Vu la requête, enregistrée à la Cour administrative d'appel de Marseille le 9 juin 1999, sous le n° 99MA01049, présentée pour M. Daniel A demeurant ...) par la SCP Felix-Resbeut- Chabanon-Clauzel, avocats ;
M. A demande à la Cour d'annuler le jugement n° 9501065 ; 9503465 ; 9503875 ; 9601538 rendu par le Tribunal administratif de Montpellier le 4 mars 1999 le condamnant solidairement avec M. X, M. Z, M. Y à payer à la commune d'Aigues Mortes la somme de 826.779,12 F, et de condamner cette dernière, ainsi que les héritiers de M. X, M. Y, M. Z et la société Qualiconsult à lui payer la somme de 5.000 F en application des dispositions de l'article 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Il lui reproche d'avoir condamné la Société A alors que celle-ci n'existe pas ; de l'avoir solidairement condamné avec les maîtres d'oeuvre pour un défaut d'exécution de la part de son sous-traitant, alors que les experts ont émis de simples hypothèses sur l'origine du dommage, et que par suite, la faute reprochée à son sous-traitant ne serait que pure affirmation ; qu'il appartenait à MM. X, Y et Z et au bureau de contrôle Qualiconsult, qui seuls avaient compétence pour ce faire, de s'assurer que l'ouvrage résisterait à la sous-pression d'eau due à une montée de la nappe phréatique et que l'épaisseur du radier était suffisante pour y résister ; qu'ils sont donc entièrement responsables des dommages causés ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 juin 2004 :
- le rapport de Mme Paix, rapporteur,
- les observations de Me CHABANON-CLAUZEL pour M. A,
- et les conclusions de M. Bédier, Commissaire du gouvernement.
Considérant que la commune d'Aigues Mortes a conclu le 11 avril 1984 un marché pour la construction d'un foyer socio-éducatif dans un ancien réservoir d'eau dont elle a confié la maîtrise d'oeuvre à M. Guy X, aux droits duquel viennent Mmes Magali et Annabelle X, et le groupement BET, composé de MM. Christian Y et Yvon Z ; que par un acte du 9 novembre 1983, elle a signé une convention de contrôle technique avec la société anonyme Qualiconsult ; que le gros-oeuvre fut confié au requérant, M. Daniel A, qui, par un marché en date du 11 février 1984, a sous-traité les travaux d'étanchéité relatifs à l'exécution d'un cuvelage à la Société Sika ; qu'à la suite d'inondations et d'infiltrations, la commune d'Aigues Mortes a demandé réparation du préjudice subi aux différents intervenants ; que le Tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement n° 9501065 ; 9503465 ; 9503875 ; 9601538 ; condamné solidairement la société A et les maîtres d'oeuvre a payé la somme de 826.779,12 F à la commune d'Aigues Mortes, et a condamné la société Qualiconsult à les garantir pour 25% des indemnités ainsi allouées, en raison des fautes commises par cette dernière, en l'absence de toute réserve émise et pour ne pas avoir attiré l'attention du maître d'ouvrage sur la résistance du support sur lequel le cuvelage devait être exécuté ; que M. Daniel A interjette appel de ce jugement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que M. A demande l'annulation du jugement au motif qu'il a condamné la société A alors que celle-ci n'existe pas ; que l'erreur ainsi commise par les premiers juges dans la désignation de la qualité de la personne condamnée rend inapplicable le jugement dans toutes ses dispositions ; que le jugement attaqué doit par suite être annulé ; que M. A ayant répondu aux mémoires qui lui ont été adressés et pris connaissance du jugement comme en atteste l'accusé de réception signé par lui, alors que ces documents mentionnaient expressément la société A en tant que destinataire, l'affaire est en état d'être jugée et il y a lieu par voie de conséquence pour la Cour de statuer par voie d'évocation ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. A :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le maire de la commune d'Aigues Mortes a été autorisé par une délibération en date du 31 janvier 1991 à agir dans les présentes instances relatives aux malfaçons affectant le foyer socio-éducatif ; qu'ainsi, la fin de non recevoir opposée par M. A, tirée de ce que le maire n'aurait pas été régulièrement habilité à agir, doit être écartée ;
Sur la régularité des expertises :
Considérant que M. Y et Mmes X font grief à la commune d'Aigues Mortes de n'avoir jamais appelé M. Z aux expertises et de ne pas leur avoir permis de s'expliquer auprès du premier expert ; que le II du marché d'ingénierie et d'architecture conclu le 11 décembre 1983 entre MM. X et le groupement BET, composé de MM. Y et Z, prévoyait la solidarité des co-traitants à l'égard du maître de l'ouvrage pour l'exécution de la mission faisant l'objet dudit marché ; que, dès lors qu'il ressort des rapports des experts Hermann et Calmet que les co-contractants ont toujours été représentés par MM. X et Y, et que ceux-ci ont assisté aux réunions et opérations d'expertise, ils ne sauraient utilement invoquer l'absence de M. Z à ces opérations ; que ce moyen doit par suite être rejeté ;
Sur l'origine des dommages :
Considérant que le premier rapport d'expertise rendu par M. A. Hermann le 9 octobre 1990 avait décelé trois causes possibles des désordres survenus, dont l'une des hypothèses fut confirmée par le second rapport d'expertise, remis par M. R. Calmet le 31 décembre 1993 ; qu'en raison de la poussée des eaux contenues dans la nappe phréatique, la chape d'étanchéité s'est fissurée, à la suite du soulèvement du radier, entraînant des infiltrations et des inondations ; que le second expert a estimé que l'origine du désordre provient de la présence de fissures dans l'ouvrage et en particulier dans le radier. Ces fissures affectent le contre-cuvelage. Elles sont actives. Apparemment, elles étaient antérieures aux travaux ou pouvaient être pressenties dans la mesure où dans le radier, elles sont la continuation de fissures anciennes et existantes en pied droit ; que ces désordres, qui n'étaient pas décelables lors de la réception sans réserve de l'ouvrage, ont rendu l'immeuble impropre à sa destination ; qu'ils révèlent un défaut d'exécution des travaux d'étanchéité et une insuffisance de surveillance du chantier de nature à engager la responsabilité solidaire du maître d'oeuvre et de M. A, chargé du gros-oeuvre, sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que si M. A affirme d'une part, que les désordres sont consécutifs à une erreur de conception due à M. X, M. Y et M. Z, conjuguée à l'erreur de la société Qualiconsult dans l'exécution de sa mission, qui seuls avaient les compétences techniques pour surveiller la bonne exécution des travaux, ces arguments sont sans portée en ce qui concerne sa responsabilité propre, dès lors que les désordres relevés lui sont imputables ; que pas plus que celle de M. A, la responsabilité propre des architectes Y, Z et X, à qui les dommages sont également imputables, ne peut vis-à-vis de la commune être dégagée par l'invocation des fautes des autres personnes mises en cause par la commune, ni par l'invocation des éventuelles responsabilités de la société Sika ou du bureau d'études Qualiconsult ; que, d'autre part, la circonstance que M. A ait eu recours à un sous-traitant pour effectuer les travaux d'étanchéité dont il avait la charge ne saurait l'exonérer de la responsabilité qui lui incombe à l'égard du maître de l'ouvrage, seul le titulaire du marché restant contractuellement tenu à l'égard du maître de l'ouvrage de la bonne exécution de l'ensemble des travaux, et notamment de ceux exécutés par son sous-traitant ;
Sur l'irrecevabilité de la procédure engagée par la commune d'Aigues Mortes à l'encontre du BET :
Considérant que M. Y reproche à la commune d'Aigues Mortes d'avoir dans sa requête introductive d'instance mis en cause le BET, alors que celui-ci ne dispose pas de la personnalité juridique et que M. Y n'a pas qualité pour le représenter en justice ; qu'il ressort des pièces du dossier que par une requête ultérieure n° 9501065, enregistrée au greffe du Tribunal administratif de Montpellier le 26 décembre 1995, la commune d'Aigues Mortes a mis également en cause M. Z ; que l'instruction a été faite de manière contradictoire avec ce dernier, tant par le greffe du Tribunal administratif de Montpellier que par celui de la Cour ; que si, en appel, la commune persiste à demander la condamnation du groupement BET , elle doit être entendue avoir en réalité demandé la condamnation de M. Y et M. Z, anciens membres de ce groupement ; que dans leur dispositif, les premiers juges ont, sans mentionner le groupement BET , prononcé des condamnations distinctes contre ces personnes ; qu'ainsi le moyen tiré de l'absence de mise en cause personnelle de M. Z manque en fait ;
Sur le montant de la condamnation :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et en particulier des rapports d'expertise, que les travaux nécessaires pour remédier au vice affectant l'immeuble sont estimés pour un montant de 826.779,12 F, comprenant notamment l'exécution d'un bouclier en béton armé destiné à contrebalancer les poussées dues à la sous-pression de l'eau ; qu'il n'est pas établi que la construction du radier apporte une plus-value à l'immeuble ; qu'il n'y a donc pas lieu d'en déduire le coût du chiffrage opéré par l'expert ; que l'évaluation du dommage causé à la commune d'Aigues Mortes ne saurait être augmenté du coût de la démolition de l'immeuble décidé par la commune dès lors que les travaux de réparation préconisés par l'expert n'étaient pas irréalisables ; qu'il y a donc lieu de condamner solidairement l'entreprise A et les maîtres d'oeuvre à payer à la commune d'Aigues Mortes la somme précitée de 826.779,12 F ; que le coût des réparations doit être évalué à la date à laquelle les dommages sont apparus dans toute leur étendue ; que le passage du taux de TVA applicable à ces travaux de 18,6 % à 5,5 %, postérieur au dépôt de la seconde expertise, est sans incidence sur le montant de ladite condamnation ;
Sur l'appel en garantie formé par M. A contre la société Sika :
Considérant qu'eu égard à la nature du lien de droit privé qui unit M. A à son sous-traitant, l'appel en garantie formé par M. A contre la société Sika est formé devant une juridiction incompétente pour en connaître ; que par suite, ses conclusions doivent être rejetées ;
Sur l'appel en garantie présenté par l'entreprise A pour la première fois en appel contre MM. X, Y et Z et la société Qualiconsult :
Considérant que M. A n'a pas présenté en première instance de conclusions d'appel en garanties dirigées contre MM. X, Y et Z et la société Qualiconsult ; qu'il n'est dès lors pas recevable à le faire pour la première fois en appel ;
Sur la responsabilité de la société Qualiconsult :
Considérant que la juridiction administrative est compétente pour connaître d'un litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé ; que la société Qualiconsult a été appelée en garantie par M. Y et les héritiers de M. X pour moitié des condamnations prononcées à leur encontre ; qu'il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l'article 14 de la convention de contrôle technique conclue le 9 novembre 1983 entre la commune d'Aigues Mortes et la société Qualiconsult, que la mission de cette dernière, de type L+E+S, consistait à contrôler la solidité des ouvrages neufs et des éléments d'équipement indissociablement liés au gros oeuvre (mission L), la solidité des ouvrages existants (Mission E) et la sécurité des personnes dans les établissements recevant du public (Mission S) ; qu'elle recommandait dans son rapport de fin de phase de conception de préciser Cuvelage type Sika pour l'étanchéité sur murs ; qu'il résulte de l'instruction que, eu égard à l'étendue de sa mission, il lui appartenait de vérifier la solidité des ouvrages existants et de prendre en considération l'existence de fissures susceptibles d'altérer la solidité du bâtiment ; qu'il lui appartenait en particulier d'émettre des réserves sur les techniques retenues et d'attirer l'attention du maître de l'ouvrage quant à l'importance de vérifier la résistance du support sur lequel devait être exécuté le cuvelage ; qu'ainsi, par son abstention, et nonobstant la circonstance qu'elle estime avoir été mise hors de cause par l'expert et n'ait pas été appelée en responsabilité par la commune d'Aigues Mortes, la société Qualiconsult a contribué par son fait à la survenance des désordres et peut voir sa responsabilité engagée ; qu'il sera fait une exacte appréciation de son rôle dans la causalité des désordres en la condamnant à garantir M. Y et les héritiers de M. X des condamnations prononcées à leur encontre selon les motifs de la présente décision ci-dessus exposés, dans la limite de 25 % des indemnités allouées par le présent arrêt ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que la commune d'Aigues Mortes n'est pas la partie perdante et ne saurait donc être condamnée sur le fondement de ces dispositions ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. A, MM. Y, Z et les héritiers de M. X à lui verser la somme de 1.000 euros en application de ces mêmes dispositions ; qu'il y a lieu de condamner également à ce titre la société Qualiconsult à garantir M. Y et l'hoirie X du quart de cette indemnité, soit 250 euros ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions tendant à l'application des dispositions précitées présentées par la société Sika ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre les frais des expertises, tels que taxés par les ordonnances du président du Tribunal administratif de Montpellier du 23 octobre 1990 et du 11 février 1994, d'un montant respectif de 19.966,07 F et 25.994,75 F, à la charge définitive et solidaire de MM. A, Y, Z et des héritiers de M. X ;
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 9501065 ; 9503465 ; 9503875 et 9601538 du 4 mars 1999 du Tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : M. A, M. Y, M. Z et les héritiers de X sont solidairement condamnés à verser à la commune d'Aigues Mortes la somme de 826.779,12 F, soit 126.041,85 euros (cent vingt-six mille quarante et un euros et quatre-vingt cinq centimes).
Article 3 : La société Qualiconsult garantira M. Y et les héritiers de M. X des condamnations mises à leur charge par la présente décision dans la limite de 25 % du montant des indemnités allouées à la commune d'Aigues Mortes.
Article 4 : Les conclusions de M. A tendant à être garanti par la société Sika des condamnations mises à sa charge par la présente décision sont rejetées.
Article 5 : Les frais des rapports d'expertises déposés par MM. Hermann et Calmet, tels que taxés par les ordonnances du président du Tribunal administratif de Montpellier du 23 octobre 1990 et du 11 février 1994 sont à la charge définitive de M. A, M. Y, M. Z et des héritiers de M. X.
Article 6 : M. A, M. Y, M. Z et les héritiers de M. X sont condamnés à verser la somme de 1.000 euros à la commune d'Aigues Mortes en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La société Qualiconsult est condamnée à garantir M. Y et les héritiers de M. X du quart des indemnités prononcées en application de l'article 6 de la présente décision.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aigues Mortes, à MM. A, Y, Z , aux héritiers de M. X, à la société Qualiconsult et aux experts.
N°99MA01049 2