Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 6 septembre 2010 sous le n° 09MA02900, présentée par Me Martin, avocat, pour Mme Claudine A, demeurant ..., ensemble le mémoire additionnel enregistré le 8 juillet 2011 ;
Mme A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0801096 du 9 juillet 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'État et de La Poste à lui verser une indemnité de 275 069 euros en réparation des conséquences dommageables du blocage de sa carrière, ensemble la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser une indemnité de
275 069 euros en réparation des conséquences dommageables du blocage de sa carrière, somme à parfaire au jour de l'arrêt, augmentée des intérêts au taux légal et du produit de leur capitalisation ;
3°) d'enjoindre sous astreinte financière à l'État et à La Poste de reconstituer sa carrière ;
4°) de mettre à la charge de l'État et de La Poste la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
Vu le décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 portant statut particulier du corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 86-283 du 25 février 1986 modifiant le décret n° 57-1319 du
21 décembre 1957 portant statut particulier du corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 88-213 du 3 mars 1988 modifiant le décret n° 57-1319 du
21 décembre 1957 portant statut particulier du corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 88-993 du 17 octobre 1988 modifiant le décret n° 57-1319 du
21 décembre 1957 portant statut particulier du corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 90-751 du 22 août 1990 modifiant le décret n° 57-1319 du
21 décembre 1957 portant statut particulier du corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 90-1224 du 31 décembre 1990 portant modification du décret n° 57-1319 du 21 décembre 1957 portant statut particulier du corps des services de la distribution et de l'acheminement de La Poste ;
Vu le décret n° 2009-15555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 septembre 2012 :
- le rapport de M. Brossier, rapporteur,
- les conclusions de Mme Hogedez, rapporteur public,
- et les observations de Me Bellanger pour La Poste ;
Considérant que Mme A, fonctionnaire des postes et télécommunications depuis le 9 décembre 1991 en qualité d'agent d'exploitation su service de la distribution et de l'acheminement du courrier, recherche la condamnation solidaire de son employeur La Poste et de l'État à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis dans le déroulement de sa carrière en l'absence, à compter de 1993, de toute possibilité de promotion la concernant du fait de son choix de rester dans un corps dit de "reclassement" ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a retenu la faute simple de La Poste pour n'avoir pas mis en place des procédures de promotion interne applicable aux agents "reclassés" et la faute simple de l'État pour retard dans l'adoption de la réglementation applicable ; que le tribunal a toutefois écarté comme non établis les préjudices invoqués par l'appelante ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité :
Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (...) " ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;
Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) " ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;
Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de "reclassement" de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de "reclassification" créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de "reclassification", ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de "reclassement" ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires "reclassés" comme aux fonctionnaires "reclassifiés" de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;
Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du
11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires "reclassés" ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de "reclassement", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires "reclassés" de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ; que La Poste ne peut utilement se prévaloir, pour s'exonérer de cette responsabilité, ni de la circonstance que les décrets statutaires des corps de "reclassement" auraient interdit ces promotions, ni de la circonstance qu'aucun emploi ne serait devenu vacant, au cours de la période, pour permettre de procéder à de telles promotions ; que des promotions internes pour les fonctionnaires "reclassés" non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de La Poste, que par l'effet du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le président de La Poste, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires "reclassés", a commis une illégalité engageant la responsabilité de sa société ; que La Poste n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité pour faute simple ; que l'État a, de même, commis une faute simple, distincte de la faute imputable à La Poste, en attendant le 14 décembre 2009 pour prendre les décrets organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de "reclassement" de cette société ; qu'il s'ensuit que le ministre intimé n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont retenu sa responsabilité pour faute simple ;
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral :
Considérant que l'appelante est fondée à soutenir qu'elle a droit à une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires "reclassés" de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'au cas particulier l'intéressée n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en allouant à l'appelante la somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence, tous intérêts confondus ;
S'agissant du préjudice financier :
Considérant que l'appelante, né en 1963, agent d'exploitation des services de la distribution et de l'acheminement depuis 1991, soutient qu'elle aurait pu être promue au grade de conducteur de travaux de la distribution et de l'acheminement ;
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé
n° 90-1224 du 31 décembre 1990 : " Sont créés à La Poste les corps suivants : 1° Préposés de la distribution et de l'acheminement comprenant les grades de préposé et de préposé-chef, dotés chacun de onze échelons ; 2° Conducteurs de travaux de la distribution et de l'acheminement comprenant un grade doté de douze échelons ; (...) Ces corps sont régis par le décret du
21 décembre 1957 susvisé, sous réserve des modifications qui lui sont apportées par le présent décret " ; qu'aux termes de l'article 18 du décret modifié n° 57-1319 du 21 décembre 1957 : " Les conducteurs de travaux de la distribution et de l'acheminement sont recrutés : 1° Par voie de concours distincts : a) Un premier concours, dont les épreuves sont du niveau du baccalauréat de l'enseignement du second degré, est ouvert aux candidats âgés de vingt et un ans au moins et de moins de quarante-cinq ans ; b) Un deuxième concours est réservé aux fonctionnaires du corps des préposés et du corps des agents d'exploitation des branches "services de la distribution et de l'acheminement" et "recettes-distribution", comptant dans l'un ou l'autre de ces corps au moins trois ans en tout de services effectifs en qualité de titulaire ou de stagiaire, les services militaires obligatoires ou le temps accompli au titre du service national actif venant, le cas échéant, en déduction de l'ancienneté, de services ainsi exigée. Le quart des places mises en compétition est offert aux candidats du premier concours. Les places mises au concours qui ne sont pas pourvues par l'admission de candidats à l'un de ces concours peuvent être attribuées aux candidats à l'autre concours. 2° Au choix, dans la limite du sixième des titularisations prononcées par la voie des concours prévus au 1° ci-dessus, parmi les fonctionnaires du corps des agents d'exploitation des branches "services de la distribution et de l'acheminement" et "recettes-distribution", âgés de quarante ans au moins, ayant atteint le septième échelon depuis au moins deux ans et comptant cinq ans au moins de services effectifs dans ce corps. (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'à la différence de la promotion par concours interne au grade de conducteur de travaux, la promotion par tableau d'avancement au même grade exige l'âge minimal de 40 ans ;
Considérant, en second lieu, que l'appelante n'établit aucune chance sérieuse de réussite au concours interne susmentionné si celui-ci avait été organisé ; qu'elle a atteint l'âge de 40 ans en 2003 ; qu'il résulte de l'instruction que, si elle a obtenu en 2002 la note maximale E indiquant " une valeur professionnelle largement supérieure aux exigences du poste ", elle n'a pas été notée en 2003 et n'a obtenu pour les années 2004, 2005 et 2006 que la note de niveau B indiquant une " valeur professionnelle correspondant parfaitement aux exigences du poste " ; que son dossier d'appréciation au titre de ces années, s'il fait état d'un travail exercé avec professionnalisme et intérêt, ne mentionne aucune aptitude particulière de l'intéressée à exercer des fonctions de niveau supérieur ; qu'elle a été mise en disponibilité à compter de l'année 2007 ; que, dans ces conditions, les éléments versés au dossier ne permettent pas d'établir que l'intéressée a perdu une chance sérieuse de promotion et que le préjudice de carrière allégué n'est donc pas établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à la réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral ; qu'il y a lieu pour la Cour de réformer le jugement attaqué en tant qu'il rejette ces conclusions et, par l'effet dévolutif de l'appel, d'y statuer ;
Considérant, d'une part, que doit être rejetée la fin de non-recevoir opposée par La Poste tirée de ce que la réclamation préalable de l'appelante serait impersonnelle et ne distinguerait pas les fautes respectives de La Poste et de l'État, dès lors que l'intéressée a demandé à l'État et à son employeur, par réclamation préalable du 9 octobre 2007, le versement d'une indemnité en réparation de l'ensemble de ses préjudices, notamment au préjudice de carrière résultant des fautes commises par La Poste et l'État pour n'avoir pas organisé des voies de promotion interne pour les fonctionnaires ayant refusé leur intégration dans des corps de "reclassification", et qu'ainsi, contrairement à ce que persiste à soutenir La Poste, le contentieux a été valablement lié par l'appelante qui avait énoncé de manière suffisante dans sa réclamation préalable, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ses demandes à fin d'indemnité ; que ne peut par ailleurs être accueillie l'exception de prescription quinquennale prévue par l'article 2277 du code civil, en vertu duquel " se prescrivent par cinq ans les actions en paiement des salaires, des arrérages des rentes perpétuelles et viagères et de ceux des pensions alimentaires, des loyers, des fermages, des intérêts des sommes prêtées, et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ", dès lors que les indemnités réclamées par l'appelante, à raison des fautes commises par La Poste et par l'État, ne sont pas au nombre des créances qui s'éteignent par ladite prescription quinquennale, lesquelles au demeurant ne sont atteintes par ladite prescription que lorsqu'elles sont déterminées ;
Considérant d'autre part, et pour les motifs susmentionnés, que l'appelante est fondée à demander à la Cour de condamner solidairement La Poste et l'État à lui verser une indemnité de 2 000 euros, tous intérêts confondus, au titre de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
Considérant qu'il n'appartient pas au juge administratif d'adresser une injonction à l'administration, hormis les cas prévus par les articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative lorsqu'une telle injonction découle nécessairement de l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision administrative ; que comme l'a estimé le tribunal, si Mme A conclut à ce qu'il soit enjoint à l'État et à La Poste de procéder à la reconstitution de sa carrière, une telle demande doit être regardée comme irrecevable dans le présent contentieux indemnitaire ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'appelante, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à La Poste la somme qu'elle demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire de La Poste et de l'État la somme de 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par Mme A ;
DECIDE :
Article 1er : La Poste et l'État (ministère de l'économie, des finances et du commerce extérieur) sont condamnés solidairement à verser à Mme A la somme de 2 000 (deux mille) euros, tous intérêts confondus, en réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral.
Article 2 : Le surplus des conclusions indemnitaires de Mme A est rejeté.
Article 3 : Les conclusions à fin d'injonction de Mme A sont rejetées.
Article 4 : Le jugement attaqué susvisé du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : La Poste et l'État (ministère de l'économie, des finances et du commerce extérieur) verseront solidairement à Mme A la somme de 500 (cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Claudine A, à La Poste et au ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur.
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