Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 17 août 2022 par lequel le préfet de l'Isère a ordonné qu'il sera reconduit à la frontière vers le pays dont il a la nationalité, la Turquie, ou encore à destination de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible.
Par jugement n° 2206725 du 21 novembre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 13 décembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Badescu, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 novembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 août 2022 par lequel le préfet de l'Isère a ordonné qu'il sera reconduit à la frontière vers le pays dont il a la nationalité, la Turquie, ou encore à destination de tout autre pays dans lequel il est légalement admissible ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'incompétence ;
- il est entaché d'un défaut de base légale en ce que la décision du tribunal correctionnel de Vienne du 19 juin 2019 prononçant à son encontre une peine d'interdiction du territoire français d'une durée de cinq ans n'était pas définitive ; l'exécution de cette peine complémentaire n'a pas été ordonnée et elle est suspendue jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble conformément à l'article 506 du code de procédure pénale ;
- l'arrêté ne pouvait être motivé au visa de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et des articles L. 721-4 et L. 641-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu du caractère non définitif de la décision pénale dont se prévaut l'administration préfectorale ;
- l'arrêté en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire enregistré le 27 février 2023, le préfet de l'Isère conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère,
- et les observations de Me Badescu, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né le 8 novembre 1996 à Aksaray (Turquie) et de nationalité turque, relève appel du jugement du 21 novembre 2022 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 août 2022 du préfet de l'Isère fixant le pays de destination pris en application de l'interdiction du territoire français pour une durée de cinq ans prononcée par le tribunal judiciaire de Vienne le 4 juin 2019.
2. D'une part, aux termes de l'article 131-30 du code pénal, auquel renvoie l'article L. 641-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. / L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une peine d'interdiction du territoire français (...). ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi :/ 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / 4° Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
4. Il ressort des pièces du dossier, produites pour la première fois en appel, que, par un arrêt du 2 mai 2023, la Cour d'appel de Grenoble a infirmé le jugement du tribunal judiciaire de Vienne du 4 juin 2019 en ce que, notamment, il a prononcé à titre de peine principale à l'encontre de M. A... B... une interdiction du territoire français pour une durée de cinq ans, et elle a ensuite condamné le prévenu à six mois d'emprisonnement avec sursis mais sans prononcer d'interdiction du territoire. Compte tenu de cet arrêt, la décision fixant le pays de destination en litige, fondée sur cette interdiction du territoire français, est dépourvue de base légale et doit, ainsi que le jugement attaqué, être annulée.
5. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... tendant à la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2206725 du 21 novembre 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Grenoble et l'arrêté du préfet de l'Isère du 17 août 2022 sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère et au procureur du tribunal judiciaire de Grenoble en application de l'article R. 751-1 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
Mme Camille Vinet, présidente assesseure,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2023.
La rapporteure,
C. BurnichonLa présidente,
M. C...
La greffière,
F. Prouteau
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
N° 22LY03675 2