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24/10/2023 | FRANCE | N°21LY00822

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre, 24 octobre 2023, 21LY00822


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le permis de construire du 25 octobre 2018 délivré par le maire de Rochegude à M. et Mme B... et, à titre subsidiaire, de l'annuler partiellement en tant qu'il autorise la création d'un logement au rez-de-chaussée.

Par un jugement n° 1901209 du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire du 25 octobre 2018.

Procédure devant la cour

I) Par une requête enregistrée le 16 m

ars 2021 sous le n° 21LY00822, et des mémoires, enregistrés le 15 mars 2022 et le 14 septemb...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le permis de construire du 25 octobre 2018 délivré par le maire de Rochegude à M. et Mme B... et, à titre subsidiaire, de l'annuler partiellement en tant qu'il autorise la création d'un logement au rez-de-chaussée.

Par un jugement n° 1901209 du 19 janvier 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire du 25 octobre 2018.

Procédure devant la cour

I) Par une requête enregistrée le 16 mars 2021 sous le n° 21LY00822, et des mémoires, enregistrés le 15 mars 2022 et le 14 septembre 2022, M. et Mme B..., représentés par Me Delhomme, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2021 ;

2°) de rejeter la requête de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le permis de construire autorisant la création d'un gîte dans le bâtiment litigieux n'a pas nécessité d'en changer la destination car il était déjà à titre principal à usage d'habitation ;

- en tout état de cause, le plan local d'urbanisme approuvé le 29 juin 2021 autorise le changement de destination des anciens bâtiments repérés sur le document graphique en application de l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme, ce qui est le cas de leur immeuble ;

- aucune fraude n'est caractérisée.

Par des mémoires enregistrés le 14 février 2022, le 9 septembre 2022, le 28 octobre 2022 et le 24 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Mamalet, conclut à titre principal à l'annulation du permis de construire du 25 octobre 2018 et des permis de construire modificatifs des 29 mars 2022 et 27 septembre 2022, à titre subsidiaire, à leur annulation partielle, en tant seulement qu'ils autorisent un changement de destination et la création d'un logement au rez-de-chaussée du bâtiment existant, au rejet de toute demande de sursis à statuer pour régularisation et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance était recevable, et elle a, en particulier, intérêt pour agir ;

- le dossier de permis de construire comporte de nombreuses insuffisances et méconnaît les dispositions de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme ;

- la commission départementale de la préservation des espaces agricoles aurait dû être saisie ;

- le dossier de permis de construire est entaché de fraude et emporte un changement de destination proscrit par l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme et l'article A2 b) du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) ; si la qualification d'habitation était retenue, le gîte relèverait de la rubrique de l'hébergement hôtelier, ce qui constitue également un changement de destination ;

- subsidiairement, en admettant qu'il n'y ait pas de changement de destination, l'article A 2, qui ne définit pas de manière assez précise les conditions de hauteur, d'emprise et de densité des extensions, est illégal au regard de l'article L. 151-12 du code de l'urbanisme et le dossier aurait dû être instruit sur le fondement du règlement national d'urbanisme ; en tout état de cause, les dispositions de l'article A2 du règlement du PLU seraient méconnues ;

- le projet ne respecte pas les dispositions de l'article A 11 du règlement du PLU ;

- le projet ne respecte pas les dispositions de l'article A 5 du règlement du PLU ;

- aucun sursis à statuer ne pourrait être accordé du fait de la manœuvre frauduleuse de M. et Mme B....

Par des mémoires, enregistrés le 8 septembre 2022, le 17 octobre 2022, le 3 novembre 2022 et 20 juin 2023, la commune de Rochegude, représentée par Me Champauzac, conclut à titre principal à l'annulation du jugement du 19 janvier 2021, à titre subsidiaire, à la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et, en tout état de cause, à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de Mme A... en première instance est irrecevable du fait de son défaut d'intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés ;

- le permis de construire du 27 septembre 2022 régularise en tout état de cause le projet, la fraude n'étant pas démontrée, tant pour le permis de construire initial que pour le permis de construire modificatif ; le dossier de ce permis de construire modificatif n'est pas incomplet, le règlement de la zone A du PLU n'est pas méconnu et la CDPENAF a émis un avis favorable au projet.

Par une ordonnance du 12 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 juillet 2023.

II) Par une requête enregistrée le 18 mars 2021 sous le n° 21LY00834, et des mémoires, enregistrés le 6 avril 2021, le 10 décembre 2021, le 1er avril 2022, le 8 septembre 2022, le 26 septembre 2022, le 17 octobre 2022, le 3 novembre 2022 et le 20 juin 2023, la commune de Rochegude, représentée par Me Champauzac, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2021 ;

2°) de rejeter la requête de Mme A... ;

3) subsidiairement, de mettre en œuvre les dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme ;

4°) de mettre une somme de 2 500 euros à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- Mme A... n'a pas intérêt à agir ;

- le dossier du permis de construire initial n'est pas entaché de fraude et le projet n'emporte pas un changement de destination qui serait proscrit par l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme et par l'article A2 b) du règlement du PLU ;

- le dossier de permis de construire initial ne comporte pas d'insuffisances et ne méconnaît pas les dispositions de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme ;

- le permis de construire initial n'est pas entaché de vice de procédure en l'absence de saisine de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles ;

- le projet ne méconnaît pas les articles A 5 et A 11 du règlement du PLU ;

- le permis de construire du 27 septembre 2022 régularise en tout état de cause le projet, la fraude n'étant pas démontrée, tant pour le permis de construire initial que pour le permis de construire modificatif ; le dossier de ce permis de construire modificatif n'est pas incomplet, le règlement de la zone A du PLU n'est pas méconnu et la CDPENAF a émis un avis favorable au projet.

Par des mémoires enregistrés le 14 février 2022, le 13 septembre 2022, le 28 octobre 2022 et le 24 mai 2023, Mme A..., représentée par Me Mamalet, conclut à titre principal à l'annulation du permis de construire du 25 octobre 2018 et des permis de construire modificatifs des 29 mars 2022 et 27 septembre 2022, à titre subsidiaire, à leur annulation partielle en tant seulement qu'ils autorisent un changement de destination et la création d'un logement au rez-de-chaussée du bâtiment existant, au rejet de toute demande de sursis à statuer pour régularisation et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance était recevable et elle a, en particulier, intérêt pour agir ;

- le dossier de permis de construire comporte de nombreuses insuffisances et méconnaît les dispositions de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme ;

-la commission départementale de la préservation des espaces agricoles aurait dû être saisie ;

- le dossier de permis de construire est entaché de fraude et emporte un changement de destination proscrit par l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme et l'article A2 b) du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) ; si la qualification d'habitation était retenue, le gîte relèverait de la rubrique de l'hébergement hôtelier, ce qui constitue également un changement de destination ;

- subsidiairement, en admettant qu'il n'y ait pas de changement de destination, l'article A 2, qui ne définit pas de manière assez précise les conditions de hauteur, d'emprise et de densité des extensions, est illégal au regard de l'article L. 151-12 du code de l'urbanisme et le dossier aurait dû être instruit sur le fondement du règlement national d'urbanisme ; en tout état de cause, les dispositions de l'article A2 du règlement du PLU seraient méconnues ;

- le projet ne respecte pas les dispositions de l'article A 11 du règlement du PLU ;

- le projet ne respecte pas les dispositions de l'article A 5 du règlement du PLU ;

- aucun sursis à statuer ne pourrait être accordé du fait de la manœuvre frauduleuse de M. et Mme B....

Par un courrier du 29 juin 2022, les parties ont été informées que la cour était susceptible de surseoir à statuer, en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, afin de permettre l'intervention d'une mesure de régularisation sur les vices tirés de la méconnaissance de l'article A 2 du PLU et de l'absence de saisine de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles.

Par une ordonnance du 12 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 juillet 2023.

Par une ordonnance du 4 mai 2023, le président du tribunal administratif de Grenoble a transmis à la cour, qui l'a enregistrée dans chacune des deux instances susvisées comme un mémoire, la requête de Mme A... tendant à l'annulation du permis de construire délivré par arrêté du 29 mars 2022 du maire de la commune de Rochegude, et du rejet de son recours gracieux contre cet arrêté, et à ce que soit mise à la charge de la commune de Rochegude et de M. et Mme B... la somme de 2 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Dans cette requête Mme A... soutient que :

- sa demande est recevable et elle dispose, en particulier, d'un intérêt pour agir ;

- le dossier de ce permis de construire est entaché d'incomplétude ;

- le permis de construire est irrégulier du fait de l'absence de consultation de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles (CDPENAF) ;

- compte tenu de l'irrégularité de la construction existante et de la fraude commise par le pétitionnaire lors du précédent permis de construire, le permis de construire en litige aurait dû porter sur l'ensemble de la construction ;

- les dispositions de la zone A du PLU sont méconnues car le projet ne constitue pas une habitation nécessaire à l'exploitation agricole et ne respecte pas le caractère des lieux avoisinants ni ne présente une continuité de style avec les construction locales anciennes.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vinet, présidente-assesseure ;

- les conclusions de Mme Conesa-Terrade, rapporteure publique ;

- les observations de Me Delhomme pour M. et Mme B..., de E... pour la commune de Rochegude et Me Mamalet pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, par un arrêté du 25 octobre 2018, le maire de Rochegude a délivré à M. et Mme B... un permis de construire portant sur le réaménagement d'un logement existant avec création d'ouvertures, pour la création d'un gîte. Par les deux requêtes susvisées, M. et Mme B... et la commune de Rochegude relèvent chacun appel du jugement du 19 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble, saisi d'une demande en ce sens par Mme A..., a fait droit à la demande d'annulation du permis de construire du 25 octobre 2018. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, qui portent sur un même jugement, pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.

2. D'autre part, par une ordonnance du 4 mai 2023, le président du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article L. 600-5-2 du code de l'urbanisme, a transmis à la cour, qui l'a enregistrée dans chacune des deux instances susvisées comme un mémoire, la requête de Mme A... tendant à l'annulation du permis de construire de régularisation du 29 mars 2022 délivré par le maire de la commune de Rochegude à M. et Mme B..., et du rejet de son recours gracieux contre cet arrêté.

3. Enfin, Mme A... demande à la cour l'annulation de l'arrêté du 27 septembre 2022 par lequel le maire de Rochegude a accordé à M. et Mme B... un second permis de construire de régularisation pour le même projet.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

4. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne (...) n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement (...) ".

5. Mme A... est voisine immédiate du projet litigieux qui se situe dans le prolongement de son habitation. Elle se prévaut d'un préjudice de vue lié à la réalisation, sur la façade du bâtiment donnant sur sa propriété, de plusieurs ouvertures et d'une terrasse. Dans ces conditions, alors même que le projet porte en partie sur un réaménagement intérieur, qu'une haie d'arbres limite les vues et qu'un pare-vue a été installé sur la terrasse, Mme A... justifie de son intérêt à demander l'annulation du permis en litige du 25 octobre 2018.

Sur la légalité des permis de construire :

En ce qui concerne le changement de destination :

6. Pour faire droit à la demande de Mme A... tendant à l'annulation du permis de construire du 25 octobre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a accueilli le moyen tiré de ce que le bâtiment abritant le projet n'était pas à usage d'habitation mais avait une destination agricole, et de ce que l'article A 2 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune de Rochegude, alors applicable, n'autorisait la création de gîtes que dans les bâtiments déjà à usage d'habitation, les changements de destination n'étant autorisés que pour les bâtiments identifiés au document graphique, ce qui n'était pas le cas dudit bâtiment.

7. Aux termes de l'article A 2 du règlement PLU de la commune de Rochegude, alors applicable : " Dans l'ensemble de la zone A, à l'exception du secteur Aa, sont autorisées les occupations et utilisations suivantes si elles vérifient les conditions énoncées ci-après : a) Les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole, y compris les installations classées. L'exploitation agricole étant définie comme une unité économique d'une superficie au moins égale à la Surface Minimum d'Installation sur laquelle est exercée l'activité agricole définie par l'article L. 311-1 du code rural. b) Les habitations et leurs annexes nécessaires à l'exploitation agricole, dans la limite de 250 m² de surface de planchers et à condition d'être implantées à proximité de l'exploitation. Les annexes doivent en outre être implantées à proximité immédiate du bâtiment principal. La limite de 250 m² ne s'applique pas en cas d'aménagement sans extension et sans changement de destination de bâtiments existants. En outre, les gites sont admis uniquement dans le cadre de bâtiments existants. Les constructions mentionnées au a) et au b) ci-dessus, doivent s'implanter à proximité immédiate du siège d'exploitation de manière à former un ensemble cohérent avec les autres bâtiments de l'exploitation et ce, sauf contraintes techniques ou réglementaires ou cas exceptionnel dûment justifié. L'emplacement de la construction devra par ailleurs minimiser la consommation de foncier agricole et les impacts sur les conditions d'exploitation de la parcelle ". Selon l'article R. 421-14 du code de l'urbanisme : " Les locaux accessoires d'un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal ".

8. Il ressort des pièces du dossier que le bâtiment abritant le projet litigieux, qui se situe au sein d'un ensemble bâti ancien des 17ème ou 18ème siècles dépendant du domaine appelé " Saussac " et composé de deux corps de bâtiments, présente, en sa façade sud, peu d'ouvertures, de dimensions réduites, caractéristiques d'ouvertures de ventilation de locaux agricoles et d'accès techniques à un grenier, ainsi que l'a relevé l'association Maison paysannes de France, reconnue d'intérêt général. Par ailleurs, son architecture et sa localisation au sud de la cour de l'ensemble bâti, confirment l'usage agricole auquel était consacré ce bâtiment. La circonstance, à la supposer avérée, qu'une pièce de dimension réduite à l'intérieur du bâtiment ait pu être habitée dans un passé assez lointain n'est pas de nature à conférer à l'ensemble de ce bâtiment un usage d'habitation. En conséquence, Mme A... était fondée à soutenir que l'article A 2 du règlement du PLU s'opposait à la délivrance du permis de construire du 25 octobre 2018 autorisant la création d'un gîte dans une construction existante qui n'était pas à usage d'habitation et dont le changement de destination n'était pas autorisé par le document d'urbanisme de la commune en l'absence d'identification du bâtiment sur le document graphique au titre de l'article L. 123-3-12 alors applicable du code de l'urbanisme (aujourd'hui recodifié à l'article L. 151-11).

9. Toutefois, selon les dispositions du paragraphe 6 de l'article I.2 du règlement du PLU modifié le 29 juin 2021, relatif aux activités ou constructions soumises à des conditions particulières (affectation des sols et destinations des constructions en zone agricole), sont désormais autorisés les changements de destination pour l'habitation " y compris chambre d'hôtes et gîtes " pour les anciens bâtiments repérés sur le document graphique en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial, en application de l'article L.151-11 du code de l'urbanisme. Il ressort de ces dispositions du règlement du PLU que les chambres d'hôtes et gîtes sont assimilés à la destination " habitation " et non à celle d'" hébergement hôtelier " comme Mme A... le soutient.

10. Par un arrêté du 29 mars 2022, le maire de la commune de Rochegude a délivré à M. et Mme B... un permis de construire de régularisation portant sur le projet déjà décrit. Il ressort des pièces du dossier que le bâtiment appartenant à M. et Mme B..., destiné à accueillir ce projet, est désormais repéré au règlement graphique du nouveau PLU au titre de l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme comme bâtiment pouvant faire l'objet d'un changement de destination de la nature de celui mentionné ci-dessus au point 9. Il suit de là que le vice dont était entaché le permis de construire initial a été régularisé par le permis de construire délivré le 29 mars 2022.

11. Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, pour le motif rappelé au point 8, annulé le permis de construire du 25 octobre 2018.

12. Il appartient toutefois à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... tant devant le tribunal administratif que devant la cour, à l'encontre du permis de construire du 25 octobre 2018 ainsi qu'à l'encontre des permis de régularisation délivrés les 29 mars 2022 et 27 septembre 2022.

En ce qui concerne le moyen tiré de la fraude et de la réalisation de travaux sur une construction irrégulière :

13. En premier lieu, Mme A... soutient que le permis de construire initial et le permis de construire délivré le 29 mars 2022 ont été obtenus par fraude, ce qui ferait obstacle à une régularisation du vice affectant le premier par le second. Toutefois, la seule circonstance que les demandes de permis de construire en cause décrivaient, de façon inexacte, le projet comme portant sur le réaménagement d'un " logement existant " et que les notices explicatives indiquaient qu'il consiste à réaménager " une habitation existante afin de réaliser un gîte " ne suffit pas à caractériser une fraude, dès lors que, dans le cadre de la demande de permis de construire initial, la qualification du bâtiment ne présentait aucun caractère évident et une erreur de qualification juridique ne saurait démontrer, à elle seule, un élément intentionnel en vue de fausser l'appréciation de l'administration, étant relevé que, par ailleurs, la nature du projet avait été présentée de façon suffisamment précise et exacte, compte tenu notamment des photographies de la façade sud que comportait le dossier de demande, façade dont les caractéristiques ont été prises en compte ci-avant pour retenir la destination agricole du bâtiment. Par ailleurs, s'agissant du permis de construire modificatif délivré le 29 mars 2022, qui présente le projet à l'identique, l'administration connaissait parfaitement sa consistance, qui avait été débattue devant le tribunal administratif, l'appréciation de cette dernière n'ayant ainsi pu être faussée par la persistance dans la qualification erronée retenue par les pétitionnaires. Le moyen tiré de la fraude entachant les dossiers de permis de construire et faisant obstacle à une régularisation doit, par suite et en tout état de cause, être écarté.

14. En deuxième lieu, le permis de construire délivré le 29 mars 2022 porte sur un projet identique à celui déjà autorisé par l'arrêté du 25 octobre 2018, qu'il a pour effet de régulariser compte tenu de l'entrée en vigueur des dispositions du nouveau PLU de la commune, qui autorise désormais le changement de destination sur le bâtiment en litige, quand bien-même le dossier de demande de permis de construire ne se présente pas comme portant sur un tel changement de destination. Par suite, ce permis de construire de régularisation ne porte pas sur des travaux nouveaux effectués sur une construction irrégulière, la circonstance que les travaux auraient débuté à cette date étant sans incidence.

En ce qui concerne la composition des dossiers de demande de permis de construire :

15. En premier lieu, aux termes de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme : " La demande de permis de construire précise : a) L'identité du ou des demandeurs, qui comprend son numéro SIRET lorsqu'il s'agit d'une personne morale en bénéficiant et sa date de naissance lorsqu'il s'agit d'une personne physique ; (...) / La demande comporte également l'attestation du ou des demandeurs qu'ils remplissent les conditions définies à l'article R. 423-1 pour déposer une demande de permis ".

16. Mme A... soutient que le projet ne respecte pas les exigences prévues par l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme. Toutefois, d'une part, M. et Mme B..., propriétaires des parcelles sur lesquelles le projet se situe, ont suffisamment justifié de leur qualité pour présenter la demande de permis en attestant, par leur signature apposée à côté de l'encadré correspondant, avoir la qualité pour demander l'autorisation sollicitée. D'autre part, s'agissant de la puissance électrique du projet, elle n'avait pas à être justifiée dès lors qu'elle était inférieure à 12 KVA. Enfin, le dossier comprenait la fiche nécessaire au calcul des impositions. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 431-5 du code de l'urbanisme doit, par suite, écarté.

17. En second lieu, la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

18. Il ressort des pièces du dossier que les dossiers de demandes comportent plusieurs documents graphiques et photographies permettant d'apprécier l'insertion du projet dans son environnement immédiat mais aussi plus lointain. Les dossiers comportent par ailleurs plusieurs photographies de l'état existant faisant apparaître notamment une ouverture en façade et le mur extérieur en pierre, ainsi que des plans permettant d'apprécier les modalités d'accès au projet, le traitement des espaces extérieurs et la réalisation d'une terrasse, de sorte que l'appréciation sur ce point des services instructeurs n'a pas été faussée. Ils comprennent également des plans de coupe, de façade et de toiture permettant au service instructeur d'apprécier le respect des règles fixées par le document d'urbanisme. Les notices du projet comportent également les principaux éléments permettant de situer la nature de la réhabilitation envisagée qui ne prévoit pas de modifier la volumétrie existante du bâtiment. Enfin, en ce qui concerne les réseaux, ils sont portés sur les plans de masse. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance sur ces points des dossiers de demandes de permis de construire initial et du permis de construire modificatif du 29 mars 2022 doit être écarté.

En ce qui concerne la saisine de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles :

19. Aux termes de l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme dans sa version applicable : " Dans les zones agricoles, naturelles ou forestières, le règlement peut : (...) 2° Désigner, en dehors des secteurs mentionnés à l'article L. 151-13, les bâtiments qui peuvent faire l'objet d'un changement de destination, dès lors que ce changement de destination ne compromet pas l'activité agricole ou la qualité paysagère du site. Le changement de destination est soumis, en zone agricole, à l'avis conforme de la commission départementale de la préservation des espaces agricoles, naturels et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime, et, en zone naturelle, à l'avis conforme de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. ".

20. La commune de Rochegude a produit un mémoire le 3 novembre 2022, comprenant l'avis de la CDPENAF, consultée le 7 septembre 2022 dans le cadre de l'instruction du permis de construire modificatif du 27 septembre 2022 et qui a rendu un avis favorable au vu d'un dossier qui, contrairement à ce que Mme A... soutient, ne comporte aucune erreur concernant le numéro de permis de construire concerné et n'est entaché d'aucune fraude. Il suit de là que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 151-11 du code de l'urbanisme ont été méconnues doit, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne les autres moyens :

21. En premier lieu, aux termes de l'article A11 du règlement du PLU en vigueur à la date du permis de construire initial : " Les constructions et clôtures par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l'aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, ne doivent pas porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants ainsi qu'aux paysages urbains ".

22. Mme A... soutient que le projet méconnaît les dispositions de l'article A 11 du règlement du PLU applicable à la date du permis de construire initial du fait de la création de baies vitrées, d'une terrasse en forme de balcon coursive et de l'implantation de volets roulants, qui porteraient atteinte au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants. Elle fait valoir, en s'appuyant sur le rapport de visite de l'association maisons paysannes de France, que le projet " ne respecte manifestement pas la " continuité de style " avec l'autre moitié du bâtiment agricole " et porte atteinte à l'esthétique initiale de ce bâtiment agricole. Toutefois, si l'aspect du bâtiment, repéré dans le nouveau PU en raison de son aspect patrimonial ou architectural, est modifié, le projet en litige ne porte pas d'atteinte visible à l'environnement des lieux avoisinants ou aux paysages urbains, le quartier " Saussac ", dans lequel il se situe, ne comprenant qu'une dizaines de bâtiments agricoles, constructions récentes ou encore habitations anciennes, avec des façades disparates, l'ensemble, sans harmonie architecturale, ne présentant ainsi pas d'intérêt particulier. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions en cause doit, dès lors, être écarté.

23. Si Mme A... soutient en outre que le permis de construire modificatif du 29 mars 2022 méconnaît les dispositions de l'article II.2 du règlement de la zone A, au demeurant rédigées dans les mêmes termes que les dispositions du précédent document d'urbanisme cité au point 21 ci-dessus, ce moyen doit être écarté comme inopérant dès lors que les caractéristiques du projet sont restées inchangées.

24. En second lieu, aux termes de l'article A 5 du règlement du PLU : " Cependant, en l'absence de réseau collectif d'assainissement, la parcelle support de construction devra avoir les dimensions suffisantes pour permettre la mise en place d'un dispositif d'assainissement autonome conforme à la réglementation en vigueur. ".

25. En l'absence de réseau d'eaux usées dans le quartier, M et Mme B... justifient de la mise en place, prévue sur la parcelle E 355, d'une fosse septique, dont le descriptif du projet d'installation a au surplus été validé le 25 octobre 2018 par le service public d'assainissement non collectif de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article A5 du règlement du plan local d'urbanisme doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne les autres vices de l'arrêté du 29 mars 2022 :

26. Mme A... soutient que l'arrêté en litige méconnaît le paragraphe 2 de l'article I.2 du règlement du PLU adopté le 29 juin 2021, lequel prévoit que sont autorisées notamment les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole et fait valoir que la construction autorisée ne répond pas à une telle qualification. Toutefois, ainsi qu'il a déjà été dit au point 3 ci-dessus, ces mêmes dispositions prévoient en leur paragraphe 6, les changements de destination pour l'habitation " y compris chambres d'hôtes et gîtes " pour les anciens bâtiments repérés sur le document graphique en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial, en application de l'article L.151-11 du code de l'urbanisme, ce qui est le cas de la construction destinée à recevoir le projet en litige.

27. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... et la commune de Rochegude sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui doit être annulé, le tribunal administratif de Grenoble a annulé le permis de construire du 25 octobre 2018 du maire de Rochegude, et que les conclusions de Mme A... dirigées contre les permis de construire modificatifs des 29 mars 2022 et 27 septembre 2022 doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

28. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de M. et Mme B... et de la commune de Rochegude présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce que M. et Mme B... et la commune de Rochegude, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, versent une somme à Mme A... au titre des frais exposés dans l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 janvier 2021 est annulé.

Article 2 : La demande de Mme A... présentée en première instance et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions de M. et Mme B... et de la commune de Rochegude présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A..., à M. et Mme B... et à la commune de Rochegude.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,

Mme Camille Vinet, présidente-assesseure,

Mme Claire Burnichon, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 octobre 2023.

La rapporteure,

C. Vinet

La présidente,

M. D...

La greffière,

F. Prouteau

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N°s 21LY00822-21LY00834


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21LY00822
Date de la décision : 24/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

68-03 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : Mme MEHL-SCHOUDER
Rapporteur ?: M. François BODIN-HULLIN
Rapporteur public ?: Mme CONESA-TERRADE
Avocat(s) : CABINET DELHOMME

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-10-24;21ly00822 ?
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