La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/06/2005 | FRANCE | N°98MA00414

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2eme chambre - formation a 5, 21 juin 2005, 98MA00414


Vu l'arrêt en date du 22 janvier 2002, par lequel la Cour de céans a condamné le département des Alpes-Maritimes à verser à la société X la moitié des sommes correspondant à celles de ses dépenses qui lui ont été utiles et au bénéfice dont la société a été éventuellement privée dans la limite de la moitié de la rémunération à laquelle cette dernière aurait eu droit en application des stipulations du contrat qui les liait, et, avant dire-droit sur la demande de la société X, ordonné une expertise aux fins pour l'expert de chiffrer le montant des sommes ainsi défini

es ;

Vu, enregistré le 16 février 2004 le rapport d'expertise déposé par M....

Vu l'arrêt en date du 22 janvier 2002, par lequel la Cour de céans a condamné le département des Alpes-Maritimes à verser à la société X la moitié des sommes correspondant à celles de ses dépenses qui lui ont été utiles et au bénéfice dont la société a été éventuellement privée dans la limite de la moitié de la rémunération à laquelle cette dernière aurait eu droit en application des stipulations du contrat qui les liait, et, avant dire-droit sur la demande de la société X, ordonné une expertise aux fins pour l'expert de chiffrer le montant des sommes ainsi définies ;

Vu, enregistré le 16 février 2004 le rapport d'expertise déposé par M. Y ;

Vu l'arrêt en date du 6 juillet 2004 taxant et liquidant les frais d'expertise à la somme de 31.965,25 euros ;

………………………………..

Vu le jugement attaqué ;

Vu la note en délibéré présentée pour la société X, enregistrée le 24 mai 2005 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 mai 2005,

- le rapport de Mme Lorant, présidente assesseur ;

- les observations de Me Prioul de la SCP Peignot-Garreau, avocat du département des Alpes-Maritimes, et les observations de Me Roll de la SCP Lyon-Caen-Thiriez-Fabiani de la Société X ;

- et les conclusions de Mme Fernandez, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par son arrêt en date du 22 janvier 2002, la Cour administrative d'appel de céans, statuant en appel d'un jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 28 novembre 1997, a retenu le principe d'une faute du département des Alpes-Maritimes à avoir conclu le marché litigieux avec la société X sans recourir aux règles de la mise en concurrence, faute atténuée de moitié par le comportement de la société et le principe selon lequel l'entrepreneur dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé et, dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat si toutefois le remboursement à l'entreprise de ses dépenses utiles ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle à laquelle il aurait eu droit en application des stipulations du contrat ;

Sur l'étendue du droit à indemnité :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le département, la Cour ne s'est pas prononcée sur l'étendue du préjudice quant à la durée de la période à prendre en compte pour l'indemnisation dudit préjudice ;

En ce qui concerne les dépenses utiles :

Considérant que, s'agissant des dépenses utiles, il résulte du rapport d'expertise que la société X a exposé des dépenses utiles pour le département des Alpes-Maritimes jusqu'au mois de décembre 1994 ; que cependant le département soutient que le marché ayant été annulé en juin 1992, les dépenses ultérieurement exposées ne peuvent plus être prises en compte car ne se situant pas dans le cadre de l'exécution du marché ; que le marché ayant été annulé, aucune dépense n'est en tout état de cause exposée dans le cadre de l'exécution du marché mais au titre de l'enrichissement sans cause ; que pour la période postérieure à l'annulation du marché par le Tribunal administratif de Nice, si la société a commis une imprudence en continuant d'exécuter un marché annulé, inversement le département a commis une faute en acceptant ce suivi d'exécution ; que par suite la société X peut prétendre au remboursement de ses dépenses utiles à hauteur de 50 % également pour la période postérieure au jugement annulant le marché ;

En ce qui concerne le manque à gagner :

Considérant que, ainsi que l'a rappelé l'arrêt avant dire-droit, le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer, en tout état de cause, le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé et que dans le cas où la nullité du contrat résulte, comme en l'espèce, d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat si toutefois le remboursement à l'entreprise de ses dépenses utiles ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;

Considérant que la notion de rémunération que l'exécution du contrat aurait procurée au cocontractant de l'administration doit être entendue comme constituant une limite à l'indemnisation mais non comme un droit ; qu'il appartient au juge d'apprécier si le préjudice, qui résulte de ce que le remboursement des dépenses utiles est inférieur au prix du contrat, doit être supporté, en totalité ou en partie, dans la limite de ce prix, par la collectivité dont la faute est à l'origine de la nullité du marché ; que dans cette appréciation doit être prise en compte, au regard du principe selon lequel une collectivité publique ne peut être condamnée à verser des sommes qu'elle ne doit pas, la circonstance que la durée prévue par le marché annulé était excessive au regard des dispositions du code des marchés publics applicables, et ce, alors même que l'annulation du marché n'a pas été prononcée pour ce motif ;

Considérant qu'aux termes de l'article 272 du code des marchés publics relatif aux marchés passés au compte des collectivités locales dans sa rédaction alors en vigueur : « Les prestations qui font l'objet des marchés doivent être déterminées dans leur consistance et leurs spécifications avant tout appel à la concurrence ou négociation » ; que l'article 273 du même code dans sa rédaction alors en vigueur dispose que : « Certains marchés peuvent ne fixer que le minimum et le maximum des prestations, arrêtées en valeur ou en quantité, susceptibles d'être commandées au cours d'une période déterminée n'excédant pas celle d'utilisation des crédits budgétaires, les quantités des prestations à exécuter étant précisées, pour chaque commande, par la collectivité ou l'établissement contractant en fonction des besoins à satisfaire. Ces marchés, dits « marchés à commande », doivent indiquer la durée pour laquelle ils sont conclus. Ils peuvent comporter une clause de tacite reconduction sans toutefois que la durée totale du contrat puisse excéder cinq années. - La collectivité ou l'établissement contractant peut aussi passer des marchés par lesquels il s'engage à confier à un entrepreneur ou fournisseur, pour cinq ans au plus, l'exécution de tout ou partie de certaines catégories de prestations suivant commandes faites au fur et à mesure des besoins. Si ces marchés, dits « de clientèle », le prévoient expressément, et à des dates fixées par eux, chacune des parties contractantes a la faculté de demander qu'il soit procédé à une révision des conditions du marché et de dénoncer le marché au cas où un accord n'intervient pas sur cette révision » ; qu'il ressort des pièces du dossier que, comme l'a rappelé le tribunal administratif, le marché annulé avait pour objet, outre des prestations supplémentaires susceptibles d'être demandées à la société X, la conception et la réalisation de 12 campagnes annuelles d'information du département des Alpes-Maritimes à apposer sur des mobiliers urbains de types Pisa et Mupi Senior ; que les stipulations relatives à ces campagnes prévoyaient notamment que le choix de chaque thème de campagne, ainsi que du lieu d'implantation des Pisa appartiendrait au département et que le nombre des supports Mupi Senior pouvait être porté de 70 à 100 d'un commun accord entre les parties ; qu'au fur et à mesure de l'ouverture et de la fermeture des chantiers, des plaques décorées étaient réalisées pour mentionner la durée et la nature des travaux à partir du texte communiqué par le département, dans la limite de dix plaques par mobilier et par an, éclairées à la demande du département, lequel dans ce cas aurait la charge du branchement et de la consommation électriques ; que, dans ces conditions, le marché litigieux nécessitait une définition périodique de ses modalités d'exécution en fonction des besoins exprimés par le département ; que, dès lors, ces stipulations, qui ne sont pas divisibles des autres stipulations du contrat, relevaient des dispositions de l'article 273 du code des marchés publics relatif aux marchés de clientèle ; que, par suite, l'exécution d'un tel marché ne pouvait légalement s'étendre sur une durée supérieure à cinq ans ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a limité à 2 ans et demi la période d'indemnisation des dépenses utiles ; qu'en revanche elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort qu'il a limité à 5 ans la période d'indemnisation du manque à gagner ;

Sur le montant de l'indemnité :

En ce qui concerne les dépenses utiles :

Considérant que si le département reprend le grief selon lequel la société X n'apporte pas la preuve des dépenses qu'elle a engagées, il résulte de l'instruction que l'expert, avec l'accord du département, a fait une évaluation cohérente des dépenses utiles à partir de mobiliers effectivement installés et d'affiches effectivement réalisées, en appliquant des prix tels qu'extrapolés et corrigés de l'indice INSEE de documents ou justificatifs de différentes périodes fournis par la société ; que, sur les frais d'entretien et d'affichage, le département ne peut se borner utilement à alléguer que les deux opérations peuvent avoir été exécutées simultanément dans 2/3 des cas alors que toutes ces modalités ont pu être discutées devant l'expert et qu'il ressort des dires que l'affichage s'accompagne du nettoyage interne des panneaux mais non d'opérations d'entretien au sens propre ; que, de même, il ne peut soutenir que la préparation de 10 % d'affiches supplémentaires et de 10 exemplaires supplémentaires de plans « grande ville » ne prouve pas que ces documents ont été réellement utilisés au bénéfice du département alors que ces points ont également été discutés devant l'expert et que ce dernier expose que le département a passé des commandes de campagne d'affichage jusqu'en novembre 2002 ; que, c'est à bon droit que les frais de maintenance ont été évalués par l'expert en tenant compte des actes de vandalisme, l'entretien des panneaux étant utile au département quelle que soit la cause de la dégradation ; que, s'agissant des frais généraux, l'expert s'est livré à une évaluation précise que ne peut remettre en cause la seule circonstance qu'un taux de 7 % figurait dans le business plan du contrat initial, sur lequel se fondait la société X devant le tribunal administratif ; que, s'agissant des frais financiers, le département ne peut soutenir que ces frais ne constituent pas des dépenses utiles alors qu'il est certain que la société a supporté le préfinancement de l'exécution du contrat, que le département n'a jamais honoré la moindre redevance contractuelle, et que dans ces conditions il a lui-même réalisé une économie sur les sommes avancées par la société X ; qu'en revanche, s'agissant des frais de dépose, la dépose était prévue en fin de contrat et entrait dans le coût global d'exploitation et qu'elle n'a pas été ordonnée par le département qui par ailleurs n'a jamais demandé de contrepartie financière à l'occupation par la société de son domaine public ; que, par suite le département est fondé à soutenir que ces frais, pour un montant de 39.482,40 euros, soient exclus de l'évaluation du montant des dépenses utiles ;

Considérant que pour sa part, la société conteste l'application d'un prorata aux dépenses relatives aux frais de pose et de transport en soutenant que les frais de pose ont été exclusivement engagés au profit du département et que les frais de transport correspondent à une prestation unique non amortissable sur la durée ; que cependant il est constant que la société X a pu réutiliser certains mobiliers, et que c'est à bon droit que l'expert a appliqué un prorata en effectuant un calcul prenant en compte la réalité de cette réutilisation ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le président de la Cour, établi, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, en tenant compte des dires des parties, et dont aucune des critiques ci-dessus rappelées n'est de nature à remettre en cause les conclusions, à l'exception de celles relatives aux frais de dépose, que les dépenses utiles exposées par la société X entre le 1er janvier 1990, date de commencement d'exécution du marché annulé, et le 31 décembre 1994, s'élèvent à 1.732.196,30 euros ; que si la société demande que cette somme soit augmentée de la taxe à la valeur ajoutée, il lui appartient, d'établir qu'elle n'était pas susceptible, à la date normale d'évaluation du préjudice, de déduire ou de se faire rembourser ladite taxe ;

En ce qui concerne le manque à gagner :

Considérant que le montant annuel du marché était fixé à 336.912,33 euros HT par an ; que le prix du contrat évalué sur une durée de 5 ans s'élève donc à 1.584.561 euros ; que le remboursement des dépenses assurant à la société une rémunération supérieure à celle à laquelle elle aurait eu droit en application des clauses du contrat, il n'y a pas lieu de l'indemniser de son manque à gagner ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus rappelé, il y a lieu de condamner le département des Alpes-Maritimes à verser à la société X une somme de 866.098,15 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que la société demande que cette indemnité soit assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 janvier 1993, capitalisés au 24 mai 1995 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Considérant que les intérêts demandés au 18 janvier 1993 ne peuvent porter que sur les dépenses utiles engagées avant cette date soit 720.333,30 euros, avec capitalisation au 24 mai 1995 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ; que pour le surplus des dépenses utiles, soit 145.764,50 euros, qui ont été exposées entre le 18 janvier 1993 et la fin de l'année 1994, le point de départ des intérêts doit être fixé au 24 mai 1995, date à laquelle la société ayant demandé la capitalisation, doit être regardée comme ayant demandé de nouveau les intérêts ; que les intérêts sur cette somme de 145.764,50 euros seront capitalisés au 2 septembre 1996, date à laquelle la société X avait redemandé la capitalisation, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que dès lors que le présent arrêt de la Cour minore le montant de la condamnation du département des Alpes-Maritimes, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, taxés par arrêt de la Cour à 31.965,25 euros, à la charge de la société X ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application desdites dispositions au profit d'une des deux parties ;

DECIDE :

Article 1e : Le département des Alpes-Maritimes est condamné à verser à la société X la somme de 866.098,15 euros (huit cent soixante-six mille quatre-vingt-dix-huit euros quinze centimes).

Article 2 : La somme de 720.333,30 euros (sept-cent vingt mille trois-cent trente-trois mille euros trente centimes) portera intérêts à compter du 18 janvier 1993 avec capitalisation au 24 mai 1995 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : La somme de 145.764,50 euros, (cent quarante-cinq mille sept-cent soixante-quatre euros cinquante centimes) portera intérêts à compter du 24 mai 1995, avec capitalisation au 2 septembre 1996, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 4 : Les frais d'expertise, pour un montant de 31.965,25 euros (trente un mille neuf-cent soixante-cinq euros vingt-cinq centimes) sont mis à la charge de la société X.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête du département des Alpes-Maritimes et de la société X est rejeté.

Article 6 : Le jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 28 novembre 1997 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société X, au département des Alpes-Maritimes et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

98MA00414

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2eme chambre - formation a 5
Numéro d'arrêt : 98MA00414
Date de la décision : 21/06/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GOTHIER
Rapporteur ?: Mme Nicole LORANT
Rapporteur public ?: Mme FERNANDEZ
Avocat(s) : SCP PEIGNOT- GARREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2005-06-21;98ma00414 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award