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23/12/2013 | FRANCE | N°11MA02993

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 23 décembre 2013, 11MA02993


Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2011, présentée par le préfet des Bouches-du-Rhône, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler dans son entier le jugement n° 1100923 du 6 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé ses décisions du 4 janvier 2011 portant, à l'encontre de M.A..., obligation de quitter le territoire français et fixation du pays à destination duquel il sera renvoyé à défaut d'exécution volontaire dans le délai d'un mois ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A...devant le tribunal administratif de Marsei

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Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2011, présentée par le préfet des Bouches-du-Rhône, qui demande à la Cour :

1°) d'annuler dans son entier le jugement n° 1100923 du 6 juillet 2011 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé ses décisions du 4 janvier 2011 portant, à l'encontre de M.A..., obligation de quitter le territoire français et fixation du pays à destination duquel il sera renvoyé à défaut d'exécution volontaire dans le délai d'un mois ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. A...devant le tribunal administratif de Marseille ;

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique du 3 décembre 2013, le rapport de M. Chanon, premier conseiller ;

1. Considérant que, par arrêté du 4 janvier 2011, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé l'admission au séjour de M.A..., de nationalité turque, et assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français fixant le pays à destination duquel l'intéressé sera renvoyé à défaut d'exécution volontaire dans le délai d'un mois ; que le préfet des Bouches-du-Rhône doit être regardé comme demandant l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 6 juillet 2011 en tant que ce jugement a annulé, par l'article 1er, l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays d'éloignement, lui a enjoint, par l'article 2, de procéder au réexamen de la situation de M. A...et a mis à sa charge, par l'article 3, une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par la voie de l'appel incident, M. A...demande l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions dirigées contre le refus de séjour ;

Sur l'appel incident de M. A...:

2. Considérant, en premier lieu, que la décision portant refus de séjour énonce les éléments de fait et de droit sur lesquels elle est fondée ; que, dès lors, elle est suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que M. A...soutient que l'état de santé de son père, réfugié politique kurde en France depuis 2002, nécessite sa présence à ses côtés ; que, toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des attestations médicales produites, que la présence de l'intéressé auprès de son père serait indispensable ni, en outre, qu'il serait le seul à pouvoir s'acquitter d'une telle tâche ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté ;

4. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République " ; qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui " ;

5. Considérant que M.A..., né en 1985, déclare vivre en France depuis le mois d'août 2008 sans l'établir dans l'instance ; qu'il est célibataire et sans enfant ; que sa mère et ses deux frères résident en Turquie ; que, dans ces circonstances, malgré la présence de son père sur le territoire français et compte tenu de ce qui a été dit précédemment sur ce point, le préfet n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par le refus de séjour ; qu'ainsi, ni les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont été méconnues ;

6. Considérant, en quatrième et dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 (...) peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir (...) " ; qu'eu égard à ce qui vient d'être dit sur la situation personnelle de M.A..., le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en estimant que l'intéressé ne justifiait pas de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels pour être admis au séjour sur le fondement des dispositions précitées ;

Sur l'appel principal du préfet des Bouches-du-Rhône :

En ce qui concerne la recevabilité de la requête :

7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours " ;

8. Considérant que la requête, qui critique en particulier de façon très détaillée le moyen d'annulation retenu par les premiers juges, satisfait aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; qu'elle est, par suite, recevable ;

En ce qui concerne la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

9. Considérant, d'une part, que les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction en vigueur à la date de la décision en litige, prévoient que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation ; que ces dispositions sont cependant incompatibles avec les objectifs définis par le paragraphe 1 de l'article 12 de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier, aux termes duquel : " les décisions de retour (...) indiquent leurs motifs de fait et de droit (...) ", dont le délai de transposition a expiré le 24 décembre 2010, antérieurement à la date de la décision litigieuse et dont les dispositions, précises et inconditionnelles, peuvent être utilement invoquées à l'appui de la contestation d'une obligation de quitter le territoire français ; que, toutefois, lorsque cette obligation assortit un refus de séjour, la motivation de l'obligation de quitter le territoire français se confond avec celle du refus de titre de séjour dont elle découle nécessairement et n'implique pas, par conséquent, dès lors que ce refus, comme en l'espèce ainsi qu'il a été dit au point 2, est lui-même motivé, de mention spécifique pour respecter les exigences de l'article 12 de la directive ;

10. Considérant, d'autre part, que les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile laissent, de façon générale, un délai d'un mois pour le départ volontaire de l'étranger qui fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français ; qu'un tel délai d'un mois est égal ou supérieur à la durée de trente jours prévue par l'article 7 de la directive à titre de limite supérieure du délai devant être laissé pour un départ volontaire ; que, par suite, alors même que ni les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni celles de l'article 7 de la directive ne font obstacle à ce que le délai de départ volontaire soit prolongé, le cas échéant, d'une durée appropriée pour les étrangers dont la situation particulière le nécessiterait, l'autorité administrative, lorsqu'elle accorde ce délai d'un mois, n'est pas tenue de motiver sa décision sur ce point si l'étranger, comme en l'espèce, n'a présenté aucune demande en ce sens ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a accueilli, pour annuler l'obligation de quitter le territoire français, le moyen tiré du défaut de sa motivation ;

12. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...en première instance à l'encontre de l'obligation de quitter le territoire français ;

13. Considérant que les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'état de santé du père de M. A...et de l'atteinte excessive portée au droit au respect de la vie privée et familiale doivent être écartés pour les mêmes raisons qu'en tant qu'ils sont soulevés à l'encontre du refus de séjour ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

14. Considérant que cette décision est suffisamment motivée en droit par le visa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et en fait par l'indication que l'intéressé est de nationalité turque et qu'à défaut d'exécution volontaire, l'obligation de quitter le territoire français sera exécutée d'office à destination du pays dont il a la nationalité ou de tout autre pays où il établira être légalement admissible ;

15. Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements inhumains ou dégradants contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la demande d'asile politique introduite par M.A..., qui se prévaut de son origine kurde, a été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 15 octobre 2008 puis la commission des recours des réfugiés le 22 avril 2009 ; que l'invocation du statut de réfugié politique de son père ainsi que de ceux, non justifiés, de " ses cousins et membres de sa famille résidant en France ", ne sont pas de nature à démontrer la réalité des risques personnellement encourus par l'intéressé en cas de retour en Turquie ; qu'il en est de même de son incarcération dans une prison militaire à l'issue de son service militaire, dont les motifs ne sont pas établis ; que, par suite, M. A...ne peut se prévaloir ni des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

16. Considérant qu'il résulte de tout de ce qui précède que le préfet des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi, lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de M. A...et a mis à sa charge une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par suite, le jugement doit, dans cette mesure, être annulé ; qu'en revanche, doivent être rejetées les conclusions incidentes présentées par M.A..., y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 juillet 2011 sont annulés.

Article 2 : Les demandes présentées par M. A...devant le tribunal administratif de Marseille tendant, d'une part, à l'annulation des décisions du préfet des Bouches-du-Rhône en date du 6 janvier 2011 portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays d'éloignement, d'autre part, à ce qu'une mesure d'injonction de réexamen de sa situation soit prononcée et, enfin, à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les conclusions qu'il a présentées devant la Cour, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

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N° 11MA02993

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 11MA02993
Date de la décision : 23/12/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03-04 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour. Motifs.


Composition du Tribunal
Président : M. BEDIER
Rapporteur ?: M. René CHANON
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : BARTOLOMEI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2013-12-23;11ma02993 ?
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