La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/04/2020 | FRANCE | N°18LY01564

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 02 avril 2020, 18LY01564


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... N..., M. H... N..., M. I... N..., M. G... et Mme E... N..., agissant en leur nom propre et au nom de leur fils mineur, A..., Mme K... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier de Belley à leur verser une somme de 6 399,40 euros au titre de leurs préjudices patrimoniaux, à verser une somme de 4 286,76 euros au titre du préjudice patrimonial de M. D... N..., et, au titre de son préjudice d'affection, une somme de 35 000 euros, une somme de 35 000 euros à M. H

... N..., une somme de 35 000 euros à M. I... Clerc­Renaud, une somme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... N..., M. H... N..., M. I... N..., M. G... et Mme E... N..., agissant en leur nom propre et au nom de leur fils mineur, A..., Mme K... B... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier de Belley à leur verser une somme de 6 399,40 euros au titre de leurs préjudices patrimoniaux, à verser une somme de 4 286,76 euros au titre du préjudice patrimonial de M. D... N..., et, au titre de son préjudice d'affection, une somme de 35 000 euros, une somme de 35 000 euros à M. H... N..., une somme de 35 000 euros à M. I... Clerc­Renaud, une somme de 35 000 euros à M. G... N..., une somme de 35 000 euros à Mme K... B..., une somme de 10 000 euros à Mme E... Clerc­Renaud et une somme de 10 000 euros à M. A... N..., sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts à compter du dépôt de la requête et, à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser les mêmes sommes.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier de Belley à lui verser la somme de 4 910,82 euros au titre des prestations servies à son assurée, outre les intérêts de droit, et une somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1510656 du 27 février 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 24 avril 2018, et un mémoire complémentaire enregistré le 9 juillet 2019, M. D... N..., M. H... N..., M. I... N..., M. G... et Mme E... N..., agissant en leur nom propre et au nom de leur fils mineur, A..., Mme K... B... demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 février 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Belley à leur verser la somme de 3 959,38 euros au titre des préjudices patrimoniaux des ayants-droit, de verser la somme de 6 726,78 euros au titre du préjudice patrimonial de M. N... et la somme totale de 195 000 euros au titre de leurs préjudices extrapatrimoniaux, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner l'ONIAM à leur verser la somme de 6 399,40 euros au titre de leurs préjudices patrimoniaux, de verser la somme de 5 104,60 euros au titre du préjudice patrimonial de M. N... et la somme totale de 195 000 euros au titre des préjudices extrapatrimoniaux des ayants-droit, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de déclarer l'arrêt à intervenir commun aux organismes sociaux appelés en la cause ;

5°) de mettre à la charge du responsable la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

Sur la régularité du rapport d'expertise :

- ils doutent du sérieux du rapport d'expertise dès lors que le docteur Ode est arrivé avec un retard de 40 minutes à la première réunion d'expertise sans avoir lu le dossier ; les experts n'apportent pas de réponse au dire du docteur Gouraud concernant la conduite à tenir chez une patiente présentant un faible risque clinique d'embolie pulmonaire associé à une élévation des D-dimères ; le rapport d'expertise contient des contradictions sur le rôle joué par l'apnée du sommeil dans la survenance du décès ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier en raison des fautes commises :

- le docteur Gouraud indique qu'il y avait nécessité de réaliser un scanner spiralé chez une patiente présentant un faible risque clinique d'embolie pulmonaire associé à une élévation des D-dimères ; le centre hospitalier n'a pas tout mis en oeuvre pour parvenir à son diagnostic et il aurait dû réaliser le scanner spiralé ; les experts n'ont pas tenu compte des recommandations officielles ;

- les experts remettent en cause la qualité des soins dans la mesure où aucun suivi des paramètres vitaux n'a été réalisé ; l'absence d'information au dossier médical vaut présomption d'inertie fautive ; il est surprenant que les infirmières aient placé Mme N... sous oxygénation à 4 heures du matin alors que rien ne semblait le justifier et que la remise de la ventilation non invasive (VNI) aurait dû suffire en l'absence de détresse respiratoire ;

- il n'y a aucune trace écrite d'une tentative de réanimation à 5h20 ;

- une erreur de diagnostic a été commise ; le docteur Gouraud a mis en évidence que le protocole de soins officiel en cas d'élévation des D-dimères a été occulté par l'équipe soignante ; le dossier médical fait état d'une hémoptysie et elle aurait dû être prise en charge à ce titre ;

Sur le droit à réparation au titre de la solidarité nationale :

- le décès de Mme N... est directement imputable à un acte de soins qui a eu des conséquences anormales et présente un caractère de gravité caractérisée ;

- s'agissant des préjudices patrimoniaux, ils sollicitent le remboursement des honoraires du médecin-conseil, le docteur Gouraud, et le remboursement des frais d'obsèques, ils sollicitent le remboursement des frais de transport et d'hébergement pour se rendre de Belley à Chambéry, lieu des obsèques de Mme N..., pour un montant de 300 euros chacun et de 624,40 euros pour Mme K... B... ; M. N... sollicite l'indemnisation du préjudice économique subi du fait du décès de son épouse à hauteur de 5 104,60 euros ; le préjudice d'affection sera évalué à 35 000 euros pour chacun des ayants-droit et à 10 000 euros pour la belle-fille et la petite-fille de la victime ;

Par un mémoire, enregistré le 3 septembre 2018, l'ONIAM, représenté par Me F..., conclut au rejet de la requête, à sa mise hors de cause et à ce qu'il soit statué sur les dépens.

Il soutient que :

- la solidarité nationale n'a vocation à indemniser les victimes d'accidents médicaux, lorsque la responsabilité d'un établissement est écartée, que si le préjudice ou le décès trouve son origine de manière directe et certaine dans un acte de prévention, de diagnostic ou de soins ; en l'espèce, le décès de Mme N... n'est pas directement imputable à un acte de prévention, de soins ou de diagnostic ; la cause du décès ne peut être identifiée.

Par un mémoire enregistré le 16 mai 2019, le centre hospitalier de Belley, représenté par Me L..., conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- une faute ne saurait valablement être déduite du seul décès de Mme N... ; les causes du décès restent inconnues ; l'autopsie a été refusée par la famille ; l'ensemble des fautes évoquées repose sur le diagnostic du docteur Gouraud d'une embolie pulmonaire qui, en l'absence d'autopsie, est indémontrable ;

- le diagnostic initial n'est pas constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité ; l'avis du docteur Gouraud repose sur une lecture personnelle d'une publication scientifique de 2009 issue du 51ème congrès national d'anesthésie et de réanimation qui évoque un lien entre l'élévation de la concentration des D-dimères dans le sang et le risque d'embolie pulmonaire ; cette publication n'est pas un protocole de soins officiel ; en l'état du tableau clinique et paraclinique de Mme N..., rien ne justifiait l'évocation d'une embolie pulmonaire et la réalisation d'investigations complémentaires ;

- aucun défaut de surveillance ne peut être retenu dès lors qu'en l'absence de signe clinique grave, aucune surveillance spécifique ne se justifiait ; les relevés d'infirmières font état d'un passage à 4h00 du matin et à 5h20 ; l'absence de relevé écrit ne peut avoir participé à la survenue du décès ;

- subsidiairement, si sa responsabilité était retenue, il ne pourrait être retenu qu'une perte de chance de survie ;

- l'indemnisation des préjudices sera ramenée à de plus justes proportions.

Par lettre du 12 février 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en l'absence de mise en cause par le tribunal administratif de Lyon de l'employeur de Mme O... N..., qui travaillait comme agent territorial spécialisé des écoles (ATSEM) pour la commune de Parves et Nattages, et de la CARSAT en sa qualité de gestionnaire de la caisse de retraite des agents contractuels des collectivités locales, en méconnaissance des articles 3 et 7 de l'ordonnance du 7 janvier 1959.

Par lettre du 21 février 2010, la CARSAT Rhône-Alpes a indiqué à la cour qu'elle n'interviendrait pas dans l'instance engagée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques ;

- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

- et les observations de Me M..., représentant les consorts N... et de Me J..., représentant le centre hospitalier de Belley.

Considérant ce qui suit :

1. Le 1er février 2014, vers 13h21, Mme O... N..., née le 5 mars 1953, a été hospitalisée aux urgences du centre hospitalier de Belley pour des difficultés respiratoires avec douleurs thoraciques et toux. L'examen initial a retrouvé une petite dyspnée expiratoire, une toux sans expectorations mais avec des douleurs basi-thoraciques bilatérales. Une radiographie pulmonaire a mis en évidence un foyer de la base gauche interprété dans le sens d'une pneumopathie lobaire inférieure gauche. A 15h15, Mme N... a été transférée dans le service de médecine où des examens complémentaires ont mis en évidence une augmentation des D-Dimères. Un traitement par aérosols, antibiotique, kinésithérapie respiratoire et oxygénothérapie a été débuté. Le 2 février, vers 4h00, la ventilation non invasive a été rétablie par les infirmières après avoir été interrompue par Mme N.... A 5h20, elle a été retrouvée décédée dans son lit. Estimant que Mme N... avait été victime d'une défaillance fautive dans sa prise en charge, M. H... N..., fils de la victime, a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à la désignation d'un expert. Par une ordonnance du 7 janvier 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a désigné les docteurs Ode et Bagou en qualité d'experts. Ceux-ci ont déposé leur rapport le 24 juin 2015. Les consorts N... relèvent appel du jugement du 27 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à la condamnation, à titre principal, du centre hospitalier de Belley ou, à titre subsidiaire, de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), à les indemniser des préjudices subis du fait du décès de Mme N....

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat et de certaines autres personnes publiques, les agents de l'Etat ou d'une personne publique mentionnée à l'article 7 de cette ordonnance ou leurs ayants droit qui demandent en justice la réparation d'un préjudice qu'ils imputent à un tiers " doivent appeler en déclaration de jugement commun la personne publique intéressée et indiquer la qualité qui leur ouvre droit aux prestations de celle-ci ". Cette obligation, dont la méconnaissance est sanctionnée par la possibilité reconnue à toute personne intéressée de demander pendant deux ans l'annulation du jugement, a pour objet de permettre la mise en cause, à laquelle le juge administratif doit procéder d'office, des personnes publiques susceptibles d'avoir versé ou de devoir verser des prestations à la victime ou à ses ayants droit.

3. Il ressort des pièces du dossier présenté devant le tribunal administratif de Lyon que Mme N... était employée comme agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) par la commune de Parves et Nattages. En ne communiquant pas sa requête à cette commune ni à la CARSAT en sa qualité de gestionnaire de la caisse de retraite des agents contractuels des collectivités locales, le tribunal administratif de Lyon a entaché son jugement d'irrégularité. La violation de la règle susmentionnée constitue une irrégularité que la cour, saisie de conclusions d'appel tendant à l'annulation du jugement qui lui est déféré, doit soulever d'office. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement rendu le 27 février 2018 par le tribunal administratif de Lyon.

4. La procédure ayant été communiquée à la commune de Parves et Nattages et à la CARSAT en sa qualité de gestionnaire de la caisse de retraite des agents contractuels des collectivités locales et l'affaire étant ainsi en état d'être jugée, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par les consorts N... tant devant le tribunal administratif de Lyon que devant la cour.

Sur les conclusions à fin d'appel en déclaration de jugement commun :

5. Aux termes des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) ". Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la caisse doit être appelée en déclaration de jugement commun dans l'instance ouverte par la victime contre le tiers responsable, le juge étant, le cas échéant, tenu de mettre en cause d'office la caisse si elle n'a pas été appelée en déclaration de jugement commun. La CPAM de l'Ain a été régulièrement mise en cause et a produit à l'instance. Il y a lieu, ainsi que le demandent les consorts N..., de déclarer commun à la caisse le présent arrêt.

Sur la régularité de l'expertise :

6. Aux termes de l'article R. 621-3 du code de justice administrative, " (...) Par le serment, l'expert s'engage à accomplir sa mission avec conscience, objectivité, impartialité et diligence ".

7. Les consorts N... indiquent douter du sérieux du rapport d'expertise compte tenu de ce que le docteur Ode est arrivé avec un retard de 40 minutes à la première réunion d'expertise sans avoir lu le dossier. Toutefois, cette circonstance pour regrettable qu'elle soit, n'est pas de nature à établir que les experts n'auraient pas pris connaissance de l'ensemble des pièces du dossier médical de Mme N... et notamment du dire du docteur Gouraud établi à la demande des consorts N... et n'auraient pas rempli leur mission avec conscience, objectivité et impartialité. Par ailleurs, il ne ressort pas du rapport d'expertise que celui-ci contiendrait des contradictions quant au rôle joué par le syndrome d'apnées du sommeil dans le décès de Mme N..., dès lors que les experts ont pu estimer sans se contredire que le syndrome d'apnées du sommeil appareillé n'était pas responsable du décès mais que le décès par apnée du sommeil, en l'absence de tout appareil d'aide à la respiration, pouvait être envisagé.

8. Les consorts N... font également valoir que les experts n'apportent pas de réponse au dire du docteur Gouraud concernant la conduite à tenir chez une patiente présentant un faible risque clinique d'embolie pulmonaire associé à une élévation des D-dimères. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le docteur Gouraud a indiqué, dans un dire du 18 mai 2015 intégralement repris dans le rapport d'expertise, que " deux points dans ce dossier nous paraissent acquis : - l'élévation initiale des D-dimères devait faire discuter un diagnostic possible de thrombose pulmonaire ou autre ; - Mme N... avait, sur son tableau clinique, une probabilité faible de présenter une embolie pulmonaire. L'algorithme est clair : en cas de probabilité faible et de dosage des Dimères élevés (à 1 650 ng/l, soit à plus de trois fois la valeur seuil) la recherche d'un thrombus par angioscanner spiralé s'impose " et que les docteurs Ode et Bagou ont répondu à ce dire par une argumentation étayée. Par suite, les consorts N... ne sauraient soutenir que les experts n'ont pas accompli l'intégralité de leur mission.

Sur la responsabilité du centre hospitalier :

9. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les experts ont indiqué que Mme N..., qui présentait un syndrome d'apnées du sommeil diagnostiqué en 2008 et était sous ventilation non invasive nocturne, s'est présentée aux urgences du centre hospitalier de Belley consciente, sans fièvre avec " une petite dyspnée expiratoire avec râles humides, une saturation en oxygène à 94 % sous air ambiant, une fréquence cardiaque à 81/min et une pression artérielle à 102/36 mmHg. La radiographie pulmonaire révèle une pleuro-pneumopathie lobaire inférieure gauche. La biologie montre une insuffisance rénale, une élévation des D-dimères (1650 ng/ml), une augmentation de la CRP, une diminution spontanée du taux de prothrombine avec un TCA normal et une neutropénie ". En l'absence de signe de détresse sévère, elle a été hospitalisée au sein du service de médecine classique. Un nouveau bilan clinique réalisé au sein de ce service a mis en évidence " une saturation en air à 91 %, l'absence de dyspnée, quelques ronchi diffus sans signe d'insuffisance cardiaque, une pression artérielle à 105 mmHg (...). L'électrocardiogramme d'entrée est sans particularité. Le diagnostic initial de pleuro-pneumopathie de la base gauche est confirmé. En l'absence de signe de détresse, elle est maintenue dans le service de médecine et bénéficie d'un traitement par aérosols, kinésithérapie respiratoire, oxygénothérapie associé à l'administration d'un antibiotique par voie orale ".

10. Les consorts N... font valoir, en se fondant sur les dires du docteur Gouraud, qu'il y avait nécessité de réaliser un scanner spiralé compte tenu de l'élévation des D-dimères et ce alors que Mme N... présentait un faible risque clinique d'embolie pulmonaire.

11. Il résulte de l'instruction que le docteur Gouraud a indiqué dans un dire adressé aux experts le 18 mai 2015 que " Mme N... avait un dosage des D-dimères à 1650 ng/ml. Nul ne conteste qu'une élévation des D-dimères ne signifie pas forcément la présence d'une embolie pulmonaire ou d'une thrombose veineuse profonde et il est bien reconnu que sa valeur prédictive est surtout négative. Cependant, on ne saurait pas ne pas tenir compte du texte référentiel, publié en 2009 suite au 51ème Congrès national d'Anesthésie et de Réanimation, concernant le diagnostic d'embolie pulmonaire aux urgences. Celui-ci précise que " plusieurs tests non ou peu invasifs sont actuellement disponibles pour le diagnostic d'embolie pulmonaire sans avoir à recourir à l'angiographie pulmonaire. Le point le plus important à retenir est qu'aucun de ces tests n'a une valeur d'exclusion en cas de négativité ou de confirmation en cas de positivité permettant une décision diagnostique sans tenir compte de la probabilité clinique. Deux points dans ce dossier nous paraissent acquis : - l'élévation initiale des D-dimères devait faire discuter un diagnostic possible de thrombose pulmonaire ou autre, - Mme N... avait, sur son tableau clinique, une probabilité faible de présenter une embolie pulmonaire. L'algorithme est clair : en cas de probabilité faible et de dosage des Dimères élevés ( à 1650 ng/l, soit à plus de trois fois la valeur seuil) la recherche d'une thrombus par angioscanner spiralé s'impose. C'est la raison pour laquelle le fait que non seulement ce scanner n'ait pas été réalisé mais encore que la patiente n'ait pas fait l'objet d'une surveillance attentive en milieu spécialisé, représente un manquement à l'origine d'une perte de chance pour Mme N... d'avoir pu bénéficier, lors de la survenue de l'épisode pathologique qui a conduit à son décès, d'un diagnostic et d'une prise en charge immédiats qui auraient pu aboutir à une autre issue ".

12. Si le centre hospitalier indique que ce texte issu du 51ème Congrès national d'anesthésie et de réanimation ne saurait s'analyser comme des recommandations à destination des praticiens, les experts ont précisé que " le docteur Gouraud transmet une publication de 2009, toujours actuelle et bien connu des pneumologues, des réanimateurs et des urgentistes. Il souligne à juste titre la valeur prédictive négative des D-dimères dans le diagnostic de l'embolie pulmonaire ". Par suite, la démarche à mettre en oeuvre issue de ce texte pour établir un diagnostic face à une personne se présentant aux urgences avec des symptômes d'essoufflement et de douleurs thoraciques doit être regardée comme constituant une référence du protocole à mettre en oeuvre devant un tel tableau clinique pour établir un diagnostic et le risque de présenter une embolie pulmonaire. Il résulte encore de ce document qu'en cas de probabilité clinique faible de présenter une embolie pulmonaire et de dosage des D-dimères élevés, la recherche d'un thrombus spiralé s'impose.

13. Le centre hospitalier fait valoir que la cause du décès de Mme N... étant inconnue faute d'autopsie, les fautes alléguées par les requérants et reposant sur le diagnostic évoqué par le docteur Gouraud d'embolie pulmonaire sont indémontrables.

14. Il est constant qu'en l'absence d'autopsie, les causes exactes du décès de Mme N... ne sont pas établies. Il résulte cependant de l'instruction que les experts sont parvenus à la conclusion que la cause la plus probable du décès était une embolie pulmonaire. Les experts indiquent ainsi que " le diagnostic de présomption qui fait planer le doute au vu de l'évolution fatale est celui d'une embolie pulmonaire massive avec possible choc cardiogénique évoluant vers le décès de la patiente. Ce diagnostic d'embolie pulmonaire n'a pas été évoqué ni par le docteur Bodron (urgences) ni par le docteur Chirol (hospitalisation) car il n'y avait pas suffisamment d'arguments cliniques ou paracliniques (radiographie pulmonaire, électrocardiogramme) pour évoquer une telle pathologie et donc d'une part engager des investigations complémentaires notamment un scanner thoracique en urgence (celui-ci pouvait être réalisé au centre hospitalier de Belley) et d'autre part réaliser par la suite une prise en charge en milieu de soins intensifs et non en secteur de soins conventionnels ". Toutefois, si Mme N... ne présentait pas un tableau clinique évocateur d'un risque d'embolie pulmonaire, les experts notant que " l'embolie pulmonaire revêt des tableaux cliniques très divers. Le score de Wells permet d'en estimer la probabilité clinique. Pour Mme N..., ce score était nul : pas d'antécédent de thrombose veineuse, pas d'hémoptysie, pas de tachycardie, diagnostic alternatif de pleuro-pneumopathie lobaire. Le score révise de Genève atteint 3/25 uniquement en raison de la fréquence cardiaque (81 donc entre 75 et 94/mm). Il est donc corrélé au tableau clinique qui n'évoquait pas d'embolie pulmonaire mais une pleuro-pneumopathie lobaire qui, elle-aussi, peut entraîner une positivité des D-dimères ", son dosage des D-dimères, demandé par l'urgentiste du centre hospitalier, s'est élevé à 1 650 ng/l, soit plus de 3 fois la valeur seuil. Ainsi qu'il a été dit, face à une personne se présentant aux urgences avec des symptômes d'essoufflement et de douleurs thoraciques, la réalisation d'un angioscanner spiralé qui permet de lever ou d'établir un diagnostic d'embolie pulmonaire s'impose. A ce titre, les experts soulignent que " le raisonnement clinique (D-dimères) engagé aux urgences pouvait être adapté mais surtout il n'a sans doute pas permis d'apprécier la survenue d'une hypoxie ". En l'espèce, le dosage des D-dimères de Mme N... accompagné d'un tableau clinique faiblement évocateur d'une embolie pulmonaire devait conduire l'équipe médicale à engager des investigations complémentaires, à savoir la réalisation d'un examen d'imagerie diagnostique. Il suit de là que, même si le diagnostic de pleuropneumopathie banale avait pu être posé comme probable à l'entrée de la patiente, le centre hospitalier de Belley ne peut être regardé comme ayant mis en oeuvre tous les moyens disponibles pour poser un diagnostic approprié dès lors que le médecin des urgences s'était engagé dans un dosage des D-dimères mais n'a cependant pas poursuivi jusqu'au bout sa démarche de diagnostic, ce qui aurait pu conduire à détecter la survenue d'une embolie pulmonaire. Dans ces conditions, la carence dans la prise en charge de Mme N... a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Belley.

15. Il résulte également de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que " Mme N... a été considérée dès le départ comme une patiente sans facteurs de risques cardio-respiratoires notables présentant un tableau de pleuro-pneumopathie banal (...) et dont le niveau de soins du service d'hospitalisation est adapté au degré de gravité " de la patiente. Toutefois, les experts notent que " le suivi semble avoir été plus incertain dans le service de médecine puisqu'il n'est pas fait état de relève précise quant aux paramètres vitaux et à l'évolution de la patiente entre 20 heures et cinq heures du matin, heure de son décès. Il est à noter toutefois qu'il s'agit d'un service de médecine classique ne justifiant pas les mesures mises en oeuvre dans un service de soins intensifs et pour lequel la relève écrite de la nuit est le plus souvent établie le matin avant le départ et non pas en continu ". Les experts relèvent également que l'oxygène avait été replacé à 4 heures du matin et qu' " on peut imaginer qu'un ou plusieurs épisodes d'hypoventilation ou d'hypoxie, de durée indéterminée aient pu se produire qui, se surajoutant à l'infection pulmonaire, ont pu favoriser une hypoxie cérébrale et/ou cardiaque à l'origine du décès. Le dossier ne rapporte aucune description de l'état clinique pendant la nuit et notamment sur le plan respiratoire (" la dame respirait encore ") ; les termes évasifs font que l'on s'interroge sur d'éventuels signes cliniques de détresse respiratoires (absents ou non reconnus) mais aucune preuve ne peut être apportée " et concluent " en aucun cas les paramètres vitaux ne sont acquis dans les éléments transmis, ce qui laisse planer un doute quant à la surveillance clinique ". Si le centre hospitalier de Belley fait valoir que Mme N... avait été placée dans un service de médecine classique dès lors que son état clinique ne justifiait aucune mesure de surveillance particulière et que les relevés d'infirmières font état d'un passage à 4h00 du matin et à 5h20, il n'en demeure pas moins que le centre hospitalier ne justifie pas que Mme N... a fait l'objet d'un suivi quant à ses paramètres vitaux et ce alors qu'elle avait été placée sous oxygénothérapie. Par suite, le défaut de surveillance de l'état de santé de la patiente, lequel a induit une absence de détection d'un ou plusieurs épisodes d'hypoventilation ou d'hypoxie, constitue également une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Belley.

16. Il ne résulte pas de l'instruction qu'à 5h20, Mme N... pouvait encore faire l'objet d'une réanimation. Par suite, l'absence de tentative de réanimation à 5h20 du matin n'est pas constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Belley.

17. En se bornant à soutenir qu'il est surprenant que les infirmières aient placé Mme N... sous oxygénation à 4 heures du matin alors que rien ne semblait le justifier et que la remise de la VNI aurait dû suffire en l'absence de détresse respiratoire, les consorts N... n'établissent pas l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Belley.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la carence dans la prise en charge médicale de Mme N... et le défaut de surveillance de cette patiente pendant la nuit de son hospitalisation ont constitué des manquements fautifs de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Belley.

Sur le droit à réparation au titre de la solidarité nationale :

19. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ". En vertu des articles L. 1142-17 et L. 1142-22 du même code, la réparation au titre de la solidarité nationale est assurée par l'ONIAM.

20. Il résulte de ces dispositions que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

21. Si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte au titre de la solidarité nationale la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage en vertu du I du même article, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité. Dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise par une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif. Par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si l'ensemble de ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'article L. 1142-1, et présentent notamment le caractère de gravité requis, l'indemnité due par l'ONIAM étant seulement réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue.

22. S'il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 17 que les fautes commises par le centre hospitalier de Belley ont fait perdre à Mme N... une chance de survie, le décès de celle-ci ne peut être regardé comme la conséquence d'un accident médical directement imputable à un acte de soins au sens des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, eu égard à l'absence de dommages en lien avec un acte positif de diagnostic ou de soins. Il suit de là que les consorts N... ne peuvent prétendre à une indemnisation au titre de la solidarité nationale. Par suite, l'ONIAM doit être mis hors de cause.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne la perte de chance :

23. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

24. Il résulte de l'instruction que Mme N... a perdu une chance de se soustraire au dommage ou à son aggravation en l'absence de faute dès lors que les carences dans sa prise en charge en ne mettant pas en oeuvre les moyens disponibles pour poser un diagnostic approprié et en n'assurant pas un suivi de ses paramètres vitaux ont induit une absence de détection d'une possible embolie pulmonaire et d'un ou plusieurs épisodes d'hypoventilation ou d'hypoxie. L'article du service de cardiologie du centre hospitalier universitaire de Nice, produit par les consorts N... et relatif à l'embolie pulmonaire, précise que la mortalité de l'embolie pulmonaire avec traitement est de l'ordre de 8 à 15 % et la mortalité de l'embolie pulmonaire sans traitement est de l'ordre de 30 à 40 %. Eu égard à l'ampleur des fautes commises par le centre hospitalier de Belley et à son rôle dans la survenance du décès de la patiente, il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité du centre hospitalier de Belley en la fixant à 80 % des préjudices subis. Par suite, l'ampleur de la perte de chance retenue étant de 80 %, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Belley la réparation de cette fraction du dommage corporel.

En ce qui concerne les préjudices :

S'agissant des droits de la CPAM de l'Ain :

25. Si la CPAM de l'Ain indique avoir exposé pour le compte de son assurée des frais hospitaliers à hauteur de 2 470,80 euros, elle n'établit pas que la totalité de ces frais sont en lien avec les carences du centre hospitalier de Belley et non avec l'état initial de Mme N....

26. La CPAM de l'Ain indique également avoir versé un capital décès à hauteur de 2 440,02 euros. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, il y a lieu de fixer l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Belley à la somme de 1 952,01 euros. .

S'agissant des préjudices patrimoniaux des victimes indirectes :

Quant aux frais divers :

27. Les consorts N... justifient de frais d'assistance à l'expertise par le docteur Gouraud pour la somme, qui n'apparaît ni excessive ni injustifiée, de 1 050 euros. Il y a lieu de mettre cette somme intégralement à la charge du centre hospitalier de Belley.

28. Les consorts N... justifient également avoir exposé des frais d'obsèques pour un montant de 3 225 euros. Compte tenu du taux de perte de chance retenu de 80 %, il y a lieu de retenir à la charge du centre hospitalier de Belley la somme de 2 580 euros.

29. Les consorts N... sollicitent le remboursement des frais de transport et d'hébergement pour se rendre de Belley à Chambéry, lieu des obsèques de Mme N..., pour un montant de 300 euros chacun et de 624,40 euros pour Mme K... B.... S'il résulte de l'instruction que la crémation de Mme N... a eu lieu le mercredi 5 février 2014 à 17h00 à Chambéry, Mme K... B... produit une facture pour deux nuitées à l'hôtel Mercure de Lyon pour le 11 et le 12 mars 2015, qui ne saurait être prise en compte. Par suite, il sera fait une juste appréciation des frais de transport exposés pour se rendre aux obsèques de Mme N... à Chambéry en la fixant, eu égard à la distance parcourue, à la somme de 20 euros pour chacun de ses ayants droit. Compte tenu du taux de perte de chance retenu de 80 %, il y a lieu de retenir à la charge du centre hospitalier de Belley la somme de 16 euros pour l'époux, la soeur et chacun des enfants de Mme N... à l'exclusion des frais allégués par la belle-fille de la victime dès lors que celle-ci n'établit pas qu'elle aurait été contrainte d'engager des frais de transport distincts de ceux de son époux.

Quant au préjudice économique de M. N... :

Du 2 février au 31 mai 2014 :

30. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien compte tenu de ses propres revenus. Il résulte de l'instruction qu'à la date de son décès, Mme N... percevait un revenu annuel de 6 969 euros, selon l'avis d'impôt sur les revenus de l'année 2013, et que son époux percevait un revenu annuel de 22 230 euros. Les revenus annuels du couple s'élevaient ainsi avant le décès de Mme N... à la somme de 29 199 euros. Après déduction de la part des revenus consommés par celle-ci pour son propre entretien, qui peut être évaluée à 30 %, soit 8 759,70 euros, s'agissant d'un couple sans enfant vivant à domicile, il y a lieu de déduire du montant de 20 439,30 euros ainsi obtenu le revenu annuel du conjoint survivant (22 230 euros) ainsi que la pension de réversion versée à M. N... par la CARSAT depuis le 1er mars 2014 pour un montant net mensuel de 102,96 euros, la pension de réversion versée par l'ARRCO pour un montant mensuel de 77,92 euros et par l'IRCANTEC pour un montant annuel brut de 848 euros soit un montant mensuel de 70,66 euros. Il doit être également tenu compte du capital décès versé par la CPAM pour un montant de 2 440,02 euros. Il s'ensuit que M. N... n'établit pas l'existence d'un préjudice économique du fait du décès de son épouse pour cette période.

Postérieurement au 31 mai 2014 :

31. Il résulte de l'instruction et notamment d'un courrier de la CARSAT Rhône-Alpes, enregistré le 21 février 2020, que " compte tenu de sa carrière, l'assurée aurait pu prétendre au 1er juin 2014, date à laquelle elle aurait atteint l'âge requis, à un avantage de vieillesse déterminé à 652,72 euros par mois ". Ainsi, à compter du 1er juin 2014, Mme N... aurait perçu une retraite principale évaluée à la somme annuelle de 7 832,64 euros ainsi qu'une retraite complémentaire évaluée à la somme de 1 722 euros par l'IRCANTEC, soit un revenu annuel de 9 554,64 euros. Il n'est pas établi que l'époux de M. N... aurait subi une perte de revenu à compter du 31 mai 2014. Il y a donc lieu d'estimer le montant du revenu annuel de M. N... à la somme de 22 230 euros. Les revenus annuels du couple se seraient alors élevés à la somme de 31 784,64 euros. Après déduction de la part des revenus consommés par Mme N... pour son propre entretien, qui peut être évaluée à 30 %, soit 9 535,39 euros, s'agissant d'un couple sans enfant vivant à domicile, il y a lieu de déduire du montant de 22 249,25 euros ainsi obtenu le revenu annuel du conjoint survivant ainsi que la pension de réversion versée à M. N... par la CARSAT depuis le 1er mars 2014 pour un montant net mensuel de 102,96 euros, qui a été réévaluée à 108,26 euros à la date du 1er janvier 2020, la pension de réversion versée par l'ARRCO pour un montant mensuel de 77,92 euros et par l'IRCANTEC pour un montant annuel brut de 848 euros soit un montant mensuel de 70,66 euros. Il s'ensuit que M. N... n'établit pas l'existence d'un préjudice économique futur du fait du décès de son épouse.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

32. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection de M. D... N..., époux de la victime, en l'évaluant à la somme de 20 000 euros, soit 16 000 euros compte tenu du taux de perte de chance, des enfants de la victime, MM. H..., I..., P..., en l'évaluant à la somme de 6 000 euros, soit 4 800 euros chacun compte tenu du taux de perte de chance ; de la soeur de la victime, Mme K... B..., en l'évaluant à la somme de 5 000 euros, soit 4 000 euros compte tenu du taux de perte de chance, du petit fils de la victime, A... N..., en l'évaluant à la somme de 4 000 euros, soit 3 200 euros compte tenu du taux de perte de chance, et de la belle-fille de la victime, Mme E... N... en l'évaluant à la somme de 1 000 euros, soit 800 euros compte tenu du taux de perte de chance.

33. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts N... sont seulement fondés à demander la condamnation du centre hospitalier de Belley à verser aux ayants-droit de Mme N... la somme de 3 630 euros, à M. D... N... la somme de 16 016 euros, à MM. H..., I..., P... la somme de 4 816 euros chacun, à Mme K... B... la somme de 4 016 euros, à Mme E... N... la somme de 800 euros et à M. G... et Mme E... N... la somme de 3 200 euros en qualité de représentants légaux de leur fils mineur. La CPAM de l'Ain est seulement fondée à demander la condamnation du centre hospitalier de Belley à lui verser la somme de 1 952,01 euros au titre des débours exposés.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

34. Aux termes de l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, " Les montants maximum et minimum de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 108 € et à 1 091 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2020 ". En vertu des dispositions précitées de l'arrêté du 27 décembre 2019, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Belley la somme de 1 091 euros à verser à la CPAM de l'Ain au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

35. Lorsqu'ils sont demandés, les intérêts sont dus, quelle que soit la date de cette demande, à compter du jour où la demande d'indemnité est parvenue à l'autorité compétente ou, à défaut, à compter de la date d'enregistrement au greffe du tribunal administratif des conclusions tendant au versement de cette indemnité. Les consorts N... ne sont pas fondés à demander que les indemnités allouées portent intérêt à compter de la réception du recours préalable adressé au centre hospitalier de Belley dès lors qu'ils n'établissent pas que cette demande aurait été transmise au centre hospitalier. Par suite, les sommes allouées ne pourront porter intérêt qu'à compter de l'introduction de la requête devant le tribunal administratif de Lyon, le 16 décembre 2015. La capitalisation des intérêts a été demandée le 16 décembre 2015. Il y a lieu d'ordonner cette capitalisation à compter du 16 décembre 2016, date à laquelle a été due une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

36. La CPAM de l'Ain a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 1 952,01 euros à compter du 11 avril 2016, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Lyon.

Sur les dépens :

37. Il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Belley, partie perdante, les frais de l'expertise confiée aux docteurs Ode et Bagou, liquidés et taxés à la somme globale de 2 000 euros par ordonnance du 5 septembre 2015 du président du tribunal administratif de Lyon.

Sur les frais non compris dans les dépens :

38. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Belley la somme globale de 1 500 euros à verser aux consorts N... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le présent arrêt est déclaré commun à la CPAM de l'Ain.

Article 2 : Le jugement du 27 février 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 3 : Le centre hospitalier de Belley est condamné à verser aux ayants-droit de Mme N... la somme de 3 630 euros, à M. D... N... la somme de 16 016 euros, à MM. H..., I..., P... la somme de 4 816 euros chacun, à Mme K... B... la somme de 4 016 euros, à Mme E... N... la somme de 800 euros et la somme de 3 200 euros à M. G... et Mme E... N... en qualité de représentants légaux de leur fils mineur. Ces sommes porteront intérêts à compter du 16 décembre 2015. Les intérêts échus à la date du 16 décembre 2016, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : Le centre hospitalier de Belley est condamné à verser à la CPAM de l'Ain la somme de 1 952,01 euros, somme assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2016, et la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 5 : Les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme globale de 2 000 euros par ordonnance du 4 septembre 2015 du président du tribunal administratif de Lyon sont mis à la charge du centre hospitalier de Belley.

Article 6 : Le centre hospitalier de Belley versera aux consorts N... la somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts N... et des conclusions de la CPAM de l'Ain est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... N..., à M. H... N..., à M. I... N..., à M. G... et Mme E... N..., à Mme K... B..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain et de la Loire, à la Mutuelle ADREA, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier de Belley, à la commune de Parves et Nattages, à la CARSAT Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 2 avril 2020.

2

N° 18LY01564


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY01564
Date de la décision : 02/04/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : JASPER AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-04-02;18ly01564 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award