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04/06/2020 | FRANCE | N°18LY01894

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 04 juin 2020, 18LY01894


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Valence à lui payer une indemnité totale de 10 520 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présentation de sa demande préalable d'indemnisation et une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à payer à sa compagne, Mme D... B..., une indemnité de 1 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présentation de sa demande préalable d'ind

emnisation et de mettre à la charge du centre hospitalier de Valence les entiers...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Valence à lui payer une indemnité totale de 10 520 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présentation de sa demande préalable d'indemnisation et une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à payer à sa compagne, Mme D... B..., une indemnité de 1 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présentation de sa demande préalable d'indemnisation et de mettre à la charge du centre hospitalier de Valence les entiers dépens.

La caisse primaire d'assurance maladie d'Agen a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier de Valence à lui payer une indemnité de 2 566,02 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et une somme de 855,34 euros au titre du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1506384 du 20 mars 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande et les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie d'Agen.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 17 mai 2018 et le 19 octobre 2018, M. C... A..., représenté par Me Celerien, avocat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1506384 du 20 mars 2018 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Valence à lui payer une indemnité totale de 10 520 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présentation de sa demande préalable d'indemnisation ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Valence les entiers dépens ainsi qu'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que l'absence de réalisation d'imageries médicales lors de son hospitalisation le 24 août 2012 au service des urgences du centre hospitalier de Valence, qui révèle une erreur de diagnostic, constituait une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement public de santé ;

- il existe un lien de causalité entre cette erreur fautive de diagnostic et son hospitalisation sans consentement pour péril imminent du 24 au 31 août 2012 en service de psychiatrie du centre hospitalier spécialisé de Valmont, laquelle aurait pu être évitée si avaient été réalisées les imageries médicales qui auraient montré la nécessité de remédier à l'hydrocéphalie dont il souffrait, était injustifiée en l'absence de péril imminent, et a généré pour lui un stress post-traumatique ; la toxicomanie morphinique alléguée à son encontre par le centre hospitalier de Valence, n'est pas établie médicalement ;

- en réparation des conséquences dommageables de son hospitalisation sans consentement du 24 au 31 août 2012 en service de psychiatrie du centre hospitalier spécialisé de Valmont, il a droit :

à une somme de 240 euros au titre de l'assistance par une tierce personne après consolidation à raison de deux heures par jour et sur la base d'un taux horaire de 15 euros ;

à une somme de 80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel de classe 3, correspondant à 50 %, du 24 au 31 août 2012 et sur la base de 20 euros par jour ;

à une somme de 1 500 euros en réparation des souffrances endurées avant consolidation et chiffrées à 1/7 ;

à une somme de 2 700 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 3 % constitué par un stress réactionnel et sur la base d'un point à 900 euros ;

à une somme de 4 000 euros en réparation de la privation de liberté qu'il a subie durant son hospitalisation sans consentement du 24 au 31 août 2012 ;

à une somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral du fait de son placement sans consentement en établissement psychiatrique du 24 au 31 août 2012 qui a entraîné de grandes souffrances psychologiques et psychiques.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juillet 2018, le centre hospitalier de Valence, représenté par la SELARL Vital Durand et Associés, avocat, conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie d'Agen.

Il fait valoir que :

- il n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;

- il n'y a pas de lien de causalité certain et direct entre l'absence de réalisation d'imageries médicales et les préjudices en rapport avec l'hospitalisation du centre hospitalier spécialisé de Valmont, dont M. A... demande réparation.

Par un mémoire enregistré le 23 juillet 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Pau, venant aux droits de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, représentée par la SELARL BdL Avocats, conclut à la condamnation du centre hospitalier de Valence à lui payer une indemnité de 2 566,02 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, une somme de 855,34 euros au titre du 9ème alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Grenoble a considéré que l'absence de réalisation d'imageries médicales lors de l'hospitalisation de M. A... au service des urgences du centre hospitalier de Valence constituait une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement public de santé ;

- elle a droit au remboursement de la somme de 2 566,02 euros correspondant au frais d'hospitalisation de M. A... du 24 au 30 août 2012 en service de psychiatrie au centre hospitalier spécialisé de Valmont qu'elle n'aurait pas exposés si le diagnostic de tumeur cérébrale avait été posé dès l'hospitalisation de l'intéressé le 24 août 2012 au service des urgences du centre hospitalier de Valence.

Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2019, le ministre de l'action et des comptes publics déclare qu'il n'a aucune créance à faire valoir en l'absence de prestation d'invalidité imputable aux faits considérés.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que la cour était susceptible de soulever d'office l'irrégularité du jugement attaqué, dès lors que les juges de première instance ont méconnu la portée de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée en omettant de mettre en cause d'office le ministre de l'intérieur, dont relève M. A..., attaché d'administration de ce ministère, et le ministre de l'action et des comptes publics, chargé des pensions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Drouet, président assesseur,

- et les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... relève appel du jugement n° 1506384 du 20 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Valence à l'indemniser des conséquences dommageables de son hospitalisation sans consentement du 24 au 31 août 2012 en service de psychiatrie du centre hospitalier spécialisé de Valmont, qu'il impute à une erreur fautive de diagnostic commise le 24 août 2012 au sein du service des urgences du centre hospitalier de Valence.

2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, les agents de l'Etat ou d'une personne publique mentionnée à l'article 7 de cette ordonnance ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers " doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci ". Cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants droit. Devant le tribunal administratif de Grenoble, M. A... a fait connaître sa qualité de fonctionnaire du ministère de l'intérieur. En ne communiquant pas sa demande au ministre de l'intérieur, dont relève M. A..., et au ministre de l'action et des comptes publics, chargé des pensions, le tribunal a entaché son jugement d'irrégularité. Ce dernier doit, par suite, être annulé.

3. La procédure ayant été communiquée aux ministres précités, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble.

4. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ". Selon l'article L. 3212-1 du même code dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l'objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d'un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : / 1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ; / 2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d'une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d'une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° de l'article L. 3211-2-1. / II. - Le directeur de l'établissement prononce la décision d'admission : / (...) / 2° Soit lorsqu'il s'avère impossible d'obtenir une demande dans les conditions prévues au 1° du présent II et qu'il existe, à la date d'admission, un péril imminent pour la santé de la personne, dûment constaté par un certificat médical établi dans les conditions prévues au troisième alinéa du même 1°. Ce certificat constate l'état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. Le médecin qui établit ce certificat ne peut exercer dans l'établissement accueillant la personne malade ; il ne peut en outre être parent ou allié, jusqu'au quatrième degré inclusivement, ni avec le directeur de cet établissement ni avec la personne malade. / (...) ".

5. Il est constant que M. A... s'est présenté le 24 août 2012 vers 16 h 00 au service des urgences du centre hospitalier de Valence pour des céphalées et vertiges récurrents depuis trois mois. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport du 26 juillet 2014 de l'expertise amiable réalisée par le médecin conseil de l'assureur de M. A... et par le médecin conseil du centre hospitalier de Valence, que le tableau clinique ainsi présenté par le patient justifiait sans délai la réalisation d'explorations cérébrales par imageries médicales. Dans ces conditions, et contrairement à ce que fait valoir l'intimé, l'absence de réalisation de ces explorations dans les heures suivant l'admission de M. A... au service des urgences constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Valence.

6. Toutefois, si l'examen tomodensitométrique et l'examen d'imagerie par résonance magnétique cérébrale réalisés les 30 et 31 août 2012 au centre hospitalier de Valence ont mis en évidence une hydrocéphalie aigue tri-ventriculaire sus-jacente et deux lésions cérébelleuses d'allure tumorale, ultérieurement diagnostiquées comme métastases d'un adénocarcinome bronchique, il résulte de l'instruction, et notamment des mentions du dossier d'hospitalisation de M. A... au service des urgences le 24 août 2012 de 15 h 58 à 18 h 24, que le patient, à son arrivée, était agité et suant, exprimait des idées de persécution et disait vouloir " sa morphine et s'en aller ", qu'il a ensuite refusé tout examen et était en état de manque morphinique et qu'il a été installé dans une chambre de l'unité d'hospitalisation de courte durée du service des urgences en raison d'un risque de fugue. Il ressort des termes du rapport d'expertise précité du 26 juillet 2014 que M. A... présentait une dépendance ancienne au morphinique SKENAN(r) et que cette " toxicomanie peut, en partie, expliquer sa prise charge sur le mode psychiatrique lors de son admission à l'hôpital de Valence ". Dans ces conditions, et alors même que le dossier d'hospitalisation de M. A... au service des urgences le 24 août 2012 comporte notamment la mention " au final, péril imminent pour ne pas impliquer l'ami " qui accompagnait le patient, l'état ainsi décrit de ce dernier justifiait la rédaction le 24 août 2012 par le docteur Genevois, médecin au service des urgences du centre hospitalier de Valence, sur le fondement des dispositions précitées du 2° du II de l'article L. 3212-1 du code de la santé publique, d'un certificat médical constatant un péril imminent pour la santé de M. A... en raison des troubles mentionnés de " syndrome de manque, toxicomanie non avérée mais manifeste, déni des faits, danger pour lui-même ". Dès lors, l'hospitalisation sans consentement de l'intéressé en service de psychiatrie du centre hospitalier spécialisé de Valmont en fin de journée du 24 août 2012 a pour cause certaine et directe, non pas l'absence de réalisation d'explorations cérébrales par imageries médicales, mais l'état psychique qu'il présentait durant son hospitalisation de quelques heures au service des urgences du centre hospitalier de Valence.

7. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à solliciter la condamnation du centre hospitalier de Valence à l'indemniser des conséquences dommageables de son hospitalisation sans consentement du 24 au 31 août 2012 en service de psychiatrie du centre hospitalier spécialisé de Valmont à raison de l'absence fautive de réalisation d'explorations cérébrales par imageries médicales dans les heures suivant son admission au service des urgences du centre hospitalier de Valence. Par voie de conséquence, doivent être rejetées ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie d'Agen devant le tribunal administratif de Grenoble et celles présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Pau devant la cour.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1506384 du 20 mars 2018 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie d'Agen devant le tribunal administratif de Grenoble et les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Pau devant la cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau, à la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne, au ministre de l'intérieur, au ministre de l'action et des comptes publics et au centre hospitalier de Valence.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 4 juin 2020.

2

N° 18LY01894


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Établissements publics d'hospitalisation - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux - Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public - Diagnostic.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice - Caractère direct du préjudice - Absence.


Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: M. Hervé DROUET
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : BDL AVOCATS - ME BARIOZ ET ME PHILIP DE LABORIE

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Date de la décision : 04/06/2020
Date de l'import : 11/06/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 18LY01894
Numéro NOR : CETATEXT000041964746 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-06-04;18ly01894 ?
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