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18/12/2012 | FRANCE | N°12MA02206

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 18 décembre 2012, 12MA02206


Vu la requête, enregistrée le 1er juin 2012 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 12MA02206, présentée pour M. Eric B, demeurant ..., par Me de Fontbressin ;

M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103784 du 29 mars 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 539 893 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la suppression, par la loi du 16 janvier 2001, du privilège professionnel des courtiers interprète

s et conducteurs de navires ;

2°) de faire droit à sa demande de première...

Vu la requête, enregistrée le 1er juin 2012 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille, sous le n° 12MA02206, présentée pour M. Eric B, demeurant ..., par Me de Fontbressin ;

M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1103784 du 29 mars 2012 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 539 893 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la suppression, par la loi du 16 janvier 2001, du privilège professionnel des courtiers interprètes et conducteurs de navires ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance en condamnant l'Etat à lui payer la somme de 539 893 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.....................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le règlement n° 2913/92/CEE du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaires ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 2001-43 du 16 janvier 2001 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 novembre 2012 :

- le rapport de M. Chanon, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me de Fontbressin pour M. B ;

Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 28 novembre 2012, présentée par la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

1. Considérant que, par jugement du 29 mars 2012, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. B tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer la somme de 539 893 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la suppression, par la loi du 16 janvier 2001, du privilège professionnel des courtiers interprètes et conducteurs de navires ; que M. B relève appel de ce jugement ;

Sur le moyen tiré de ce que le législateur s'est mépris sur la portée du règlement du Conseil du 12 octobre 1992 :

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 5 du règlement du Conseil du 5 octobre 1992 : " 1. 1. Dans les conditions prévues à l'article 64 paragraphe 2 (...), toute personne peut se faire représenter auprès des autorités douanières pour l'accomplissement des actes et formalités prévus par la réglementation douanière. 2. La représentation peut être : - directe, dans ce cas le représentant agit au nom et pour le compte d'autrui, ou - indirecte, dans ce cas le représentant agit en son nom propre, mais pour le compte d'autrui. Les États membres peuvent se réserver le droit de faire, sur leur territoire, des déclarations en douane selon : - soit la modalité de la représentation directe, - soit celle de la représentation indirecte, de sorte que le représentant doit être un commissionnaire en douane y exerçant sa profession (...) " ; qu'aux termes de l'article 64 de ce règlement : " 1. Sous réserve de l'article 5, la déclaration en douane peut être faite par toute personne en mesure de présenter ou de faire présenter au service des douanes compétent la marchandise en cause ainsi que tous les documents dont la production est nécessaire pour permettre l'application des dispositions régissant le régime douanier pour lequel la marchandise est déclarée. 2. Toutefois : a) lorsque l'acceptation d'une déclaration en douane entraîne pour une personne déterminée des obligations particulières, cette déclaration doit être faite par cette personne ou pour son compte (...) " ;

3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 131-2 du code de commerce, dans sa version antérieure à la loi du 16 janvier 2001 : " Les courtiers interprètes et conducteurs de navires font le courtage des affrètements. Ils ont, en outre, seuls le droit de traduire, en cas de contestations portées devant les tribunaux, les déclarations, chartes-parties, connaissements, contrats, et tous actes de commerce dont la traduction serait nécessaire. Ils constatent le cours du fret ou du nolis. Dans les affaires contentieuses de commerce, et pour le service des douanes, ils servent seuls de truchement à tous étrangers, maîtres de navires, marchands, équipages de vaisseau et autres personnes de mer " ; que l'article 1er de la loi du 16 janvier 2001 dispose : " I. - L'article L. 131-2 du code de commerce est abrogé. II. - Le courtage d'affrètement, la constatation du cours du fret ou du nolis, les formalités liées à la conduite en douane, la traduction des déclarations, des chartes-parties, des connaissements, des contrats et de tous actes de commerce, lorsqu'ils concernent les navires, sont effectués librement par l'armateur ou son représentant qui peut être le capitaine " ;

4. Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du règlement du Conseil du 5 octobre 1992 que celui-ci pose le principe de la liberté de représentation auprès des autorités douanières alors que l'article L. 131-2 du code de commerce réservait aux courtiers maritimes le monopole de l'accomplissement des actes et formalités liés à la conduite en douane des navires ; que, dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, en supprimant le privilège professionnel des courtiers interprètes et conducteurs de navires, le législateur ne s'est pas mépris sur la portée du règlement du 5 octobre 1992, alors même que les courtiers maritimes n'auraient pas exercé une activité de représentation en douane mais seulement la conduite en douane des navires et qu'ils auraient été investis, avant l'intervention de la loi du 16 janvier 2001, d'une " tâche d'intérêt général " ; qu'ainsi, sans que l'absence d'effet contraignant de l'avis motivé de la Commission des communautés européennes du 3 décembre 1997 ait une incidence dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le législateur se serait à tort estimé lié par cet avis, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée du fait de l'intervention de l'article 1er de la loi du 16 janvier 2001, qui ne méconnaît pas les engagements internationaux de la France ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de confiance légitime :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 16 janvier 2001 : " Pendant un délai de deux ans suivant la promulgation de la présente loi, les courtiers interprètes et conducteurs de navires conserveront le privilège institué par l'article L. 131-2 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à son abrogation par la présente loi, en étant cependant libérés des contraintes prévues par l'article L. 131-7 du même code avant son abrogation par la présente loi " ;

7. Considérant que le règlement du Conseil du 5 octobre 1992, d'application directe, a pris effet, en vertu de son article 253, le 1er janvier 1994 ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que ce règlement implique nécessairement la suppression du privilège des courtiers maritimes ; que la Commission des Communautés européennes a engagé une procédure de manquement contre la France, se traduisant par une mise en demeure et par l'avis motivé précédemment mentionné du 3 décembre 1997 ; que les professionnels concernés ne pouvaient ignorer cette situation ; que les dispositions de l'article 6 de la loi du 16 janvier 2001 ont maintenu le privilège à titre transitoire pour une durée de deux ans ; que, dans ces conditions, l'Etat n'a pas méconnu le principe de confiance légitime, ni, par suite, commis une faute sur ce point ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique :

8. Considérant que, dans les circonstances qui viennent d'être exposées, et compte tenu en particulier du délai transitoire de deux ans dont il n'est pas allégué qu'il aurait été insuffisant, la responsabilité de l'Etat ne peut pas davantage être engagée sur le fondement d'une méconnaissance du principe de sécurité juridique ;

Sur le moyen tiré de l'inconventionnalité de la loi au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne :

9. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 16 janvier 2001 : " Les titulaires d'office de courtiers interprètes et conducteurs de navires sont indemnisés du fait de la perte du droit qui leur a été reconnu à l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 sur les finances de présenter un successeur à l'agrément du ministre chargé de la marine marchande. Lorsqu'ils exercent les activités mentionnées à l'article 1er, les courtiers interprètes et conducteurs de navires conservent leur qualité de commerçant " ; qu'aux termes de l'article 4 de cette loi : " I. - La valeur des offices, limitée aux activités faisant l'objet du privilège supprimé par la présente loi, est calculée : - en prenant pour base la somme de la recette nette moyenne au cours des exercices 1992 à 1996 et de trois fois le solde moyen d'exploitation de l'office au cours des mêmes exercices ; - en affectant cette somme d'un coefficient de 0,5 pour lesdits offices ; - en multipliant le total ainsi obtenu par le rapport du chiffre d'affaires moyen des exercices 1992 à 1996 de l'office correspondant aux activités faisant l'objet du privilège sur le chiffre d'affaires global moyen des exercices 1992 à 1996 de l'office. La recette nette est égale au montant du chiffre d'affaires hors taxes retenu pour le calcul de l'imposition des bénéfices. Le solde d'exploitation est égal au résultat d'exploitation majoré des dotations aux amortissements et provisions et des autres charges et diminué des reprises sur amortissements et provisions, des subventions d'exploitation et des autres produits. Les données utilisées sont celles qui figurent sur la déclaration fiscale annuelle et dans la comptabilité de l'office. II. - Le montant de l'indemnité afférente à la perte du droit de présentation est fixé à 65 % de la valeur déterminée au I. III. - Cette indemnité est versée aux courtiers interprètes et conducteurs de navires sous la forme d'un seul versement dans les six mois suivant le dépôt de la demande " ; qu'aux termes de l'article 5 de la même loi : " Les conditions dans lesquelles les courtiers interprètes et conducteurs de navires peuvent, sur leur demande, accéder aux professions de commissionnaire de transport, de greffier de tribunal de commerce, d'huissier de justice ou de mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises, notamment en ce qui concerne les dispenses totales ou partielles de diplômes et de formation professionnelle, sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Leur demande doit être présentée au plus tard dans les trois ans suivant la date de publication du décret susmentionné " ; qu'enfin, en vertu de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut-être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ;

10. Considérant que la dépréciation de la valeur pécuniaire de leur droit de présentation résultant, pour les courtiers maritimes, de la suppression par la loi du 16 janvier 2001 de leur monopole dans le domaine de l'accomplissement des actes et formalités liées à la conduite en douane des navires et de la traduction de divers documents porte atteinte à un droit patrimonial qui constitue un bien au sens de l'article 1er du premier protocole additionnel ;

11. Considérant que M. B soutient que l'article 4 de la loi introduit une atteinte excessive au droit de propriété dès lors qu'il prévoit de limiter le montant du préjudice indemnisable à 65 % de la valeur de l'office tenant à la part relative aux activités faisant l'objet du privilège, calculée sur la base du choix discrétionnaire des exercices 1992 à 1996, alors qu'il avait droit à une réparation intégrale ; que, toutefois et d'une part, la critique du choix des années de référence est dépourvue des précisions permettant d'en apprécier la portée ; que, d'autre part, il ressort des termes de la loi, éclairés par les travaux préparatoires, que le principe même de cet abattement se justifie par la possibilité, laissée aux courtiers maritimes, de poursuivre leur activité liée aux formalités de conduite en douane ainsi que de traduction de divers documents dans le nouveau cadre légal ; que l'indemnisation prévue a vocation à accompagner la " nécessaire reconversion commerciale " des intéressés, rendue possible par l'abrogation, par l'article 6 de la loi, de l'article L. 131-7 du code du commerce leur interdisant l'exercice de toute activité commerciale à titre personnel ou dans le cadre d'une entreprise dans laquelle ils auraient eu des intérêts ; que l'article 5 de la loi prévoit en outre des possibilités de reconversion dans certaines professions réglementées ; qu'ainsi, la disposition contestée poursuit un but légitime d'intérêt général, ne porte pas au droit garanti par l'article 1er du premier protocole une atteinte qui excède la marge d'appréciation dont dispose le législateur et garantit, au total, une indemnisation raisonnablement en rapport avec la dépréciation de la valeur pécuniaire du droit de présentation des courtiers maritimes ; qu'il suit de là que M. B n'est pas fondé à soutenir qu'en faisant application de cette disposition, l'Etat aurait engagé sa responsabilité en raison de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Eric B et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

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N° 12MA02206

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 12MA02206
Date de la décision : 18/12/2012
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BEDIER
Rapporteur ?: M. René CHANON
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SELARL FONTBRESSIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2012-12-18;12ma02206 ?
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