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05/03/2024 | FRANCE | N°22LY00852

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 1ère chambre, 05 mars 2024, 22LY00852


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Saint-Paul-de-Varces à lui payer une somme de 668 000 euros en réparation du préjudice financier qu'il a subi et une somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice moral.



Par un jugement n° 1905460 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire

complémentaire enregistrés les 15 mars 2022 et 2 mai 2023, M. F..., représenté par Me Py, demande à la cour : ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... F... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la commune de Saint-Paul-de-Varces à lui payer une somme de 668 000 euros en réparation du préjudice financier qu'il a subi et une somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 1905460 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 15 mars 2022 et 2 mai 2023, M. F..., représenté par Me Py, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 janvier 2022 ;

2°) de condamner la commune de Saint-Paul-de-Varces à lui payer une somme de 12 611,47 euros en réparation du préjudice financier qu'il a subi, assortie des intérêts au taux légal et une somme de 20 000 euros, sauf à parfaire, en réparation de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Paul-de-Varces le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé ;

- le jugement est entaché d'une contradiction de motifs dès lors que les premiers juges ne pouvaient, sans se contredire, à la fois se prononcer au fond sur la responsabilité de la commune au titre du contrat et de l'enrichissement sans cause et estimer dans le même temps qu'il n'y avait pas lieu de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée du caractère nouveau de ses conclusions en tant qu'elles sont fondées sur la responsabilité contractuelle et sur l'enrichissement sans cause de la commune ;

- la responsabilité de la commune doit être engagée au titre d'une faute contractuelle et d'une promesse qu'elle n'a pas tenue de classer en zone urbaine des parcelles appartenant à son épouse depuis décédée ;

- le tribunal a, à tort, retenu l'exception de prescription quadriennale ;

- il a subi un préjudice financier et un préjudice moral en raison du non-respect de la promesse de modification du document d'urbanisme.

Par un mémoire enregistré le 3 avril 2023, et un mémoire enregistré le 5 juin 2023 et non communiqué, la commune de Saint-Paul-de-Varces, représentée par Me Fiat, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. F... le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le requérant ne justifie pas de son intérêt pour agir ;

- la créance dont se prévaut le requérant est prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ;

- à titre subsidiaire, la commune n'a commis aucune faute en l'absence d'un engagement précis et constant permettant sa qualification de promesse de nature à engager la responsabilité ; en tout état de cause, M. F... a obtenu le classement en zone constructible de cinq surfaces, représentant une superficie cumulée de 7 500 m² ; au surplus, Mme C... puis son époux, avertis des procédures relatives à l'élaboration d'un document d'urbanisme, ont commis une faute de nature à exonérer la commune de sa responsabilité.

Par ordonnance du 4 mai 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 juin 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mauclair, première conseillère ;

- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique ;

- les observations de Me Duca, représentant M. F... et de Me Fiat, représentant la commune de Saint-Paul-de-Varces.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte de vente authentifié du 27 février 1990, Mmes B... et D... C... ont cédé à la commune de Saint-Paul-de-Varces la parcelle cadastrée ... en vue d'y construire un groupe scolaire. M. F..., époux de Mme D... C..., décédée, a saisi le tribunal administratif de Grenoble de conclusions tendant à la condamnation de la commune de Saint-Paul-de-Varces à lui verser la somme de 688 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du non-respect, par cette dernière, de l'engagement qu'elle a pris lors de cette vente de classer en zone urbaine des parcelles appartenant à son épouse. M. F... relève appel du jugement du 25 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le tribunal, à qui il n'appartenait pas de procéder à des mesures d'instructions avant de répondre à l'exception de prescription soulevée par des mémoires des 25 février 2021 et 7 juillet 2021, auxquels M. F... n'a apporté aucune réponse, a, par des motifs précis et circonstanciés, suffisamment motivé sa réponse aux points 10 et 13 du jugement attaqué.

Sur la responsabilité de la commune de Saint-Paul-de-Varces :

3. Il résulte de l'instruction que, par délibération du 29 septembre 1989, le conseil municipal de Saint-Paul-de-Varces a décidé d'acquérir la parcelle cadastrée ... appartenant à Mme C... d'une superficie de 19 567 m² afin d'y implanter un groupe scolaire, laquelle l'a ensuite cédée à la commune, par un acte de vente authentique du 27 février 1990, à un prix de 166 319,50 francs. En contrepartie, la commune s'était engagée, ainsi que cela ressort d'un courrier du maire de Saint-Paul-de-Varces du 31 décembre 1991, " à urbaniser une certaine surface " des biens de Mme C... " au regard d'une somme estimée " lors de la vente. Ce même courrier précise que la commune respectera cet engagement. Par un courrier du 30 septembre 1994 adressé à M. et Mme F..., le maire leur a indiqué que, " dans le cadre du nouveau plan d'occupation des sols, nous vous informons que la parcelle n°38 située à " La Roche " sera classée en zone NAa à la fin de l'enquête publique conformément à nos engagements : les autres parcelles demeurent inchangées ". Par ailleurs, M. F... relève, dans un courrier du 2 janvier 2015 adressé au maire de la commune, que la parcelle n°38 n'a pas été classée en zone constructible par le plan d'occupation des sols approuvé le 15 novembre 1996 mais que cinq surfaces dispersées appartenant à Mme C... ont été reconnues constructibles. Il résulte enfin du témoignage établi le 2 mars 2019 par le maire en fonction au moment des faits que " lors de la négociation, il a été indiqué à la famille de votre épouse défunte qu'une compensation serait à valoir pour l'urbanisation à venir de nature à équilibrer l'effort consenti sur le prix de la cession ayant permis la construction du groupe scolaire ".

4. L'ensemble de ces éléments traduisent l'engagement formel et précis de la commune de Saint-Paul-de-Varces relatif au classement de parcelles appartenant à Mme C... dans le cadre de la révision du plan d'occupation des sols. Cet engagement ne peut toutefois pas être qualifié de contrat en l'absence de tout accord suffisamment précis, notamment sur les parcelles et les surfaces devant être classées en zone urbaine en compensation du prix de vente consenti. Par suite, en l'absence de tout contrat conclu entre Mme C... et la commune de Saint-Paul-de-Varces, M. F... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la commune de Saint-Paul-de-Varces ni sur le fondement de la mauvaise exécution d'un contrat, ni au demeurant et en tout état de cause, sur celui tiré de l'enrichissement sans cause invoquée au titre de ce même contrat.

5. Si, en revanche, cet engagement doit être qualifié d'une promesse faite à Mmes B... et D... C..., alors propriétaires du terrain cédé, le maire ne pouvait toutefois légalement s'engager, au nom de la commune, à modifier ou maintenir la réglementation d'urbanisme dans le sens de la promesse ainsi faite. Dès lors, la commune de Saint-Paul-de-Varces n'a commis aucune faute en omettant d'appliquer cette promesse, laquelle était nulle et de nul effet. Dès lors, M. F... ne saurait prétendre à une indemnisation sur le fondement du non-respect par la commune de Saint-Paul-de-Varces de cette promesse.

6. Enfin, aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. (...) Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) ". Enfin, aux termes de l'article 3 de cette même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés.

7. En l'espèce, à supposer même que le requérant puisse être regardé comme invoquant une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Saint-Paul-de-Varces résultant de l'illégalité de sa promesse de modifier la règlementation d'urbanisme applicable sur son territoire, les préjudices financiers et moraux dont se prévaut M. F... doivent être regardés comme s'étant entièrement révélés à l'issue de la procédure de révision du plan d'occupation des sols, ayant abouti à l'approbation de ce dernier le 15 novembre 1996. Par suite, la prescription quadriennale a commencé à courir à compter du 1er janvier 1997 et la créance invoquée encourait la prescription quadriennale au 31 décembre 2000. Par ailleurs, si le requérant a adressé à la commune de Saint-Paul-de-Varces des courriers les 3 janvier 2000, 5 août 2003, 9 avril 2007 et 5 mai 2008, ces derniers se bornaient à demander, en des termes similaires, que, conformément à la promesse qui avait été faite à son épouse, il soit procédé au classement de ses terrains en zone constructible, sans mettre en cause la responsabilité de la commune ni réclamer la réparation d'aucun préjudice. Dès lors, faute de comporter une demande de paiement ou une réclamation ayant trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance dont se prévaut M. F..., ils ne sauraient être regardés comme ayant interrompu la prescription. En outre, durant cette même période, la commune n'a adressé à Mme C... aucune communication au sens des dispositions de l'article 2 précité lui donnant à penser que ses droits éventuels à indemnités étaient sauvegardés. Enfin, Mme C... et M. F..., dont il résulte de l'instruction qu'ils étaient vigilants quant à la révision du plan d'occupation des sols, ne peuvent être regardés comme ayant légitimement ignoré l'existence de la créance au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968. Il suit de là que la créance dont M. F... se prévaut était prescrite le 6 juin 2019, date à laquelle il a adressé à la commune sa demande préalable d'indemnisation.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée en défense, que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble, lequel n'a d'ailleurs pas entaché son jugement de contradiction de motifs, a rejeté sa demande.

Sur les frais du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Paul-de-Varces, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. F..., au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du M. F... la somme demandée par la commune de Saint-Paul-de-Varces, au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Saint-Paul-de-Varces tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F... et à la commune de Saint-Paul-de-Varces.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,

Mme Anne-Gaëlle Mauclair, première conseillère,

Mme Claire Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mars 2024.

La rapporteure,

A.-G. Mauclair La présidente,

M. E...

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 22LY00852 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00852
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique - Promesses.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEHL-SCHOUDER
Rapporteur ?: Mme Anne-Gaëlle MAUCLAIR
Rapporteur public ?: Mme CONESA-TERRADE
Avocat(s) : SARL PY CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;22ly00852 ?
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