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10/12/2007 | FRANCE | N°06MA00572

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 5, 10 décembre 2007, 06MA00572


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 22 février 2006, sous le n° 06MA00572, présentée par Me Ravaz, avocat, pour Mme Dalila X, agissant tant en son nom propre qu'en celui de ses deux enfants mineurs, et élisant domicile ... à Marseille (13002) ; Mme X demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0303042 du 9 février 2006 du Tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a d'une part, condamné l'Etat à lui payer une somme de 5 000 euros, qu'elle estime insuffisante, ainsi qu'une somme de 3 000 euros à chacun de ses deux enfants, Sabrina Y-X et A

niss Samy X, qu'elle estime également insuffisante, en ce qu'il a d'a...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 22 février 2006, sous le n° 06MA00572, présentée par Me Ravaz, avocat, pour Mme Dalila X, agissant tant en son nom propre qu'en celui de ses deux enfants mineurs, et élisant domicile ... à Marseille (13002) ; Mme X demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 0303042 du 9 février 2006 du Tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a d'une part, condamné l'Etat à lui payer une somme de 5 000 euros, qu'elle estime insuffisante, ainsi qu'une somme de 3 000 euros à chacun de ses deux enfants, Sabrina Y-X et Aniss Samy X, qu'elle estime également insuffisante, en ce qu'il a d'autre part, rejeté le surplus de ses conclusions relatives au préjudice économique subi à la suite du décès de son concubin ;

2°) de condamner l'Etat à verser une somme de 350 000 euros à Mme X ainsi qu'à chacun de ses enfants, au titre du préjudice moral, et une somme de 200 000 euros à Mme X ainsi qu'à chacun de ses enfants, au titre du préjudice économique ;

3°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
…………………………………………………………………
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 12 novembre 2007 :

- le rapport de Mme Pena, conseiller ;

- les observations de Maître Ravaz, avocat de Mme X ;

- et les conclusions de Mme Paix, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X relève appel du jugement du 9 février 2006 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a condamné l'Etat à lui payer une somme de 5 000 euros, ainsi qu'une somme de 3 000 euros à chacun de ses deux enfants, Sabrina Y-X et Aniss Samy X, et en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions relatives au préjudice économique subi à la suite du décès de son concubin ; que par la voie de conclusions incidentes, le ministre de l'intérieur demande l'annulation du jugement entrepris et le rejet des prétentions indemnitaires de Mme X ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant que M. Y a été placé en rétention au centre de Marseille-Arenc du 22 au 24 mai 1999 en vue de son éloignement en Tunisie, par un arrêté du préfet des Bouches ;du ;Rhône, lui-même pris en exécution de la peine d'interdiction définitive du territoire prononcée à l'encontre de l'intéressé par le Tribunal correctionnel de Marseille le 2 octobre 1990 ; que cette mesure de placement a fait l'objet d'une prolongation jusqu'au 26 mai par le juge des libertés ; que dans la matinée du 26, après avoir refusé à deux reprises de prendre son traitement médical quotidien, M.Y a ressenti un malaise qui l'a plongé dans le coma et a été transféré à l'hôpital de la Conception où il est décédé, dans les heures qui ont suivi, des suites d'une crise d'épilepsie ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements dégradants publiés les 14 mai 1998 et 9 juillet 2001, qu'à l'époque des faits de la cause, les conditions de séjour au centre de rétention de Marseille Arenc étaient particulièrement médiocres ; que ledit centre, dont les locaux se trouvaient inadaptés à leur usage et dans un état d'insalubrité générale, ne disposait d'aucune infrastructure médicale ni même d'une simple présence infirmière ; que la prise en charge médicale des personnes retenues, et en particulier l'administration de médicaments, était assurée le cas échéant, par le personnel de surveillance lequel n'avait aucune compétence particulière pour ce faire ni reçu aucune formation à cet effet ; qu'en l'espèce, alors même que les antécédents de santé de M. Y étaient connus des services de police, que plusieurs rapports médicaux faisaient état de l'absolue nécessité pour lui de suivre quotidiennement un traitement psychiatrique associant antidépresseurs, anxiolytiques, et neuroleptiques, et que l'intéressé se trouvait, la veille et le jour-même de son décès, dans un état de grande agitation, les services compétents se sont abstenus de requérir un avis médical immédiatement après son refus réitéré de prendre son traitement habituel ; qu'une telle omission, en retardant la prise en charge médicale effective de M. Y a été de nature à favoriser la survenance de l'incident dont il a été victime et qui a entraîné son décès ; que, par suite, et même si, comme le fait valoir le ministre, M. Y a pu être convenablement pris en charge après la survenue du malaise dont il a été victime, l'ensemble des circonstances sus rappelées apparaît constitutif d'une faute de l'administration de nature à engager sa responsabilité à l'égard des ayants droit de M. Y ; que la circonstance à nouveau invoquée en appel par le ministre et tirée de ce que le décret n° 2001 ;236 du 19 mars 2001 qui a prévu la mise en place de structures médicalisées dans les enceintes des centres de rétention administrative ne serait intervenu que postérieurement aux faits en question n'est de nature ni à exonérer ni même à atténuer cette responsabilité ; que le ministre n'est en conséquence pas fondé à se plaindre de ce que les premiers juges aient retenu l'entière responsabilité de l'Etat dans le décès de M. Y ;

Sur les préjudices :

Considérant qu'en se bornant à fournir des bulletins de salaires de M. Y sur une courte période allant du 24 juin 1996 au 31 janvier 1997, des factures établies à son nom pour la même période, ainsi que des reçus de dons effectués en faveur d'organismes caritatifs, Mme X n'apporte, pas plus en appel qu'elle ne l'avait fait en première instance, d'éléments permettant de démontrer que M. Y participait effectivement aux charges du ménage et à l'éducation de leurs deux enfants, et encore moins d'apprécier la perte effective de revenus dont elle se prévaut, alors en outre, que M. Y était, lors de son décès, sous le coup d'une mesure d'interdiction définitive du territoire dont il n'avait pas été relevé par l'autorité judiciaire laquelle faisait obstacle à ce qu'il ait pu séjourner sur le territoire français dans des conditions lui permettant de travailler régulièrement et qu'il avait au cours de la période antérieure, effectué des séjours prolongés tant en établissement psychiatrique qu'en établissement pénitentiaire le mettant également dans l'impossibilité d'exercer aucune activité professionnelle suffisamment rémunérée pour lui permettre de contribuer de manière effective à l'entretien de sa famille ; qu'est sans incidence sur les prétentions de la requérante, la circonstance que M. Y était titulaire d'une carte de résident valable jusqu'en mars 2006, au demeurant délivrée à tort par les services préfectoraux en méconnaissance de la condamnation pénale dont il avait fait l'objet en 1990 ; que dès lors, et comme l'ont à juste titre considéré les premiers juges, Mme X ne saurait demander une indemnisation tant pour elle que pour ses enfants, au titre du préjudice économique ;

Considérant que Mme X conteste également le montant alloué par le Tribunal administratif de Marseille à elle-même et à ses deux enfants en réparation de leur préjudice moral ; qu'il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation de la réparation due au titre de la douleur morale subie par Mme X, chargée d'assurer seule l'éducation de ses deux enfants âgés respectivement de 4 et 2 ans au moment du décès de son concubin lui-même âgé alors de 41 ans, en l'évaluant à 10 000 euros ; que, d'autre part, le montant de la réparation du préjudice moral subi par les deux enfants résultant du décès de leur père doit être évalué à 6 000 euros pour chacun ; qu'il y a lieu, en conséquence, de réformer le jugement attaqué sur ces points ;

Considérant en revanche que Mme X ne saurait demander la réparation du préjudice ayant résulté du décès de son concubin sur le fondement de la méconnaissance de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à raison de la durée excessive de la procédure laquelle, à la supposer démontrée, reste sans incidence sur les circonstances de ce décès ; qu'il lui appartiendrait seulement si elle s'y croit fondée de porter telle action en responsabilité qu'elle estimerait utile devant le Conseil d'Etat compétent en premier et dernier ressort en application de l'article R.311-1 du code de justice administrative dans sa rédaction issue du décret n°2005-911 du 28 juillet 2005 ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme X est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué les premiers juges ont limité à respectivement 5 000 euros, pour elle-même et 3 000 euros pour chacun de ses enfants, l'indemnisation de leur préjudice moral, d'autre part, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le même jugement, le tribunal administratif de Marseille a déclaré l'Etat entièrement responsable du décès de M. Y et l'a condamné à en réparer les conséquences dommageables ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : «Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de condamner l'Etat à payer à Mme X une somme de 1 600 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :
Article 1er : Les sommes de 5 000 euros, 3 000 euros et 3 000 euros que l'Etat a été condamné à verser respectivement à Mme X et à chacun de ses deux enfants Sabrina Y-X et Samy X, par le jugement du Tribunal administratif de Marseille en date du 9 février 2006, sont portées respectivement à 10 000 euros, 6 000 euros, et 6 000 euros.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Marseille en date du 9 février 2006 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme X une somme de 1 600 euros au titre de l'article L.761 ;1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et l'appel incident du ministre de l'intérieur sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Dalila X et au ministre de l'intérieur, de l'outre ;mer, et des collectivités territoriales.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre - formation à 5
Numéro d'arrêt : 06MA00572
Date de la décision : 10/12/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BONMATI
Rapporteur ?: Mme Eleonore PENA
Rapporteur public ?: Mme PAIX
Avocat(s) : RAVAZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2007-12-10;06ma00572 ?
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