dès lors notamment cet acte se borne à faire état de ce que la cession du tènement était " relative à l'opération d'aménagement de la Capelette ", sans précision sur la nature de cet aménagement et que les stipulations précitées de son article 3 excluent expressément toute garantie du vendeur à ce titre ; que la société requérante ne peut utilement se prévaloir d'un document produit postérieurement à la vente, le 4 mars 2004, par le ministère de la Défense, au cours des opérations d'expertise, faisant état de la nature des aménagements projetés ; que dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que tant l'absence de pollution importante du site, que la conformité du bien cédé à sa destination finale, auraient figuré parmi les communes prévisions des parties ; qu'elle ne peut se prévaloir, à cet égard, de l'analyse retenue par les juridictions de l'ordre judiciaire dans une autre affaire intéressant un terrain voisin, acquis par la société SOLEAM auprès de RFF ; qu'il en résulte qu'elle ne saurait rechercher la responsabilité de l'Etat au titre de la méconnaissance par ce dernier de son obligation de délivrance prévue par les dispositions précitées des articles 1603 et 1604 du code civil ;

8. Considérant, d'autre part, que l'article 4 de l'acte de vente stipule que " L'acquéreur est censé bien connaître le bien acquis. / Il le prend dans l'état où il le trouve au jour de la vente sans pouvoir prétendre à aucune garantie ni à aucune diminution du prix pour vices cachés, dégradations, réparations ou erreurs dans la désignation. / La vente est faite sans garantie de mesure et consistance et il ne pourra être exercé aucun recours en indemnité, réduction ou augmentation du prix, sauf dans le cas où la différence en plus ou en moins excèderait un vingtième. (...) " ;

9. Considérant qu'il résulte de ces stipulations et de celles précitées de l'article 3 de cet acte que l'acquéreur a notamment renoncé, sans ambiguïté, au bénéfice de la garantie instituée à son profit par les dispositions précitées de l'article 1626 du code civil, celles de son article 1627 autorisant d'ailleurs expressément une telle renonciation ; que dès lors, la société SOLEAM ne saurait, en tout état de cause, rechercher la responsabilité de l'Etat à ce titre ;

10. Considérant, en second lieu, qu'à les supposer même repris en appel, les moyens tirés des manquements commis par l'Etat à ses obligations d'information et de remise en état prévues par les articles L. 514-20 et L. 512-6-1 du code de l'environnement doivent être écartés, par adoption des motifs par lesquels les premiers juges les ont, à bon droit, écartés aux points 13 et 7 à 11 de leur jugement ;

11.Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société SOLEAM n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant, à titre principal à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 3 409 030,11 euros ; qu'elle n'est pas davantage fondée à demander, devant la Cour, sa condamnation à lui verser la somme de 2 712 540,84 euros ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société SOLEAM est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Société locale d'équipement et d'aménagement de l'aire marseillaise et au ministre de la défense.

Délibéré après l'audience du 27 février 2017 où siégeaient :

- Mme Steinmetz-Schies, président assesseur,

- Mme Héry, premier conseiller,

- M. Gautron, conseiller,

Lu en audience publique, le 13 mars 2017.

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N° 15MA00945


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