Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 17 décembre 2021 par lequel le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par jugement n° 2200155 du 16 juin 2022, le tribunal a fait droit à sa demande et enjoint au préfet de la Côte-d'Or de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par requête enregistrée le 13 juillet 2022, le préfet de la Côte d'Or, représenté par Me Cano, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. A... ;
3°) de mettre à sa charge une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le préfet de la Côte-d'Or soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a estimé que le refus de titre de séjour méconnaissait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal ne sont pas fondés.
Par mémoire enregistré le 24 avril 2023, M. B... A..., représenté par Me Grenier, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à juste titre que le tribunal a retenu que le refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en violation de l'article L. 423-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'a pas saisi la commission du titre de séjour de sa situation avant de refuser de lui délivrer un titre ;
- le refus de titre de séjour méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- le préfet a commis une erreur de fait en indiquant que sa sœur réside dans son pays d'origine alors que celle-ci dispose d'une carte de résident ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la décision fixant le délai de départ volontaire à trente jours est illégale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure d'éloignement.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 avril 2023, M. A..., représenté par Me Grenier, demande la confirmation du jugement du 16 juin 2022 et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher,
- et les observations de Me D'Ovidio pour le préfet de la Côte-d'Or, et de Me Grenier pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant guinéen né le 23 février 1994, est entré irrégulièrement en France le 25 octobre 2016. Après l'annulation, par un jugement du 10 avril 2018 du magistrat désigné du tribunal administratif de Dijon de l'arrêté du 5 avril 2018 par lequel le préfet de la Côte-d'Or l'avait obligé à quitter le territoire français sans délai et prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans et enjoint au préfet de réexaminer sa situation, M. A... a sollicité le 15 juin 2018 la délivrance d'un titre de séjour. Par un arrêté du 17 décembre 2021, le préfet de la Côte-d'Or a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé la Guinée comme pays de destination. Le préfet de la Côte-d'Or relève appel du jugement du 16 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé cet arrêté.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales (...) ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, (...) / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".
3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des différentes procédures administratives engagées par M. A..., que ce dernier résidait, ainsi que l'a indiqué le tribunal, en France depuis cinq ans à la date de la décision en litige. S'il n'y est arrivé qu'à l'âge de 22 ans et a vécu séparé pendant de nombreuses années de sa mère, de son demi-frère et de sa demi-sœur, il ressort des pièces du dossier qu'il a porté, entre 2016 et février 2020, date à laquelle son demi-frère a pu bénéficier d'une prise en charge par un centre spécialisé situé à Meaux, une assistance quotidienne à son demi-frère Abdoulaye, né en 2002, qui souffre d'un lourd handicap moteur nécessitant des soins quotidiens et une assistance pour tous les actes de la vie quotidienne (alimentation, habillage, toilette) que leur mère n'était pas à même d'assurer seule. Si depuis février 2020, ainsi que le fait valoir le préfet, son demi-frère n'a plus besoin d'une assistance quotidienne de ses proches, il n'en demeure pas moins que M. A..., qui a déménagé en région parisienne, demeure, ainsi que l'a indiqué le tribunal, un soutien psychologique et matériel indispensable à son demi-frère, qui ne peut plus se rendre au domicile familial situé à Dijon et auquel il rend visite les week-ends. Ce dernier est également en mesure de l'assister pendant les périodes de fermeture du centre. Par ailleurs, M. A... dispose depuis décembre 2021 d'un contrat de travail à durée indéterminée, faisant suite à un contrat de travail à durée déterminée. Enfin, sa mère et sa demi-sœur vivent régulièrement en France, tandis que son demi-frère est de nationalité française. Dans ces conditions, c'est à juste titre que le tribunal a jugé qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour le préfet de la Côte-d'Or a méconnu les dispositions et les stipulations citées au point 2.
4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Côte-d'Or n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé son arrêté du 17 décembre 2021, lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que M. A... qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à l'Etat la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Côte-d'Or est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A.... Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 15 juin 2023, à laquelle siégeaient :
M. Arbarétaz, président,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
M-A. Boizot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 22LY02128