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02/04/2020 | FRANCE | N°18LY03333

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 02 avril 2020, 18LY03333


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... G... a demandé au tribunal administratif de Dijon de dire et de juger que le centre hospitalier de Nevers a commis des fautes dans sa prise en charge à l'origine de ses préjudices, de dire et juger que la survenance d'une affection iatrogène a également concouru à l'apparition de ses préjudices, de condamner solidairement le centre hospitalier de Nevers et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser en ré

paration des préjudices subis la somme totale de 654 238,24 euros ; à tit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... G... a demandé au tribunal administratif de Dijon de dire et de juger que le centre hospitalier de Nevers a commis des fautes dans sa prise en charge à l'origine de ses préjudices, de dire et juger que la survenance d'une affection iatrogène a également concouru à l'apparition de ses préjudices, de condamner solidairement le centre hospitalier de Nevers et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser en réparation des préjudices subis la somme totale de 654 238,24 euros ; à titre subsidiaire et avant dire droit, d'ordonner une nouvelle expertise médicale, et en tout état de cause de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Nevers et de l'ONIAM la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de Côte d'Or, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Dijon de condamner le centre hospitalier de Nevers à lui rembourser, au titre des prestations versées, la somme de 88 645,88 euros, sous réserve d'autres paiements non encore connus à ce jour, et ce avec intérêts de droit à compter du jugement, ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1602538 du 29 juin 2018, le tribunal administratif de Dijon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 29 août 2018, Mme G..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 29 juin 2018 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Nevers et l'ONIAM à lui verser la somme totale de 654 238,24 euros au titre des préjudices subis ;

3°) à titre subsidiaire d'ordonner une nouvelle expertise médicale ;

4°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Nevers et de l'ONIAM la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Elle soutient que :

Sur le défaut d'information :

- le centre hospitalier de Nevers n'a délivré aucune information sur les risques liés au déclenchement de l'accouchement et ce alors que cette pratique présente des risques fréquents ou graves ; elle est entrée à l'hôpital le 18 avril 2016 et la décision de déclencher l'accouchement n'est intervenue que le 20 avril 2016 ; quand bien même elle n'aurait effectivement pas pu refuser l'acte litigieux, il n'en demeure pas moins que ce défaut d'information lui a causé un préjudice certain résultant de ce qu'elle n'a pas pu se préparer aux conséquences de l'intervention ;

Sur la faute médicale :

- le rapport critique émis par le docteur Sablon estime qu'elle a été victime d'un retard dans sa prise en charge à la suite de l'hystérectomie subtotale et a caractérisé l'existence d'une affection iatrogène ; il appartenait au tribunal administratif d'ordonner une nouvelle expertise ; le centre hospitalier a déclenché l'accouchement sans raison médicale apparente et par pure convenance pour libérer un lit et ce alors que les anomalies du rythme cardiaque foetal n'étaient que mineures ; les graves anomalies du rythme cardiaque ne sont apparues qu'après le déclenchement ;

- la césarienne a été pratiquée avec négligence ; l'équipe médicale n'a pas pris en compte le fait qu'elle était porteuse d'une mutation du facteur 5 de Leiden à l'état hétérozygote, source de troubles de la coagulation ;

- le centre hospitalier a mal géré la complication puisqu'elle a présenté après la laparotomie et l'hystérectomie subtotale d'hémostase, une instabilité hémodynamique et un oedème pulmonaire, un hémopéritoine et un choc hémorragique ; ces complications imposaient une reprise chirurgicale urgente ; si le centre hospitalier a décidé vers 13h45 e son transfert au centre hospitalier universitaire de Dijon, le transfert ne sera effectif que vers 17h30 ; le centre hospitalier a retardé sa prise en charge ; ce retard de prise en charge a entraîné une défaillance multi-organes entraînant une atteinte neuromusculaire sévère aux membres inférieurs ;

- son état de santé initial, lié à des problèmes de sur-coagulation et de diabète gestationnel, nécessitait une surveillance accrue de son accouchement ;

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

- son accouchement a été déclenché artificiellement et ses préjudices sont en lien avec un acte de soins ;

- elle a développé une affection iatrogène lors de son séjour en réanimation au centre hospitalier universitaire de Dijon ; l'excès de médicaments andrénergiques qui lui ont été administrés a causé une vasoconstriction périphérique avec nécrose des orteils ayant conduit à leur amputation ; les préjudices subis présentent un caractère de gravité certain puisqu'elle présente un taux de déficit fonctionnel permanent de 38 % ; le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur ce point ;

Sur les préjudices :

S'agissant des préjudices temporaires :

- elle a été contrainte d'engager de nombreuses dépenses de santé pour un montant forfaitaire de 5 000 euros ;

- elle a été contrainte de recourir aux services d'une aide à domicile pour un montant de 2 957,11 euros ; son déficit fonctionnel temporaire sera évalué à 9 442,80 euros ; les souffrances endurées seront évaluées à 22 000 euros ; le préjudice esthétique temporaire sera évalué à 16 000 euros ;

S'agissant des préjudices permanents :

- elle sera contrainte d'exposer des dépenses de santé futures évaluées à 11 320 euros ;

- la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle seront évaluées à 154 293,33 euros ;

- les frais d'assistance par une tierce personne seront évalués à 304 825,03 euros ;

- les frais de véhicule adapté seront évalués à 8 000 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent sera évalué à 102 400 euros ;

- le préjudice esthétique permanent sera évalué à 10 000 euros ;

- le préjudice d'agrément sera évalué à 8 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 24 octobre 2019, le centre hospitalier de Nevers, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la mise sous curatelle de Mme G..., si elle était confirmée, ferait obstacle à la recevabilité de la requête ;

- s'agissant du défaut d'information, Mme G... a accouché par césarienne en raison de la survenance d'une souffrance foetale ; cette césarienne a permis d'extraire l'enfant dans de bonnes conditions ;

- Mme G... a été victime d'une atonie utérine dont les experts relèvent qu'il s'agit d'un événement imprévisible et de cause inconnue qui est responsable de la cascade de complications ; le déclenchement de l'accouchement, au demeurant programmé dès le départ pour tenir compte des antécédents médicaux de la parturiente, n'est pas à l'origine des complications et notamment de l'atonie utérine ; aucun défaut d'information ne peut lui être reproché en raison du caractère imprévisible de l'atonie utérine ; le recours à la césarienne était impérieusement requis du fait de la souffrance foetale ; la requérante ne peut se prévaloir d'un préjudice moral d'impréparation des conséquences de l'accouchement dès lors que les complications résultent d'un événement imprévisible ; la requérante n'indique pas quelles mesures auraient été prises si cette préparation avait pu avoir lieu ;

- le docteur Sablon ne précise pas sa spécialité médicale et se contente de procéder par affirmation sans démontrer en quoi le transfert aurait eu lieu tardivement et en quoi le retard serait fautif ;

- le déclenchement de l'accouchement qui était justifié n'est pas à l'origine de l'atonie utérine et de ses conséquences ; l'expert et son sapiteur n'ont pas retenu de faute ;

- le rapport critique du docteur Sablon n'est pas de nature à remettre en cause les conclusions du rapport des docteurs Lonlas et Palisson ;

- si Mme G... indique que l'amputation de ses orteils doit être rattachée à l'administration importante de médicaments adrénergiques et à une affection iatrogène, ces médicaments n'ont pas été administrés par le centre hospitalier de Nevers ;

- les postes de préjudice à caractère économique seront écartés dès lors que Mme G... présentait une problématique neuropsychique et cognitive antérieure à l'intervention chirurgicale ; Mme G... n'établit pas qu'elle est titulaire d'un permis de conduire, que l'utilisation d'un fauteuil roulant est justifiée ou encore que l'assistance par tierce personne ne serait pas déjà prise en charge par le conseil général ; dans tous les cas, les demandes indemnitaires présentent un caractère excessif et ne sont pas fondées.

Par un mémoire, enregistré le 3 novembre 2019, l'ONIAM, représenté par Me B..., conclut au rejet de la requête et indique ne pas s'opposer à la mesure d'expertise médicale sollicitée.

Il soutient que :

- les préjudices subis par Mme G... n'ouvrent pas droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale au motif qu'ils ne peuvent être imputés de manière directe et certaine à un acte de diagnostic, de prévention ou de soins compte tenu de son état antérieur et des complications gravissimes seulement imputables à l'accouchement dont elle était atteinte ;

- Mme G... présente une mutation héréditaire hétérozygote du facteur 5 de Leiden ; son état antérieur l'exposait particulièrement au risque qui s'est réalisé ;

- l'atonie utérine est un événement imprévisible et de cause inconnue ; l'action thérapeutique n'a pas généré la complication initialement imprévisible et qui a pu être favorisée par l'état antérieur de Mme G... ;

- le jugement sera confirmé en ce qu'il a relevé qu'il s'agissait d'un accident de la nature ;

- le rapport non contradictoire du docteur Sablon ne saurait à lui seul suffire à établir un lien de causalité entre les prescriptions de médicaments et l'amputation ; ce médecin conseil n'a pris en compte ni la pathologie héréditaire de la patiente ni l'état dans lequel elle a été transférée en réanimation ;

- si par extraordinaire un effet iatrogène des prescriptions médicamenteuses venait à être reconnu par la cour, il conviendrait d'ordonner une mesure d'expertise.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant le centre hospitalier de Nevers.

Considérant ce qui suit :

1. Le 18 avril 2006, Mme D... G..., née le 2 mars 1979, a été admise au centre hospitalier de Nevers en vue de son accouchement par voie basse, après la découverte, lors d'une consultation de contrôle, d'anomalies du rythme cardiaque du foetus. Le 20 avril 2006, le travail a été déclenché par ocytocine. Vers 8 heures 55, une altération rapide du rythme cardiaque foetal a été constatée et le gynécologue a décidé de procéder à une césarienne en urgence. A la suite de la naissance de l'enfant, Mme G... a présenté une atonie utérine suivie d'une hémorragie. Les médecins ont procédé à une hystérectomie subtotale d'hémostase après l'échec d'une laparotomie avec ligature étagée. Dans les suites de cette intervention, Mme G... a présenté une instabilité hémodynamique, un oedème pulmonaire et un hémopéritoine. Elle a alors été transférée par hélicoptère vers le service de réanimation du centre hospitalier universitaire de Dijon où elle a subi une nouvelle laparotomie. Lors de son séjour en réanimation, elle a été victime d'une succession de chocs septiques. Le 4 mai 2006, une thrombose veineuse fémorale et, le 12 mai 2006, une alvéolite importante ont été diagnostiquées. Le 22 mai 2006, elle a été transférée dans le service de néphrologie après avoir développé une insuffisance rénale et une rhabdomyolyse aiguë. Le 12 juin 2006, elle a subi une amputation de la totalité des orteils du pied gauche et de deux orteils du pied droit. Le 27 juin 2006, elle a été transférée dans un centre de rééducation qu'elle a quitté le 23 janvier 2007 pour regagner son domicile. Le 30 mars 2007, elle a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de Bourgogne d'une demande d'indemnisation des préjudices subis à la suite de son accouchement. La CRCI a ordonné une expertise confiée au docteur Lonlas, gynécologue obstétricien, qui s'est adjoint les services du docteur Palisson, neurologue. A la suite du dépôt du rapport d'expertise le 5 octobre 2007, la CRCI a estimé, dans son avis du 5 novembre 2007, que le centre hospitalier de Nevers n'avait commis aucun manquement fautif et que cet accident ne pouvait ouvrir droit à une indemnisation par la solidarité nationale dès lors qu'il n'était pas imputable directement à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. Mme G... relève appel du jugement du 29 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Nevers et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices subis lors de sa prise en charge.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Nevers :

En ce qui concerne le défaut d'information :

2. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit, sauf en cas d'urgence, d'impossibilité, ou de refus de sa part, en être informé. La circonstance que l'accouchement par voie basse constitue un événement naturel et non un acte médical ne dispense pas les médecins de l'obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu'il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du foetus ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir. En particulier, en présence d'une pathologie de la mère ou de l'enfant à naître ou d'antécédents médicaux entraînant un risque connu en cas d'accouchement par voie basse, l'intéressée doit être informée de ce risque ainsi que de la possibilité de procéder à une césarienne et des risques inhérents à une telle intervention.

3. Le 18 avril 2006, Mme G... a été admise au sein du service d'obstétrique du centre hospitalier de Nevers compte tenu du caractère peu réactif du rythme cardiaque foetal lors d'un enregistrement de contrôle. Le 19 avril 2006, il a été décidé de laisser la patiente entrer en travail. Mais, le 20 avril 2006, il a été procédé au déclenchement de l'accouchement par ocytocine en raison du caractère insatisfaisant de la dilatation cervicale.

4. Mme G... fait valoir qu'elle n'a pas été informée des risques liés au déclenchement de l'accouchement. Si le centre hospitalier de Nevers n'établit pas avoir informé Mme G... des risques liés au déclenchement de l'accouchement pouvant entraîner une augmentation du recours à la césarienne, il résulte de l'instruction qu'initialement, un accouchement par voie basse était programmé et que le choix du déclenchement de l'accouchement a été arrêté en tenant compte du caractère peu réactif du rythme cardiaque du foetus. Il résulte également de l'instruction que quelques minutes après l'administration de syntocinon, la sage-femme a constaté une bradycardie foetale à 80/mm sans récupération qui a conduit l'équipe médicale à réaliser, en urgence, une césarienne sous anesthésie générale pour souffrance foetale aiguë. La réalisation en urgence de cette césarienne était impérieusement requise du fait de l'aggravation des troubles du rythme cardiaque du foetus et la parturiente ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refuser cette intervention. Par suite, aucun manquement à l'obligation d'information de la parturiente ne saurait être retenu à l'encontre du centre hospitalier de Nevers.

5. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention chirurgicale, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles.

6. Si Mme G... fait valoir qu'elle a subi un préjudice d'impréparation en n'étant pas informée des risques de césarienne liés au déclenchement du travail, le lien de causalité direct et certain entre la césarienne et l'atonie utérine qualifiée par le docteur Lonlas " de situation imprévisible, inexplicable, rare mais redoutée, qui s'est elle-même compliquée, comme c'est très souvent le cas, d'une hémorragie, elle-même responsable de troubles majeurs de la coagulation dont l'issue est souvent catastrophique voire mortelle " n'est pas établi. Dès lors, Mme G... n'est pas fondée à se prévaloir d'un préjudice moral d'impréparation résultant d'un défaut d'information quant aux risques liés à la pratique d'une césarienne dont la fréquence augmente en cas de déclenchement du travail.

En ce qui concerne les fautes alléguées lors de la prise en charge de Mme G... :

7. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'au décours d'une phlébite du membre supérieur droit survenue le 18 mars 2000, une anomalie de la coagulation a été découverte chez Mme G... sous la forme de la présence d'un facteur V de Leiden à l'état hétérozygote. Le docteur Lonlas précise que la prophylaxie de ce type de thrombophilies repose sur la prescription des héparines de bas poids moléculaires. En l'espèce, cette anomalie été prise en compte lors du suivi de la grossesse de Mme G..., dès lors qu'à la fin du premier trimestre de sa grossesse, un contrôle échographique et doppler des membres supérieurs a été pratiqué montrant des séquelles veineuses sous-clavières droite et qu'un traitement par héparine de bas poids moléculaire a débuté au quatrième mois de grossesse afin de limiter le risque thrombogène. Le port d'une contention veineuse a également été préconisé. A partir du huitième mois, Mme G... a fait l'objet d'une surveillance rapprochée qui a conduit notamment à constater, le 18 avril 2006, un rythme cardiaque foetal assez peu oscillant. Le docteur Lonlas conclut en précisant que " le déroulement de la grossesse n'appelle rien de particulier si ce n'est un test O Sullivan perturbé nécessitant des mesures diététiques ". Par suite, le centre hospitalier de Nevers n'a pas commis de négligence dans le suivi de la grossesse de Mme G....

8. Mme G... fait valoir que le déclenchement de l'accouchement a été provoqué sans raison médicale apparente et que les graves anomalies du rythme cardiaque sont apparues après le déclenchement. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du docteur Lonlas que " la surveillance de fin de grossesse a mis en évidence l'intérêt d'un déclenchement après arrêt du Lovenox " dès lors qu'il a été constaté, le 18 avril 2006, que " le rythme cardiaque foetal est assez peu oscillant avec un ralentissement contemporain d'une contraction ". Après avoir laissé la patiente entrer en travail, il a été procédé, le 20 avril 2006, au déclenchement de l'accouchement par ocytocine en raison du caractère insatisfaisant de la dilatation cervicale. Par suite, et nonobstant la circonstance que des graves anomalies du rythme cardiaque sont apparues postérieurement à l'administration du syntocinon, il existait une indication au déclenchement en vue de l'extraction du foetus. Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision de procéder au déclenchement n'a pas été prise pour libérer des lits et n'est pas constitutive d'une faute.

9. A la suite du déclenchement de l'accouchement, une brusque altération du rythme cardiaque foetal a nécessité de pratiquer une césarienne de toute urgence. Le docteur Lonlas indique dans son expertise, ainsi qu'il a été mentionné au point 6, que la césarienne s'est compliquée d'une atonie utérine, situation imprévisible, qui s'est elle-même compliquée d'une hémorragie, responsable de troubles majeurs de la coagulation et conclut que " la prise en charge par l'équipe obstétricale du centre hospitalier de Nevers qui s'est faite de façon collégiale, rapide et adaptée, en respectant les protocoles et recommandations de la profession ne peut pas faire l'objet de critiques même si un saignement secondaire, au niveau d'une artère cervico-vaginale, a créé un hémo-péritoine. ". Par suite, Mme G... n'établit pas l'existence d'une négligence fautive dans la réalisation de la césarienne.

10. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du docteur Lonlas qu'après l'extraction de l'enfant, une révision utérine et une suture de l'utérus ont été réalisées. Toutefois, un saignement par voie vaginale et des urines hématuriques ont été constatés. Les métrorragies sont devenues très importantes et l'atonie utérine n'a pas cédé au traitement médicamenteux. Après l'échec d'une laparotomie et d'une ligature étagée, il a été décidé de réaliser une hystérectomie subtotale d'hémostase. Malgré cette intervention, l'état de la patiente ne s'est pas amélioré, la fonction respiratoire s'est altérée et a nécessité une intubation. Une radio pulmonaire a montré qu'il existait des signes d'oedème pulmonaire. Une échographie pelvienne a mis en évidence un hémopéritoine. Devant ce tableau clinique, Mme G... a été transférée au centre hospitalier universitaire de Dijon qui a procédé à une troisième laparotomie et à la ligature d'une artère cervico-vaginale gauche. Dans les suites immédiates, Mme G... a présenté un oedème aigu du poumon. Il s'en est suivi des complications multiviscérales avec dysfonction cardiaque, hypoxie sévère, insuffisance rénale aiguë avec rhabdomyolyse, chocs septiques, thrombose fémorale droite, ischémie des orteils des deux pieds, oedème cérébral, hépatomégalie avec cytolyse.

11. Si le rapport critique du docteur Sablon, établi le 5 février 2016, indique qu'" il ressort des pièces du dossier que vers 13h45 un contact téléphonique est pris avec le service de réanimation du CHU de Dijon " et que " Mme G... n'arrivera par hélicoptère du SAMU au CHU de Dijon qu'à 18h15 " pour être immédiatement installée au bloc opératoire pour une laparotomie en raison d'un hémopéritoine massif " et conclut que " le transfert a eu lieu tardivement alors qu'outre la réanimation, une reprise chirurgicale urgente s'imposait face à un hémopéritoine et à un état de choc hémorragique. La reprise chirurgicale par laparotomie n'a été réalisée qu'à 18h15 " et que " ce retard de prise en charge a eu pour conséquence " une défaillance multi-organes pendant la réanimation entraînant une atteinte neuromusculaire sévère aux membres inférieurs ", il résulte cependant de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le docteur Palisson a indiqué " que le dommage paraît la conséquence d'une complication liée à l'accouchement, à savoir l'atonie utérine avec hémorragie de la délivrance, compliquée d'une défaillance multi-organes. L'action thérapeutique n'a pas généré la complication, initialement imprévisible, et qui a pu être favorisée par l'état antérieur (trouble de la coagulation pré-existant) ". Le docteur Lonlas partage cette appréciation en précisant que " c'est l'atonie utérine, élément imprévisible et de cause inconnue qui est responsable de la cascade de complications et de séquelles " et ajoute " qu'aucune faute, manquement ou reproche de quelque nature que ce soit, ne peut être retenue à l'encontre des différentes équipes médicales qui sont intervenues " sans relever de retard fautif dans le transfert de la patiente vers le centre hospitalier universitaire de Dijon et qui serait la cause des préjudices subis par Mme G.... Par suite, il n'est pas établi que le retard allégué de son transfert au centre hospitalier universitaire de Dijon soit en lien avec les préjudices subis.

12. Il en résulte que la responsabilité du centre hospitalier de Nevers ne peut être engagée en raison des préjudices subis par Mme G... dans les suites de son accouchement.

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

13. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code, qui définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives, " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %.".

14. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation des dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état, et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

15. Mme G... fait valoir que son accouchement a été déclenché artificiellement et que ses préjudices sont en lien avec un acte de soins. Toutefois, comme il a été indiqué au point 11, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise du docteur Lonlasque " c'est l'atonie utérine, élément imprévisible et de cause inconnue, qui est responsable de la cascade de complications et de séquelles " et non la décision de procéder au déclenchement de l'accouchement ou encore de pratiquer la césarienne. Par suite, Mme G... n'établit pas que l'accident médical dont elle a été victime est en lien avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soins.

16. La requérante fait également valoir qu'elle a développé une affection iatrogène lors de son séjour en service de réanimation au centre hospitalier universitaire de Dijon en raison de l'administration excessive de médicaments andrénergiques qui lui a causé une vasoconstriction périphérique avec nécrose des orteils ayant conduit à leur amputation, en se fondant sur le rapport critique du docteur Sablon. Toutefois, ce rapport se borne à indiquer qu'" une utilisation importante de médicaments adrénergiques en réanimation " a été la cause " d'une vasoconstriction périphérique avec nécrose des orteils et amputation de plusieurs orteils aux deux pieds " sans expliciter ni étayer ces conclusions. Par suite, et alors que le tribunal administratif de Dijon s'est prononcé, contrairement aux allégations de Mme G..., sur ce point, il n'est pas établi que celle-ci a été victime d'une affection iatrogène qui résulterait de l'administration excessive de médicaments adrénergiques.

17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que Mme G... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Nevers et de l'ONIAM à réparer les préjudices subis dans les suites de son accouchement. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme G... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G..., au centre hospitalier de Nevers, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Dijon.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

Mme A..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 avril 2020.

2

N° 18LY03333


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY03333
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : BUISSON BRODIEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-04-02;18ly03333 ?
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