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17/10/2016 | FRANCE | N°15MA00202

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre - formation à 3, 17 octobre 2016, 15MA00202


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI VRMA d'une part, M. E... D...et Mme C... D...d'autre part ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le département de Vaucluse à leur verser respectivement les sommes de 200 000 euros et 100 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'exécution des travaux de construction en 2012 d'un pont de déviation de la route départementale n° 973 et de la présence de ce pont.

Par un jugement n° 1203176, 1302744 du 20 novembre 2014, le tribunal administratif de Nîmes a

condamné le département de Vaucluse à verser à la SCI VRMA la somme de

135 000...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI VRMA d'une part, M. E... D...et Mme C... D...d'autre part ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de condamner le département de Vaucluse à leur verser respectivement les sommes de 200 000 euros et 100 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'exécution des travaux de construction en 2012 d'un pont de déviation de la route départementale n° 973 et de la présence de ce pont.

Par un jugement n° 1203176, 1302744 du 20 novembre 2014, le tribunal administratif de Nîmes a condamné le département de Vaucluse à verser à la SCI VRMA la somme de

135 000 euros à titre d'indemnité.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 15 janvier 2015, le 11 février 2015 et les 18 et 19 novembre 2015, le département de Vaucluse, représenté par la SCP Bérenger Blanc Burtez-Doucede et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 novembre 2014 ;

2°) de rejeter les demandes incidentes de M. et Mme D... et de la SCI VRMA ;

3°) de mettre à la charge de la SCI VRMA le versement de la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement dont le dispositif ordonne la jonction des deux instances, est irrégulier ;

- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation en ce qu'il le condamne au paiement d'une indemnité sans l'avoir préalablement déclaré responsable d'un dommage de travaux publics ;

- le préjudice subi par la SCI ne présente un caractère ni anormal ni spécial ;

- l'évaluation du préjudice est excessive.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 12 février 2015, le 23 octobre 2015 et le 29 janvier 2016, la SCI VRMA et M. et Mme D... demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer le jugement en tant qu'il a limité à la somme de 135 000 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné le département de Vaucluse en réparation du préjudice subi par la SCI VRMA et rejeté les demandes de M. et Mme D... ;

- de porter à la somme de 200 000 euros le montant de l'indemnité due à la SCI VRMA ;

- de condamner le département de Vaucluse à verser la somme de 100 000 euros à M. et Mme D... en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis ;

3°) de mettre à la charge du département de Vaucluse une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est suffisamment motivé ;

- la responsabilité du département est engagée à l'égard de M. et Mme D... au titre des nuisances subies pendant la durée d'exécution des travaux publics.

Par ordonnance du 2 février 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 22 février 2016.

Un mémoire présenté par la SCI VRMA et M. et Mme D... a été enregistré le 3 juin 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafay,

- les conclusions de Mme Chamot, rapporteure publique,

- et les observations de Me A...de la SCP Beranger-Blanc-Burtez-Doucede et associés, représentant le département de Vaucluse, et de Me B..., représentant la SCI VRMA et M. et Mme D....

1. Considérant que le département de Vaucluse interjette appel du jugement du 20 novembre 2014 par lequel le tribunal de Nîmes l'a condamné à verser à la SCI VRMA la somme de 135 000 euros en réparation des préjudices consécutifs à l'implantation d'un pont de la déviation de la route départementale n° 973, en bordure immédiate du terrain dont elle est propriétaire sur la commune de Cadenet ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant, d'une part, qu'il appartient au juge d'apprécier l'opportunité de joindre des requêtes ; qu'en usant de son pouvoir de joindre les affaires en cause, le tribunal n'a pas entaché son jugement d'irrégularité ;

3. Considérant, d'autre part, qu'en indiquant au point 4 du jugement qu'il résultait de l'instruction que la construction par le département de Vaucluse d'un pont routier à proximité de la propriété de la SCI VRMA était à l'origine d'une perte de valeur vénale constituant un préjudice grave et spécial excédant les sujétions susceptibles d'être, sans indemnité, normalement imposées dans l'intérêt général aux riverains des ouvrages publics, le tribunal a implicitement mais nécessairement jugé que la responsabilité sans faute du département était engagée à l'égard de la société propriétaire, tiers par rapport à l'ouvrage public, en raison tant de l'existence que du fonctionnement de cet ouvrage ;

Sur la responsabilité du département de Vaucluse :

4. Considérant que la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommages de travaux publics à l'égard d'un requérant qui est tiers par rapport à un ouvrage public est subordonnée à la démonstration par ce dernier de l'existence d'un dommage anormal et spécial et d'un lien de causalité entre cet ouvrage ou cette opération et les dommages subis ; que le maître de l'ouvrage doit alors, pour dégager sa responsabilité, établir que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers ;

En ce qui concerne les dommages résultant de l'exécution des travaux :

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport du 16 avril 2012 de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes que la réalisation des travaux d'aménagement de la déviation routière, prévus pour durer de mars à décembre 2012 étaient susceptibles de créer des nuisances sonores ou par dépôts de poussières, pendant le jour uniquement ; que l'expert a toutefois constaté, lors d'une visite sur les lieux le 28 mars 2012, que le bruit des engins de terrassements était amorti par la distance et supportable et que les travaux ne soulevaient pas de poussières ; que M. et Mme D..., auxquels il appartient d'établir l'existence du préjudice qu'ils invoquent et son caractère anormal ne produisent aucun document, tels que des photographies, des témoignages ou des constats d'huissiers, susceptibles d'établir la durée et l'intensité des nuisances qu'ils estiment avoir subies ; que M. et Mme D... ne justifient dès lors pas avoir enduré, pendant la durée du chantier, de nuisances présentant le caractère d'un préjudice anormal et spécial de nature à engager la responsabilité du département de Vaucluse ;

En ce qui concerne les dommages résultant de la présence du pont routier :

6. Considérant, en premier lieu, que la déviation de la route départementale n° 973 sur la commune de Cadenet a rendu nécessaire la construction d'un pont de franchissement d'une voie ferrée, d'une longueur de 132 mètres et d'une hauteur de 13 mètres, en bordure de la parcelle appartenant à la SCI VRMA, à une distance de 80 mètres de la façade sud de la maison et du jardin avec piscine ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'ouvrage public serait, du fait de son implantation et de ses dimensions, à l'origine d'une perte d'ensoleillement de la propriété ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que si le rapport de l'expert, qui est antérieur à la construction de l'ouvrage et à sa mise en service, prévoyait que l'ensemble immobilier serait exposé à une nuisance sonore nouvelle, appelée à croître avec l'augmentation de la circulation, il ressort du relevé, produit en appel, effectué à la demande du département de Vaucluse les 16 et 17 avril 2014, à une période de circulation routière normale, que les niveaux sonores constatés, mesurés depuis la propriété de la SCI à 47 dB(A) le jour et à 37 dB(A) la nuit, sont nettement inférieurs à ceux que l'expert avait envisagés de manière abstraite à partir de prévisions de trafic ; que pour en contester les résultats, la société requérante ne peut se borner à faire valoir que ce relevé, qui peut être utilisé à titre d'élément d'information, n'a pas été réalisé de manière contradictoire ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort notamment des photographies produites et du rapport d'expertise du 16 avril 2012, que la présence de cet ouvrage a un impact fort sur la vue qui, jusqu'alors ouverte depuis la propriété sur la campagne environnante, est désormais limitée par cette infrastructure routière ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que des mesures, qui n'ont au demeurant pas été prévues par le département, permettraient de faciliter son insertion dans le paysage ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'implantation d'un pont routier à proximité de la propriété de la société requérante a fait naître des nuisances visuelles qui sont à l'origine d'une dépréciation de la valeur vénale du bien lui appartenant et dont il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'estimer le taux à 20 % ; que ce préjudice revêt un caractère anormal et spécial de nature à lui ouvrir droit à réparation ;

Sur l'évaluation de l'indemnité :

10. Considérant que si l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif a estimé à la somme de 359 000 euros l'ensemble immobilier appartenant à la SCI VRMA, cette valeur a été déterminée, de manière théorique, selon celle de reconstruction, indépendamment de toute recherche des prix pratiqués à l'occasion de cessions de biens comparables ; que le service de France Domaine, consulté dans le cadre d'un projet d'acquisition de ce bien par le département de Vaucluse, l'a quant à lui évalué, par un avis du 1er mars 2012 et en fonction des données du marché, à la somme de 464 000 euros, montant d'un ordre de grandeur analogue à ceux proposés par plusieurs agents immobiliers en 2011 ; qu'ainsi, et compte tenu du taux de dépréciation de la propriété fixé au point 9, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à la société requérante en la fixant à la somme de 90 000 euros ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le département de Vaucluse est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Nîmes l'a condamné à verser à la SCI VRMA, soit ramenée à la somme de 90 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI VRMA et de M. et Mme D... la somme que le département de Vaucluse demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font par ailleurs obstacle à ce que les sommes demandées à ce titre par la SCI VRMA et M. et Mme D... soient mises à la charge du département de Vaucluse, qui n'est pas la partie perdante ;

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 135 000 euros que le département de Vaucluse a été condamné à verser à la SCI VRMA est ramenée à 90 000 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nîmes du 20 novembre 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du département de Vaucluse est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la SCI VRMA, de M. E... D...et de Mme C... D...présentées par la voie de l'appel incident et les conclusions tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Les conclusions du département de Vaucluse tendant à l'application de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au département de Vaucluse, à la SCI VRMA, à

M. E... D...et à Mme C...D....

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2016, où siégeaient :

- M. Vanhullebus, président,

- M. Laso, président-assesseur,

- M. Lafay, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 octobre 2016.

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