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07/05/2003 | FRANCE | N°99MA02101

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ere chambre, 07 mai 2003, 99MA02101


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 25 octobre 1999, sous le n° 99MA02101, présentée pour la société GREGAL S.COOP, ayant son siège à Torre Pacheco (Province de Murcia, Espagne) (30700), Calle Los Perez, agissant par son représentant légal et représentée par la SCP d'avocats Joseph RESPAUT-Pierre RESPAUT-Christine RESPAUT ;

La société GREGAL S.COOP demande à la Cour d'annuler le jugement n° 97-879, n° 97-880, n° 97-881, n° 97-882, n° 97-883, n° 97-884 et n° 97-885, en date du 9 juillet 1999, par lequel le Tribun

al administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnatio...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 25 octobre 1999, sous le n° 99MA02101, présentée pour la société GREGAL S.COOP, ayant son siège à Torre Pacheco (Province de Murcia, Espagne) (30700), Calle Los Perez, agissant par son représentant légal et représentée par la SCP d'avocats Joseph RESPAUT-Pierre RESPAUT-Christine RESPAUT ;

La société GREGAL S.COOP demande à la Cour d'annuler le jugement n° 97-879, n° 97-880, n° 97-881, n° 97-882, n° 97-883, n° 97-884 et n° 97-885, en date du 9 juillet 1999, par lequel le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 527 182,13 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 1992 ;

Classement CNIJ : 60-02-03-01-02

C

La société GREGAL S.COOP soutient :

- que c'est à tort que les premiers juges, qui ont pourtant admis l'anormalité du préjudice résultant pour elle du blocage de ses camions par les barrages consécutifs au mouvement de protestation des chauffeurs-routiers contre l'instauration du permis à points, n'ont pas admis que celui-ci revêtait pour elle le caractère spécial exigé par la jurisprudence dans les hypothèses de responsabilité sans faute ;

- que cette spécificité est certaine, dès lors qu'elle transportait des denrées alimentaires en provenance d'Espagne et en direction de la Grande Bretagne, des Pays-Bas et de l'Allemagne ; que le retard de neuf jours dans la livraison a entraîné une perte de valeur des marchandises ;

- qu'elle ne pouvait choisir d'autre itinéraire, ni renoncer au transport routier, en raison de la nécessité pour une société coopérative, d'écouler rapidement les marchandises que les producteurs membres de celle-ci lui ont confiées ;

- que les conditions pour engager, même sans faute la responsabilité de l'Etat, sont donc réunies ;

- qu'au demeurant, l'Etat a également commis une faute, en laissant perdurer une situation de blocage qui contrevenait aux dispositions de l'article L.7 du code de la route ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense enregistré le 11 mai 2000, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;

Le ministre de l'intérieur soutient :

- que les conditions mises par l'article 92 de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, pour engager la responsabilité de l'Etat à raison des attroupements ou rassemblements ne sont pas réunies, dès lors qu'il n'existe pas de lien direct entre les faits dommageables et le préjudice subi ;

- que la requérante pouvait avoir recours à des itinéraires de délestage ;

- que le dommage subi par la société GREGAL S.COOP n'est pas spécial, dans la mesure où de nombreuses autres entreprises ont subi les mêmes barrages routiers ;

- que la durée de ceux-ci n'est d'ailleurs pas suffisante, aux termes de la jurisprudence, pour justifier de l'engagement de la responsabilité de l'Etat ;

Vu, enregistrés le 9 février 2000 et le 7 août 2000, les deux mémoires complémentaires produits par la société GREGAL S.COOP, tendant aux mêmes conclusions, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 avril 2003 :

- le rapport de M. LOUIS, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. BENOIT, premier conseiller ;

Considérant que par un jugement en date du 9 juillet 1999, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté les sept requêtes de la société GREGAL S.COOP, tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme totale de 527 182,13 F, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 1992 ; que la société GREGAL S.COOP interjette appel de ce jugement ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales : L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements, armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes et délits déterminés, commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés ;

Considérant que la société GREGAL S.COOP, qui vient aux droits de la société SAT SANTA CRUZ, demande réparation à l'Etat des dommages qu'elle a subis au cours des mois de juin et de juillet 1992, en raison des entraves apportées à la circulation par les barrages routiers érigés lors du mouvement de protestation des transporteurs routiers, à la suite de l'institution d'un permis de conduire à points ; que l'organisation de tels barrages est, aux termes des dispositions de l'article L.7 du code de la route, à présent codifiées à l'article L.412-1 de ce même code, dans leur rédaction applicable à l'époque des faits, constitutive du délit d'entrave à la circulation et doit, par conséquent, être regardée comme constituant une des infractions visées à l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales ; que ces dispositions, qui n'énoncent aucune restriction quant à la nature des dommages indemnisables, et ne font nullement obstacle, ainsi que l'ont à tort relevé les premiers juges, à ce que les préjudices subis par une entreprise de transport de denrées alimentaires, à raison de l'impossibilité d'effectuer les livraisons de ces marchandises dans des délais utiles, comptent au nombre de ceux dont celle-ci est fondée à demander réparation à l'Etat ;

Considérant que la société appelante avait introduit devant le Tribunal administratif de Montpellier, à la suite des refus opposés par le préfet du Gard à ses demandes préalables d'indemnisation, sept requêtes distinctes, qui faisaient état des dommages subis par les marchandises transportées par les véhicules immatriculés AL 1007 R, MU 3591 R, A 3479 R, A 2070 R et MU 4156 R, en raison d'un retard de sept jours causé par la présence d'un barrage routier à Tavel, par le véhicule V 10962 R, bloqué sept jours à Pont Saint Esprit et, pour le véhicule MH HY 1538, d'un retard de quatre jours, occasionné par le barrage routier de Bagnols Sur Ceze ; que s'agissant des véhicules précités, les préjudices qui ont été subis par la société appelante, tant à raison de la perte de valeur des marchandises due à la date tardive de leur livraison, qu'en raison de la chute des cours occasionnée par l'afflux massif, une fois les barrages routiers levés, sur un même marché géographique, de quantités importantes de fruits et légumes, doivent être regardées comme trouvant leur origine directe dans les barrages routiers qui ont interdit toute circulation aux véhicules de transport ; que le montant de ces préjudices a été établi par des expertises privées, dont ni la méthode, ni les conclusions, n'ont été contestées par l'administration ;

Considérant que les préjudices invoqués trouvent leur origine dans des attroupements et des rassemblements qui ont été géographiquement localisés et précisément déterminés quant à leur date et leur durée ; qu'il suit de là, et sans qu'il y ait lieu de rechercher, ainsi que l'ont à tort fait les premiers juges, si les autorités de l'Etat, en s'abstenant de recourir à la force pour disperser les barrages dont s'agit, ont commis une faute lourde, que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande de la société GREGAL S.COOP fondée sur les dispositions précitées de l'article L.2216-3 du code général des collectivités territoriales ;

Sur le préjudice de la société appelante :

Considérant, ainsi qu'il a été dit plus haut, que la responsabilité de l'Etat est engagée à raison des préjudices subis par la société appelante du fait de l'arrêt forcé de ses véhicules par les barrages routiers dont s'agit ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier, que le mouvement des transporteurs routiers, qui entendaient, pour manifester leur opposition à l'instauration d'un permis de conduire à points, mettre en place des barrages sur plusieurs axes routiers, était prévisible dès le 28 juin 1992, les premiers barrages routiers ayant été mis en place le 29 juin 1992 ; que si la société appelante fait valoir que les autorités françaises n'avaient pas avisé les exportateurs espagnols de l'existence d'un mouvement de protestation, dont elle soutient n'avoir pu prévoir, ni l'ampleur, ni la durée, elle ne démontre pas pour autant, et alors même qu'elle est familière de l'organisation des trajets empruntant les axes routiers et autoroutiers français, qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de disposer d'informations suffisantes sur la nature et l'ampleur du mouvement des chauffeurs routiers ; que si elle soutient également n'avoir disposé d'aucune solution de substitution, elle ne le démontre pas ; que, dans ces conditions, la société GREGAL S.COOP doit être regardée, en ayant envoyé à une date postérieure à celle du déclenchement du mouvement, sept véhicules sur le territoire français, comme ayant commis une imprudence de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances ci-dessus décrites, en limitant la responsabilité de l'Etat à 70 % des dommages subis par la société appelante ;

Considérant que la société GREGAL S.COOP a versé au dossier l'ensemble des pièces de nature à établir le montant de ses préjudices à la somme, non contestée par le ministre, de 527 182,13 F ; qu'il y a lieu, eu égard au partage de responsabilité déterminé plus haut, de condamner l'Etat à verser à la société GREGAL S.COOP, une somme de 369 027,49 F, soit 56 257,88 euros ;

Sur les intérêts :

Considérant que la société appelante a droit aux intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 1996, date à laquelle elle a formulé sa demande préalable auprès du préfet du Gard ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Montpellier en date du 9 juillet 1999 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société GREGAL S.COOP la somme de 56 257,88 euros (cinquante six mille deux cent cinquante-sept euros quatre-vingt huit cents).

Article 3 : Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 1996.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société GREGAL S.COOP est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société GREGAL S.COOP et au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Délibéré à l'issue de l'audience du 10 avril 2003, où siégeaient :

M. ROUSTAN, président de chambre,

M. LAFFET, président assesseur,

M.LOUIS, premier conseiller,

assistés de Mme GUMBAU, greffier ;

Prononcé à Marseille, en audience publique le 7 mai 2003.

Le président, Le rapporteur,

Signé Signé

Marc ROUSTAN Jean-Jacques LOUIS

Le greffier,

Signé

Lucie GUMBAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, en ce qui le concerne et à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

N° 99MA02101 7


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ere chambre
Numéro d'arrêt : 99MA02101
Date de la décision : 07/05/2003
Sens de l'arrêt : Satisfaction partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. ROUSTAN
Rapporteur ?: M. LOUIS
Rapporteur public ?: M. BENOIT
Avocat(s) : SCP RESPAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2003-05-07;99ma02101 ?
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