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12/07/2016 | FRANCE | N°15MA02291

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 12 juillet 2016, 15MA02291


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 6 août 2012 de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement.

Par un jugement n° 1203414 du 10 avril 2015, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 juin 2015, le 17 juillet 2015 et le 8 février 2016, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal admin

istratif de Nice du 10 avril 2015 ;

2°) d'annuler la décision du 6 août 2012 de l'inspectrice du tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...D...a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 6 août 2012 de l'inspectrice du travail autorisant son licenciement.

Par un jugement n° 1203414 du 10 avril 2015, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 juin 2015, le 17 juillet 2015 et le 8 février 2016, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 10 avril 2015 ;

2°) d'annuler la décision du 6 août 2012 de l'inspectrice du travail ;

3°) d'enjoindre à l'administration de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens, y compris le timbre fiscal acquitté au titre de la contribution pour l'aide juridique.

Elle soutient que :

- l'entretien préalable s'est déroulé postérieurement à la demande d'autorisation de licenciement, en méconnaissance des dispositions de l'article R 2421-8 du code du travail ;

- la demande d'autorisation de licenciement a été présentée tardivement par son employeur et en tout état de cause après l'expiration du délai réglementaire ;

- lors de l'enquête contradictoire, elle n'a pas été entendue personnellement et individuellement ;

- la réalité des fautes qui lui sont reprochées n'est pas établie ;

- au demeurant, les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas une faute grave justifiant son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2015, la société Karavel, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme D... le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme D... n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2016, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par Mme D... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guidal, président,

- et les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public.

1. Considérant que, par une décision du 6 août 2012, l'inspectrice du travail de la 9ème section de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provences Alpes-Côte d'Azur, saisie d'une demande en ce sens par la société Karavel, a autorisé le licenciement pour faute de Mme D..., déléguée syndicale, qui exerçait les fonctions de "superviseur back office " et à qui son employeur reprochait un management autoritaire et excessif caractérisé par des agissements constitutifs de harcèlement moral à l'encontre des salariés placés sous son autorité ; que Mme D... relève appel du jugement du 10 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 août 2012 ;

Sur la procédure interne à l'entreprise :

2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail, " l'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable " ; qu'en vertu de l'article R. 2421-8 du même code, cet entretien doit précéder la présentation de la demande d'autorisation de licenciement à l'inspecteur du travail ;

3. Considérant que la société Karavel a, par un premier courrier du 13 juillet 2012, informé l'inspectrice du travail de la mise à pied de Mme D... ; que l'intéressée s'est rendue à l'entretien préalable à son licenciement qui s'est tenu le 19 juillet 2012 ; que la société a ensuite adressé, par un second courrier du 23 juillet 2012, la demande d'autorisation de licenciement, qui a été reçue le lendemain par l'administration ; que si l'inspectrice du travail s'est méprise sur la portée du premier courrier du 13 juillet 2012, en estimant à tort qu'elle était saisie d'une demande d'autorisation de licenciement et en convoquant le 23 juillet 2012 les parties pour l'enquête contradictoire, il ressort des pièces du dossier qu'elle a rectifié son erreur en adressant dès le 24 juillet 2012 une nouvelle convocation qui annulait la précédente et qui fixait au 2 août 2012 cette enquête ; que la circonstance que cet envoi comportait à la suite d'une erreur matérielle la date du 23 juillet au lieu de celle du 24 juillet est sans incidence ; que, dans ces circonstances, Mme D... n'est pas fondée à soutenir que la demande d'autorisation de son licenciement adressée à l'inspectrice du travail aurait précédé l'entretien préalable avec son employeur en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 2421-8 du code du travail ;

4. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 2421-14 du code du travail : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, le chef d'entreprise a la faculté, en cas de faute grave, de prononcer la mise à pied immédiate d'un salarié protégé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement de l'intéressé ; qu'en l'absence de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied ; que, si ce délai de huit jours n'est pas prescrit à peine de nullité de la procédure, il doit cependant être aussi court que possible, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied ;

5. Considérant que la mise à pied conservatoire de Mme D... lui a été notifiée avec une date de prise d'effet de la décision le 12 juillet 2012 ; que son employeur a sollicité l'autorisation de la licencier par un courrier du 23 juillet 2012 reçu le lendemain par l'administration ; que le délai légal de huit jours comprenait un jour férié, le 14 juillet, et expirait un vendredi, veille de week-end, la demande d'autorisation ayant été formalisée le lundi suivant ; que, dans les circonstances de l'espèce, le dépassement de quatre jours du délai prévu par l'article R. 2421-14 précité n'était pas excessif et n'a pas entaché la procédure d'irrégularité ;

Sur la procédure conduite par l'administration :

6. Considérant qu'aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. / (...) " ; que cette disposition implique, pour le salarié dont le licenciement est envisagé, le droit d'être entendu personnellement et individuellement par l'inspecteur du travail ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le 2 août 2012 l'inspectrice du travail s'est rendue au sein de l'établissement ; qu'il résulte de ces mêmes pièces et notamment du témoignage précis et circonstancié d'une salariée présente ce jour à l'accueil de l'entreprise que l'inspectrice du travail s'est isolée avec Mme D... et la représentante du syndicat qui l'accompagnait dans une salle de réunion située en face du bureau de la responsable comptable et s'est entretenue avec la requérante ; que Mme D..., qui se borne à soutenir " qu'aucune audition personnelle et individuelle n'apparaît dans le dossier ", n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause la matérialité des faits ainsi rapportés ; que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'il n'aurait pas été satisfait aux prescriptions ci-dessus rappelées ;

Sur les agissements reprochés à Mme D... :

8. Considérant, d'une part, qu'en vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;

9. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel " ; qu'aux termes de l'article L. 1152-5 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire " ;

10. Considérant qu'il résulte des dispositions mêmes de l'article L. 1152-1 du code du travail mentionnées ci-dessus que le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'il s'en déduit que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur ; qu'il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement ;

11. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision du 6 août 2012, que l'inspectrice du travail s'est fondée, pour autoriser le licenciement de Mme D... , sur le grief tiré d'un management autoritaire et excessif caractérisé par des pressions et menaces sur les salariés qu'elle encadrait, la tenue de propos humiliants et déplacés à l'égard de certains agents, souvent les plus fragiles, une agressivité dans les propos et les gestes, une ignorance volontaire de certains salariés, une absence volontaire de formation de certains agents, l'imposition de tâches ne figurant pas au contrat de travail, des réflexions systématiques lors de la prise de pauses ou lors d'absences, ainsi que sur le caractère répété et persistant de ces agissements ;

12. Considérant en premier lieu qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D... animait une équipe d'une quinzaine de personnes ; que les faits qui lui sont reprochés résultent des témoignages écrits de quatorze salariés placés sous son autorité ; que si ces témoignages ont été recueillis par l'employeur, à la suite d'une plainte de l'une de ces salariés, ils sont circonstanciés, précis et concordants et ont tous été confirmés par les intéressés lorsqu'ils ont été entendus personnellement et individuellement par l'inspectrice du travail au cours de l'enquête contradictoire ; que si la requérante soutient que ces différents témoignages émanent de salariés placés dans un lien de subordination hiérarchique et économique, elle ne conteste pas la matérialité des faits qui y sont relatés ni leur caractère répétitif ; qu'elle n'a d'ailleurs produit aucun témoignage en sens contraire et n'a pas remis en cause leur existence lorsqu'elle a été entendue par l'inspectrice du travail, même si elle en a relativisé la gravité ; que ces faits sont, au demeurant, corroborés par le constat auquel a procédé le comité d'hygiène et de sécurité lors de sa réunion du 9 juillet 2012 et de la demande qu'il a adressée à la suite de cette réunion à la direction de l'entreprise en vue de " faire le nécessaire pour rétablir des conditions de travail convenables et normales " ; qu'ainsi, la matérialité des agissements fautifs reprochés par la société Karavel à Mme D... doit être regardée comme établie ; que ces agissements répétés, qui tendent à jeter le discrédit sur les salariés placés sous l'autorité de l'intéressée, les affectent personnellement et portent atteinte à leur image et leur fonction auprès de leurs collègues sont constitutifs, par leur objet et leurs effets, de harcèlement moral ;

13. Considérant, en second lieu, que si l'attention de l'employeur a été attirée sur le comportement de Mme D... le 29 mai 2012, par une employée de l'entreprise, les faits à l'origine de la sanction n'ont pu être établis qu'après l'audition des quatorze salariés concernés, le dernier témoignage n'ayant été recueilli que le 29 juin 2012 ; qu'ainsi, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'employeur aurait laissé perdurer une situation qu'il connaissait, circonstance qui attesterait, selon elle, de l'absence de gravité des fautes qui lui sont reprochés ; que si la société Karavel compte parmi ses clients plusieurs passagers disparus lors du naufrage du Costa Concordia le 13 janvier 2012, il ne ressort pas des pièces du dossier que la survenance de cet accident aurait détérioré le climat social de l'entreprise ni que cet événement serait, à la suite d'un choc émotionnel, à l'origine des faits reprochés à l'intéressée ; que dans les circonstances de l'espèce, eu égard au caractère répété des agissements, à leur nature et à leurs effets sur les autres salariés et au fait que Mme D... avait déjà fait, le 23 août 2010, l'objet d'un avertissement par son employeur se rapportant à son comportement à l'égard de ses subordonnés, c'est à bon droit que l'inspectrice du travail a estimé que les faits reprochés à l'intéressée étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ; que ses conclusions présentées aux fins d'injonction et au titre des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de Mme D... une somme 1 500 euros à verser à la société Karavel en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Mme D... versera une somme de 1 500 euros à la société Karavel au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...D..., à société Karavel et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lascar, président de chambre,

- M. Guidal, président assesseur,

- M. Chanon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juillet 2016.

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N° 15MA02291

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA02291
Date de la décision : 12/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. LASCAR
Rapporteur ?: M. Georges GUIDAL
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : ZARAGOCI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-07-12;15ma02291 ?
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