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30/03/2004 | FRANCE | N°02MA00706

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4 eme chambre-formation a 5, 30 mars 2004, 02MA00706


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 26 avril 2002 sous le n° 02MA00706, présentée pour la société anonyme Carlson Wagonlit Travel, dont le siège social est situé ..., par la S.C.P. d'avocats Alain-François ROGER et Anne B... ;

La société anonyme Carlson Wagonlit Travel demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement du 28 février 2002 par lequel le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Collectivité territoriale de Corse à lui payer la somme de 225.540,72 F, majorée

des intérêts de droit, correspondant, selon elle, à des factures impayées, ains...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 26 avril 2002 sous le n° 02MA00706, présentée pour la société anonyme Carlson Wagonlit Travel, dont le siège social est situé ..., par la S.C.P. d'avocats Alain-François ROGER et Anne B... ;

La société anonyme Carlson Wagonlit Travel demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement du 28 février 2002 par lequel le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Collectivité territoriale de Corse à lui payer la somme de 225.540,72 F, majorée des intérêts de droit, correspondant, selon elle, à des factures impayées, ainsi que la somme de 10.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice occasionné par le retard dans le règlement des factures en cause ;

Classement CNIJ : 39-01-01

C

2°/ de condamner la Collectivité territoriale de Corse à lui verser la somme de 225.540,72 F au titre des factures impayées, avec majoration des intérêts de droit et capitalisation de ces intérêts ;

3°/ de condamner la Collectivité territoriale de Corse à lui verser la somme de 20.000 F en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que la Collectivité territoriale de Corse ayant acquiescé aux faits invoqués devant le tribunal, les premiers juges n'étaient pas fondés à soutenir que la Collectivité ne se trouvait pas engagée par des obligations contractuelles ; que l'engagement contractuel de la Collectivité territoriale de Corse était constitué dès lors qu'elle a utilisé les prestations qu'elle lui a fourni ; que l'inexécution, par la Collectivité territoriale de Corse, de ses obligations contractuelles est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré au greffe de la Cour le 21 juin 2002, présenté pour la Collectivité territoriale de Corse, représentée par le président de son conseil exécutif en exercice, M. Jean X... ; celle-ci déclare s'en remettre à la sagesse de la Cour ;

Elle déclare que c'est à sa demande et avec son assentiment que les titres de transport ont été émis par la société requérante ; qu'elle ne conteste pas la réalité de la créance ni son montant ; que néanmoins, en l'état du droit, elle ne peut régler sa dette ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe le 25 novembre 2002, présenté pour la société anonyme Carlson Wagonlit Travel ; celle-ci persiste dans ses écritures ; elle demande en outre la condamnation de la Collectivité territoriale de Corse à lui payer la somme de 1.159,41 F représentant les frais de caution de la provision qu'elle avait perçue ; elle soutient que l'irrégularité entachant l'exécution du marché ne saurait avoir pour conséquence de rendre l'accord des parties privé de tout effet juridique ; qu'en tout état de cause son préjudice peut être indemnisé sur le fondement de l'enrichissement sans cause ; qu'en outre la responsabilité de la Collectivité peut être engagée sur le terrain de la faute ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe le 9 février 2004, présenté pour la société anonyme Carlson Wagonlit Travel ; celle-ci persiste dans ses écritures ; elle soutient en outre que sa demande, présentée au titre des frais de constitution d'une caution n'est pas nouvelle en appel et ne tend qu'à parfaire un chef de préjudice qui est, de surcroît, l'accessoire du préjudice principal ;

Vu le mémoire, enregistré au greffe le 25 février 2004, présenté pour la société anonyme Carlson Wagonlit Travel ; celle-ci persiste dans ses écritures ; elle soutient en outre qu'elle est recevable et fondée à invoquer, même après l'expiration du délai de recours contentieux, l'enrichissement sans cause et la faute de la collectivité territoriale de Corse ; que ces moyens peuvent être invoqués à tout moment dès lors que la nullité du contrat risque de lui être opposée ; que sa demande devant les premiers juges reposait à l'évidence sur la responsabilité contractuelle de la Collectivité territoriale de Corse et tendait au versement des sommes nées de l'exécution du contrat ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 mars 2004 :

- le rapport de M. FIRMIN, premier conseiller ;

- les observations de Me Alain-François A... pour la société anonyme Carlson Wagonlit Travel ;

- et les conclusions de M. BEDIER, premier conseiller ;

Considérant que, durant l'année 1999, la Collectivité territoriale de Corse a bénéficié de prestations fournies par la société anonyme Carlson Wagonlit Travel sur le fondement d'achats sur factures passés dans le cadre des dispositions de l'article 321 du code des marchés publics dans sa rédaction alors applicable ; que le seuil fixé par l'article 321 ayant été atteint la Collectivité territoriale de Corse a estimé ne plus être en état d'honorer ses commandes ; que la société anonyme Carlson Wagonlit Travel fait appel du jugement du 28 février 2002 par lequel le Tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Collectivité territoriale de Corse à lui payer la somme de 225.540,72 F, majorée des intérêts au taux légal, correspondant, selon elle, aux factures qu'elle a vainement émises du 15 septembre au 31 décembre 1999 ;

Considérant que pour rejeter la demande de la société anonyme Carlson Wagonlit Travel, qui s'était bornée en première instance à invoquer un fondement contractuel, les premiers juges se sont fondés sur la circonstance de ce que le seuil fixé par l'article 321 du code des marchés publics ayant été atteint, l'engagement contractuel de la Collectivité territoriale de Corse envers la société était entaché de nullité, quelle qu'ait pu être sa forme, et était, par suite, dépourvu d'effet juridique ;

Considérant qu'il est constant que, comme il a été dit ci-dessus, le seuil de 300.000 F, fixé par le deuxième alinéa de l'article 321 du code des marchés publics, a bien été atteint par le montant cumulé des factures émises par la société anonyme Carlson Wagonlit Travel au cours de l'année 1999 en contrepartie des prestations qu'elle avait fournies à la Collectivité Territoriale de Corse ;

Considérant toutefois, que la société anonyme Carlson Wagonlit Travel a formulé, en appel, une demande d'indemnité fondée, d'une part, sur l'enrichissement sans cause qui serait résulté pour la Collectivité territoriale de Corse des prestations qu'elle a exécutées, d'autre part, sur la faute que la Collectivité aurait commise en ne procédant pas aux contrôles qui lui incombaient afin de s'assurer du respect des plafonds fixés en matière de commande publique et en lui laissant croire qu'elle était valablement sa cocontractante ;

Considérant, il est vrai, que le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité est fondé à réclamer, en tout état de cause, le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé ; que dans le cas où la nullité du contrat résulte, comme en l'espèce, d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre à la réparation du dommage imputable à cette faute et le cas échéant, demander à ce titre, le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat si toutefois le remboursement au cocontractant de ses dépenses utiles ne lui assure pas une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée ;

Considérant par ailleurs que lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité du contrat, les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ;

Considérant, par suite, que la société requérante, bien que n'ayant invoqué initialement que la faute contractuelle qu'aurait commise la Collectivité territoriale de Corse en refusant de payer les factures émises à la suite de ses commandes, est recevable à saisir le juge du fond de conclusions fondées sur l'enrichissement sans cause de la commune et sur la faute que la commune aurait commise en passant le contrat dans des conditions irrégulières ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et qu'il n'est d'ailleurs pas contesté, que les prestations dont le paiement est réclamé par la société anonyme Carlson Wagonlit Travel ont été expressément commandées par la Collectivité territoriale de Corse, à laquelle elles ont été utiles, au-delà du seuil fixé par l'article 321 du code des marchés publics ; que, dans ces conditions, la Collectivité territoriale de Corse a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en continuant à procéder, auprès de la société Carlson Wagonlit Travel, à des achats sur facture alors que le montant cumulé des factures déjà émises, excédant le seuil fixé par l'article 321 du code des marchés publics, ne lui permettait plus d'user de cette faculté ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante ait été, à l'époque des faits, en mesure d'apprécier ce dépassement ; qu'il suit de là que la société anonyme Carlson Wagonlit Travel a droit au remboursement des dépenses qu'elle a exposées et qui ont été utiles à la Collectivité territoriale de Corse ; qu'en raison de la faute commise par cette dernière, elle a également droit au paiement du bénéfice dont elle a été privée par la nullité du contrat ; qu'il y a lieu, après avoir annulé le jugement attaqué, de condamner la Collectivité territoriale de Corse à payer à la société anonyme Carlson Wagonlit Travel la somme non contestée de 34.369,74 euros et non celle de 34.383,46 euros qui résulte d'une erreur de plume de la requérante ;

Considérant que si la société anonyme Carlson Wagonlit Travel demande également la condamnation de la Collectivité territoriale de Corse à lui rembourser les frais exposés pour la constitution d'une caution sur la provision qu'elle a perçue en application de l'ordonnance de référé rendue par le président du Tribunal administratif de Bastia le 23 août 2000, cette demande a été présentée après l'expiration du délai d'appel ; qu'elle ne peut, par suite, qu'être rejetée ;

Considérant que la société anonyme Carlson Wagonlit Travel a droit aux intérêts au taux légal de la somme de 34.369,74 euros courant à compter de la date du dépôt de sa demande devant le Tribunal administratif de Bastia, soit le 24 juillet 2000 ;

Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 26 avril 2002, qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la Collectivité territoriale de Corse à payer à la société anonyme Carlson Wagonlit Travel une somme de 1.000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Bastia du 28 février 2002 est annulé.

Article 2 : La Collectivité territoriale de Corse paiera à la société anonyme Carlson Wagonlit Travel la somme de 34.369,74 euros (trente-quatre mille trois cent soixante-neuf euros et soixante-quatorze centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 24 juillet 2000. Les intérêts échus le 26 avril 2002 seront capitalisés à cette date, puis à chaque date anniversaire, pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La Collectivité territoriale de Corse versera à la société anonyme Carlson Wagonlit Travel une somme de 1.000 euros (mille euros) au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Carlson Wagonlit Travel, à la collectivité territoriale de Corse et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Délibéré à l'issue de l'audience du 2 mars 2004, où siégeaient :

M. BERNAULT, président de chambre,

M. Z... et M. MOUSSARON présidents assesseurs,

M. Y..., M. FIRMIN, premiers conseillers,

assistés de Mme GIORDANO, greffier ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 30 mars 2004.

Le président, Le rapporteur,

Signé Signé

François BERNAULT Jean-Pierre FIRMIN

Le greffier,

Signé

Danièle GIORDANO

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

6

N° 02MA00706


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4 eme chambre-formation a 5
Numéro d'arrêt : 02MA00706
Date de la décision : 30/03/2004
Sens de l'arrêt : Satisfaction totale
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BERNAULT
Rapporteur ?: M. FIRMIN
Rapporteur public ?: M. BEDIER
Avocat(s) : SCP ALAIN-FRANCOIS ROGER ET ANNE SEVAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2004-03-30;02ma00706 ?
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