Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de l'Ardèche a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision par laquelle le maire de Saint-Félicien (Ardèche) a tacitement délivré un permis de construire à la société civile immobilière (SCI) Mistler, dont la demande a été enregistrée le 30 août 2019, pour la régularisation de plusieurs chalets, d'une serre, d'un local couvrant la piscine et d'un atelier construits sur un terrain situé ..., chemin de Billaud.
Par un jugement n° 2004984 du 21 octobre 2021, le tribunal administratif de Lyon a annulé le permis de construire tacite délivré à la SCI Mistler par le maire de Saint Félicien.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2021, la société Mistler, représentée par Me Cayuela, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 octobre 2021 ;
2°) de rejeter le déféré du préfet de l'Ardèche ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la minute du jugement attaqué ne comporte pas les signatures requises ;
- le tribunal a omis de statuer sur ses conclusions portant sur l'irrecevabilité de la requête du préfet aux motifs de la violation des droits acquis et du principe de sécurité juridique et de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ;
- le tribunal a statué sur la légalité du permis pour des constructions de superficies différentes et supérieures à celles annoncées ;
- le permis en litige a reçu un accord tacite à la suite du silence de l'administration et le certificat de non-opposition est privé d'effet, et il s'ensuit que la décision du tribunal qui fait droit à la requête du préfet de l'Ardèche contrevient au principe de sécurité juridique ; subsidiairement, le délai de recours part à la date d'expiration du délai emportant décision implicite d'acceptation pour contester le permis de construire en litige ;
- le permis en litige ne méconnaît pas les dispositions de l'article N2 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) ; l'abri de piscine et les serres ne sauraient constituer des annexes à l'habitation et ne nécessitent pas de permis de construire mais une simple déclaration ; la serre construite en 2010 et le chalet en 1984 ne peuvent pas faire l'objet d'une annulation de permis compte tenu de la durée de leur implantation.
Par un mémoire en défense enregistré le 3 juin 2022, le préfet de l'Ardèche conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 20 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 20 février 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Burnichon, première conseillère ;
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Mistler a déposé le 30 août 2019 à la mairie de Saint-Félicien un dossier de demande de permis de construire de " régularisation " portant sur sept constructions édifiées entre 1980 et 2019, sur des parcelles, cadastrées section AP nos ... et ... d'une superficie totale de 235 275 m², situées au ... chemin de Billaud sur le territoire de la commune de Saint-Félicien. En l'absence de décision expresse, un permis tacite est intervenu et le maire de Saint-Félicien a délivré à la société un certificat de non-opposition à cette demande de permis de construire. La SCI Mistler relève appel du jugement du 21 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lyon, sur déféré du préfet de l'Ardèche, a annulé ce permis de construire tacite.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs (...), la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement a été signée par le président de la formation de jugement, la rapporteure et la greffière d'audience, conformément à ces dispositions.
3. En deuxième lieu, et contrairement à ce que soutient la société appelante, cette dernière n'a pas invoqué devant les premiers juges une fin de non-recevoir tirée du défaut de notification du déféré préfectoral en méconnaissance des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme. Elle n'est dès lors pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en l'absence de réponse à ce moyen en défense, étant au surplus relevé que le préfet a justifié, devant les premiers juges, de l'accomplissement de la formalité prévue par les dispositions de cet article, tant auprès de la SCI Mistler que de la commune de Saint-Félicien.
4. En dernier lieu, et toutefois, si les premiers juges ont examiné la recevabilité du déféré préfectoral au regard des délais de recours prévus par l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales et l'article 12 bis de l'ordonnance susvisée du 25 mars 2020 pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête de la SCI Mistler, ils ont omis de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de ce que le déféré préfectoral méconnaît le principe de sécurité juridique. L'omission d'examiner un tel moyen de défense, qui n'était pas inopérant, emporte l'irrégularité du jugement attaqué, lequel doit, dès lors, être annulé.
5. Il y a lieu dès lors pour la cour de statuer sur la demande de première instance présentée par le préfet de l'Ardèche par la voie de l'évocation.
Sur la recevabilité du déféré préfectoral :
6. D'une part, aux termes de l'article L. 424-7 du code de l'urbanisme : " Lorsque l'autorité compétente est le maire au nom de la commune (...), le permis est exécutoire, lorsqu'il s'agit d'un arrêté, à compter de sa notification au demandeur et de sa transmission au préfet dans les conditions définies aux articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales. ". Aux termes de l'article R. 423-7 du même code : " Lorsque l'autorité compétente pour délivrer le permis ou pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est le maire au nom de la commune, celui-ci transmet un exemplaire de la demande ou de la déclaration préalable au préfet dans la semaine qui suit le dépôt. ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 424-8 du code de l'urbanisme : " Le permis tacite et la décision de non-opposition à une déclaration préalable sont exécutoires à compter de la date à laquelle ils sont acquis ". Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. ". Parmi les actes dont la liste est donnée par l'article L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales, figurent, au 6°, le permis de construire et les autres autorisations d'utilisation du sol et le certificat d'urbanisme délivrés par le maire. Enfin, aux termes de l'article 12 bis de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 visée ci-dessus : " Les délais applicables (...) aux déférés préfectoraux à l'encontre (...) d'un permis de construire (...), qui n'ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus. Ils recommencent à courir à compter du 24 mai 2020 pour la durée restant à courir le 12 mars 2020, sans que cette durée puisse être inférieure à sept jours. / Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 est reporté à l'achèvement de celle-ci (...) ".
8. S'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 424-8 du code de l'urbanisme que le permis tacitement délivré devient exécutoire à la date à laquelle il est acquis, il reste néanmoins soumis au contrôle de légalité du représentant de l'Etat conformément aux dispositions précitées du code général des collectivités territoriales. Le préfet ne peut utilement exercer le contrôle d'un permis tacite que s'il a pu avoir connaissance de l'existence de cette autorisation par l'intermédiaire de l'autorité administrative qui l'a prise. Par suite, le délai pendant lequel le préfet peut déférer le permis court à compter de la date à laquelle il a pu ainsi avoir connaissance de l'autorisation accordée. Le point de départ de ce délai peut d'ailleurs être prorogé jusqu'à la date de transmission du dossier complet de la demande si le représentant de l'Etat en a besoin pour exercer pleinement son contrôle de légalité.
9. Il ressort des pièces du dossier que le dossier de demande de permis de construire déposé par la SCI Mistler et le certificat de non opposition ont été transmis au contrôle de légalité le 27 avril 2020. En application de l'article 12 bis de l'ordonnance du 25 mars 2020 précité, le délai de recours contre cette autorisation d'urbanisme n'a commencé à courir, au plus tôt, qu'à compter du 24 mai 2020. Il suit de là que le déféré du préfet de l'Ardèche à l'encontre du permis de construire tacite en litige, enregistré au greffe du tribunal le 22 juillet 2020, a été enregistré dans les délais de recours contentieux.
10. Contrairement aux allégations de la société requérante, le principe de sécurité juridique lié aux droits acquis par l'obtention d'un permis tacite ou d'une attestation tacite ne fait pas obstacle à la recevabilité d'un recours tendant à l'annulation de ce permis et introduit dans les délais de recours contentieux. La circonstance que ce permis porterait sur la réalisation de constructions existantes ne porte pas plus, par elle-même, atteinte à ce principe.
Sur la légalité du permis de construire tacite :
11. Aux termes de l'article N 2 du règlement du PLU de la commune de Saint-Félicien, relatif aux occupations et utilisations du sol soumises à conditions : " Sont admis sous condition, les constructions, travaux, ouvrages, installations ou utilisations du sol suivants : * les constructions à usage : / - forestier, /- d'annexes à l'habitation sous réserve qu'elles soient implantées à proximité des bâtiments existants, dans la limite de 60m² d'emprise au sol et une seule admise, /de piscine (...) ". Selon ce même règlement, dans son chapitre Définitions, une annexe à l'habitation est " une construction indépendante physiquement du corps principal d'un bâtiment mais constituant, sur un même tènement, un complément fonctionnel à ce bâtiment (ex. garage, bûcher, abri de jardin, remise, piscine...). ".
12. D'une part, la circonstance que certaines constructions, et notamment la serre et un chalet, auraient été édifiées sans autorisation de longue date, en 2010 et en 1984, est sans incidence sur la légalité du permis tacite délivré pour leur régularisation.
13. D'autre part, les dispositions précitées de l'article N2 du règlement du PLU s'appliquent aux constructions et installations, quel que soit le régime procédural auxquelles ces dernières sont soumises en application des dispositions du code de l'urbanisme. Dans ces conditions, la circonstance que certaines des constructions édifiées sur le tènement relèveraient, si une demande individuelle distincte de régularisation avait été présentée pour chacune d'elles, du régime de la déclaration préalable, est sans incidence sur l'application des dispositions précitées et leur qualification de constructions à usage d'annexe ou leur inclusion dans le calcul de la règle d'emprise.
14. Le dossier de demande de permis de construire en litige tend à la régularisation d'un ensemble de constructions édifiées sans autorisation comprenant un abri de piscine d'une surface de 162 m², trois chalets dont la surface de plancher respective est de 19,65 m² sur la parcelle AP ..., de 14,77 m² sur la parcelle AP ... et de 8,25 m² sur la parcelle AP ..., d'un atelier de 14 m² attenant à la maison d'habitation et de deux serres d'une surface de 45,13 m² chacune.
15. Il ressort des pièces du dossier que l'atelier réalisé ne peut être considéré comme une annexe au sens des dispositions précitées dès lors qu'il n'est pas indépendant physiquement de la construction principale. S'agissant ensuite des trois chalets, la notice architecturale précise elle-même que ce " sont des chambres avec vue dégagée sur l'environnement, permettant au maître d'ouvrage de recevoir ses amis et sa famille dans un cadre indépendant et serein ", et ils ne peuvent ainsi être qualifiés d'annexes, ni, en tout état de cause et contrairement à ce que soutient la société requérante, et à supposer même qu'y soit entreposé du matériel de débroussaillage, comme devant être regardés comme des constructions à usage forestier. Par ailleurs, les deux serres, compte tenu de leur localisation et notamment de leur éloignement de la maison d'habitation, ne peuvent être considérées comme un complément fonctionnel à cette dernière. Enfin, l'abri de piscine couvrant la piscine, de par sa superficie, ne peut être considéré comme étant une annexe autorisée par le règlement du PLU. Les dispositions précitées de l'article N2 du règlement du PLU faisaient dès lors obstacle à la délivrance du permis de régularisation sollicité.
16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Ardèche est fondé à demander l'annulation de la décision par laquelle le maire de Saint-Félicien a tacitement délivré un permis de construire à la SCI Mistler en réponse à sa demande déposée le 30 août 2019.
Sur les frais du litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que demande la SCI Mistler au titre des frais qu'elle a exposés soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004984 du 21 octobre 2021 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La décision par laquelle le maire de Saint-Félicien (Ardèche) a tacitement délivré un permis de construire à la société civile immobilière (SCI) Mistler, dont la demande a été enregistrée le 30 août 2019, est annulée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Mistler tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Mistler, à la commune de Saint-Félicien et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie sera adressée au préfet de l'Ardèche.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Monique Mehl-Schouder, présidente de chambre,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller,
Mme Claire Burnichon, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.
La rapporteure,
C. Burnichon La présidente,
M. A...
La greffière,
D. Meleo
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Une greffière,
N° 21LY04312 2