Vu la requête, enregistrée le 16 janvier 2013 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 13MA00108, présentée pour la SARL CJMS Développement, dont le siège est 1 rue Antoine Queya à Perpignan (66000), représentée par ses cogérants M. C... D... et M. B... D..., ainsi que pour M. C...D...et M. B...D..., demeurant ...à Perpignan (66000), par Me A... ;
La SARL CJMS Développement, M. C...D...et M. B...D...demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1100361 du 4 décembre 2012 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la décision du 7 janvier 2009 du préfet des Pyrénées-Orientales refusant de renouveler une dérogation d'ouverture tardive de l'établissement " El Boca Boca ", la somme de 175 000 euros au titre de leur préjudice commercial et la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice moral ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 144 000 euros à titre d'indemnisation de leur préjudice commercial ;
3°) de condamner l'Etat à verser à M. C...D...et M. B...D...une somme de 10 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision en date du 1er septembre 2014 du président de la cour administrative d'appel de Marseille portant désignation, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, de M. Michel Pocheron, président-assesseur, pour présider les formations de jugement en cas d'absence ou d'empêchement de M. Bocquet, président de la 5ème chambre ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mars 2015 :
- le rapport de Mme Ciréfice, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;
- et les observations de Me E...A..., pour les requérants ;
1. Considérant que par une décision du 26 juin 2008, le préfet des Pyrénées-Orientales a accordé à la SARL CJMS Développement, société exploitant l'établissement dénommé " El Boca Boca " à Perpignan, une dérogation à l'heure limite d'ouverture de 2 à 4 heures du matin pour une durée de six mois valable jusqu'au 9 janvier 2009 ; que, par une décision du 7 janvier 2009, le même préfet a refusé à la SARL le renouvellement de la dérogation à l'heure limite d'ouverture ; que cette décision du 7 janvier 2009 a été annulée par un jugement du 25 mai 2010 du tribunal administratif de Montpellier ; que par un jugement en date du 4 décembre 2012, le tribunal administratif de Montpellier a, après avoir reconnu que l'erreur commise par le préfet constitue une faute engageant la responsabilité de l'Etat, rejeté la demande de la SARL CJMS Développement et de ses deux co-gérants tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 175 000 euros au titre de leur préjudice commercial et, à chacun des co-gérants, la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice moral ; que la SARL et ses deux co-gérants M. C... D...et M. B...D...relèvent appel de ce jugement en tant qu'il rejette leurs demandes indemnitaires ;
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne la période indemnisable :
2. Considérant qu'aux termes de l'article D. 314-1 du code du tourisme issu de l'article 15 du décret susvisé du 23 décembre 2009 et rendu applicable à sa date de publication le 27 décembre 2009 : " L'heure limite de fermeture des débits de boissons ayant pour objet principal l'exploitation d'une piste de danse est fixée à 7 heures du matin (...) " ; qu'il n'est pas contesté que l'établissement dénommé " El Boca Boca " géré par la SARL CJMS Développement est un débit de boisson exploitant une piste de danse ; que, par suite, l'établissement " El Boca Boca " était autorisé à rester ouvert jusqu'à 7 heures du matin à compter de la publication du décret précité du 23 décembre 2009, nonobstant la décision du 7 janvier 2009 du préfet des Pyrénées-Orientales ; qu'en cas de doute sur la réglementation applicable à leur établissement, il appartenait aux gérants de la société d'interroger les services de la préfecture ; qu'il résulte de ce qui précède que les requérants sont seulement fondés à demander l'indemnisation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 7 janvier 2009 refusant d'octroyer une dérogation à l'heure limite d'ouverture de 2 à 4 heures du matin pour la période comprise entre le 7 janvier 2009, date de fin de l'autorisation accordée le 26 juin 2008 et le 27 décembre 2009, date de publication de l'article 15 du décret susvisé du 23 décembre 2009 ;
En ce qui concerne le préjudice commercial :
3. Considérant que la SARL CJMS Développement soutient que l'obligation de fermer à 2 heures du matin au lieu de 4 heures, ainsi qu'elle y était autorisée du 26 juin 2008 au 7 janvier 2009, est à l'origine d'une importante baisse de son chiffre d'affaires en raison d'une évasion de sa clientèle vers les établissements de même nature bénéficiant d'une autorisation de fermeture plus tardive ; que, pour établir son préjudice, la société requérante a produit un tableau élaboré par son expert comptable retraçant l'évolution du chiffre d'affaires de l'établissement sur la période d'octobre à avril pour les années 2007/2008, 2008/2009 et 2009/2010 ; qu'elle verse également les extraits de ses grands livres de comptes généraux ainsi que des tableaux et des graphiques comparatifs retraçant l'évolution de son chiffre d'affaires mois par mois pour les années 2006 à 2011 ; qu'il résulte de ces différents documents comptables, que la baisse avérée du chiffre d'affaires peut être rattachée, au moins en partie, de manière directe et certaine à la décision du préfet des Pyrénées-Orientales du 7 janvier 2009 pour la période comprise entre le 7 janvier et le 27 décembre 2009 ; qu'ainsi, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la SARL requérante en l'évaluant à la somme de 50 000 euros ; que compte tenu du mode de détermination du préjudice retenu, il n'y a pas lieu de le réduire du montant des économies susceptibles d'avoir été réalisées ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
4. Considérant que M. C...D...et M. B...D...font valoir que la SARL CJMS Développement a été mise en redressement judiciaire le 18 juin 2003 et qu'un plan de redressement sur 9 ans a été homologué par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier le 13 juillet 2004 ; que s'ils font valoir que c'est au prix de sacrifices personnels très importants qu'ils se sont acquittés de leurs obligations nées du plan de redressement et que la décision préfectorale litigieuse leur a en conséquence causé un préjudice moral qu'ils évaluent à la somme de 10 000 euros chacun, la réalité de ce préjudice moral n'est pas établie ; que, dès lors, les demandes d'indemnisation à ce titre doivent être rejetées ;
5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL CJMS Développement et MM. C...et B...D..., ses co-gérants, sont fondés à demander la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices consécutifs à l'illégalité fautive de la décision du préfet des Pyrénées-Orientales du 7 janvier 2009 et à demander en conséquence l'annulation du jugement du tribunal administratif de Montpellier ;
Sur les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés solidairement par la SARL CJMS Développement et ses deux co-gérants, et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SARL CJMS Développement, à M. C...D...et à M. B...D..., ses gérants, une somme de 50 000 (cinquante mille) euros.
Article 3 : L'Etat versera à la SARL CJMS Développement et à ses deux gérants une somme totale de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL CJMS Développement, à M. C...D..., à M. B...D...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Pyrénées-Orientales.
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N° 13MA00108